CIMM – Rapport d’examen organisationnel d’IRCC – 24 octobre 2023

Neil Yeates, février 2023

Table des matières

Introduction

Objet de l’examen et constatations sommaires

Le présent examen a pour but de donner des conseils stratégiques à la sous-ministre sur la façon dont le Ministère peut devenir une organisation plus efficace et plus efficiente compte tenu des nombreuses exigences concurrentes auxquelles il doit répondre actuellement : un ambitieux plan annuel des niveaux d’immigration, des initiatives spéciales visant l’Afghanistan et l’Ukraine et un très grand nombre de dossiers à traiter en continu dans tous les secteurs d’activité, en particulier les demandes de visa temporaire, de passeport et de citoyenneté. Il s’agit surtout de déterminer si l’actuelle structure organisationnelle est toujours adaptée aux objectifs établis.
On peut résumer les constatations issues de cet examen en disant que le modèle organisationnel actuel d’IRCC est déficient, mais fonctionne encore grâce au travail acharné et au dévouement de notre personnel. Nous devons à présent prendre une série de mesures pour remanier la structure organisationnelle (notamment en passant à une toute nouvelle structure axée sur les secteurs d’activité), réformer le système de gouvernance, mettre en place des systèmes de gestion plus efficaces (en particulier pour la planification et la production de rapports) et faciliter l’établissement d’une culture visant à mieux appuyer les objectifs du Ministère (notamment en envisageant un examen global de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés et des mesures destinées à mieux tirer parti de l’expérience et de l’expertise des divers groupes d’employés). L’analyse contenue dans le présent rapport repose sur quatre piliers – structure organisationnelle, gouvernance, systèmes de gestion et culture – et présente des recommandations pour chacun. Il est important de noter qu’il faut agir dans tous ces domaines, et que les mesures fragmentaires seront probablement sans effet, car ces facteurs sont interdépendants, et l’un peut annuler l’efficacité de l’autre s’ils ne sont pas gérés de façon globale (à cet égard, voir la discussion relative à la culture). Il y a de nombreuses explications à la situation actuelle, mais il convient d’en souligner deux en particulier : en premier lieu, l’environnement opérationnel, à l’échelle nationale et internationale, n’a jamais été aussi complexe, instable et chaotique; en second lieu, le Ministère a connu une croissance exponentielle depuis que son actuelle structure organisationnelle a été mise en place, il y a plus de 20 ans. Le monde d’aujourd’hui est bien différent, et le Ministère doit s’y adapter. L’examen présenté ici ne vise aucunement à trouver des coupables, mais plutôt à aider le Ministère à aller de l’avant.

Méthodologie

Nous avons mené une série d’entrevues avec des répondants clés, notamment tous les membres du Comité exécutif, certains directeurs généraux à l’échelle du Ministère, d’anciens sous-ministres d’IRCC (dont les mandats, y compris celui de l’examinateur, remontent à 2009), et des représentants d’autres ministères et organismes, à savoir l’Agence des services frontaliers du Canada (ASFC), Affaires mondiales Canada (AMC), Emploi et Développement social Canada (EDSC) et la Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada (CISR) (les annexes I et II contiennent la liste des répondants et les questions qui leur ont été posées). Les entrevues ont été complétées par des recherches et l’examen de documents portant sur des enjeux clés. Dans une certaine mesure, on peut dire que le Ministère est une « cible en mouvement » pour les personnes chargées de l’examen, car des événements continuent de survenir à l’échelle mondiale et nationale, et des travaux sont en cours sur de nombreux fronts : leçons tirées de la situation en Afghanistan, examen de la gouvernance, évaluation du Centre de coordination et (sans doute l’activité qui aura le plus d’impact à moyen terme) révision globale de la politique d’immigration. Le présent rapport commence par une analyse de l’environnement et se poursuit par une autre analyse et une série de recommandations fondée sur les quatre piliers susmentionnés. Le rapport se conclut par des considérations relatives à la mise en œuvre, y compris une évaluation des risques liés à la décision de mettre en œuvre ou de ne pas mettre en œuvre les changements recommandés.

Analyse de l’environnement

Le Ministère est actuellement confronté à plusieurs réalités qui ne sont pas nécessairement compatibles. Voici une brève description des principales réalités.

Croissance d’IRCC au cours des 10 dernières années

Les employés sont recensés à leur poste d’attache

Date 3/31/2013 3/28/2014 3/27/2015 3/25/2016 3/27/2017 3/30/2018 3/29/2019 3/27/2020 3/26/2021 3/25/22 1/27/2023
Effectif total 5352 6578 7195 7598 7369 7658 8543 9207 9701 11276 12949

Les quatre éléments : structure organisationnelle, culture, systèmes de gestion et gouvernance

A. Structure organisationnelle

Comme on l’a mentionné précédemment, l’actuelle structure organisationnelle d’IRCC est en place depuis plus de 20 ans. Ce n’est pas une structure habituelle pour un ministère qui offre des programmes – les programmes et les politiques, ainsi que leur exécution, sont généralement intégrés à chaque unité de secteur d’activité. En apparence, il est un peu étrange qu’un pays comme le Canada, qui est depuis longtemps un chef de file sur le plan de l’octroi de l’asile et des mesures humanitaires, n’ait pas nommé de sous-ministre adjoint (SMA) chargé de l’octroi de l’asile, par exemple. Le Secteur de l’établissement et de l’intégration, qui a été créé il y a plusieurs années, utilise un modèle de prestation intégré, et assume diverses responsabilités en matière d’exécution des politiques et programmes, axés avant tout sur un important régime de subventions et de contributions. Toutefois, certaines politiques relatives aux programmes demeurent gérées par d’autres secteurs (p. ex. la Direction générale des politiques de réinstallation du SPSP). La persistance de l’actuelle structure peut s’expliquer par le fait qu’elle fonctionne raisonnablement bien depuis toutes ces années, qu’une certaine dose de gestion matricielle est inévitable à IRCC (en raison des nombreux secteurs d’activité qui font du traitement de dossiers à l’échelle nationale et internationale), et du fait que les réorganisations majeures peuvent être source de perturbations et de distraction.

