Physe des fontaines de Ban (Physella johnsoni) évaluation et rapport de situation du COSEPAC : chapitre 10

Facteurs limitatifs et menaces

Le P. johnsoni est naturellement confiné aux tronçons supérieurs de quelques sources thermales du Parc national du Canada Banff. Par conséquent, la population totale de l’espèce est très fragmentée. Chacune des sous-populations subit normalement d’importantes fluctuations annuelles qui peuvent excéder deux ordres de grandeur. La migration naturelle d’une source à l’autre est extrêmement improbable, sauf si elle est facilitée par les oiseaux (voir la sous-section Déplacements et dispersion).

Les menaces naturelles et anthropiques qui pèsent sur l’espèce et son habitat, qu’elles soient liées à l’exploitation des installations à la source Upper Hot et au LHNC&B ou à d’autres activités humaines (Hu), ont été précisées dans le Programme de rétablissement et plan d’action visant la physe des fontaines de Banff (Lepitzki et Pacas, 2007) et sont énumérées au tableau 2 et examinées brièvement dans les pages qui suivent. La gravité de chaque menace pour chacune des sous-populations a été cotée selon les catégories suivantes : élevée (É), moyenne (M), faible (F). Cette évaluation a été effectuée selon les critères suivants :

La gravité des menaces varie d’une sous-population à l’autre. De façon générale, elles sont présentées dans le tableau par ordre décroissant de certitude et de gravité (verticalement).

Tableau 2. Menaces pesant sur la physe des fontaines de Banff et son habitat à chaque source thermale dans le Parc national du Canada Banff (d’après Lepitzki et Pacas, 2007)
Menace Type Upper Hot Kidney Upper Middle Lower Middle Gord’s Cave Basin Upper C&B Lower C&B
Écoulement – interruptions N É É É É É É É É É
Écoulement – réductions/fluctuations N É É M F M F F F F
Écoulement – réductions/fluctuations EI É - - - - É É F M
Écoulement – dérivations N F F F F F F F F F
Écoulement – dérivations EI É - - - - É É F M
Habitat limité ou de piètre qualité N/EI M M M M M M M M M
Immersion et baignade Hu M M M F F M M M F
Effondrement des sous-populations et reproduction consanguine N Inc. M F M Inc. F F M M
Piétinement / perturbations locales Hu M/F F F F F M/F M/F M/F F
Trempage des mains et des pieds Hu M F F F F M M/F F F
Événements stochastiques N F F F F F F F F F
Autres (récolte, prédation, compétition, extraction de l’eau par redressement des branches d’arbres au printemps) Hu/N F F F F F F F F F

Les menaces peuvent être naturelles (N) ou liées à l’exploitation des installations (EI) ou à d’autres activités humaines (Hu). De façon générale, les menaces sont présentées par ordre décroissant de gravité (verticalement) : élevée (É), moyenne (M), faible (F) (les critères utilisés pour l’évaluation de la gravité des menaces sont précisés dans le texte). La présence de l’abréviation « Inc. » signifie que l’ampleur de la menace considérée est inconnue, tandis que le symbole « - » signifie que la menace n’est pas présente à la source thermale. Les menaces indiquées pour les sources Upper Hot et Gord’s correspondent à celles auxquelles la physe des fontaines de Banff pourrait être exposée si elle y était réintroduite.


Interruptions, réductions, fluctuations ou dérivations de l’écoulement des sources thermales

Les interruptions de l’écoulement des sources thermales représentent une menace localisée qui peut toucher plusieurs sources simultanément et avoir des conséquences graves. Il a déjà été démontré que les sources thermales du mont Sulphur se sont déjà asséchées dans le passé et que de tels incidents ont été plus fréquents au cours des dix dernières années. Cette tendance devrait s’accentuer encore davantage sous l’effet des changements climatiques. Bien que l’on ignore si l’assèchement de sources thermales a mené à la disparition de certaines sous-populations depuis la découverte de l’espèce, il y a tout lieu de croire que des interruptions de l’écoulement aient eu une telle incidence. En conséquence, la gravité de cette menace est considérée comme élevée pour toutes les sous-populations.

Le débit des sources fluctue normalement d’une saison à l’autre. Des physes mortes ont été observées dans des tronçons inférieurs d’exutoires qui s’étaient asséchés par suite d’une réduction du débit de la source. Comme l’ampleur des réductions et des fluctuations de débit varie d’une source à l’autre, la gravité de cette menace varie également selon les sources considérées. L’évaluation de sa gravité est fondée sur les antécédents récents et sur l’ampleur des fluctuations annuelles du débit de chaque source.

