Annexe IV — Demandes d’accommodement d’ordre religieux reliées à la politique des Forces armées canadiennes en matière de vaccination contre la COVID-19
Date: Le 1 août 2023
Question en litige
La présente annexe vise à présenter une analyse commune à plusieurs dossiers quant à la question de savoir si les demandes d’accommodement d’ordre religieux, reliées à la politique des Forces armées canadiennes (FAC) en matière de vaccination contre la COVID-19, ont été traitées par les autorités compétentes des FAC conformément aux dispositions de la Charte canadienne des droits et libertésNote de bas de page 1 (la Charte) et aux autres politiques des FAC applicables.
Contexte
Le 25 janvier 2020, un premier cas du virus de la COVID-19 a été répertorié au Canada. Le gouvernement du Canada a alors mis en place des mesures de santé publique pour limiter les répercussions du virus sur la population canadienne.
Le 11 mars 2020, l’Organisation mondiale de la santé (OMS) a évalué la situation liée à la propagation et à la gravité de la maladie causée par le virus de la COVID-19 et a déclaré qu’il s’agissait d’une pandémie.
Le 9 décembre 2020, Santé Canada a autorisé le premier vaccin contre la COVID-19 et, plus tard au cours du mois, les efforts de vaccination de masse ont commencé à travers le Canada.
Le 6 octobre 2021, le Secrétariat du Conseil du Trésor a annoncé la politique sur la vaccination contre la COVID-19 applicable à l’administration publique centrale, y compris à la Gendarmerie royale du Canada (GRC). Cette politique s’appliquait au personnel du ministère de la Défense nationale, mais pas aux membres des FAC.
Le 8 octobre 2021, le Chef d’état-major de la défense (CEMD) a publié une première directive sur la vaccination contre la COVID-19 des FAC. Elle énonçait que la vaccination obligatoire était une exigence que tous les membres des FAC devaient respecter en vue d’accomplir les tâches liées à leur travailNote de bas de page 2. La directive prévoyait que « [l]es membres des FAC qui ne se conforment pas à cette directive en raison de leur refus de divulguer leur statut vaccinal et/ou qui attestent ne pas être complètement vacciner adéquatement seront convoqués à un séminaire de sensibilisation virtuel offert par des professionnels de la santé sur les avantages de la vaccination contre la COVID-19 ». Enfin, on pouvait y lire que « [l]es membres des FAC qui ne se conforment pas à la politique de vaccination des FAC COVID-19 peuvent être soumis à des mesures correctives ou administratives alternatives ».
Le 3 novembre 2021, le CEMD a publié une deuxième directive sur la vaccination contre la COVID-19 dans les FAC (« Directive 002 du CEMD »). Elle énumérait les conditions requises pour demander une exemption ou un accommodement en raison d’une contre-indication médicale certifiée, de motifs religieux ou de tout autre motif de distinction illicite. Cette directive précisait que les militaires, qui ne se conformaient pas à la politique des FAC sur la vaccination et qui ne bénéficiaient pas d’une exemption, feraient l’objet de mesures correctives imposées en raison d’un manquement à la conduite. Ces militaires auraient 14 jours pour surmonter ce manquement et se faire vacciner. Dans cette directive, le CEMD exhortait tous les militaires à se faire entièrement vaccinés, sauf ceux et celles qui en étaient incapables en raison d’une contre- indication médicale ou de motifs religieuxNote de bas de page 3.
Le 5 novembre 2021, le bureau de l’aumônier général a préparé un document (en anglais seulement) intitulé « COVID-19 Vaccination – Accommodation based on Religious Grounds: Tool for Assessment » (Vaccination COVID-19 – Accommodements fondés sur des motifs religieux (Outil d’évaluation)Note de bas de page 4. Ce document contenait des critères pour évaluer les demandes d’exemption de la politique des FAC sur la vaccination ainsi que les demandes d’accommodement d’ordre religieux liées à cette politique. Cet outil d’évaluation mentionnait la directive du CEMD sur la vaccination contre la COVID-19 ainsi que la DOAD 5516-3 (Accommodement pour motif religieux ou spirituel), et prévoyait ce qui suit :
- Afin de pouvoir bénéficier d’un accommodement, le membre devra démontrer qu’il a une « croyance religieuse sincère » qui l’empêcherait de se faire vacciner.