Politiques stratégiques et de programmes et Opérations

Deux importants secteurs sont prédominants à IRCC : le Secteur des politiques stratégiques et de programmes (SPSP) et le Secteur des opérations. On peut comprendre qu’il est difficile de dissocier les politiques relatives aux programmes et l’exécution de ces programmes. Ces deux secteurs doivent travailler en étroite collaboration, sans quoi les conséquences pour le Ministère seront dramatiques. Aujourd’hui, le travail s’accomplit grâce à une solide culture de collaboration, et non grâce à des systèmes de gouvernance ou de gestion efficaces. Il y a une quinzaine d’années, on a créé des postes de SMA adjoints pour le SPSP et le Secteur des opérations en raison de la vaste portée de leurs activités, de l’augmentation de la charge de travail et de la nécessité d’avoir un dirigeant adjoint. Actuellement, en raison des pressions créées par la charge de travail, ces secteurs ont été carrément sectionnés en deux, et les SMA par intérim, qu’on appelle simplement SMA désormais, ne relèvent pas du SMA principal du secteur, mais directement du cabinet de la sous-ministre (CSM). Il n’y a plus de dirigeant en second dans le secteur, car les postes par intérim sont généralement attribués à des directeurs généraux provenant de cette moitié du secteur. Cela ne signifie pas que ces SMA ne travaillent pas en étroite collaboration les uns avec les autres (en fait, ils y sont tenus), mais plutôt que ce modèle organisationnel a été radicalement modifié au chapitre de la reddition de comptes. De plus, du moins théoriquement, il incombe au CSM de veiller à harmoniser le tout, ce qui est pour le moins difficile.

Services ministériels

Certaines des fonctions ministérielles sont relativement courantes; les communications et la vérification interne relèvent d’unités indépendantes, tandis que les autres unités le sont un peu moins. La répartition du travail entre le Secteur des finances, de la sécurité et de l’administration et le Secteur des services ministériels (principalement les RH et, assez étrangement, les affaires parlementaires, la protection des renseignements personnels et l’AIPRP) est relativement brouillonne et pourrait être organisée différemment. C’était le cas auparavant, lorsque tous les services ministériels (y compris les RH) relevaient de la responsabilité d’un seul SMA; le dirigeant principal des finances (DPF) avait un rôle distinct plus ciblé, et les deux postes relevaient du sous-ministre. Certaines fonctions, comme le soutien à la gouvernance, les affaires du Cabinet et réglementaires et les affaires parlementaires, ne sont pas directement supervisées par le CSM. CIC (ancien nom d’IRCC) était doté d’un secrétaire général qui assumait ces fonctions et relevait du CSM; aujourd’hui, un certain nombre de ministères appliquent ce modèle. De plus, les ministères ont tendance à combiner la vérification interne et l’évaluation afin de tirer parti des synergies entre ces deux domaines de travail différents, mais néanmoins liés. Les résultats des vérifications peuvent vraiment éclairer les évaluations, et vice versa.

Autres unités organisationnelles

Enfin, il y a à l’échelle du Ministère un certain nombre d’entités « satellites », dont celle chargée de l’Avenir du travail, le Groupe de travail anti-racisme, le Bureau de la résolution des conflits et le Secteur de l’Afghanistan, entités au sein desquelles on a créé des unités chargées de gérer les nouvelles priorités, là où l’on disposait des capacités nécessaires pour les gérer, parfois sans tenir compte de la logique de la structure organisationnelle en place. Même si elle semblait nécessaire à ce moment-là en raison des pressions créées par la charge de travail et, dans certains cas, d’une volonté de clarifier les responsabilités, cette approche n’est généralement pas viable à plus long terme et tend à créer d’autres problèmes, notamment en lien avec la coordination avec les secteurs existants qui seraient normalement responsables de ces activités et l’assurance d’une gouvernance et d’une surveillance appropriées.

Transformation

Le Secteur de la stratégie, des services et de l’innovation numériques accomplit divers travaux de transformation, qui consistent surtout à redéfinir les processus opérationnels, et à utiliser les technologies de l’information (TI) traditionnelles à l’appui de ces processus. Le Secteur compte deux SMA : l’un pour la Stratégie numérique et l’autre qui exerce les fonctions de dirigeant principal de l’information (DPI); ils

relèvent tous deux du CSM, ce qui représente une autre structure hybride similaire à celle du SPSP et du Secteur des opérations. Le projet de transformation, qui devrait durer entre 5 et 7 ans et qu’on a nommé modernisation de la plateforme numérique (MPN), comprend trois phases; la phase 1 est terminée et la phase 2 est très avancée (elle devrait prendre fin en mars 2023). Ces deux phases étaient supervisées par le DPI. La phase 3, qui correspond à la conception et à l’élaboration plus complexes d’un nouveau modèle opérationnel numérique, est supervisée par le SMA, Stratégie numérique. En général, il n’est pas idéal d’associer la refonte des processus opérationnels aux TI (même si l’objectif visé dans ce cas-ci est de créer une plateforme numérique), parce qu’il est fort probable que cette refonte se fasse indépendamment des opérations et des politiques relatives aux programmes. Malheureusement, la voie qui a été choisie est jonchée de projets de « transformation » qui ont échoué, en particulier ceux qui étaient liés aux TI. Le système de paie Phénix est devenu emblématique à cet égard, symbole d’un système fédéral de paie extrêmement (et, aux yeux de certains, beaucoup trop) complexe qui a en réalité causé une défaillance du logiciel de pointe qui gérait les paies à ce moment-là. Un des principaux moyens d’atténuer ce risque est l’adoption de méthodes de gouvernance efficaces; c’est ce que semble avoir mis en place IRCC avec le Comité de transformation dirigé par la sous-ministre. Il faut néanmoins souligner que bon nombre des répondants internes et externes ont généralement mentionné un manque de clarté et dit mal comprendre la MPN. Cela ne devrait pourtant pas être le cas, compte tenu du régime de gouvernance en place. Cela étant dit, on est en train de faire des progrès notables, comme en témoigne l’impressionnante mise en œuvre de services en ligne dans le cadre de la phase 2, dont le nouvel examen en ligne pour la citoyenneté, l’outil de suivi des demandes de citoyenneté, les demandes de résidence permanente et temporaire, les demandes de permis d’études et la capacité (précieuse) de créer un compte et de recevoir des mises à jour sur l’état du traitement d’un dossier.

