Annexe III — Examen administratif et libération reliées à la politique des Forces armées canadiennes en matière de vaccination contre la COVID-19 

Date :  Le 18 juillet 2023

Question en litige

Le but de la présente annexe est d’analyser si le processus d’examen administratif (EA) et la libération, dont a fait l’objet le plaignant, étaient raisonnables et justifiés.

Contexte

La politique des Forces armées canadiennes (FAC) sur la vaccination, qui a été publiée durant la pandémie de COVID-19Note de bas de page 1 , ordonnait à la chaîne de commandement (C de C) d’imposer des mesures correctives, en raison d’un manquement à la conduite, à tout militaire qui était considéré comme ne respectant pas cette politiqueNote de bas de page 2 . Le message général des Forces canadiennes (CANFORGEN) 012/22 et l’aide-mémoire du directeur – Administration (Carrières militaires) (DACM) ordonnaient à la C de C de recommander la libération des militaires qui continuaient de contrevenir à la politique des FAC sur la vaccination malgré l’imposition d’un avertissement écrit (AE) durant sept jours, puis l’imposition d’une mise en garde et surveillance (MG et S) durant sept autres jours. Ces politiques et directives ordonnaient à la C de C de mettre de côté les dispositions de la Directive et ordonnance administrative de la défense (DOAD) 5019-2 et de ne pas tenir compte des étapes cruciales du processus bien établi qui visait à garantir l’équité procédurale et à respecter les droits du plaignant en matière de procédure. La réduction de certains délais a empêché les militaires de fournir des observations et a empêché la C de C de consulter ces observations avant de rendre une décision à la suite de l’EA. Les politiques et directives concernant la vaccination obligatoire contre la COVID-19 ainsi que leur application au moyen de mesures correctives ont fait en sorte que les militaires, qui maintenaient leur décision de refuser la vaccination ou de refuser la communication de leur statut vaccinal, étaient considérés comme ayant commis une répétition du manquement à la conduite qui menait à un EA, puis à une libérationNote de bas de page 3 . Enfin, mentionnons que l’aide-mémoire susmentionné du DACM contenait des gabarits préremplis et du texte formaté en vue que soit entrepris un avis d’intention de libération, un processus d’EA, et une décision de libération dans chaque cas individuel. La présente analyse examinera le processus entourant ces EA, la justification donnée pour ces EA, et la question du respect de l’équité procédurale durant ces EA, et ce, en vue d’examiner si ces EA étaient justes et raisonnables.

Analyse

Le processus entourant l’examen administratif a-t-il respecté la DOAD 5019-2?

La DOAD 5019-2 énonce, en ces termes, le but et le processus d’un EA :

4.1 Chaque militaire est tenu de respecter des normes professionnelles de conduite et de rendement. Lorsque se produit un incident, une circonstance particulière ou un manquement à la conduite ou au rendement qui enfreint les normes professionnelles et remet en question la viabilité du maintien en service d’un militaire, une mesure administrative peut être appropriée.

4.2 Un EA est le processus permettant de déterminer la mesure administrative la plus appropriée, le cas échéant [...]

[...]

5.5 La sélection de la mesure administrative par une [autorité approbatrice] doit être fondée sur l’examen des éléments suivants :

a.    les faits du présent cas;

b.    toute la période de service du militaire, en tenant compte de son grade, de son groupe professionnel militaire, de son expérience et de son poste;

c.    tout manquement à la conduite ou au rendement antérieur, en considérant la mesure dans laquelle le militaire :

i.  a accepté la responsabilité ou a manifesté des remords pour le manquement;

ii. a pris des mesures actives pour modifier sa conduite ou son rendement;

d.    le rôle de leadership assumé par le militaire, le cas échéant;

e.    le résultat de la consultation nécessaire avec les services locaux de la santé des FC;

f.    l’existence de toute [contrainte à l’emploi pour raisons médicales] et de toute déficience déclarée, ainsi que de toute autre contrainte à l’emploi, sous réserve des exigences du principe de l’[universalité de service] conformément aux DOAD 5023-0 et 5023-1;

g.    les observations du militaire, le cas échéant.

