Rejets dans l'environnement

Il peut se produire des rejets dans l'environnement pendant des activités de fabrication et de traitement ainsi que tout au long de la vie utile et au moment de l'élimination des articles contenant de l'APDFO. Les sources ponctuelles possibles de rejet sont donc les rejets directs des installations de fabrication ou de traitement. Les rejets indirects peuvent résulter de la dégradation ou de la transformation de précurseurs de l'APDFO dans les stations de traitement des eaux usées et les sites d'enfouissement. Ces précurseurs peuvent comprendre des composés d'origine ou des produits chimiques contenant de l'APDFO. Les précurseurs possibles comprennent également des composés fluorés apparentés qui sont détectables dans l'atmosphère (p. ex. l'alcool fluorotélomérique 8:2 [FTOH], qui a huit carbones fluorés et un groupe alcool éthylique à deux carbones) et peuvent se dégrader ou se transformer en APDFO par des voies biotiques ou abiotiques.

L'APDFO et ses sels ne sont pas fabriqués au Canada (Environnement Canada, 2001). Il n'existe pas de données publiées sur les rejets directs dans l'air, l'eau ou le sol à partir d'installations industrielles au pays (Ellis et al., 2004b).

Muir et Scott (2003), Scott et al. (2003) et Boulanger et al. (2005) ont signalé la présence d'APDFO dans les effluents de stations de traitement des eaux usées (STEU) déversés dans les Grands Lacs. Les concentrations d'APDFO mesurées dans les effluents traités de STEU à Thunder Bay et à Sault-Ste-Marie, en Ontario, étaient comprises entre 7,9 et 24 ng/L (Scott et al., 2003). On a également mesuré à 38 ng/L la teneur en APDFO de l'effluent d'une STEU au nord de Toronto (Muir et Scott, 2003). Crozier et al. (2005) ont mesuré l'APDFO dans l'eau (concentrations allant de 7 à 55 ng/L) et les biosolides (concentrations allant de 0,7 à 0,9 ng/g) des effluents de STEU en Ontario. Ils (Crozier et al., 2005) ont aussi décelé de l'APDFO dans l'influent d'une STEU à une concentration de 7 ng/L, puis dans l'effluent de la même station également à une concentration de 7 ng/L, ce qui indique que l'APDFO pourrait se former pendant les procédés aux stations.

Boulanger et al. (2005) ont effectué une analyse du bilan massique de huit agents tensioactifs à base de perfluorooctane, y compris l'APDFO, dans l'ensemble du lac Ontario. De plus, ils ont cité et utilisé une étude menée en 1999 par la compagnie 3M qui comprenait l'analyse de trois composés perfluorés, dont l'APDFO, dans les effluents finals de six STEU. Quatre d'entre elles se trouvaient dans des villes américaines où l'on produisait ou utilisait à l'échelle industrielle des composés perfluorés, et deux dans des villes sans sources connues de ces composés. Des concentrations détectables d'APDFO, variant de 41,2 à 2 420 ng/L, ont été mesurées dans toutes les STEU. Pour effectuer l'analyse du bilan massique, Boulanger et al. (2005) ont utilisé la concentration d'APDFO de 549 ± 840 ng/L mesurée dans l'effluent d'une STEU dans le cadre de l'étude de 1999 de la compagnie 3M. Ces mêmes auteurs (Boulanger et al., 2005) ont noté que cette valeur présentait une grande incertitude en raison du faible nombre d'échantillons étudiés, et l'étude ne portait pas sur les effluents réels rejetés dans le réseau des Grands Lacs. Selon les calculs du bilan massique réalisés par Boulanger et al. (2005), les eaux entrant dans le lac Érié et les rejets d'eaux usées étaient les principales sources, tandis que les eaux sortant du fleuve Saint-Laurent constituaient le principal mécanisme de perte, ce qui indique que les rejets dans le lac Ontario ne sont pas pris en compte. Toujours selon Boulanger et al. (2005), le nettoyage et l'entretien, par les consommateurs, de produits traités en surface et l'utilisation d'agents tensioactifs à base de perfluorooctane dans des procédés industriels peuvent faire entrer ces substances dans les rejets de STEU. Ces auteurs étaient également d'avis que la présence d'objets traités dans des sites d'enfouissement et le traitement ultérieur des lixiviats provenant de ces sites par les STEU municipales peuvent aussi faire entrer d'importantes quantités d'agents tensioactifs à base de perfluorooctane dans l'environnement. Tous les produits et matériaux fluorés étudiés par Dinglasan-Panlilio et Mabury (2006) contenaient des alcools fluorés libres ou non liés. Ces auteurs estiment que les fluoroalcools résiduels entrent pour une grande part dans la charge atmosphérique d'alcools télomériques et qu'ils pourraient en constituer la principale source, car le rejet de ces fluoroalcools résiduels peut se produire tout au long de la chaîne d'approvisionnement, depuis la production jusqu'à l'utilisation finale, en passant par les applications.