Afghanistan et Ukraine

Il est intéressant d’examiner les différentes approches adoptées dans le cadre des initiatives visant l’Afghanistan et l’Ukraine. L’Afghanistan représente un important projet de réinstallation, dans un environnement très complexe qui néces site énormément de coordination avec d’autres ministères et organismes, tandis que l’Ukraine est pour l’instant une initiative temporaire, l’évolution de la situation demeurant inc ertaine. Il faut mentionner que la crise syrienne a également débuté comme une situation temporaire, qui a nécessité seulement plus tard l’établissement permanent de réfugiés qui fuyaient une guerre civile toujours en cours. Pour l’Afghanistan, on a créé un nouveau secteur en novembre 2021 et recruté un SMA en lui confiant comme mandat de superviser et de renforcer les travaux d’IRCC afin de promouvoir l’engagement pris par le gouvernement du Canada de réinstaller au moins 40 000 ressortissants afghans en stimulant la collaboration horizontale. Il devait donner des conseils

stratégiques et faire de la planification stratégique/produire des rapports pour mettre en œuvre l’initiative de rétablissement sur l’Afghanistan, et stimuler le soutien, la confiance et la participation des intervenants. Il s’agit d’un engagement très public qui a été largement couvert par les médias, lesquels critiquaient souvent des cas individuels. Le SMA relève directement du CSM et non du Secteur des opérations. Au départ, les rôles et responsabilités du secteur n’étaient pas clairement définis, ce qui n’est pas surprenant, étant donné qu’ils incombent généralement aux secteurs des opérations, des PSP et de l’établissement. Le nouveau SMA a entrepris de « débroussailler » tout cela, ce qui a donné lieu à une impressionnante matrice de responsabilité, d’approbation, de consultation et d’information (RACI). Il est quelque peu déconcertant d’observer que 59 éléments distincts sont définis, témoignant de la complexité de ces arrangements. Le cas de l’Ukraine est plus simple, car il relève largement de la responsabilité du Secteur des opérations, et s’ins crit donc dans les rapports produits et les responsabilités assumées en lien avec le SPSP et le Secteur de l’établissement, et avec d’autres divisions du Ministère, au besoin. Les différences d’approche de ces initiatives sont illustrées dans le tableau ci-dessous (préparé par le Secteur des opérations), avec l’ajout de la Syrie, où une approche similaire à celle de l’Ukraine a été adoptée sous la responsabilité du SMA intérimaire, Opérations. Il est important de noter que la Syrie est devenue une initiative de réinstallation, tandis que l’Ukraine demeure une initiative de demandes volontaires de visa assortie de mesures de soutien à l’établissement.

Était-il nécessaire de créer un secteur distinct pour l’Afghanistan? C’était manifestement l’évaluation qu’on en a faite à ce moment-là et, compte tenu des pressions exercées (décrites comme étant « acharnées ») sur le Ministère pour qu’il s’acquitte de l’engagement du gouvernement et de la charge de travail du moment, c’est compréhensible. Néanmoins, il y a lieu de se demander si ce secteur devrait être supprimé et si ses responsabilités devraient être réattribuées à leurs secteurs respectifs.

- Opération visant les réfugiés syriens Réponse à la crise en Afghanistan Réponse à la crise en Ukraine
Degré d’avancement de la crise La crise s’est déroulée sur plusieurs années. Réponse à une récente crise attribuable au départ de l’OTAN de l’Afghanistan. Réponse à une récente crise.
Nombre de personnes qui ont fui et de personnes déplacées à l’intérieur de leur pays (PDIP) 4,8 millions 2,2 millions (surtout avant août 2021) et 3,4 millions de PDIP 3,5 millions et 1,85 million de PDIP
Objectif d’IRCC Faciliter la réponse à la situation déstabilisante des réfugiés dont la présence se prolonge, comme l’a déterminé le HCR. Offrir une protection permanente aux Afghans qui ont participé aux activités militaires et diplomatiques canadiennes, ainsi qu’à d’autres groupes susceptibles d’être persécutés par les talibans. Offrir une protection temporaire aux Ukrainiens et aux membres de leur famille qui fuient le conflit, et d’éventuelles voies d’immigration permanentes à 10 000 personnes.
Emplacement de la population cible Intégralement dans des pays tiers. La majorité sur le territoire afghan. En Ukraine ou en fuite vers des pays européens voisins.
Orientation et contexte stratégiques

Recours aux programmes existants et au partenaire de recommandation.
L’engagement venait s’ajouter aux plans de niveaux d’immigration approuvés.

Recours à de nombreuses politiques publiques temporaires pour réinstaller de façon permanente des groupes désignés par un large éventail de partenaires de recommandation non traditionnels.
L’engagement envers les Afghans était supérieur aux niveaux approuvés par le gouvernement.

Visas temporaires, permis d’études et permis de travail ouverts à l’arrivée, pour faciliter l’accès à un refuge temporaire pour une période maximale de 3 ans.

Réponse et engagement d’IRCC (volumes) et échéancier

Réinstaller 25 000 réfugiés d’ici la fin de février 2016.
Réinstaller 25 000 réfugiés pris en charge par le gouvernement d’ici la fin de 2016 (certains ont été dénombrés lors du premier engagement).
Traiter toutes les demandes de réfugiés parrainés par le secteur privé (RPSP) présentées jusqu’au
31 mars 2016 d’ici le début de 2017.

Réinstaller 40 000 ressortissants afghans d’ici la fin de 2023.
Inclut les mesures spéciales en matière d’immigration, la réunification à l’intention des membres de la famille élargie, un engagement humanitaire à plus grande échelle pour les groupes prioritaires et l’abandon des exigences de détermination du statut de réfugié pour un maximum de 3 000 demandes de RPSP.

Un nombre illimité d’Ukrainiens peuvent séjourner temporairement au pays pour une période maximale de 3 ans.
Évaluations de l’admissibilité

Approche standard.
Examen médical aux fins de l’immigration (EMI) : approche standard

Approche en plusieurs étapes, puisque le contrôle de sécurité (collecte de données biométriques) ne peut pas être effectué en Afghanistan.
EMI : On a mis en place des EMI simplifiés pour les demandeurs afghans, au besoin, afin d’accélérer le processus. Pour les clients ayant besoin d’une réinstallation immédiate pour des raisons de sécurité, on a effectué les EMI au Canada à titre exceptionnel.

Approche standard.
EMI : Les demandeurs admissibles en vertu de l’Autorisation de voyage d’urgence Canada-Ukraine sont dispensés d’EMI à l’étranger, mais peuvent avoir à subir un test de diagnostic médical au Canada. Les Ukrainiens déposant une demande par d’autres moyens sont tenus de respecter les exigences de dépistage habituelles prévues par la LIPR, mais IRCC a simplifié les processus dans la mesure du possible.

