Rapport de suivi sur l'aniline : chapitre 2
2. Résumé de l'évaluation des risques pour la santé humaine associés à l'aniline publié en 1994
Au moment de publier le rapport d'évaluation de la LSIP (Gouvernement du Canada, 1994), au moins 10 tonnes d'aniline et de chlorure d'anilinium étaient annuellement fabriquées, transformées ou utilisées d'une autre façon au Canada. L'aniline et le chlorure d'anilinium étaient fabriqués et importés afin d'être utilisés surtout comme produits intermédiaires dans la production de produits chimiques employés pour synthétiser le polyuréthanne et le caoutchouc. Aux États-Unis, l'aniline était utilisée dans l'industrie agricole et pharmaceutique, dans l’industrie du caoutchouc, du plastique, des colorants et des produits chimiques pour la photographie, y compris dans la fabrication du sulfamide (médicament chimique), de l'acétanilide, de l'hydroquinone, des édulcorants, des azurants optiques, des résines, des pâtes à marquer, des parfums et des cirages à chaussures. Les dérivés de l'aniline étaient également utilisés aux États-Unis comme herbicides, fongicides, insecticides, répulsifs pour animaux et défoliants.
En 1994, il a été estimé que 1,1 tonne d'aniline était rejetée chaque année dans l'environnement au Canada et que les rejets provenaient des différents stades du cycle de vie commercial de la substance. On ne s'attendait pas à ce que l'aniline soit persistante dans l'environnement. Aucune donnée n'était disponible sur les concentrations d'aniline dans les principaux milieux d'exposition (air, aliments et eau) pour la population générale canadienne et sur les concentrations de cette substance dans le lait maternel et le sol au Canada. Par conséquent, des estimations déterministes de l'absorption quotidienne moyenne ont été proposées à partir de données de surveillance restreintes sur l'air ambiant aux États-Unis, l'air intérieur au Canada, les aliments en Allemagne et la fumée principale de cigarette, et en fonction du seuil de détection utilisé pour mesurer la concentration d'aniline dans les échantillons d'eau potable au Québec. Ces estimations étaient différentes d'environ sept ordres de grandeur de celles fondées sur les concentrations d'aniline dans l'air, l'eau et le sol prévues pour le Sud de l'Ontario grâce au modèle de fugacité de niveau III. Ces valeurs modélisées s'appuyaient, en partie, sur la quantité d'aniline importée au Canada en 1989. Quoique ces estimations correspondent davantage à la situation canadienne, elles sont néanmoins considérablement moins fiables que les estimations fondées sur les données de surveillance.
Les études épidémiologiques disponibles étaient inadéquates et ne pouvaient pas servir de base pour évaluer la cancérogénicité de l'aniline. Des études sur la toxicité chronique ont démontré que de fortes concentrations d'aniline provoquaient des tumeurs de la rate chez les rats mâles, mais pas chez les rats femelles ni chez les souris mâles ou femelles. Les résultats des deux essais biologiques de carcinogenèse les plus approfondis correspondaient à une meilleure métabolisation de l'aniline par voie de détoxication chez les souris que chez les rats, à une saturation de cette voie de détoxication à des doses plus élevées chez les rats et à des différences du métabolisme liées au sexe. L'incidence accrue des tumeurs de la rate chez les rats mâles (à des doses pouvant saturer la voie de détoxication) était associée à des dommages cellulaires. L'induction de ces tumeurs était donc considérée comme une conséquence possible de la prolifération cellulaire accrue liée à des dommages cellulaires causés par l'accumulation de globules rouges endommagés dans ces tissus. Les données sur la toxicité génétique de l'aniline étaient variées, mais compatibles avec cette hypothèse étant donné que l'aniline n'avait pas été génotoxique dans la rate. Cette observation était cependant fondée sur des données restreintes.
La dose journalière admissible (ou DJA, c.-à-d. la dose à laquelle une personne semble pouvoir être exposée quotidiennement, toute sa vie, sans subir d'effets nocifs) de 1,4 µg/kg p.c. par jour a donc été calculée pour les effets non néoplasiques. Cette valeur a été obtenue en divisant, par un facteur d'incertitude de 5 000 (× 10 pour une variation intraspécifique; 10 pour une variation interspécifique; × 10 pour l'utilisation d'une dose minimale avec effet nocif observé [DMENO] plutôt que d'une dose sans effet nocif observé [DSENO]; × 5 dans les cas où il y a peu d'indications de cancérogénicité), la dose minimale d'aniline (DMENO = 7,2 mg/kg p.c. par jour) à laquelle des effets nocifs (augmentation de l'hémosidérine dans la rate, hématopoïèse extramédullaire et congestion chez les rats CD-F mâles) ont été observés, et ce, dans la seule étude expérimentale à long terme menée sur des animaux, dans le cadre de laquelle un intervalle approprié d'effets avait été examiné (CIIT, 1982). Cette DJA est semblable à la valeur qui pourrait être calculée (4,2 µg/kg p.c. par jour) en s'appuyant sur les résultats d'une étude clinique (limitée) de la formation de méthémoglobine chez des sujets volontaires exposés par ingestion (Jenkins et al., 1972). Selon les résultats, une dose de 15 mg/individu était sans effet (dose sans effet observé [DSEO] de 0,21 mg/kg p.c. pour une personne de 70 kg) lorsqu'un facteur d'incertitude de 50 (qui tient compte de la variation intraspécifique et des limites de l'étude) était appliqué. Cette étude clinique a toutefois été considérée comme étant inadéquate en soi et ne pouvant servir de base à l'établissement d'une DJA étant donné qu'il s'agissait d'une étude à court terme sur un éventail restreint d’effets biochimiques observés chez un très petit nombre de sujets.
Les estimations extrêmement incertaines en ce qui concerne l'exposition à l'aniline, lesquelles reposaient essentiellement sur des données d'autres pays, et la grande différence entre ces estimations et les valeurs modélisées n'ont pas permis d'effectuer une comparaison significative avec la DJA en 1994.
Par conséquent, on a jugé que les données étaient insuffisantes pour conclure que l'aniline était « toxique » aux termes de l'alinéa 11c) de la LCPE (1988).
Détails de la page
- Date de modification :