Grand requin blanc (Carcharodon carcharias) évaluation et mise à jour du rapport de situation du COSEPAC : chapitre 7

Taille et tendances des populations

Activités de recherche

Aucun recensement des grands requins blancs n’a été réalisé dans les eaux canadiennes. La plupart des mentions proviennent de rapports sur des spécimens échoués, d’observations historiques documentées, de travaux d’enquête faits par les rédacteurs et de quelques déclarations de prises accessoires. Les bases de données des observateurs des deux côtes du pays, de même que tous les relevés effectués pour le compte des pêcheries, ont fait l’objet d’examen. On a également pris soin d’examiner les relevés réalisés dans les territoires adjacents.

Abondance

On sait peu de chose de la taille de la population mondiale de grands requins blancs, mais la plupart des sources d’information conviennent que l’espèce est relativement rare comparativement aux espèces de requins sympatriques. Comme il s’agit d’un prédateur supérieur occupant un niveau trophique moyen de 4,5, sa population dans une région donnée est nécessairement faible (Cortéz, 1999). Si on se fie au faible taux de rencontre, on peut supposer que l’abondance de l’espèce dans les eaux canadiennes est moindre que dans les régions situées juste au sud.

Pacifique

De 1961 à 2004, on a enregistré 14 mentions de grands requins blancs dans les eaux du Canada pacifique (tableau 1). La plupart concernent des individus échoués. Une fréquence aussi limitée ne permet pas d’estimer la taille de la population, qu’on présume quand même très faible. Dans la partie orientale du Pacifique Nord, du nord de l’État de Washington au centre du Mexique, on a recensé 116 grands requins blancs entre 1936 et 1984 (Klimley, 1985). Dans la baie de Monterey, en Californie, des avions de repérage ont recensé les grands requins blancs de 1948 à 1950; au cours de 445 vols, on en a observé 104 (une moyenne de 0,23 par vol); le nombre maximum recensé en un mois atteint 27 (Squire, 1967). Actuellement, il n’existe aucun indicateur de l’abondance de l’espèce dans le Pacifique Nord.

Atlantique

De 1874 à 2004, on a enregistré 32 mentions de grands requins blancs dans les eaux du Canada atlantique, dont une seule remonte à moins de dix ans (tableau 1). Le fait que seules deux mentions proviennent du Programme des observateurs de Scotia-Fundy indique qu’il n’est pas fréquent de pêcher un grand requin blanc dans ces eaux. Au large des États atlantiques américains, la pêche à la palangre a donné lieu à une récolte importante. En examinant plus de 200 000 ensembles de données recueillies de 1986 à 2000 dans la base de données américaine sur la pêche pélagique à la palangre, Baum et al. (2003) ont compilé 6 087 mentions déclarées de grands requins blancs. La plupart des spécimens (80 p. 100) ont été vus dans les régions au sud de la Floride (zones 2 à 4; figure 4). Dans les eaux septentrionales adjacentes à la zone de 200 milles canadienne (zones 6 et 7; figure 4), on ne rapporte aucune observation de grand requin blanc depuis le début des années 1990. On ne possède aucune estimation de l’abondance du grand requin blanc dans les eaux canadiennes, mais compte tenu de la faiblesse du taux de rencontre dans la pêche commerciale et sportive, il est probable que l’abondance y est beaucoup plus faible que dans les eaux américaines adjacentes, particulièrement sous les latitudes les plus méridionales.

Figure 4. Carte de l’Atlantique du Nord-Ouest illustrant la répartition des activités de pêche pélagique à la palangre aux É.-U. de 1986 à 2000, catégorisés en fonction du nombre de séries (0 à 800+), au sein des neuf zones évaluées : 1) Caraïbes; 2) Golfe du Mexique; 3) Côte est de la Floride; 4) Baie de l’Atlantique Sud; 5) Golfe médio-atlantique; 6) Côtière du nord-est; 7) Lointaine du nord-est; 8) Sargasso/Atlantique nord-central; 9) Tuna North/Tuna South. Les zones sont définies à partir de la classification de la U.S. National Marine Fisheries Service pour la pêche à la palangre. L’isobathe côtière de 1 000 m (ligne pointillée) est indiquée à titre de référence. Tiré de Baum et al., 2003.

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Fluctuations et tendances

Tendances récentes en Amérique du Nord

Comme le grand requin blanc est une espèce rare, on ne dispose guère de renseignements sur les tendances des populations à l’échelle mondiale. Dans l’Atlantique Nord et Sud, l’activité internationale de pêche à la palangre des espèces pélagiques a augmenté de façon exponentielle au cours d’une grande partie des cinquante dernières années, mais l’ampleur des effets de cet accroissement sur le grand requin blanc demeure incertaine (figure 5). Baum et al. (2003) sont les seuls à avoir publié une étude sur les tendances relatives à l’abondance des grands requins blancs du Nord, laquelle étude couvre le nord-ouest de l’océan Atlantique et se limite à 14 ans (moins d’une génération).