Réponse aux crises

Une question importante a été soulevée : comment le Ministère devrait-il se préparer aux crises auxquelles il est périodiquement confronté? Est-ce qu’IRCC devrait se doter d’une « équipe d’intervention » permanente? La réponse est simple : non. Et ce, pour plusieurs raisons. Premièrement, il n’est pas envisageable de former un groupe d’employés d’expérience qui serait sous-utilisé en l’absence de « crise ». Deuxièmement, une unité distincte sera toujours difficile à gérer, car elle fait obstacle aux responsabilités régulières des secteurs existants. De plus, ces événements évoluent au fil du temps et peuvent changer de façon radicale (p. ex. en Syrie). Troisièmement, si une crise nécessite l’intervention

de hauts dirigeants (p. ex. un SMA responsable, comme il en a été décidé pour l’Afghanistan) et davantage de capacités (pour l’Afghanistan et l’Ukraine), ces ressources peuvent être intégrées aux structures existantes. Quatrièmement, l’actuelle répartition des responsabilités à IRCC peut être cons idérablement réduite avec une structure organisationnelle différente. Cependant, on peut prendre plusieurs mesures pour garantir qu’IRCC sera mieux préparé à gérer des crises inévitables (une « crise » est-elle encore une « crise » si l’on s’y attendait?). Il faudra notamment établir des protocoles de gestion des crises et des urgences, en déterminant le rôle que doit jouer le Centre de situation et en s’inspirant des méthodes d’autres ministères qui doivent souvent réagir à des crises (p. ex. le ministère de la Défense nationale). Il y a sans doute seulement quelques scénarios qu’il faudrait prévoir.

Résumé et recommandations

En bref, on a modifié le modèle organisationnel actuel de diverses façons au cours des dernières années pour gérer les pressions créées par la charge de travail et les crises, et il n’est plus adapté. Il est donc temps d’envisager d’importants changements.

Recommandations

Pour ce qui est de la structure organisationnelle, IRCC devrait devenir une organisation axée sur les secteurs d’activité.

IRCC devrait établir des protocoles de gestion des crises et des urgences qui désignent les SMA responsables selon divers scénarios.

B. Gouvernance

Il est essentiel de pratiquer une gouvernance à la fois effic ace et efficiente pour bien gérer une grande organisation. À IRCC, nombreux sont ceux qui conviennent que les actuelles modalités de gouvernance ne sont ni efficaces ni efficientes, et encore moins faciles à comprendre. Comme il a été mentionné dans un récent examen de la gouvernance (ébauche de novembre 2022) : « La structure actuelle ne remplit plus son rôle, car il y a trop de paliers qui touchent les mêmes conversations, des processus complexes et une dépendance excessive à l’égard du consensus. » Cette constatation a été amplifiée lors des entrevues, et on a observé que la plupart des décisions se prenaient en fait dans le cadre de rencontres bilatérales entre le CSM et les SMA. Ainsi, de nombreux répondants pensent que, durant leurs réunions, les comités passent trop de temps à recevoir de l’information et à assister à des présentations, ce qui leur laisse peu de temps pour vraiment discuter, et leurs décisions sont limitées ou peu claires (« qu’est-ce qui a été décidé? »). Ce sont des critiques qu’on entend souvent à propos des réunions dans la plupart des organisations, et certaines ont d’ailleurs pris des mesures radicales (Shopify a récemment annoncé une « interdiction des réunions »). À IRCC, il est clair qu’il faut répondre à ces préoccupations. C’est particulièrement urgent, compte tenu des pressions exercées sur le Ministère. EDSC a établi un régime de

gestion du rendement pour ses comités de gouvernance, qui prévoit une série d’objectifs et d’indicateurs, qu’IRCC devrait examiner pour s’en inspirer. Ces indicateurs comprennent des mesures comme le pourcentage d’éléments présentés en lien avec le plan ministériel, et le pourcentage de temps de réunion consacré aux discussions et/ou à la prise de décisions (pour les deux, on vise 70 %).

Le tableau ci-dessous donne un aperçu des comités de gouvernance actuels d’IRCC.

Structure actuelle des comités décisionnels d’IRCC

(chaque semaine

Comité du ministre et de la sous-ministre

  • Fournit des mises à jour sur les priorités en fonction des engagements prévus au mandat.
  • Sert de tribune d’information en ce qui concerne les sujets en demande ou les dossiers chauds.

(chaque semaine)

Comité exécutif (COMEX)

  • Organe responsable de la prise de décisions et de la surveillance pour les questions concernant l’ensemble du Ministère.
  • Établit les priorités et orientations stratégiques de haut niveau du Ministère.
  • Joue le rôle de comité préparatoire en prévision de séances d’information ministérielles, au besoin.

(tous les deux mois)

Comité de transformation

  • Exerce un leadership à l’échelle du Ministère pour concrétiser la vision, les objectifs et les résultats de transformation des services à IRCC.

Le Comité de gouvernance ministérielle des SM supervise les décisions horizontales stratégiques et l’orientation de l’organisation.

(chaque semaine)

Prospectif

  • Plateforme pour l’échange de renseignements au Ministère.

(toutes les deux semaines)

Comité des services ministériels et des finances (CSMF)

  • Formule des conseils et des recommandations stratégiques fondés sur les risques, et prend des décisions qui appuient l’excellence et la responsabilisation en matière de finances et de gestion.

(toutes les deux semaines)

Comité de gestion des enjeux (CGE)

  • Discussions et prise de décisions complexes au niveau de
    la haute direction en ce qui concerne les enjeux et les défis liés aux programmes, aux politiques et aux priorités opérationnelles.

(toutes les six semaines)

Conseil du programme de transformation numérique (CPTN)

  • Groupe qui mène des discussions et prend des décisions complexes, dont les activités principales consistent à surveiller la transformation, les feuilles de route de la MPN et d’autres initiatives de transformation.

Le SMA, Gouvernance opérationnelle, supervise au quotidien les décisions de nature tactique et opérationnelle de l’organisation.

Le Comité ministériel de vérification (CMV) fournit des conseils et des recommandations sur le caractère suffisant, la qualité et les résultats de l’assurance quant à la pertinence et au fonctionnement des cadres et des processus de gestion de risques, de contrôle et de gouvernance d’IRCC, y compris les systèmes de reddition de comptes et de vérification.

Le Comité de la mesure du rendement et de l’évaluation (CMRE) utilise les données de mesure de rendement et d’évaluation afin d’améliorer l’efficacité des programmes du Ministère. Il assure un changement de cap rapide pour renforcer les résultats des programmes.