- Afin d’établir une telle conviction [sic], la demande devrait être évaluée sur la base des éléments suivants :
- Si la croyance est de nature religieuse [sic].
(1) Le membre devra fournir un affidavit expliquant en quoi sa croyance est religieuse et démontrer le lien entre sa croyance et le besoin d’accommodement. […]
- La croyance est-elle sincère? […]
- La nécessité de ne pas être vacciné est-elle compatible avec leur croyance religieuse professée? […]
- Si la croyance est de nature religieuse [sic].
Cet outil d’évaluation contenait une liste de questions qui permettait aux aumôniers et aux chaînes de commandements d’évaluer les demandes selon les critères applicables.
Le 22 novembre 2021, le bureau de l’aumônier général a rédigé un document intitulé « Directives supplémentaires du SAumRC : Campagne de vaccination COVID-19 – Demande d’accommodement fondé sur des motifs religieux »Note de bas de page 5 (Directives supplémentaires). Le but de ce document est de « fournir une référence uniformisée pour les aumôniers qui conseillent à la fois les membres des FAC et le [sic] C de C en appliquant [la première directive du CEMD sur la vaccination contre la COVID-19 ainsi que la Directive 002 du CEMD] ». Ce document indique ce qui suit au sujet du processus à suivre :
- 3. Lorsqu’un membre soumet une demande d’accommodement fondée sur des motifs religieux, la C de C et l’aumônier peuvent poser des questions pertinentes et ciblées afin de mieux comprendre la demande. Il ne s’agit pas de remettre en question la croyance elle- même, mais plutôt de s’assurer que la croyance est sincère, qu’elle est conforme aux pratiques antérieures et que la préoccupation exprimée concernant le vaccin est réellement liée à une croyance religieuse. […]
- 6. Les aumôniers sont fortement encouragés à travailler en étroite collaboration avec les [Juges-avocats généraux] […] afin de s’assurer que le raisonnement appliqué à ces demandes soit cohérent et appliqué harmonieusement dans l’ensemble des FAC. […]
- Veillez à n’envoyer qu’une seule recommandation à la C de C. Il semble que lorsqu’il y a un désaccord entre les aumôniers, certaines C de C reçoivent des recommandations multiples et divergentes. À cet égard, il est important de rappeler les étapes à suivre :
- Toute recommandation d’un aumônier doit d’abord être examinée et confirmée par l’aumônier superviseur. En cas de désaccord entre l’aumônier de l’unité et l’aumônier superviseur, la recommandation sera envoyée à l’aumônier de division/formation pour examen. L’aumônier de division/formation, en consultation avec l’aumônier de commandement, prendra la décision finale concernant la recommandation.
- Le niveau le plus élevé de révision de l’aumônier pour chaque recommandation fournira la recommandation par écrit à l’autorité d’approbation.
Les Directives supplémentaires précisent que les arguments fondés sur la Charte ne seront pas pris en considération puisque le processus en place n’est pas une tribune appropriée pour le faire. Ce document fait aussi une différence entre la liberté de conscience et la liberté de religion. Les Directives supplémentaires renvoient à la Loi canadienne sur les droits de la personneNote de bas de page 6 (LCDP) et indiquent que la liberté de religion est reconnue comme un motif de distinction illicite alors que la liberté de conscience ne l’est pas.
Les Directives supplémentaires mentionnent le fait que certains thèmes reviennent dans les demandes déposées par les militaires. Par exemple, plusieurs demandes expriment des préoccupations au sujet de l’utilisation de cellules souches, lesquelles proviendraient de fœtus avortés, lors de la conception et de la mise à l’essai des vaccins contre la COVID-19, même si les cellules souches sont utilisées depuis des décennies et même si leur origine est inconnue.
Les Directives supplémentaires suggèrent l’instauration d’un dialogue avec le ou la militaire pour obtenir des précisions sur son objection à la vaccination, pour comprendre les liens avec ses croyances religieuses et pour évaluer la sincérité de ces croyances.