[...]

5.8 En règle générale, la mesure administrative appropriée est celle qui reflète le mieux le degré d’incompatibilité entre le manquement à la conduite ou le rendement du militaire et son maintien en service continu au sein des FAC.

5.9 Une fois qu’un dossier d’EA a été examiné et qu’une décision a été prise, l’[autorité approbatrice] peut, en vertu des règlements, des politiques, des ordonnances, des instructions et des directives applicables, entreprendre une mesure administrative, y compris :

Il est intéressant de noter que, selon l’article 5.9 de la DOAD 5019-2, l’issue d’un processus d’EA peut varier et un tel processus mener, par exemple à un reclassement, à un retour à un grade inférieur ou à une autre issue. Par ailleurs, la DOAD 7023-1 (Programme d’éthique de la défense) mentionne qu’un militaire qui ne se conforme pas au Code de valeurs et d’éthique du ministère de la Défense nationale (MDN) et des FAC peut faire l’objet d’un changement de fonctions, d’une libération ou d’une autre mesure administrative énoncée dans la DOAD 5019-2, ou de mesures disciplinaires en vertu de la Loi sur la défense nationaleNote de bas de page 4  (LDN). La DOAD 7023‑1 comme la DOAD 5019-2 démontrent que la libération fait partie des issues possibles à la suite d’un EA, mais n’est certainement pas la seule. Néanmoins, selon la politique des FAC sur la vaccination, la C de C doit ordonner, comme seule issue possible, la libération de tout militaire qui refuse de se conformer à cette politique, et ce, sans l’examen d’autres considérations (telles l’ensemble du service du militaire, sa situation individuelle ou les conditions de sa période de service), ce qui a pour effet de limiter le pouvoir de la C de C en lui enlevant la possibilité d’envisager d’autres options et de décider quelle est la mesure administrative la plus appropriée, et ce qui a pour effet de sérieusement remettre en question l’équité procédurale de ces EA.  

Au moyen du CANFORGEN 012/22, les FAC mettent de côté des dispositions de la DOAD 5019-2 lors des EA entrepris en réponse aux militaires qui ne se conforment pas à la politique des FAC sur la vaccination. Ce CANFORGEN énonce qu’il n’est pas nécessaire de prendre en considération la totalité de la carrière des militaires qui décident de ne pas respecter la politique sur la vaccination; or, une telle approche équivaut à faire fi des éléments, énumérés à l’article 5.5 de la DOAD 5019-2, qui devraient guider l’autorité approbatrice dans son choix d’une mesure administrativeNote de bas de page 5 . Le CANFORGEN ordonne aussi de seulement tenir compte du manquement à la conduite (soit le refus de respecter la politique sur la vaccination) ce qui équivaut aussi à déroger aux éléments décrits à l’article 5.5 de la DOAD 5019-2.

De plus, un des gabarits dans l’aide-mémoire du DACM contient un énoncé général qui est destiné aux autorités approbatrices et qui doit être inclus dans les décisions de libération : « J’ai pris en considération les représentations du [nom du militaire] et je recommande fortement que le membre soit libéré en vertu du motif 5(f), car il continue de ne pas respecter les conditions de ses mesures correctives ». Il ne fait aucun doute que les dispositions de la DOAD 5019-2 ont été mises de côté; de plus, j’aimerais souligner que la politique des FAC sur la vaccination déroge à un processus bien établi en matière d’EA en réduisant les délais, en restreignant le pouvoir discrétionnaire des décideurs et décideuses, et, dans certains cas, en ne tenant pas compte des observations des militaires visés. En faisant fi de dispositions importantes de la DOAD 5019‑2 relativement à la gestion des processus bien établis d’EA, les FAC ont fait en sorte (en toute connaissance de cause ou sans le savoir) que la politique sur la vaccination a grandement limité l’équité procédurale de ces processus. Je fournis une analyse plus approfondie de la question de l’équité procédurale dans la partie suivante.