Le Comité de la sécurité nationale (CSN) doit renforcer la sensibilisation sur les questions liées à la sécurité nationale du Ministère, ainsi que définir les priorités et élaborer des conseils en matière de sécurité nationale.

Le Comité de gestion des questions juridiques (CGQJ) offre un soutien à la sous-ministre et au sous-ministre délégué pour une gestion efficace des questions juridiques et des risques découlant des opérations, des politiques, des procédures et des litiges, et pour renforcer la gestion des frais juridiques engagés par le Ministère.

Le Comité consultatif de la sous-ministre et du sous-ministre délégué donne des renseignements sur des enjeux plus précis en cours d’examen et sur les résultats.

L’examen des mandats de ces comités permet de faire un certain nombre d’observations :

travailleurs étrangers temporaires et Entrée express, et un rôle central pour la reconnaissance des titres de compétences étrangers et les services du marché du travail. AMC gère la plateforme internationale du gouvernement du Canada, dont IRCC est de loin le principal utilisateur. De plus, AMC s’intéresse de très près, d’un point de vue stratégique, aux enjeux liés à l’immigration et à l’asile, compte tenu du leadership qu’exerce le Ministère en matière de relations internationales, et surtout lorsque les sanctions imposées par IRCC peuvent avoir un impact majeur sur les relations bilatérales. Ces relations entre programmes et politiques sont complexes, et il faut régulièrement s’y attarder afin de les gérer convenablement. La nature horizontale du travail est délic ate, car les systèmes de reddition de comptes du gouvernement fédéral sont largement verticaux, par défaut. À la CISR, on a créé le Conseil de gestion du système d’octroi de l’asile (composé de hauts fonctionnaires), mais l’ASFC, AMC et EDSC ne disposent d’aucun organe de gouvernance officiel au niveau du sous-ministre. Pour que la gouvernance interorganismes fonctionne, il faut que la sous-ministre et les dirigeants d’organismes assument un leadership constant grâce à une structure établie, qui permet ensuite de superviser et d’orienter les tribunes interorganismes composées de SMA et de DG. En outre, même si IRCC est généralement le responsable stratégique des relations avec ces ministères et organismes, il est important de faire participer ces derniers aux discussions relatives aux politiques. Comme l’a appris IRCC par expérience, l’élaboration de politiques doit s’inspirer des opérations, sans quoi on peut vite observer des conséquences inattendues, notamment le risque qu’une politique ne puisse être concrètement mise en œuvre, ou tout au moins pas de la façon initialement prévue. Il faut rappeler que faire de la consultation en matière de politiques ne signifie pas obtenir l’approbation officielle de ces organisations. Cela signifie plutôt qu’IRCC doit s’assurer de bien comprendre les répercussions sur les opérations et, dans le cas d’AMC, l’impact sur les relations bilatérales des politiques que le Ministère cherche à promouvoir; de plus, les points de vue de ces organisations doivent être pris en compte par l’analyse effectuée à IRCC.

Recommandation

Compte tenu des observations susmentionnées et de l’abondante rétroaction reçue à propos de la gouvernance lors des entrevues avec le personnel, le régime de gouvernance d’IRCC devrait être simplifié; à cette fin, il est recommandé :

Que des mécanismes de gouvernance officiels au niveau des sous-ministres d’AMC, d’EDSC et de l’ASFC soient établis, et que des rencontres soient tenues chaque trimestre.

Le partage d’une même loi, en l’occurrence la LIPR, entre deux ministères (IRCC et l’ASFC/Sécurité publique Canada) est une source de complexité et, comme on l’a recommandé précédemment, nécessite une gouvernance structurée pour être bien géré. Il semble que l’actuelle répartition des responsabilités ne soit pas optimale, et que ce soit le cas depuis la création de l’ASFC, ce qu’ont fait observer d’anciens sous-ministres. En résultat, des frictions inutiles se créent dans les relations entre IRCC et l’ASFC et l’efficacité des deux organisations risque d’en être réduite.

Recommandation

Qu’un examen de la répartition des responsabilités entre IRCC et l’ASFC prévues dans la LIPR soit réalisé en vue de rationaliser et de simplifier les rôles et responsabilités.

C. Systèmes de gestion

Les grandes organisations dépendent de systèmes de gestion efficaces, sans lesquels les choses peuvent rapidement devenir chaotiques et créer le besoin de « gérer les enjeux », ce qui se traduit par une série de crises périodiques dont on n’avait pas conscience et qui étaient imprévisibles. Néanmoins, l’expérience montre que, plus le système de planification et de production de rapports de l’organisation est efficace, moins il y a de crises; à tout le moins, le Ministère est bien mieux préparé à les gérer, puisqu’il en a prévu un grand nombre et a adopté des stratégies d’atténuation à l’avance. Quels sont les volets d’un tel système? Le graphique ci-dessous présente un « système de responsabilisation » composé de trois volets principaux : planification, mesure du rendement et production de rapports.

Système de responsabilisation
Système de responsabilisation
(Pouvoir législatif : Cabinet, ministres, ministères, sociétés d’État, tiers, sous-ministre et direction)
Volets de responsabilisation
Planification
Planification stratégique à l’échelle du gouvernement
Planification interministérielle
Planification ministérielle
Planification des politiques et des programmes
Planification des finances, des RH et des TI
Orientations stratégiques
Affectation des ressources
Gestion du rendement
Systèmes de mesure du rendement
Gestion des risques
Évaluation et révision des programmes
Examen du rendement individuel
Boucle de rétroaction à propos des progrès et des résultats
Reddition de comptes en matière de rendement
Production de rapports
Rapports pangouvernementaux
Rapports ministériels
Rapports financiers et vérification
Rapports sur les politiques et les programmes
Rapports sectoriels