Le 10 décembre 2021, le bureau de l’aumônier général a préparé un document intitulé « Directives supplémentaires du SAumRC 002 : Campagne de vaccination COVID-19 – Demande d’accommodement fondé sur des motifs religieux » (« Directives supplémentaires 002 »). L’objectif des Directives supplémentaires 002 était de « fournir une référence uniformisée pour les aumôniers qui conseillent à la fois les membres des FAC et le [sic] [chaîne de commandement (C de C)] en appliquant [la première directive du CEMD sur la vaccination contre la COVID-19, la Directive 002 du CEMD, et la Directive 002 du CEMD – Amendement 1] ».
Selon les Directives supplémentaires 002, l’objectif important, lors de l’évaluation d’une demande d’accommodement d’ordre religieux, n’est pas de remettre en question la croyance elle-même, mais plutôt de confirmer que la croyance est sincère, qu’elle cadre avec les pratiques passées de la personne et que la réticence face à la vaccination est vraiment liée aux croyances religieuses. Ce document précise aussi que si un ou une militaire est en désaccord avec la C de C sur sa décision relativement à la demande d’accommodement, il est possible de déposer un grief.
De plus, les Directives supplémentaires 002 citent le paragraphe 3(1) de la LCDP qui énumère les motifs de distinction illicite :
- Le processus d’adaptation ne concerne que les motifs de discrimination interdits [sic] par la LCDP. Le paragraphe 3(1) de la LCDP stipule ce qui suit :
- “3 (1) Pour l’application de la présente loi, les motifs de distinction illicite sont ceux qui sont fondés sur la race, l’origine nationale ou ethnique, la couleur, la religion, l’âge, le sexe, l’orientation sexuelle, l’identité ou l’expression de genre, l’état matrimonial, la situation de famille, les caractéristiques génétiques, l’état de personne graciée ou la déficience.”
En ce qui concerne le processus, les instructions sont les mêmes : le ou la militaire doit présenter une demande d’accommodement ou d’exemption de la politique sur la vaccination contre la COVID-19, puis la C de C, en consultation avec un aumônier, doit l’évaluer. Si la C de C approuve la demande en raison d’une croyance religieuse sincère, la C de C doit ensuite examiner les options existantes pour rendre possible un accommodement raisonnable.
Enfin, les Directives supplémentaires 002 décrivent plusieurs thèmes récurrents dans les demandes déjà présentées. Elles proposent des questions à poser aux militaires pour clarifier leur demande d’accommodement et pour vérifier si leur croyance est religieuse et si elle est sincère.
Le 14 juin 2022, le gouvernement du Canada a annoncé que la vaccination obligatoire qui s’appliquait au personnel de l’administration publique centrale, y compris de la GRC, était suspendue à compter du 20 juin 2022.
Le 11 octobre 2022, les FAC ont publié la Directive 003 du CEMD sur la vaccination contre la COVID-19 (« Directive 003 du CEMD ») qui a remplacé toutes les directives antérieures concernant la vaccination et qui a mis fin à l’ordre de vaccination obligatoire qui touchait tous les militaires. La Directive 003 du CEMD énonce que le changement apporté à la politique des FAC sur la vaccination n’a pas d’effet rétroactifNote de bas de page 7.
Analyse
Le Comité a reçu de nombreux griefs dans lesquels le plaignant ou la plaignante cherchait à obtenir une exemption de la politique des FAC sur la vaccination et présentait une demande d’accommodement d’ordre religieux. L’analyse ci-dessous est pertinente dans la majorité des griefs sur cette question dont est saisi le Comité. Le but de la présente annexe, laquelle traite une question commune posée dans tous ces griefs, est d’assurer cohérence et clarté lors de l’examen de griefs similaires.