L’exploitation des installations entraîne des réductions et des fluctuations de l’écoulement des sources Upper Hot et des sources du LHNC&B. Les eaux de la source Upper Hot sont détournées vers les installations de baignade, laissant bien peu d’habitat favorable pour l’espèce. Van Everdingen (1991) mentionne que les dommages écologiques causés aux sources thermales résultent non seulement de la dérivation des eaux thermales, mais aussi du rejet dans les exutoires des eaux traitées au chlore provenant des installations de natation et de baignade. Au LHNC&B, les réductions et les fluctuations du débit varient en ampleur d’une source à l’autre, mais elles atteignent leur ampleur maximale aux sources où l’écoulement à partir du point d’origine est entièrement régulé par des conduites et des vannes. L’obstruction des conduites et des vannes par des proliférations microbiennes, des débris et des déchets exacerbe les changements naturels et cause des fluctuations artificielles des niveaux d’eau. Les fluctuations du niveau de l’eau ont déjà causé la mort de physes et de capsules d’œufs aux sources Basin et Cave.

Les dérivations de l’écoulement peuvent être naturelles ou résulter de l’exploitation des installations. Comme la plupart des dérivations d’origine naturelle sont observées dans les tronçons inférieurs d’exutoires (le passage d’une harde de wapitis [Cervus elaphus] a entraîné une dérivation de l’écoulement de l’exutoire de la caverne est en avril 1998), où les effectifs de la physe sont plus faibles, la gravité de cette menace est également faible. L’accumulation de tuf, la chute d’arbres, le dépôt de débris ou l’érosion peuvent également provoquer des dérivations naturelles de l’écoulement. Les dérivations liées à l’exploitation des installations surviennent aux mêmes sources où des réductions ou des fluctuations de l’écoulement résultant de l’exploitation des installations ont été observées. La cote de gravité est identique dans les deux cas.


Habitat limité ou de piètre qualité

L’habitat favorable et préféré est naturellement limité pour cette espèce. L’exploitation des installations a entraîné une altération supplémentaire de l’habitat. Par exemple, le rejet rapide d’eau par des conduites en terrain accidenté réduit la qualité et la quantité de l’habitat favorable à l’espèce dans les exutoires.


Immersion et baignade

Des visiteurs en train de s’immerger ou de se baigner ont été observés à la plupart des sources thermales occupées par l’espèce. L’ampleur de cette menace varie toutefois d’une source à l’autre, principalement en fonction de l’aspect du bassin d’origine des sources. Les baigneurs peuvent écraser des physes et des capsules d’œufs en entrant dans les sources et en sortant de celles-ci. Les tapis microbiens flottants peuvent couler, s’échouer ou se fragmenter sous l’effet des perturbations engendrées par les baigneurs. Des modifications significatives (P < 0,05) touchant la limpidité et la physicochimie de l’eau et la microrépartition des physes ont été observées et mesurées (Lepitzki, 1998, 1999). Une fois délogés, les tapis microbiens peuvent obstruer les conduites et ainsi provoquer des fluctuations du niveau de l’eau. En février 2005, des milliers de physes sont mortes gelées hors de l’eau après que des tapis microbiens délogés par des baigneurs ont obstrué les conduites du bassin de la source Basin et provoqué le débordement du bassin (Lepitzki, comm. pers., 2005.). Un certain nombre de ces physes ont été conservées pour des analyses isotopiques (Londry, 2005a, b). Bien que l’hypothèse demeure à confirmer expérimentalement, on soupçonne que diverses substances chimiques comme les écrans solaires, les désodorisants et les produits insectifuges peuvent avoir des effets nocifs pour les physes et leur habitat. D’autres auteurs (Kroeger, 1988; Lee et Ackerman, 1998; Heron, 2007) ont allégué que l’ajout de substances toxiques (p. ex. savons, shampooings, huiles de bain et écrans solaires, produits insectifuges) utilisées par les baigneurs constitue une menace pour la flore et la faune des sources thermales. Bien que le nombre d’infractions associées à ces activités (interdites par le directeur du parc depuis la fermeture au public de toutes les sources à l’exception de la source Upper Hot) ait diminué depuis la mise en place de mesures d’éducation du public et de protection de l’habitat, les autorités du parc demeurent vigilantes et continuent de faire l’essai de nouveaux dispositifs de surveillance.


Effondrement des sous-populations et reproduction consanguine

L’effondrement annuel des sous-populations, phénomène caractéristique chez cette espèce, est une menace naturelle qui accroît le risque de disparition, en particulier chez les sous-populations qui ont affiché les plus faibles abondances au cours des 10+ dernières années (figure 11, tableau 1) (tableau 2). Ces effondrements favorisent la reproduction consanguine et le maintien d’un goulot génétique.