Dans chacune de ces catégories, il y a divers éléments et diverses façons de les gérer. Ce qui importe le plus, c’est que ces éléments soient en place. La priorité accordée à la responsabilisation est au cœur de ce régime; on cherche à inclure toutes les responsabilités du Ministère. Ce n’est pas un régime axé sur les priorités ou sur la lettre de mandat du ministre, qui ont une portée limitée, et dans lesquels il peut manquer des aspects essentiels des véritables responsabilités du ministre et du Ministère. Le fait que les responsabilités ne soient pas clairement définies à l’échelle du Ministère est un des principaux problèmes qu’ont soulevés les répondants, et le présent système est conçu pour régler ce problème fondamental. Il s’agit avant tout de se doter d’un plan, de mesurer les progrès, d’en rendre compte régulièrement et d’apporter des modifications au besoin. Lorsque ce système était en place à CIC, de 2009 à 2013, on parlait de « production de rapports trimestriels », car l’ensemble des plans du Ministère étaient révisés par le Comité exécutif tous les trois mois, en fonction des jalons définis pour le trimestre en question. Un plan stratégique quinquennal a été établi pour 2010 à 2015, étayé par des plans financiers et relatifs aux RH et aux TI. Rapidement, six objectifs stratégiques assortis de mesures clés (43 initiatives en tout) et de résultats clés (21) ont été établis. Ce régime vise à faire une planification réaliste, à prévoir les risques et à adopter des stratégies d’atténuation au besoin. Dans le graphique qui illustre le modèle, avec les promesses sur un axe et les résultats sur l’autre, on cherche à éviter le quadrant « trop de promesses et pas assez de résultats ». L’expérience a montré que les gestionnaires ne manquent généralement pas d’ambition quand il s’agit d’accomplir le travail, et sont même parfois exagérément optimistes. Ces discussions trimestrielles entre pairs et sous-ministres instaurent la discipline qui permet de bien harmoniser les activités de planification et d’exécution. Personne ne veut avoir à expliquer tous les trois mois pourquoi une initiative n’a pas été menée à terme ou, à l’inverse, donner l’impression que sa contribution aux travaux du Ministère n’a pas été suffisante.

Aujourd’hui à IRCC, la planification panministérielle est limitée et, selon certains répondants, elle a en fait totalement disparu. Il n’y a aucun plan stratégique pluriannuel, les plans annuels ne sont pas établis de façon systématique à l’échelle du Ministère et, en conséquence, les rapports sont jugés aléatoires ou accidentels par bien des gens. Cela ne signifie pas que la planification des priorités à venir pour les divers comités de gouvernance n’est pas au point et bien organisée, car cela semble être le cas grâce au travail de l’Unité de la gouvernance ministérielle. De plus, de nombreux secteurs ont créé leurs propres documents de planification, ainsi que de nombreux tableaux de bord et rapports. Il manque plutôt une vision d’ensemble, qui doit être facilitée par un système de planification. La planification et les rapports

financiers sont au cœur de l’approche actuelle, adoptée par défaut par les ministères fédéraux, et souvent à l’échelle pangouvernementale, puisque la planification ne dépend pas d’un plan en tant que tel, mais plutôt du budget annuel. Les affectations budgétaires sont toujours respectées, et il en va de même pour les objectifs établis par les ministères. En examinant le rapport financier de mi-exercice du Ministère, on observe les volets de planification manquants : examen des niveaux d’affectation budgétaire (y compris les ETP) par rapport aux résultats escomptés et aux pressions structurelles; utilisation prévue et réelle des ressources par programme; plans de dotation; attentes en matière de nouveaux investissements dans les admissions, l’établissement de priorités et la gestion; et stratégies ministérielles d’établissement des coûts et des avantages (voir la diapo 8). Tout ceci survient dans le contexte de crédits inutilisés d’une valeur de 368 millions de dollars, dont la majeure partie est liée au financement de l’aide à l’Afghanistan et à l’Ukraine, mais les secteurs eux-mêmes prévoient 75 millions de crédits inutilisés. Parallèlement, le Fonds renouvelable du Programme de passeport prévoit un déficit de 238 millions. Dans le rapport, on se demande dans quelle mesure le Ministère peut absorber les futures demandes de financement (voir la diapo 7), et aussi, dans quelle mesure il faudrait adapter les projets liés à la modernisation de la plateforme numérique aux actuelles capacités en matière de TI et aux nouvelles priorités (voir la diapo 6). En ce qui concerne la MPN, on note également que les phases 2 et 3 ne disposent pas d’un financement permanent; les économies prévues pourraient servir de compensation.
Le budget d’IRCC est effectivement complexe, et requiert donc une attention toute particulière au chapitre de la gestion. C’est pourquoi on recommande de simplifier le rôle du DPF. Le rapport de mi-exercice est excellent. Il précise néanmoins que la planification financière doit s’appuyer sur une solide planification des programmes, ce qui justifie les nombreuses questions posées dans le rapport. La planification des programmes et des finances est étayée par la planification des ressources humaines et des TI, et elles doivent toutes être examinées par le Comité des opérations. Pour que tout ceci fonctionne, il faut mettre en place un régime conçu pour répondre aux besoins du Ministère. Les nombreux rapports trimestriels présentés dans le passé seront sans doute jugés excessifs par certains; il faudra donc concevoir un système que le Ministère s’engagera à utiliser, et à l’élaboration/à la maintenance duquel il consacrera du temps. On aura besoin pour cela du leadership des sous-ministres. Dans la fonction publique fédérale, on est tout à fait habitué aux signaux envoyés par les hauts dirigeants; on perçoit rapidement tout manque d’engagement et les employés adaptent leurs efforts en cons équence.

Recommandation

Il est donc recommandé à IRCC de :

D. Culture

On sait très bien qu’il est difficile de définir la culture organisationnelle, mais tout le monde sait qu’elle est omniprésente et qu’il faut la comprendre pour pouvoir mettre en œuvre des changements. Wikipédia définit la culture organisationnelle comme un ensemble de valeurs communes qui guident les comportements, et ajoute qu’elle influe sur la façon dont les personnes et les groupes interagissent entre eux, et avec les clients et les divers intervenants. Cela ne veut pas dire que la culture est nécessairement uniforme dans une organisation; en effet, il peut aussi y avoir plusieurs sous-cultures, dont certaines sont incompatibles. Il est également important de noter que la culture organisationnelle influera sur la façon dont les gens réagissent à certains changements (p. ex. ils résisteront à ceux qui semblent incompatibles avec la culture en place). Henry Mintzberg, ancien universitaire (Université McGill) spécialiste de la gestion, a observé ceci : [traduction] « La culture, et plus particulièrement l’idéologie, n’est pas aussi propice aux changements stratégiques que le maintien des stratégies existantes » (Strategy Safari, 1998, p. 268). Il est intéressant de mentionner que la culture peut être difficile à définir, même pour les gens fais ant partie de l’organisation. Selon Mintzberg, une grande partie de la culture [traduction] « [...] existe sans que nous en ayons vraiment conscience », et s’appuie sur des « hypothèses tenues pour acquises », mais cette ambiguïté pourrait bien être une force, d’ailleurs souvent mentionnée dans les organisations prospères.