L’équité procédurale a-t-elle été respectée lors de l’examen administratif et de la décision de libération?

Le processus établi par la DOAD 5019-2 (Examen administratif) vise à faire en sorte que les décisions administratives, qui ont une incidence sur la carrière des militaires, respectent l’équité procédurale, et sont justifiées et raisonnables. Le fait de ne pas suivre ces principes essentiels rend ces décisions déraisonnables et invalides selon la jurisprudenceNote de bas de page 6 .

Comme je l'ai mentionné précédemment, les politiques et directives des FAC sur la vaccination prévoyaient que, dans les cas de non-conformité, la C de C ne pouvait en venir qu’à une seule issue prédéterminée. En effet, les directives du chef d’état-­major de la défense (CEMD) énonçaient que « [t]outes répétitions subséquentes du manquement lors de la MG et S conduiront de la même manière à un examen administratif et à une libération potentielle des FAC ». Même si ces directives mentionnaient une « libération potentielle », celle-ci était inévitable dansNote de bas de page 7  tous les cas de non-conformité, comme le Comité l’a constaté dans les nombreux griefs qu’il a reçus à ce sujet. Pourtant, selon la DOAD 5019-2, la décision de mener un EA comme la décision de recommander une libération sont des mesures administratives qui devraient être le résultat de l’exercice d’un pouvoir discrétionnaire par la C de C. Après un examen de plusieurs décisions de libérer des plaignants et plaignantes, je conclus que les autorités de mise en œuvre n’ont fourni aucune justification ou aucun raisonnement convaincant pour expliquer la raison pour laquelle la recommandation de procéder à la libération était la mesure la plus appropriée dans tous les cas où des militaires refusaient de se faire vacciner ou de dévoiler leur statut vaccinal. Puisque la C de C devait avoir recours à des gabarits préremplis, fournis dans l’aide-mémoire du DACM, il n’existe aucun élément de preuve, dans le présent dossier ni dans d’autres dossiers de grief, qui explique le motif pour lequel le choix d’un militaire en matière de vaccination devait entrainer une remise en question de la viabilité de son maintien en service. D’ailleurs, dans l’aide-mémoire du DACM, le gabarit, qui est destiné aux EA au niveau d’unité et qui devait être utilisé dans tous ces cas, se contentait de déclarer, sans offrir d’autre justification, que « la marche à suivre la plus appropriée dans ce cas serait de remettre au militaire un avis d’intention de recommander la libération sous l’item 5 (F) – Inapte à continuer son service militaire ».  

La décision ordonnant la libération d’un militaire, selon le motif 5(f), uniquement à cause de son refus de se faire vacciner ne démontre pas de quelle façon ce refus le rend « inapte à continuer son service militaireNote de bas de page 8  ». Par ailleurs, le CANFORGEN 012/22 fournit des directives sur la façon de remplir les formulaires requis lors de l’EA : « UNE FOIS QU UN DOSSIER D EA A ETE EXAMINE ET QU UNE DECISION A ETE PRISE CONCERNANT LE REFUS PERSISTANT D UN MILITAIRE DE SE FAIRE VACCINER OU D ATTESTER DE SON STATUT VACCINAL, L AUTORITE ADMINISTRATIVE (AA) PEUT, CONFORMEMENT AUX REGLEMENTS, POLITIQUES, ORDRES, INSTRUCTIONS ET DIRECTIVES APPLICABLES, AMORCER LE PROCESSUS DE LIBERATION OU RECOMMANDER LA LIBERATION, LE CAS ECHEANT. [sic partout] ». De nouveau, cela démontre que l’issue du processus de l’EA, mené en vertu de la politique des FAC sur la vaccination, était prédéterminée pour tous les militaires qui ne se conformaient pas à la politique. Cette issue était la suivante : une libération selon le motif prévu au numéro 5(f) (Inapte à continuer son service militaire). Par son caractère limité et prescriptif, une telle issue ne permettait pas à l’autorité compétente de tenir compte de toute la période de service du militaire, de son expérience, de sa situation personnelle, ni même des conditions et des besoins militaires de l’organisation. En fait, la politique des FAC sur la vaccination a eu pour effet de complètement retirer le pouvoir discrétionnaire de l’autorité approbatrice ce qui met en doute l’impartialité et l’équité dont devrait faire preuve le décideur ou la décideuse dans le cadre d’un EA. À mon avis, le processus d’EA découlant de la politique des FAC sur la vaccination était fondamentalement vicié.