Piétinement et autres perturbations locales

Des dommages dus au piétinement et d’autres perturbations locales comme l’abandon de déchets, le déplacement ou l’enlèvement de supports ou la construction de digues ont été observés au cours des dix dernières années dans toutes les sources thermales ayant déjà abrité une sous-population de l’espèce. La fréquence et l’ampleur des incidences varient en fonction de l’affluence à chacun des sites, mais des effets ont été observés à toutes les sources (tableau 2). Le piétinement de l’habitat riverain fragile et le déplacement ou l’enlèvement de supports comme des tapis microbiens, des roches et des débris ligneux flottants ou émergents peuvent entraîner l’écrasement des physes qui y adhèrent ou leur exposition au gel ou à la dessiccation. Des détritus et des pièces de monnaie, des balles de neige, des morceaux de glace, des pierres et des bouts de bois ont été trouvés dans les sources thermales (Lepitzki et al., 2002b). La présence de pièces de monnaie contenant du cuivre est particulièrement préoccupante, car le sulfate de cuivre a déjà été utilisé comme molluscicide (Swales, 1935).Même en croyant bien faire, des visiteurs peuvent causer la mort de physes et d’œufs s’ils retirent des déchets des sources thermales sans s’être assurés au préalable qu’aucune physe ou aucun œuf n’y adhère. Même si l’installation de promenades et de clôtures au LHNC&B a permis de prévenir en bonne partie ce type de dommages, des personnes continuent de circuler le long des exutoires ou à proximité des bassins d’origine, en particulier durant les week-ends et au plus fort de la saison touristique estivale (Lepitzki et al., 2002b).


Autres menaces

Le trempage des mains et des pieds est une pratique courante chez les visiteurs du parc, en particulier au LHNC&B (Lepitzki, 2000d; Thomlinson, 2005). D’après une étude des comportements des visiteurs effectuée en 1999 et en 2000 (Lepitzki, 2000b), 73 p. 100 des visiteurs, en moyenne, se sont trempé les mains dans la source Cave (P<0,05). Ce pourcentage était significativement plus faible aux autres sources thermales (12 p. 100, 6 p. 100 et 8 p. 100 aux sources Basin, Upper C&B et Lower C&B, respectivement). La différence pourrait être due au fait qu’à ces 3 endroits, les visiteurs doivent s’agenouiller pour atteindre l’eau. L’étude sociologique de Thomlinson (2005) a confirmé que de nombreux visiteurs se trempent les mains ou les pieds dans les sources Cave et Basin mais que bon nombre d’entre eux semblent ignorer que cette activité est interdite.Comme les baigneurs, ces personnes peuvent écraser des physes et introduire des substances toxiques dans les sources. Cette pratique représente une menace persistante, étant donné les taux d’achalandage actuels et prévus au LHNC&B. Diverses mesures additionnelles destinées à réduire les taux d’infraction et à permettre aux visiteurs de toucher aux eaux thermales sans nuire à l’espèce et à son habitat ont été proposées (Lepitzki et Pacas, 2007).

Par définition, les événements stochastiques sont aléatoires et généralement imprévisibles. Toutefois, en raison du caractère fragmenté de son habitat et de l’ampleur des fluctuations annuelles qui touchent ses sous-populations, cette espèce paraît très vulnérable et pourrait connaître des pertes considérables en un seul événement catastrophique imprévisible.Selon Tischendorf (2003), l’accroissement du risque de disparition de la physe des fontaines de Banff serait avant tout lié à une augmentation du nombre d’événements stochastiques.

Bien que la prédation et la compétition soient des menaces naturelles avec lesquelles la physe des fontaines de Banff compose depuis fort longtemps, ces facteurs, s’ils s’exercent en synergie avec d’autres menaces, pourraient entraîner la disparition d’une population, en particulier quand les effectifs du mollusque sont à leur plus bas.De la même façon, la récolte illégale de spécimens est considérée comme une menace potentielle, même si son ampleur demeure à quantifier. Les arbres qui poussent directement à côté des exutoires représentent une autre cause naturelle de mortalité. En hiver, sous l’effet de l’accumulation de neige, les branches de ces arbres peuvent se courber et atteindre l’eau des sources thermales, où elles sont colonisées par des bactéries et des physes. Lorsque la neige fond, les branches se redressent, et les bactéries et les physes qui y adhèrent sont entraînées hors de l’eau et périssent rapidement sous l’effet du gel. Plus de 40 et 60 physes gelées ont ainsi été trouvées à 2 occasions distinctes le long des exutoires des sources Lower Middle et Basin (Lepitzki, 1998).

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