Durant leur entrevue, les cadres supérieurs d’IRCC ont tous dit que la culture organisationnelle est axée sur l’engagement, la solidarité et la collaboration. En outre, ils considèrent que la culture en place à IRCC, qui est de cette nature depuis de nombreuses années, permet de régler les problèmes liés à l’actuelle structure organisationnelle et de corriger les faiblesses des systèmes de gouvernance et de gestion. Vue de la sorte, la culture peut atténuer ces autres facteurs; c’est ce qui a donné lieu à la phrase si souvent citée, attribuée au célèbre théoricien de la gestion Peter Drucker : « La culture organisationnelle fait obstacle aux stratégies » (Culture eats strategy for lunch). En même temps, on considère que la culture à IRCC comporte un volet « défensif » , qui résiste au changement, le premier réflexe étant de refuser les nouvelles initiatives. Or, si on finit par les accepter, on déploie des efforts surhumains pour obtenir les résultats souhaités.

La Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés (LIPR) sert réellement de toile de fond à la culture d’IRCC. Cette loi complexe a remplacé en 2001 la Loi sur l’immigration de 1985; depuis, elle a été modifiée de nombreuses fois, mais le cadre de base demeure celui qui a été établi à l’origine. Il fonctionne selon la « règle d’exclusion », en énonçant les nombreuses raisons qui justifient le refus d’une demande; la loi contient notamment de nombreuses dispositions sur l’interdiction de territoire. La préface du texte de la LIPR annoté de 2017 cite une règle de common law britannique : « un étranger n’a aucun droit d’entrer dans ce pays sauf avec la permission de la Couronne ». On ne retrouve pas vraiment la vision moderne du service à la clientèle dans la LIPR; il n’y a pas de clients, seulement des demandeurs. La Loi a notamment pour objet d’atteindre les objectifs fixés en matière d’immigration « par la prise de normes uniformes et l’application d’un traitement efficace » [voir l’alinéa 3(1)f)]. Tout cela pour dire que le moment est peut-être venu de réviser cette loi, en reconnaissant l’ampleur et la complexité de la tâche, mais aussi l’impact de la Loi sur la culture du Ministère, ses relations avec les ministères partenaires et l’atteinte des objectifs d’IRCC. Il serait utile de redéfinir les objectifs énoncés dans la LIPR, afin de définir des scénarios pour « l’avant » et « l’après ».

Un autre ensemble de facteurs culturels influent sur les décisions rendues dans les dossiers en vertu de la LIPR, qui incombent à des agents formés à propos des dispositions de la Loi. On n’a jamais accordé d’attention aux « préjugés inconscients », alors que la divers ité et la lutte contre le racisme sont devenues des thèmes importants au Ministère (avec la création du Groupe de travail anti-racisme, par exemple) et plus globalement, à l’échelle du gouvernement fédéral. Le concept des préjugés inconscients a été défini ainsi par la journaliste scientifique Jessica Nordell : [traduction] « Les préjugés inconscients naissent chez les gens qui ont grandi au sein d’une culture particulière. Nous découvrons les catégories de gens rattachés à cette culture – que ce soit par leur race ou leur origine ethnique; ou celles qui sont basées sur la classe sociale, les aptitudes, les handicaps, le genre ou l’orientation sexuelle. Nous découvrons les croyances, les idées et les stéréotypes véhiculés à propos de ces groupes. Lorsque nous confrontons une personne appartenant à une de ces catégories, toute l’information emmagasinée dans notre mémoire influe sur notre interaction avec cette personne... Ce genre de préjugé est omniprésent et l’on en sous-estime parfois les conséquences, qui peuvent être graves » (extrait d’une entrevue publiée dans le Director Journal (novembre/décembre 2022); voir aussi son récent livre intitulé The End of Bias. Les décisions rendues dans des dossiers d’immigration et de demande d’asile ont un impact énorme, et l’histoire de l’immigration et des politiques visant les réfugiés au Canada témoigne de ce qui était un régime largement discriminatoire (les préférences liées au pays ou à l’origine ethnique, par exemple, étaient monnaie courante jusqu’en 1962 – voir Valarie Knowles, Strangers at Our Gates: Canadian Immigration and Immigration Policy, 1540-2015). Le Groupe de travail anti-racisme assume un rôle de leadership en matière de lutte contre le racisme et les préjugés, grâce à un certain nombre d’importantes initiatives en

cours, par exemple : la création d’un outil d’évaluation d’impact racial et le lancement de projets pilotes pour le mettre à l’essai; la collaboration avec le Secteur de l’établissement pour évaluer le processus de réception des propositions; l’utilisation d’une étude de cas comparative sur le Nigeria et l’Inde pour établir une méthode d’identification des préjugés et du racisme institutionnels dans le cadre des opérations et de la gestion du risque. Ces enjeux ont également intéressé le Comité permanent de la citoyenneté et de l’immigration, qui a publié en mai 2022 un rapport intitulé Traitement différentiel dans le recrutement et les taux d’acceptation des étudiants étrangers au Québec et dans le reste du Canada, lequel contenait 35 recommandations. Dans sa réponse, le Ministère a indiqué qu’il acceptait « en partie ou en totalité » l’ensemble des recommandations, et précisé les mesures qu’il était en train de prendre dans un certain nombre de domaines. Pour faire barrage au racisme et aux préjugés, il faut, au moins en partie, instaurer un changement de culture. À cet égard, le perfectionnement du leadership des cadres par IRCC est un outil utile à la fois pour guider les gestionnaires et pour promouvoir l’imputabilité (il faut mentionner en particulier l’identification des comportements ineffic aces – quelque chose qu’on voit rarement). Ce travail comprend aussi les responsabilités du Ministère en ce qui concerne la vérité et la réconciliation.