Il existe des données sur des rejets d'APDFO à partir de sites d'enfouissement au Canada (Ikonomou, 2006). Ainsi, on a décelé la présence de cet acide dans des sédiments à de tels sites dans l'Arctique (22 à 1 083 ng/g) et à Kamloops, en Colombie-Britannique (jusqu'à 186 ng/g). Du lixiviat provenant de sites d'enfouissement de partout au Canada a également été analysé aux fins de détection de l'APDFO. On en a détecté à Waterloo (458 ng/L), à Cambridge (1 144 ng/L) et à Toronto (880 ng/L), en Ontario, à Moncton, au Nouveau-Brunswick (88 ng/L), à Halifax, en Nouvelle-Écosse (2 040 ng/L), à Charlottetown, à l'île-du-Prince-Édouard (642 ng/L), à Kelowna, en Colombie-Britannique (146 ng/L), et à Calgary, en Alberta (238 ng/L). On a aussi détecté de l'APDFO dans le lixiviat de sites d'enfouissement (91,3-516 ng/L) [Kallenborn et al., 2004] dans d'autres pays où, comme au Canada, on ne produit pas de composés perfluorés.

Les causes possibles de la formation d'APDFO, comme la dégradation ou la transformation de précurseurs, pourraient entraîner des rejets indirects et ainsi contribuer à la quantité totale de cette substance dans l'environnement.

D'Eon et Mabury (2007) ont établi que l'APDFO pouvait se former à partir d'agents tensioactifs de phosphate de polyfluoroalkyle (PAPS), tels que le 8:2 PAPS, par le clivage du lien ester phosphorique, libérant du 8:2 FTOH, qui subit par la suite une biotransformation pour former l'APDFO. L'Environmental Protection Agency (EPA ou US EPA) des États-Unis autorise l'utilisation des PAPS comme additif antimousse inerte dans les préparations pesticides et comme agent tensioactif fluoré non polymérique dans des produits en papier qui entrent en contact avec des aliments (D'Eon et Mabury, 2007).

Wallington et al. (2006) ont utilisé un modèle tridimensionnel de la composition chimique de l'atmosphère du globe (IMPACT) pour montrer que le composé n-C8F17CH2CH2OH (c.-à-d. le 8:2 FTOH) se transforme en APDFO et en d'autres APFC par dégradation dans l'atmosphère. Par ailleurs, à l'aide d'un modèle plurispécifique à échelle planétaire (CliMoChem), Schenker et al. (2008) ont montré que, jusqu'en l'an 2000, la contribution des flux atmosphériques de substances à base de fluorure de perfluorooctanesulfonyle au dépôt atmosphérique de l'APDFO dans l'Arctique était semblable à la contribution des flux de FTOH. On considère que, selon le lieu et la saison, les concentrations molaires d'APDFO dans l'atmosphère représentent un ordre de grandeur approprié en ce qui concerne les concentrations observées dans le biote de l'Arctique (Wallington et al., 2006). Les concentrations d'APDFO dans cette région varient effectivement beaucoup suivant la saison : des quantités relativement élevées (> 1,5 × 103 molécules/cm3) sont mesurées sur tout ce territoire pendant l'été arctique, mais les concentrations sont inférieures à celles-ci d'un ordre de grandeur en hiver (Wallington et al., 2006).

Ellis et al. (2001, 2003) ont signalé la formation d'APDFO par thermolyse de polymères fluorés. Les résultats des études menées par ces auteurs indiquent que ce processus peut produire de l'APDFO, mais vraisemblablement pas en quantités importantes dans l'environnement et pas suffisamment pour contribuer au transport à grande distance de cet acide. La thermolyse des polymères fluorés s'enclenche à partir de 365 °C (température qu'on ne rencontre pas dans l'environnement). Cette température pourrait être atteinte dans des applications industrielles et domestiques, de sorte que la thermolyse des polymères fluorés pourrait être considérée comme une source d'APDFO.