La liberté de religion – un droit protégé
La Charte comme la LCDP prévoient que toutes les personnes ont droit à la même protection et au même bénéfice de la loi, indépendamment de toute discrimination. Le critère juridique qui s’applique pour déterminer s’il y a discrimination, au sens de la LCDP, comprend deux parties. D’abord, la personne visée doit établir une preuve prima facie de discrimination. Cela signifie que cette personne doit démontrer, selon la prépondérance des probabilités, qu’elle détenait une des caractéristiques énumérées parmi les motifs de distinction illicite, qu’elle a été traitée défavorablement dans le cadre de son emploi, et que cette caractéristique était un facteur qui avait entraîné ce traitement défavorable. Lorsque la personne a prouvé qu’une norme professionnelle ou une politique constitue de la discrimination fondée sur la religion, le fardeau de la preuve se déplace et il revient alors à l’employeur de démontrer que la norme ou la politique contestée était fondée sur une exigence professionnelle justifiée. Selon le paragraphe 15(2) de la LCDP, une pratique sera considérée comme une exigence professionnelle justifiée « s’il est démontré que les mesures destinées à répondre aux besoins d’une personne ou d’une catégorie de personnes visées constituent, pour la personne qui doit les prendre, une contrainte excessive en matière de coûts, de santé et de sécurité ».
Pour sa part, l’alinéa 2(a) de la Charte prévoit ce qui suitNote de bas de page 8:
- Chacun a les libertés fondamentales suivantes :
- Liberté de conscience et de religion.
L’obligation d’offrir un accommodement découle de la protection des droits fondamentaux (dont la liberté de religion) inscrits dans la CharteNote de bas de page 9.
Dans le cadre de la présente annexe ainsi que pour supporter l’examen des griefs sur le sujet, le Comité étudiera les demandes d’accommodement par rapport à la Charte seulement, même si ces deux textes législatifs protègent les personnes contre toute discrimination fondée sur des motifs de distinction illicite, y compris les croyances religieuses.
En ce qui a trait aux demandes d’accommodement d’ordre religieux, la Cour suprême a expliqué que « [l]’alinéa 2a) de la Charte est restreint ou mis en cause lorsque le demandeur démontre, d’une part, qu’il croit sincèrement à une pratique ou à une croyance ayant un lien avec la religion, et, d’autre part, que la conduite qu’il reproche à l’État limite d’une manière plus que négligeable sa capacité de se conformer à cette pratique ou croyanceNote de bas de page 10 ».
Par conséquent, deux questions sont posées pour établir s’il y a eu violation de ce droit garanti par la CharteNote de bas de page 11:
- Est-ce que la personne concernée a une pratique ou croyance sincère qui crée un lien personnel avec le divin ou avec le sujet ou l’objet de sa foi spirituelle?
- Dans l’affirmative, est-ce que la mesure prise par l’État nuit d’une manière plus que négligeable à sa capacité de se conformer à cette pratique ou croyance?
L’alinéa 2a) de la Charte n’empêche pas entièrement l’État d’adopter une loi ou une politique qui aurait des répercussions sur la liberté de religion. En effet, une loi ou une politique dont l’effet sur la religion est négligeable, voire insignifiant, ne constitue pas une violation de la CharteNote de bas de page 12. Comme tous les droits et toutes les libertés garantis par la Charte, la liberté de religion peut être restreinte dans des limites qui sont raisonnables et dont la justification peut se démontrer dans le cadre d’une société libre et démocratique.
La liberté de religion : un critère en deux volets
La Cour suprême a expliqué ce qu’est la religion en ces termes : « Essentiellement, la religion s’entend de profondes croyances ou convictions volontaires, qui se rattachent à la foi spirituelle de l’individu et qui sont intégralement liées à la façon dont celui-ci se définit et s’épanouit spirituellement, et les pratiques de cette religion permettent à l’individu de communiquer avec l’être divin ou avec le sujet ou l’objet de cette foi spirituelleNote de bas de page 13 ». La liberté de religion prévue dans la Charte « s’entend de la liberté de se livrer à des pratiques et d’entretenir des croyances ayant un lien avec une religion, pratiques et croyances que l’intéressé exerce ou manifeste sincèrement, selon le cas, dans le but de communiquer avec une entité divine ou dans le cadre de sa foi spirituelle, indépendamment de la question de savoir si la pratique ou la croyance est prescrite par un dogme religieux officiel ou conforme à la position de représentants religieuxNote de bas de page 14 ». Cette interprétation est compatible avec une conception personnelle ou subjective de la liberté de religion. Cette liberté protège les obligations religieuses objectives de même que les expressions obligatoires de la foi jusqu’aux manifestations volontaires de celle-ci. La Cour a énoncé que « [c]’est le caractère religieux ou spirituel d’un acte qui entraîne la protection, non le fait que son observance soit obligatoire ou perçue comme telle. L’examen du caractère obligatoire d’une pratique religieuse est une démarche non seulement inappropriée, mais également semée d’embûchesNote de bas de page 15 ».
