Chapitre 5 – Étude comparative
5.1 Introduction
En vertu des termes de référence, l’ERGCM était explicitement autorisée à effectuer une étude comparative internationale du fonctionnement des systèmes de justice militaire d’autres États ayant les mêmes valeurs, plus particulièrement de leur système de cours martiales (ou leur équivalent). Cette étude avait pour but de présenter à l’ERGCM une gamme complète de structures, de pratiques et d’aspects liés à la justice militaire.
Le présent chapitre décrit la façon dont l’ERGCM a mené cette étude comparative, de même que ses observations et son évaluation des avantages et des inconvénients de divers aspects des systèmes étudiés.
Pour atteindre l’objectif de l’étude comparative, l’ERGCM a jugé nécessaire d’en apprendre davantage sur les systèmes de pays appartenant à différentes traditions juridiques. Par conséquent, l’ERGCM a choisi d’étudier les systèmes de plusieurs pays issus de la tradition de justice militaire anglo-américaine (les États-Unis, l’Irlande, le Royaume-Uni, l’Australie et la Nouvelle-Zélande), à laquelle appartient le Canada, et de pays de tradition civiliste en matière de justice militaire (la Norvège, le Danemark, la Finlande, la France et les Pays-Bas), dont la perspective opérationnelle reflète celle du Canada. Les pays de tradition civiliste tendent à avoir un système inquisitoire où le tribunal enquête activement sur les faits en cause, alors que les pays de tradition anglo-américaine tendent à avoir un système accusatoire où le rôle du tribunal est principalement celui d’un arbitre impartial entre la partie poursuivante et la défense. Le système de cours martiales de chaque pays a été fortement influencé par sa propre tradition juridique.
L’ERGCM a mené des recherches indépendantes sur les systèmes de justice militaire de chacun des pays susmentionnés, puis a effectué des visites en personne pour rencontrer des experts locaux, des acteurs du système et d’autres intervenants. Ces visites techniques ont permis à l’ERGCM de confirmer sa compréhension du fonctionnement du système de cours martiales de chaque pays, de préciser le contexte nécessaire à l’évaluation de la façon dont certains aspects de ces systèmes nationaux pourraient servir de points de comparaison avec le système canadien actuel et de définir des options pour améliorer l’efficacité, l’efficience et la légitimité du système de cours martiales du Canada.
Même si l’étude internationale et le plan de consultation mettaient avant tout l’accent sur les visites techniques susmentionnées, l’ERGCM a également saisi les occasions qui se sont présentées pour entretenir des discussions en personne avec d’autres intervenants des systèmes de justice militaire étrangers, notamment à Singapour et en Israël. Ces consultations plus restreintes ont permis à l’ERGCM d’approfondir ses connaissances sur les diverses tendances et pratiques qui ont cours dans les systèmes de cours martiales à l’échelle internationale.
Chaque système de cours martiales1 qu’a étudié l’ERGCM est examiné ci-après, en ordre chronologique selon les dates où les visites ont été effectuées. Chaque section commence par une courte description de la visite technique, qui précise les dates et les personnes ou les bureaux consultés et fournit des renseignements contextuels importants sur les forces armées de l’État en question (p. ex., la taille des forces armées, les types de missions et la nature des déploiements extraterritoriaux). Cet exposé est suivi d’une description générale du système de cours martiales du pays en rapport avec chaque thème de recherche mentionné au paragraphe 4 des termes de référence de l’ERGCM.
Chaque section se termine par l’évaluation et les observations de l’ERGCM à l’égard des caractéristiques pertinentes du système étranger et de la façon dont celles-ci peuvent ou non lui être utiles dans son analyse.
Tous les pays visités par l’ERGCM disposent d’un système de procès sommaire ou d’audience sommaire, dirigé et administré par le commandant, pour traiter les inconduites militaires mineures de nature non criminelle commises par le personnel militaire, qui est utilisé séparément et indépendamment de tout système en place pour juger les inconduites plus graves du personnel militaire assimilables à des comportements criminels.
5.2 Rapports sur les visites techniques effectuées dans différents pays – systèmes de cours martiales étrangers
5.2.1.1 Visite technique
Le 27 juin 2016, deux membres de l’ERGCM ont effectué une visite technique en personne aux États-Unis. Ils ont rencontré le chef de la division du droit criminel (Criminal Law Division) du corps du JAG2 des forces terrestres des États-Unis (US Army), le JAG du corps des Marines (US Marine Corps), des avocats militaires des forces navales (US Navy Corps) et du corps des Marines affectés à l’élaboration des politiques en matière de justice militaire, le directeur du corps judiciaire des forces aériennes des États-Unis (US Air Force) et le chef de la division de la justice militaire (Military Justice Division) des forces aériennes.