Il a été démontré que les FTOH se métabolisent pour former de l'APDFO chez le rat (Hagen et al., 1981). Selon ces auteurs, le phénomène serait causé par une ß-oxydation. Dinglasan et al. (2004) ont montré la dégradation aérobie de 8:2 FTOH avec une première demi-vie d'environ 0,2 j/mg de la protéine de la biomasse initiale, suivie d'une seconde demi-vie de 0,8 j/mg dans une culture microbienne mixte obtenue à partir de sédiments et d'eau souterraine prélevés dans un lieu contaminé, culture enrichie sur du 1,2-dichloroéthane, puis maintenue avec de l'éthanol comme seule source de carbone. Cette culture mixte a été choisie parce qu'elle était acclimatée à la dégradation des alcanes chlorés et des alcools, et donc considérée comme active sur des alcools fluorés. La dégradation de l'alcool s'est surtout opérée par un mécanisme produisant un acide télomérique; ce dernier a ensuite subi une ß-oxydation pour produire de l'APDFO, qui représentait 3 % de la masse totale des FTOH initialement au jour 81. Toutefois, comme cette étude se limitait à identifier et à quantifier des produits de transformation connus ou prévus, il se peut que d'autres produits de transformation soient demeurés inconnus. Les FTOH pouvaient se métaboliser pour former de l'APDFO dans les boues de STEU municipales (Pace Analytical, 2001). Liu et al. (2007b) ont montré la dégradation microbienne du 8:2 FTOH en APDFO dans des sols argileux et dans deux cultures bactériennes pures du sol (espèce Pseudomonas).

Wang et al. (2005) ont mené des études de biodégradation aérobie sur l'alcool télomérique 8:2 marqué au 14C dans des boues activées diluées d'une STEU. Trois produits de transformation ont été identifiés : les acides saturés 8:2, les acides insaturés 8:2 et l'APDFO; ceux-ci représentaient respectivement 27, 6 et 2,1 % de la masse initiale de l'alcool marqué au 14C après 28 jours. Selon les résultats obtenus, les métabolites d'acide perfluoré comme l'APDFO ne constituent qu'une infime partie des produits de transformation observés durant la période considérée (Wang et al., 2005). Ces mêmes auteurs ont également soutenu que le devenir biologique de l'alcool télomérique 8:2 était déterminé par de multiples voies de dégradation, ni la ß-oxydation ni une autre réaction catalysée par des enzymes n'étant la cause dominante. Une étude réalisée par Dinglasan et al. (2005) a révélé que l'oxydation de 8:2 FTOH en un acide télomérique s'était produite par l'intermédiaire de l'aldéhyde télomérique transitoire. L'acide télomérique a subi une transformation supplémentaire par ß-oxydation pour former l'acide insaturé et l'APDFO. Toutefois, un bilan massique complet n'a pas été établi, pour plusieurs raisons selon les auteurs : liaison des métabolites avec la biomasse et d'autres macromolécules biologiques, présence de métabolites non pris en compte, absorption d'intermédiaires (formation de liaisons covalentes) ou existence d'autres voies de dégradation (Dinglasan et al., 2005).

Les FTOH peuvent provenir de polymères, de substances chimiques intégrant des FTOH ou de quantités résiduelles de FTOH qui n'ont pas établi de liaisons covalentes avec des polymères ou des substances chimiques pendant la production. Ils entrent dans la fabrication de mousses extinctrices, de produits de soins personnels et de nettoyage ainsi que de revêtements antitaches, oléofuges et hydrofuges pour les tapis, les tissus, le cuir et le papier (US EPA, 2006a). Ils entrent également dans la fabrication d'une vaste gamme de produits : peintures, adhésifs, cires, polis, métaux, appareils électroniques, matériaux d'étanchéité, etc. De 2000 à 2002, ces composés ont été produits à raison d'environ 5 × 106 kg à l'échelle mondiale, dont 40 % en Amérique du Nord (Dinglasan et al., 2004). La fabrication des matières brutes et des produits à base de fluorotélomères comporte une suite d'étapes, le télomère A intervenant à la première d'entre elles. De 2000 à 2002, la production mondiale de télomère A variait de 5 000 à 6 000 t/an (Prevedouros et al., 2006).