Une personne qui invoque la liberté de religion n’est donc pas tenue de prouver l’existence d’une obligation religieuse objective. La Cour a précisé qu’une croyance sincère s’entend simplement d’une croyance honnête. Elle a aussi déclaré que « […] le tribunal doit uniquement s’assurer que la croyance religieuse invoquée est avancée de bonne foi, qu’elle n’est ni fictive ni arbitraire et qu’elle ne constitue pas un artifice. […] L’appréciation de la sincérité est une question de fait qui repose sur une liste non exhaustive de critères, notamment la crédibilité du témoignage du demandeur […] et la question de savoir si la croyance invoquée par le demandeur est en accord avec les autres pratiques religieuses courantes de celui-ciNote de bas de page 16 ».
Cependant, la Cour suprême précise que « [v]u le caractère mouvant des croyances religieuses, l’examen par le tribunal de la sincérité de la croyance doit s’attacher non pas aux pratiques ou croyances antérieures de la personne, mais plutôt à ses croyances au moment de la prétendue atteinte à la liberté de religionNote de bas de page 17 ». De plus, la personne concernée peut présenter une preuve d’expert pour démontrer que ses croyances correspondent aux croyances d’autres personnes de sa religion, mais une telle preuve n’est pas nécessaire parce que « […] l’examen ne porte pas sur la perception qu’ont les autres des obligations religieuses du demandeur, mais sur ce que ce dernier considère subjectivement comme étant ces « obligations » religieuses. […] [Les croyances religieuses] ont un caractère éminemment personnel et peuvent facilement varier d’une personne à l’autre.Note de bas de page 18 ».
La Cour suprême a expliqué qu’il ne convenait pas de se livrer à des débats théologiques au moment d’examiner la sincérité d’une croyance ou d’une pratique religieuse. En fait, il n’est pas pertinent de se demander si la pratique ou la croyance en cause est prescrite par un dogme religieux officiel ou si elle est conforme à la position de représentants religieux. Il n’est pas nécessaire que la pratique religieuse protégée s’inscrive dans un système de croyances établi, ni même qu’elle soit une croyance partagée par d’autres personnes. La personne visée n’a qu’à établir qu’elle croit sincèrement en l’importance religieuse de la pratique en ce qui le concerne. Enfin, mentionnons qu’il ne convient pas d’exiger la production d’opinions d’expert pour établir la sincérité d’une croyance ou l’absence de sincéritéNote de bas de page 19.
En bref, lors de la première étape de l’analyse afin de décider si la liberté de religion entre en jeu, la personne qui invoque cette liberté doit démontrer :
- qu’elle possède une pratique ou une croyance qui est liée à la religion et requiert une conduite particulière, soit parce qu’elle est objectivement ou subjectivement obligatoire ou coutumière, soit parce que, subjectivement, elle crée de façon générale un lien personnel avec le divin ou avec le sujet ou l’objet de sa foi spirituelle, et ce, peu importe que cette pratique ou croyance soit ou non requise par un dogme religieux officiel, ou qu’elle soit ou non conforme à la position de représentants religieux;
- que sa croyance est sincère pourvu que cette croyance ne soit pas fondée sur des faits erronés ou sur des justifications insignifiantes.
L’évaluation par les FAC des demandes d’accommodement d’ordre religieux
Les FAC ont adopté une directive détaillée concernant les accommodements d’ordre religieux ou spirituel. Il s’agit de la DOAD 5516-3 (Accommodement pour motif religieux ou spirituel) qui prévoit notamment ce qui suit :
- 2.2 Les FAC doivent étudier une demande de mesures d’accommodement fondée sur une croyance religieuse ou spirituelle dans la mesure où cette croyance est sincère de la part du militaire ou du candidat et où elle est raisonnablement liée à une foi religieuse ou à une spiritualité.