Figure 5. (A) Abondance relative des grands requins blancs de 1986 à 2000 dans l’ensemble de l’Atlantique du Nord-Ouest telle qu’indiquée par une analyse du registre des pêches commerciales à la palangre aux É.-U. (chute de 79 p. 100); (B) Taux estimatif de variation annuelle dans neuf zones d’évaluation et au total. Tiré de Baum et al., 2003.

Figure 5. (A) Abondance relative des grands requins blancs de 1986 à 2000 dans l’ensemble de l’Atlantique du Nord-Ouest telle qu’indiquée par une analyse du registre des pêches commerciales à la palangre aux É.-U.

Baum et al. (2003) ont calculé certaines tendances à partir des données du registre des captures par unité d’effort (CPUE) des flottilles de palangriers pélagiques américains pêchant l’espadon et le thon dans le nord-ouest de l’Atlantique de 1986 à 2000 (figure 6). Leur estimation, fondée sur 6 087 prises provenant surtout du littoral maritime sud-est des États-Unis et des Caraïbes (zones 1 à 4; voir la figure 4), montre une chute de 79 p. 100 des CPUE au cours de cette période (IC 95 p. 100 : 59-89 p. 100).

Figure 6. Tendances de l’effort de pêche de la flottille de palangriers de l’Atlantique Nord (1956-1997). Source : CICTA, 2005.

Figure 6. Tendances de l’effort de pêche de la flottille de palangriers de l’Atlantique Nord (1956-1997). Source : CICTA, 2005.

L’analyse des grands requins blancs par Baum et al. (2003) a récemment été mise en cause par dix biologistes américains spécialistes des requins (Burgess et al., 2005). Ces derniers critiquent l’analyse de Baum et al. (2003) en se fondant sur plusieurs lacunes possibles dans la série de données sur la pêche à la palangre pour l’estimation des tendances en matière d’abondance du grand requin blanc. Cependant, en réponse, Baum et al. (2005) réfutent les principaux points de la critique et concluent que leur estimation des tendances était solide. Par exemple, une préoccupation majeure de Burgess et al. (2005) était que les « grands requins blancs » inscrits dans les registres de pêche à la palangre auraient pu être en fait des requins à longues nageoires (Carcharhinuslongimanus) ou d’autres espèces de requins pâles, mal identifiés. Par ailleurs, Baum et al. (2005) signalent que, si la zone plus au sud, où il était plus probable que des espèces aient été mal identifiées, avait été omise dans les analyses, l’ampleur du déclin estimé de l’abondance du grand requin blanc serait effectivement à la hausse. En outre, selon Burgess et al. (2005), la pêche pélagique à la palangre ne constitue pas une méthode d’échantillonnage adéquate pour des requins côtiers tels que le grand requin blanc. À l’encontre de cette affirmation, Boustany et al. (2002) ont conclu que le grand requin blanc est une espèce plus pélagique que l’on ne croyait.

Tendances à l’échelle mondiale

Dans de nombreuses régions, les populations de grands requins blancs affichent une nette régression par rapport à leur abondance historique. En Nouvelle-Galles du Sud (Australie), le nombre de grands requins blancs pris dans les filets installés pour protéger les plages diminue presque continuellement depuis la pose du premier filet en 1937; dans toutes les régions où on a disposé ces filets, les CPUE ont par ailleurs chuté de plus de 80 p. 100 entre 1950 et 1990 (Reid et Krogh, 1992). Pepperell (1992) s’inquiète de la disparition du grand requin blanc des prises de pêche sportive dans les eaux du sud-est de l’Australie dans les années 1980, et Bruce (1992) note une chute du nombre de grands requins blancs dans certaines régions d’Australie-Méridionale. À l’aide de techniques de marquage et d’observation répétée, des scientifiques ont étudié la population de grands requins blancs d’Australie-Méridionale au cours de cinq expéditions réparties sur 2,5 ans; ils ont calculé que la probabilité estimative de survie entre les prélèvements n’était que de 0,20 (Strong et al., 1996). Au large du Natal, en Afrique du Sud, le nombre de grands requins blancs pris dans les filets de protection des plages est un des plus élevés au monde, et les données de CPUE témoignent d’un déclin irrégulier à long terme entre 1974 et 1988 (Cliff et al., 1989). Enfin, après qu’on eut abattu quatre grands requins blancs au large de Southeast Farallon Island (Californie) en 1982, les chercheurs en poste sur l’île ont noté une forte baisse du nombre de requins observés en 1983, 1984 et 1985 (Ainley et al., 1985; Pyle et al., 1996). D’après ces résultats, on peut présumer qu’en certains endroits des populations restreintes pourraient avoir un comportement moins migratoire que les autres; l’élimination de quelques individus à peine pourrait donc avoir des effets observables dans certaines populations locales.

Effet d’une immigration de source externe

On ignore la nature de la relation entre les grands requins blancs présents dans les eaux canadiennes et ceux qui vivent dans les territoires adjacents. On croit que les eaux canadiennes font partie de l’aire de répartition des populations du Pacifique Nord et de l’Atlantique Nord. Si c’est le cas, tout accroissement de la population totale devrait sans doute se traduire par une abondance accrue de grands requins blancs dans les eaux canadiennes.

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