La DOAD 5019-2 dresse une liste des éléments dont doit tenir compte l’autorité approbatrice lors d’un EA en vue de choisir une mesure administrative « qui reflète le mieux le degré d’incompatibilité entre le manquement à la conduite ou le rendement du militaire et son maintien en service continu au sein des FAC ». Ces éléments comprennent les faits du dossier, toute la période de service du militaire (en tenant compte de son grade, de son groupe professionnel militaire, de son expérience et de son poste), tout manquement à la conduite ou au rendement antérieur, et les observations du militaireNote de bas de page 9 . En revanche, dans les cas des militaires qui ont refusé de se conformer à la politique des FAC sur la vaccination, la situation a été bien différente. En effet, selon le CANFORGEN 012/22, la décision de libération qui est prise ne tient pas compte d’aucun des éléments énumérés dans la DOAD 5019-2 qui sont axés sur toute la période de service du militaire. L’approche décrite dans le CANFORGEN fait fi de la pratique bien établie entourant l’imposition de mesures administratives. Une telle approche contrevient à l’obligation d’équité procédurale des FAC lors de la prise de décisions administratives, et mène à des mesures administratives injustifiées et déraisonnables.

Le but de la DOAD 5019-2 est de veiller au respect de l’obligation d’équité procédurale lors de l’imposition de mesures administratives, et au caractère raisonnable des décisions prises à cet égard. Comme il l’a été indiqué par les tribunaux, l’obligation d’équité procédurale est plus grande dans les cas où la décision est importante pour l’individu, c’est-à-dire qu’elle a une incidence considérable sur cette personneNote de bas de page 10 . Selon moi, puisque la libération d’un militaire est l’issue la plus grave d’un processus d’EA (la libération a des répercussions majeures pour le militaire visé), la décision à ce sujet doit être prise en respectant un degré élevé d’équité procédurale et les droits du militaire en matière de procédure. Malgré les dispositions de la DOAD 5019-2 qui visent à assurer le respect de l’équité procédurale lors du processus d’EA, je conclus que l’obligation d’équité procédurale n’a pas été respectée lors des EA menés dans le cadre de la politique des FAC sur la vaccination.  

La décision d’ordonner la libération était-elle raisonnable?

Les décisions administratives, comme celle de libérer un militaire, doivent posséder les caractéristiques d’une décision raisonnable, soit la justification, la transparence et l’intelligibilité, et doivent être justifiées au regard des contraintes factuelles et juridiques pertinentes qui ont une incidence sur celles-ci. De plus, « […] une sanction raisonnable infligée pour inconduite professionnelle dans un cas donné doit être justifiée à la fois au regard des sanctions prescrites par les dispositions législatives applicables et de la nature de l’inconduite en causeNote de bas de page 11  ».