Un récent article publié en première page du Globe & Mail (le 17 janvier 2023) mentionne la possibilité d’un conflit culturel entre ce qu’on pourrait appeler « l’école de la LIPR » et « l’école du service à la clientèle ». Le quotidien a obtenu un rapport interne qui parle de la suppression potentielle de certains critères de recevabilité pour gérer l’important arriéré de demandes de visas de visiteur. Pour ceux qui suivent de près l’évolution de la LIPR, la levée de ces exigences est en quelque sorte une hérésie; ceux qui se préoccupent davantage du service peuvent y voir un compromis nécessaire. D’une part, il s’agit d’un choc de valeurs et, d’autre part, de différentes visions du risque acceptable. Dans les deux cas, cela reflète les tensions qui font partie intégrante de la culture organisationnelle. Ces tensions peuvent être exacerbées par la forte baisse d’expertise en matière d’immigration parmi les SMA et les DG. Auparavant, une majorité de directeurs généraux et de SMA étaient des agents d’immigration qui connaissaient parfaitement la LIPR, avaient servi dans des missions à l’étranger et avaient gravi les échelons hiérarchiques. Mais aujourd’hui, peu de cadres supérieurs possèdent cette expertise. Cela crée un manque de crédibilité vis-à-vis des employés de première ligne et des gestionnaires appartenant à « l’école de la LIPR ».

Recommandation

À la lumière de l’évaluation susmentionnée, il est recommandé à IRCC de faire ce qui suit :

Conclusion non scientifique : que reste-t-il à faire?

IRCC est arrivé à la croisée des chemins et, pour reprendre une phrase célèbre de Yogi Berra : [traduction] « Quand vous arrivez à un carrefour, allez-y. » Mais dans quelle direction? Il y a des risques quelle que soit la direction qu’on choisit. Le changement organisationnel « de choc » sera évidemment perturbateur, mais comme on l’a mentionné au début, le modèle actuel ne fonctionne pas et ne peut pas être réparé à l’aide de quelques petites modifications. La vaste majorité des personnes interviewées sont favorables à un changement global. Ainsi, il serait bon d’agir dès maintenant. La mise en œuvre peut se faire par phases, et l’option du « ménage » se traduirait par une série de changements qu’on peut apporter immédiatement. Pour aller de l’avant avec la restructuration organisationnelle, il faudra mobiliser les employés et adopter une stratégie de gestion du changement. Il sera essentiel d’annoncer le résultat final qui est visé, ainsi que le processus qu’on utilisera pour l’obtenir. En définitive, les recommandations que contient le présent rapport, qui ont été formulées à la lumière d’une série assez complète d’entrevues, sont le fruit de l’examen qui en a été fait par l’auteur du rapport. Bien entendu, il reviendra au Ministère de décider de la marche à suivre, selon sa propre évaluation de la situation. Il reste beaucoup de travail à accomplir, mais la voie tracée par le rapport permettra au Ministère d’être bien mieux préparé à aller de l’avant et à gérer la multitude de défis qu’il devra relever. IRCC est une organisation solide dotée d’un personnel qui a à cœur de bien faire son travail, et dont le mandat est extrêmement important pour l’avenir du Canada. Le Ministère possède de nombreuses forces sur lesquelles il peut s’appuyer et a établi un solide programme de changement, ce qui lui permettra d’aller de l’avant en toute confiance.

Annexe I – Liste des répondants

Secteur de l’Afghanistan
Jennifer Mac Intyre, sous-ministre adjointe

Secteur des services ministériels
Holly Flowers Code, DPRH et sous-ministre adjointe
Caitlin Imrie, directrice générale, Affaires corporatives intégrées et chef de la protection
des renseignements personnels
Sarah Michaud, directrice, Unité de la gouvernance ministérielle

Cabinet de la sous-ministre
Scott Harris, sous-ministre délégué
Arun Thangaraj, sous-ministre délégué

Secteur de la stratégie, des services et de l’innovation numériques
Jason Choueiri, dirigeant principal du numérique et sous-ministre adjoint principal
Darcy Pierlot, dirigeant principal de l’information et sous-ministre adjoint

Secteur des finances, de la sécurité et de l’administration
Hughes St-Pierre, sous-ministre adjoint
Julie Chassé, directrice générale et ADPF

Secteur des opérations
Daniel Mills, sous-ministre adjoint principal
Tara Lang, directrice générale, Réseau centralisé
Marie-Josée Dorion, directrice générale, Planification et rendement des opérations
Pemi Gill, directrice générale, Réseau international
Michèle Kingsley, sous-ministre adjointe

Secteur de l’établissement et de l’intégration
Catherine Scott, sous-ministre adjointe

Secteur des politiques stratégiques et des programmes
Marian Campbell Jarvis, sous-ministre adjointe principale
Michelle Mascoll, directrice générale p.i., Politiques de réinstallation
Philip Somogyvari, directeur général, Immigration économique permanente
Soyoung Park, sous-ministre adjointe
Tina Matos, directrice générale, Admissibilité
Nicole Girard, directrice générale, Citoyenneté

Secteur de l’examen stratégique de l’immigration
Louise Baird, sous-ministre adjointe principale

Autres
Caroline Forbes, directrice exécutive et avocate générale principale
Farahldine Boisclair, directrice, Groupe de travail anti-racisme
Murray Jones, directeur général, Communications
Nicole Primeau, dirigeante principale de la vérification
Simon Cardinal, directeur général, Centre d’excellence sur l’avenir du travail

Intervenants externes
Catrina Tapley, ancienne sous-ministre, Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada
(2019-2022)
Marta Morgan, ancienne sous-ministre, Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada
(2016-2019)
Anita Bugusz, ancienne sous-ministre, Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada
(2013-2016)
Laurie MacDonald, sous-ministre déléguée, Emploi et Développement social Canada
et ancienne sous-ministre déléguée, IRCC (2018)
Richard Wex, président, Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada
et ancien sous-ministre délégué, IRCC (2015-2018)
Jean-François Tremblay, sous-ministre, Emploi et Développement social Canada
Erin Gorman, présidente, Agence des services frontaliers du Canada
David Morrison, sous-ministre, Affaires mondiales Canada

Annexe II – Questions d’entrevues à IRCC

Annexe III – Résumé des recommandations

Recommandations sur la structure organisationnelle

IRCC devrait adopter une structure axée sur les secteurs d’activité.

IRCC devrait établir des protocoles de gestion des crises et des urgences qui désignent les SMA responsables selon divers scénarios.

Recommandations sur la gouvernance

Compte tenu des observations susmentionnées et de l’abondante rétroaction reçue à propos de la gouvernance lors des entrevues avec le personnel, le régime de gouvernance d’IRCC devrait être simplifié; à cette fin, il est recommandé :

Recommandations sur les systèmes de gestion

Il est donc recommandé à IRCC de :

Recommandations sur la culture

À la lumière de l’évaluation susmentionnée, il est recommandé à IRCC de faire ce qui suit :

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