Chapitre 15 – Les règles de preuve

15.1 Introduction

Comme il a été mentionné au chapitre 7, les règles de preuve applicables au sein du système de cours martiales ne sont que passablement efficaces et passablement efficientes, surtout parce qu’elles peuvent nuire à la production de résultats justes et appropriés, en temps opportun. Qui plus est, le droit militaire de la preuve diffère des règles ordinaires en matière de preuve pénale, à tel point que la légitimité du système peut s’en trouver compromise, et ce, en raison du manque apparent d’équité et d’intelligibilité.1

Le présent chapitre décrit deux options représentatives visant à mettre à jour les règles de preuve qui s’appliquent dans le système de cours martiales afin d’améliorer l’efficacité et l’efficience de cet aspect du système.

15.2 Option 1 : Mise à jour des Règles militaires de la preuve

Selon cette option, les RMP codifiées continueraient d’être utilisées, mais un processus serait entamé en vue de les modifier pour que les règles pertinentes de la common law et du droit statutaire en matière de preuve y soient incorporées, si cela est indiqué. Par ailleurs, de nouvelles RMP seraient créées, au besoin, afin de tenir compte des réalités militaires et sociétales contemporaines (p. ex., le fait que les documents signés électroniquement peuvent être authentiques et dignes de foi, ce qui devrait les rendre admissibles, même si les documents « originaux » peuvent difficilement être retracés).2

L’ERGCM n’a pas été chargée de procéder à un examen exhaustif des RMP, mais elle constate que la mise en œuvre de cette option exigerait non seulement de comparer dans le détail les dispositions actuelles de ces règles à celles des règles de la common law et du droit statutaire en matière de preuve avec lesquelles des parallèles doivent être établis, mais aussi de réaliser une analyse approfondie de la façon dont les changements apportés au droit de la preuve devraient être rédigés et se refléter dans les RMP. L’ERGCM constate que les dernières modifications aux RMP ont été apportées après qu’une analyse approfondie ait été effectuée par des experts dont les services ont été retenus à cette fin.

15.2.1 Évaluation de l’option 1

L’ERGCM estime que la mise en œuvre de cette option permettrait d’accroître l’efficacité et l’efficience du système de cours martiales actuel puisqu’elle permettrait d’améliorer le fonctionnement des règles de preuve de manière à favoriser la production de résultats justes et appropriés en temps opportun.

L’ERGCM estime que la mise à jour des RMP prévue par cette option permettrait d’améliorer la production de résultats justes et appropriés pour plusieurs raisons. D’abord, les règles de la common law relatives à la preuve sont en constante évolution, ce qui permet de produire des résultats plus justes et plus appropriés au sein du système de justice pénale civil puisque les tribunaux peuvent admettre ou exclure des éléments de preuve dans le cadre d’un procès criminel. Puisque la common law a beaucoup évolué et continue de le faire depuis la dernière mise à jour des RMP,3 il existe un décalage entre les deux. Selon l’option 1, les RMP seraient mises à jour et se rapprocheraient davantage des règles de la common law. 4 À l’heure actuelle, les procureurs, les avocats de la défense et les juges doivent bien connaître les règles de la common law et du droit statutaire en matière de preuve, mais les RMP les empêchent de faire appel à ces connaissances en droit criminel. Par conséquent, selon cette option, les RMP permettraient de renforcer l’expertise en droit criminel des juges, des procureurs et des avocats de la défense qui oeuvrent au sein du système de cours martiales, étant donné que les RMP ressembleraient aux règles de preuve de la common law et du droit statutaire qui s’appliquent dans le système de justice pénale civil. Toutefois, l’ERGCM estime qu’à moins que les RMP ne soient fréquemment mises à jour, cette option n’aurait pas d’incidence sur la production de résultats justes et appropriés à long terme, surtout si les RMP demeurent incompatibles avec les règles de preuve civiles qui sont en constante évolution.5

De même, l’ERGCM estime qu’à court terme, cette option pourrait améliorer la perception que le système de cours martiales est équitable et intelligible. Étant donné que les RMP seraient en adéquation avec le droit de la preuve civil, toute personne accusée aurait droit, selon cette option, au même traitement devant les tribunaux militaires que si elle était jugée dans le système de justice civil; ainsi, le traitement auquel elle aurait droit lui semblerait probablement plus familier et plus compréhensible. Toutefois, à long terme, le système de cours martiales pourrait toujours être perçu par certaines personnes comme n’étant pas équitable ni intelligible, si au fil du temps, les RMP ne sont pas mises à jour pour s’accorder avec les règles civiles; cette situation créerait des différences en ce qui a trait aux règles de preuve applicables, selon que la personne accusée est jugée dans le système de justice civil ou le système de cours martiales, ainsi qu’à une méconnaissance de ces règles.

15.3 Option 2 : Abolition des Règles militaires de la preuve et recours à des modifications législatives pour corriger des problèmes précis

Cette option prévoit l’abolition des RMP et le recours à des modifications législatives afin d’incorporer des règles militaires particulières. Ces modifications législatives pourraient être apportées à la LPC ou encore à la LDN directement. Plus particulièrement, cette option permettrait d’établir un nombre restreint de règles visant des aspects particuliers de la preuve propres au droit militaire, notamment une règle autorisant une cour martiale à prendre connaissance d’office des questions relevant des connaissances militaires générales, ainsi qu’une règle permettant de démontrer efficacement l’authenticité des documents militaires.6

En outre, selon cette option, les règles de preuve applicables en cour martiale, peu importe l’endroit où se déroule le procès (au Canada ou à l’étranger), seraient la LPC et les règles de preuve de la common law qui s’appliquent dans une région particulière du Canada.7

15.3.1 Évaluation de l’option 2

L’ERGCM estime que la mise en œuvre de cette option permettrait d’améliorer l’efficacité, l’efficience et la légitimité du système de cours martiales actuel.