- 2.3 Les FAC sont tenues d’approuver une demande d’accommodement fondée sur une
- croyance religieuse ou spirituelle sincère, sauf si la mesure d’adaptation ou toute mesure d’adaptation autre que celle qui a été demandée auraient l’une ou l’autre des conséquences suivantes, selon le cas :
- elle entraînerait une contrainte excessive;
- elle enfreindrait la loi;
- elle dégagerait le militaire ou le candidat de son obligation de satisfaire à un ou plusieurs critères minimaux d’efficacité opérationnelle liés au principe d’universalité du service énoncés dans la DOAD 5023-1, Critères minimaux d’efficacité opérationnelle liés à l’universalité du service.
- 2.4 L’obligation d’accommodement se définit comme étant l’obligation des FAC d’adopter des mesures afin d’éliminer, pour les militaires ou les candidats, les désavantages découlant d’une règle, d’une politique, d’une pratique ou d’un obstacle qui a ou pourrait avoir des répercussions négatives sur des personnes ou des groupes désignés protégés en vertu de la Charte canadienne des droits et libertés ou de la Loi canadienne sur les droits de la personne.
- 2.5 Une contrainte excessive fait référence à la limite dans laquelle les FAC sont tenues de prendre des mesures d’accommodement pour un militaire ou un candidat dans une situation donnée, en tenant compte des facteurs suivants :
- la disponibilité de solutions de rechange pour répondre aux besoins d’accommodement du militaire ou du candidat;
- la capacité réaliste des FAC d’assumer les coûts reliés aux mesures d’accommodement;
- la santé et la sécurité du public, des employés du ministère de la Défense nationale (MDN), des militaires et des candidats.
- 3.1 Le processus de demande d’accommodement fondé sur un motif religieux ou spirituel, et son examen par la chaîne de commandement, s’effectue comme suit :
- le militaire ou le candidat doit remplir et signer la partie 1 du formulaire DND 2983-F, Demande d’accommodement pour motif religieux ou spirituel, en indiquant de manière claire et avec tous les détails nécessaires la nature exacte de la croyance religieuse ou spirituelle qui nécessite une mesure d’accommodement, et présenter le formulaire, selon le cas :
- dans le cas d’un militaire, à son cmdt, par l’intermédiaire de sa chaîne de commandement;
- dans le cas d’un candidat, à l’autorité de recrutement désignée, c’est-à-dire au cmdt d’un CRFC;
Note – Le formulaire DND 2983-F est disponible sur le site intranet de la DDPD.
- selon la nature de la demande, le cmdt peut être l’autorité approbatrice appropriée (voir le paragraphe 3.2). Si tel n’est pas le cas, le cmdt doit transmettre la demande à l’autorité approbatrice appropriée;
- l’autorité approbatrice peut demander des renseignements supplémentaires ou des précisions au militaire, au candidat ou à toute autre source, au besoin;
- l’autorité approbatrice approuve la demande de mesures d’accommodement ou la refuse (voir les facteurs déterminants et les points à considérer au paragraphe 4.1).
- le militaire ou le candidat doit remplir et signer la partie 1 du formulaire DND 2983-F, Demande d’accommodement pour motif religieux ou spirituel, en indiquant de manière claire et avec tous les détails nécessaires la nature exacte de la croyance religieuse ou spirituelle qui nécessite une mesure d’accommodement, et présenter le formulaire, selon le cas :
Le paragraphe 4.1 de la DOAD 5516-3 contient un tableau qui énonce les facteurs déterminants et les points à considérer pour aider les autorités approbatrices lors de la prise de décision ainsi que lors de la prise de mesures appropriées à la suite de la réception d’une demande d’accommodement d’ordre religieux ou spirituel. Les dispositions de la DOAD 5516-3 reprennent les concepts énoncés par la Cour suprême et suivis par les tribunaux.