Certaines décisions arbitrales, bien qu’elles ne lient pas les FAC, demeurent des exemples pertinents provenant d’un autre contexte. Je constate que des arbitres ont conclu que l’application d’une politique sur la vaccination (dans un certain milieu de travail), qui ordonnait la vaccination obligatoire ou volontaire, était raisonnable et justifiée dans certains cas durant la pandémie. Cependant, ces arbitres ont précisé qu’il n’était pas raisonnable que le licenciement soit [traduction] « une issue automatique en cas de refus d’un employé de se faire vacciner », car une telle mesure empêche l’employé de faire valoir des facteurs atténuants. Enfin, des arbitres ont conclu que des employeurs ne pouvaient pas écarter leur obligation de démontrer une « juste cause » de licenciement en invoquant, comme seul argument, le fait que le licenciement était une sanction prévue dans leur politique sur la vaccination. Les arbitres ont énoncé que ces employeurs devaient démontrer la nécessité ou le besoin opérationnel de procéder à un licenciement inévitable, et ce, en tenant compte de l’évolution constante de la situation liée à la pandémieNote de bas de page 12 .

Il existe probablement des cas où le fait d’exiger une preuve de vaccination serait une exigence opérationnelle justifiée et nécessaire compte tenu des tâches et du poste d’un militaire. Cependant, le simple fait d’avoir refusé la vaccination ne démontre pas en quoi ce refus rend le militaire inapte à continuer son service militaire. Le texte des directives du CEMD et d’autres politiques sur la vaccination contre la COVID-19 a entrainé la libération précipitée de militaires qui ne se conformaient pas à la politique des FAC et s’est écarté grandement du processus établi par la DOAD 5019-2. Ces directives dictaient aux autorités compétentes ce qu’elles devaient faire, soit de procéder à la libération de militaires qui ne se conformaient pas à la politique dans un délai 14 jours, et ce, malgré le fait que les directives du CEMD mentionnaient qu’elles avaient un caractère temporaire. Comme on s’y attendait, la Directive 003 du CEMD sur la vaccination contre la COVID-19 a suspendu l’exigence de la vaccination obligatoire à partir du 11 octobre 2022. Néanmoins, les militaires qui avaient été déjà libérés, en vertu de la politique des FAC antérieure, ont subi des répercussions permanentes sur leur vie et leur source de revenus. La Directive 003 n’est pas rétroactive ce qui signifie que les libérations, imposées en vertu de la politique antérieure, n’ont pas été interrompues ou annulées. Il ne fait aucun doute que les militaires doivent suivre les ordres de leurs supérieurs. Par contre, il est rare qu’un seul cas de non-respect d’un ordre entraine la libération de ce militaire, à moins que la C de C puisse démontrer que ce cas de manquement à la conduite est tellement grave qu’il est incompatible avec le maintien en service de ce militaire.

Par ailleurs, dans le contexte actuel où l’embauche de personnel est difficile, le fait de libérer des militaires qualifiés et compétents semble contraire à l’objectif des FAC de maintenir l’état de préparation opérationnelle. Les militaires qui ont fait l’objet des mesures correctives et des mesures administratives en cause étaient souvent qualifiés dans leur groupe professionnel militaire et avaient rendu pendant des années, voire ses décennies, de bons et loyaux services aux FAC. Il va sans dire que les militaires moins expérimentés ont aussi des aptitudes recherchées et une motivation à servir dans la carrière militaire. 

Puisque, dès le début, il était convenu que les directives du CEMD sur la vaccination obligatoire seraient temporaires, selon moi, il est injustifié et déraisonnable de prévoir dans ces directives que la seule issue possible d’un processus d’EA, dans le cas d’un militaire qui refuse de se faire vacciner, est la libération inévitable. Compte tenu des dispositions empêchant les autorités compétentes de choisir parmi l’ensemble des mesures administratives existantes, compte tenu du caractère temporaire de l’exigence de la vaccination obligatoire, compte tenu des processus d’EA viciés et des manquements à l’équité procédurale découlant de la politique des FAC sur la vaccination qui était déraisonnable, je conclus que la libération des militaires qui avaient refusé de se conformer à cette politique était déraisonnable et inappropriée.