La tension de vapeur mesurée des FTOH va de 140 à 990 Pa. Les constantes adimensionnelles de la loi de Henry calculées pour cette classe de composés (p. ex. 270 à 25 °C pour 8:2 FTOH) à partir des quelques données disponibles sur la solubilité dans l'eau et la tension de vapeur montrent la propension de ces composés à passer dans l'atmosphère (Dinglasan et al., 2004). Ellis et al. (2004a) ont montré que les FTOH peuvent produire de l'APDFO par réaction avec des radicaux hydroxyles dans l'atmosphère. Selon des études en chambre à smog, les FTOH peuvent produire une série homologue d'APFC par dégradation atmosphérique (Ellis et al., 2004a). L'oxydation des FTOH dans l'atmosphère serait le fruit d'une réaction avec des radicaux hydroxyles (Dinglasan et al., 2004; Ellis et al., 2004a). Il a été démontré que les perfluorooctylsulfonamides produisaient de l'APDFO par réaction avec ces radicaux (Hatfield et al., 2002). Même si ces études ont été réalisées en présence de fortes concentrations de radicaux hydroxyles qu'on n'observe pas dans l'environnement, et que leurs résultats étaient qualitatifs plutôt que quantitatifs, elles montrent la possibilité que des produits apparentés produisent de l'APDFO en réagissant dans l'atmosphère.

Stock et al. (2004, 2007) ont montré que les FTOH étaient très répandus dans l'atmosphère en Amérique du Nord. Des échantillonnages d'air effectués récemment ont permis de déceler la présence de ces substances dans la troposphère à des concentrations comprises généralement entre 17 et 135 pg/m3, lesquelles étaient plus élevées au-dessus des milieux urbains que des milieux ruraux (Martin et al., 2002; Stock et al., 2004). Loewen et al. (2008) ont étudié les concentrations de FTOH dans l'atmosphère et l'eau lacustre le long d'un transect altitudinal dans l'Ouest canadien. Les échantillons d'eau ont été prélevés au lac Cedar (petit lac situé près de Golden, en Colombie-Britannique), au lac Bow dans le parc national Banff (Banff, en Alberta) et à un autre petit lac sans nom situé dans le même parc. Des échantillonneurs atmosphériques passifs ont été mis en place le long de transects altitudinaux (800 à 2 740 au-dessus du niveau de la mer) entre Golden, en Colombie-Britannique, et le parc national Banff. Loewen et al. (2008) ont noté que la quantité de 8:2 et 10:2 FTOH augmentait (< 2,0 ng par échantillonneur) en fonction de l'altitude. Les concentrations d'APDFO dans l'eau lacustre prélevée le long du transect altitudinal étaient inférieures à 1 ng/L. Aucune tendance bien définie n'a pu être dégagée entre l'altitude et les concentrations d'APDFO. Selon Ellis et al. (2004a) et Wallington et al. (2006), les alcools télomériques pourraient être en partie responsables de la présence d'APFC dans l'Arctique et dans d'autres régions non urbaines où les concentrations de radicaux peroxyles dépassent de beaucoup celles des oxydes d'azote (NOx). De plus, comme la réaction de 8:2 FTOH avec l'oxyde nitrique entre en concurrence avec celle entraînant la formation d'APDFO, il devrait y avoir une relation inverse entre les deux. Dès lors, la production d'APDFO est annihilée dans les régions sources où les concentrations de NOx sont généralement égales ou supérieures à 100 parties par billion (parties par 1012).

De pair avec les mesures des alcools dans l'atmosphère effectuées par Martin et al. (2002) et Stock et al. (2004) et avec le profil des isomères linéaires et des isomères ramifiés observés dans des échantillons prélevés dans l'Arctique canadien (De Silva et Mabury, 2004), Ellis et al. (2004a) ont conclu que les alcools télomériques constituaient en partie une source plausible de l'APDFO détecté dans les régions éloignées. Cette conclusion peut être confortée par Stock et al. (2007), qui ont mesuré des concentrations de FTOH dans l'air à l'île Cornwallis, au Nunavut, en 2004. Les concentrations moyennes de FTOH variaient entre 2,8 et 14 pg/m3. Cette conclusion est également confortée par des mesures de l'APDFO dans des échantillons d'eau de pluie prélevés aux États-Unis (Scott et al., 2003; id., 2006b). Ces résultats montrent que les FTOH sont très répandus dans la troposphère et qu'ils peuvent être transportés sur de grandes distances par voie atmosphérique. De plus, De Silva et al. (2009) ont décelé la présence d'isomères ramifiés d'APDFO dans les sédiments et l'eau de surface du lac Ontario et en Arctique, le biote du lac Ontario et chez les humains. Ils n'ont toutefois pas mesuré ces composés dans des concentrations supérieures à la limite de détection (3,6 ng/g) chez l'ours blanc et le phoque annelé.

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