Après la publication de l’arrêt Syndicat Northcrest c AmselemNote de bas de page 20 par la Cour suprême, le bureau de l’aumônier général a publié une directive sur l’utilisation de l’expression « croyance sincère » lors de demandes d’accommodement d’ordre religieux ou spirituelNote de bas de page 21. Ce document concorde avec le critère juridique et les indications de la Cour à ce sujet. Par conséquent, avant la publication de la politique des FAC sur la vaccination contre la COVID-19, le cadre mis en place par les FAC pour évaluer les demandes d’accommodement d’ordre religieux était valable et raisonnable.
L’évaluation des demandes d’accommodement d’ordre religieux après publication de la politique des FAC sur la vaccination contre la COVID-19
La présente partie de l’analyse se penchera sur l’application par les FAC de divers outils (DOAD 5516-3, outil d’évaluation de l’aumônier général pour les demandes d’accommodement, Directives supplémentaires, et critère en deux volets susmentionné) dans le but d’examiner si les demandes d’accommodement d’ordre religieux ont été dûment traitées et si l’approche globale des autorités compétentes des FAC était raisonnable.
Comme il l’a été expliqué précédemment, le processus d’évaluation des FAC entre en jeu lors de la réception d’une demande d’exemption ou d’accommodement d’ordre religieux. Alors, la C de C doit décider, après consultation des aumôniers et des indications de l’aumônier général, si le ou la militaire a fait la preuve des éléments requis par le critère comprenant deux volets. Si la personne concernée démontre qu’elle croit sincèrement à une pratique ou à une croyance ayant un lien avec la religion, alors cette pratique ou croyance se trouve à être protégée par la Charte. Le Comité doit ensuite examiner si l’imposition de la vaccination obligatoire limitait d’une manière plus que négligeable la capacité de cette personne de se conformer à cette pratique ou croyance, c’est-à-dire d’exercer sa liberté de religion.
Selon le paragraphe 4.1 de la DOAD 5516-3, si la personne concernée a fait la preuve des éléments requis en vue d’un accommodement, les FAC doivent ensuite examiner l’accommodement demandé ou toute mesure de rechange pour voir si cela risque d’entraîner une contrainte excessive, d’enfreindre la loi ou de dégager la ou le militaire visé de son obligation de satisfaire aux critères en lien avec le principe d’universalité du service. Plus précisément, le Comité, lors de son examen, devra étudier si les FAC étaient dans une situation où elles pouvaient, selon l’article premier de la Charte, restreindre la liberté de religion dans des limites qui sont raisonnables et dont la justification puisse se démontrer dans le cadre d’une société libre et démocratiqueNote de bas de page 22.
Cela étant dit, je constate que la position du Comité, exprimée dans l’annexe I sur la question de la constitutionnalité de la politique des FAC sur la vaccination contre la COVID-19, continue de s’appliquer indépendamment du fait que des demandes d’accommodement d’ordre religieux ou spirituel ont été dûment traitées (ou ne l’ont pas été) par les autorités compétentes des FAC. Cette approche a conduit le Comité à conclure que le critère de la proportionnalité, selon l’application de l’article premier de la CharteNote de bas de page 23, n’avait pas été respecté lors de la mise en œuvre de la politique des FAC en cause.
Tel qu’il l’a été expliqué dans l’annexe I, la politique des FAC sur la vaccination contre la COVID-19 mentionnait que le respect de la vaccination obligatoire était un comportement attendu des militaires et que cette obligation découlait du principe éthique selon lequel les militaires doivent obéir à un ordre légitime, conformément au Code de valeurs et d’éthique des FAC. Le CEMD, à l’époque, a exhorté tous les militaires, sauf ceux qui en étaient incapables en raison d’une contre-indication médicale certifiée, de motifs religieux ou de tout autre motif de distinction illicite, à se faire entièrement vaccinés. Il est important de rappeler que la Directive 002 du CEMD, qui énumérait les conditions à respecter pour demander une exemption ou un accommodement en raison d’une contre-indication médicale certifiée, de motifs religieux ou de tout autre motif de distinction illicite, prévoyait que les militaires qui ne s’étaient pas conformés à la politique de vaccination et qui n’avaient pas obtenu d’exemption ou d’accommodement, se verraient imposer des mesures correctives en raison de ce qui a été qualifié d’un manquement à la conduite et pourraient même, dans certains cas, être libérés des FAC.