Mesure de réparation appropriée

Dans les cas où la libération d’un militaire a été jugée déraisonnable et injustifiée, la mesure de réparation appropriée serait de le rétablir dans ses fonctions et de lui verser un dédommagement financier pour compenser la perte de solde et d’avantages sociaux, y compris les cotisations pour la pension. Malheureusement, depuis longtemps, il existe le problème suivant : la LDN ne donne pas un tel pouvoir au CEMD lorsqu’il agit comme autorité de dernière instance dans le cadre de règlement de griefsNote de bas de page 13 . Dans le passé, lorsque le CEMD a conclu que des décisions de libération étaient injustifiées, il ne pouvait qu’ordonner le réenrôlement de militaires qui demeuraient admissibles et qui consentaient à ce réenrôlement sans obtenir un dédommagement financier convenable qui aurait compensé leur perte de solde et d’avantages sociaux. Or, une offre de réenrôlement représente une réparation partielle pour les militaires qui sont encore admissibles au service et qui souhaitent revenir dans l’organisation. Par contre, une telle mesure de réparation ne dédommage pas les militaires qui ont subi des pertes de solde et d’avantages sociaux. En ce moment, le CEMD a très peu d’options pour offrir un dédommagement financier.

En vertu du décret 2012-0861, le gouverneur en conseil a accordé le pouvoir au CEMD, dans son rôle d’autorité de dernière instance de la procédure de règlement des griefs des FAC, d’autoriser le versement d’un paiement à titre gracieux à toute personne visée par une décision définitive rendue dans le cadre de la procédure applicable aux griefs, étant entendu que ce pouvoir est assujetti aux conditions que fixe le Conseil du Trésor (CT)Note de bas de page 14 . Dans la politique applicable, on retrouve la définition suivante « [u]n paiement à titre gracieux désigne un paiement de secours versé par l’État en vertu des pouvoirs du gouverneur en conseil. Il s’agit d’un paiement effectué dans l’intérêt public pour une dépense engagée ou une perte subie et dont l’État n’est pas légalement responsableNote de bas de page 15  ». Parmi les conditions du CT à respecter, il est prévu qu’un paiement à titre gracieux peut être versé seulement s’il ne dépasse pas les montants prescrits et si un avis juridique a été reçu selon lequel l’État n’a aucune obligation légale à l’égard de la situation pour laquelle un versement est envisagé. Le versement ne vise pas à combler des lacunes perçues d’une loi, d’une politique ou d’un autre instrument gouvernemental. La Cour fédérale a expliqué que ces conditions existent pour empêcher l’utilisation de paiements à titre gracieux lorsqu’il existe d’autres recours administratifs possibles. La Cour a ajouté qu’un paiement à titre gracieux est « un paiement entièrement gratuit pour lequel aucune responsabilité n’est reconnueNote de bas de page 16  ».

Si le CEMD est d’avis que n’ont pas été satisfaites les conditions d’admissibilité au paiement à titre gracieux, il a aussi l’option d’offrir une mesure de réparation à l’extérieur du système de règlement des griefs des FAC. Comme il est prévu dans la DOAD 7004-0, le directeur – Réclamations et contentieux des affaires civiles (DRCAC) peut accepter de verser des montants à titre de règlement des réclamations contre l’État. Ainsi, l’autorité de dernière instance peut renvoyer le dossier du plaignant au DRCAC, qui évaluera si la situation du plaignant est admissible à une offre de règlementNote de bas de page 17 . Mentionnons que cette pratique n’est pas idéale, car elle manque de transparence et d’uniformité.

Après avoir été injustement libérés des FAC, les militaires lésés ont probablement subi un préjudice financier. Je conclus que l’offre d’un dédommagement financier représenterait une mesure de réparation pour compenser le traitement injuste subi.   

Conclusion

Je conclus que le processus d’EA et la décision de libération étaient irrémédiablement viciés, injustifiés et déraisonnables, et devraient être annulés.

Signé à Ottawa, ce 18e jour de juillet 2023

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