L’ERGCM estime que l’abolition des RMP et la modification de la LPC prévues au titre de cette option permettraient d’améliorer la production de résultats justes et appropriés pour de nombreuses raisons. Premièrement, la common law et la LPC ont beaucoup évolué et continuent de le faire depuis la dernière mise à jour des RMP8 et l’abolition de ces dernières permettrait aux tribunaux d’appliquer la common law ou la LPC plutôt que des règles désuètes. Deuxièmement, l’abolition des RMP prévue au titre de cette option permettrait de renforcer l’expertise globale en matière criminelle des juges, des procureurs et des avocats de la défense du système de cours martiales, puisqu’ils devraient se familiariser davantage avec les règles de preuve de la common law et du droit statutaire qui s’appliquent dans le système de justice pénale civil.

De même, l’ERGCM estime que cette option pourrait aider à faire un usage mieux proportionné des ressources humaines et financières puisque les procureurs, les avocats de la défense et les juges ne seraient tenus d’apprendre qu’un seul ensemble de règles de preuve, ce qui réduirait les exigences en matière de formation, ainsi que le temps nécessaire à l’apprentissage de deux ensembles de règles et à la tenue à jour des connaissances acquises.

En outre, l’ERGCM estime que cette option pourrait améliorer la perception selon laquelle le système de cours martiales est équitable et intelligible. Étant donné que le système de cours martiales ne serait plus assujetti à un ensemble de règles de preuve distinct et que seules les règles de preuve civiles s’appliqueraient (sous réserve d’un nombre très restreint de règles militaires), toute personne accusée aurait droit, selon cette option, pratiquement au même traitement au sein des tribunaux militaires que si elle était jugée dans le système de justice civil; ainsi, le traitement auquel elle aurait droit lui semblerait probablement plus familier et plus compréhensible. Étant donné que les RMP seraient abolies de façon permanente, il ne serait pas nécessaire d’en assurer constamment et fréquemment la mise à jour; par conséquent, cela permettrait d’améliorer à long terme l’équité et l’intelligibilité du système de cours martiales.

15.4 Conclusion

Dans le présent chapitre, deux options ont été examinées afin de mettre à jour le droit militaire de la preuve. La mise en œuvre de l’une ou l’autre de ces options permettrait d’améliorer l’efficacité et la légitimité de cet aspect du système de cours martiales.

Notes en bas de page

1 Par exemple, les dispositions des Règles militaires de la preuve, C.R.C., ch. 1049 [RMP] relatives à l’inadmissibilité de la preuve par ouï-dire et aux exceptions à cette règle d’application générale (art. 26-35) ne reflètent pas les règles de common law en matière de preuve, comme l’a indiqué récemment la CSC dans R. c. Khelawon, 2006 C.S.C. 57. En outre, les dispositions des RMP (art. 74) sur l’habilité du conjoint à témoigner sont désuètes et ne reflètent pas l’état actuel du droit dans les tribunaux civils de juridiction criminelle, ainsi que le prévoit l’article 4 de la LPC, L.R.C. 1985, ch. C-5, qui a été modifié pour la dernière fois en 2015 dans le cadre d’un ensemble de réformes du droit visant à mieux tenir compte des besoins et de la situation des victimes dans le système de justice pénale (voir la CCDV, L.C. 2015, ch. 13).

2 Cela a été recommandé dans Andrejs Berzins, c.r. et Malcolm Lindsay, c.r., External Review of the Canadian Military Prosecution Service, Ottawa, Bronson Consulting Group, 2008, p. 17 : [traduction] « nous recommandons de revoir les RMP afin de simplifier les méthodes utilisées pour prouver certains éléments constitutifs des infractions, sans empiéter de façon injustifiée sur les droits fondamentaux des personnes accusées ».

3 Les RMP ont été mises à jour pour la dernière fois en 2001; voir le chapitre 2 (Historique et aperçu du système de cours martiales) ci-dessus.

4 Précité, note 1.

5 Voir la section 4.5.4.2.2 (RHFC) du chapitre 4 (Consultations) ci-dessus. Comme il a été mentionné lors des consultations publiques, la common law [traduction] « évolue et se développe pour tenir compte des nouvelles réalités, tandis que les RMP, qui sont rédigées dans un style trop guindé, sont désuètes et beaucoup trop rigides ».

6 Étant donné la fréquence des affectations et des libérations dans les FAC, il ne serait pas toujours pratique ou possible pour la personne qui a créé ou certifié un document d’être appelée à témoigner sur l’authenticité de ce dernier.

7 Possiblement à Ottawa, étant donné qu’il s’agit là du ressort actuellement désigné dans les RMP.

8 Les RMP ont été mises à jour pour la dernière fois en 2001; voir le chapitre 2 (Historique et aperçu du système de cours martiales) ci-dessus.

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2018-12-13