Compte tenu de l’analyse menée dans l’annexe I, je conclus que le droit à la liberté et à la sécurité, garanti par l’article 7 de la Charte, était déjà en jeu lors du choix par les militaires de refuser la vaccination (en tant que traitement médical) et que ces militaires ont été lésés par la politique des FAC sur la vaccination contre la COVID-19 dont la mise en œuvre constituait une mesure disproportionnée et de portée excessive.
Conclusions
En me basant sur la conclusion tirée dans l’annexe I, j’adopterai l’approche détaillée ci-après pour examiner les dossiers de grief dans lesquels une demande d’accommodement d’ordre religieux a été déposée :
- Dans le cas où les FAC ont traité une demande d’accommodement et ont décidé qu’elle ne satisfaisait pas au critère en deux volets entraînant la protection de la Charte (al. 2a)) ou de la LCDP, je devrai examiner le bien-fondé de cette décision (surtout que la plupart des griefs en dépendront). Si je conclus que le critère en deux volets a été satisfait, il est possible que la ou le militaire ait été lésé par le refus de sa demande ainsi que par l’application en tant que telle de la politique sur la vaccination contre la COVID-19 (voir annexe I). Toutefois, je conclus qu’une demande ne satisfaisait pas au critère en deux volets, alors la ou le militaire concerné n’aura pas été lésé par le refus de sa demande, mais pourra tout de même avoir être lésé par l’application de la politique en cause.
- Dans le cas où les FAC n’ont pas traité ou ont ignoré une demande d’accommodement, je devrai examiner si cette demande satisfaisait au critère en deux volets. Si je conclus que le critère a été satisfait, il sera alors possible que la ou le militaire ait été lésé par l’absence d’accommodement de même que par l’application de la politique sur la vaccination contre la COVID-19.
- Dans le cas où les FAC ont traité une demande d’accommodement, ont accepté que le droit protégé par l’alinéa 2a) de la Charte entrait en jeu, mais où elles ont décidé que l’octroi d’une mesure d’accommodement entraînerait une contrainte excessive, je devrai examiner le bien-fondé de cette décision. Dans ce genre de cas, je devrai analyser si le refus d’accorder une mesure d’accommodement était une décision qui restreignait un droit garanti par la Charte dans des limites qui étaient raisonnables. S’il s’agissait de limites raisonnables, il est possible que la ou le militaire n’ait pas été lésé par ce refus, mais cette personne pourrait tout de même avoir être lésée par l’application comme telle de la politique sur la vaccination contre la COVID-19.
Dans les cas où la demande d’accommodement d’ordre religieux a été refusée et où une mesure corrective a été imposée, il conviendra de consulter l’annexe II pour obtenir une analyse approfondie de cette situation.
Dans les cas où la demande d’accommodement d’ordre religieux a été refusée et une libération a été ordonnée (après l’imposition de mesures correctives), il sera de mise de consulter l’annexe III pour obtenir une analyse détaillée de cette situation.
Mesure de réparation applicable
En ce qui concerne les plaignantes et plaignants qui ont été lésés uniquement par l’application de la politique des FAC sur la vaccination contre la COVID-19, aucune mesure de réparation n’est recommandée parce que cette politique a été modifiée par la publication de la Directive 003 du CEMD laquelle mettait fin à l’exigence de la vaccination obligatoire des militaires.
En ce qui concerne les plaignantes et plaignants qui ont essuyé un refus de leur demande d’accommodement d’ordre religieux et qui se sont vu imposer des mesures correctives, il est recommandé d’annuler ces mesures correctives conformément à l’analyse de l’annexe II.
En ce qui concerne les plaignantes et plaignants qui ont essuyé un refus de leur demande d’accommodement d’ordre religieux et qui se sont vu imposer une libération des FAC (après l’imposition de mesures correctives), il est recommandé d’annuler la libération et d’offrir une compensation financière conformément à l’analyse de l’annexe III.
Signé à Ottawa, ce 28e jour de juillet 2023