L’armée américaine compte au total près de 1 429 995 membres de la force régulière et environ 818 000 membres de la force de réserve. Les États-Unis déploient régulièrement leurs forces armées dans le cadre d’opérations internationales.
5.2.1.2 Le système de cours martiales des États-Unis
5.2.1.2.1 Le statut et la structure institutionnelle des tribunaux et des cours ayant compétence à l’égard des infractions d’ordre militaire
Il existe trois types de cours martiales aux États-Unis : sommaire, spéciale et générale.
Une cour martiale sommaire est un procès tenu devant un seul officier, qui n’est pas juge et qui n’a pas suivi de formation d’avocat. Une cour martiale sommaire n’a pas compétence pour juger des officiers et peut seulement juger les gradés et les militaires du rang faisant l’objet d’accusations qui y consentent. S’ils ne donnent pas leur consentement, les accusations peuvent être renvoyées devant d’autres instances, notamment devant une cour martiale spéciale ou une CMG. Les pouvoirs de punition d’une cour martiale sommaire sont limités.
Une cour martiale spéciale est composée d’un juge militaire et d’au moins trois officiers formant un comité ou un jury. À la demande de l’accusé qui est militaire du rang, le comité peut être composé d’au moins un tiers de militaires du rang. Un accusé peut également demander un procès devant un juge présidant seul.
Une CMG est composée d’un juge militaire et d’au moins cinq officiers formant le comité des membres de la cour martiale. Un accusé qui est militaire du rang peut demander qu’un tribunal composé d’au moins un tiers de militaires du rang préside le procès. Un accusé peut également demander un procès devant un juge présidant seul. Une CMG est le seul tribunal qui peut imposer une peine de mort. Avant qu’une affaire ne soit jugée, il faut procéder à une enquête préliminaire, en vertu de l’article 32 du code unifié de justice militaire (Uniform Code of Military Justice), laquelle est semblable à l’enquête préliminaire menée par les tribunaux civils de juridiction criminelle du Canada, à moins que l’accusé y renonce.
Les juges militaires qui président une cour martiale spéciale ou générale sont des avocats recrutés au sein de l’organisation du JAG du service concerné, qui sont affectés à ces postes judiciaires de manière intermittente au cours de leur carrière. Habituellement, les affectations des juges des forces terrestres des États-Unis et de la garde côtière américaine (US Coast Guard) sont d’une durée déterminée de trois ans. Les affectations judiciaires des juges dans les autres services n’ont pas de durée fixe et comme toute autre affectation, elles font l’objet d’un contrôle discrétionnaire de la part des dirigeants du service et du JAG.
De manière générale, la décision d’une cour martiale est révisée par l’officier opérationnel (et non par un avocat militaire) de la chaîne de commandement qui a convoqué la cour martiale. Cet officier a le pouvoir d’annuler ou de modifier le verdict prononcé et la peine imposée. Jusqu’à tout récemment, il en allait ainsi pour l’ensemble des cours martiales. Toutefois, les modifications apportées à l’article 60 du code unifié de justice militaire par la loi de 2014 sur le budget et les dépenses de la défense nationale (National Defence Authorization Act [NDAA] for Fiscal Year 2014) ont eu pour effet de modifier les pouvoirs de révision après procès de l’autorité convocatrice. Depuis ces changements, l’autorité convocatrice ne peut plus modifier un verdict, à moins que celui-ci porte sur une infraction passible d’un emprisonnement maximal de deux ans (ou moins) et que la peine effectivement imposée soit inférieure à six mois d’emprisonnement. Certaines infractions, y compris les agressions sexuelles, ne répondront jamais à ces critères en raison de la peine maximale qui y est associée.
Dans le système de cours martiales des États-Unis, il est interdit aux commandants, en vertu de l’article 37 du code unifié de justice militaire, d’exercer toute influence illégitime sur les intervenants du système de cours martiales, par exemple, en critiquant les membres du comité concernant les décisions rendues lors d’un procès en cour martiale ou en dissuadant les témoins de témoigner au nom d’un accusé. Cette disposition de la loi a été interprétée avec rigueur par la magistrature militaire. Lorsque des cas d’influence illégitime du commandement ont été relevés dans le cadre d’appels, les tribunaux d’appel ont ordonné la tenue d’un nouveau procès, et dans les cas où cette mesure n’aurait pas suffi, ils ont imposé un verdict d’acquittement.
5.2.1.2.2 Le statut et la structure institutionnelle du service chargé de la poursuite des infractions d’ordre militaire
Au sein de l’organisation du JAG de chaque service (quelques différences subtiles sont observées quant à la structure de chacune), on retrouve habituellement un certain nombre de postes de « procureurs » ou d’avocats de la poursuite. Ces postes sont occupés par des officiers du JAG de différents grades, qui relèvent ultimement des hauts dirigeants de la chaîne de commandement opérationnelle. Au bout du compte, cette structure de commandement reflète la centralisation du pouvoir de poursuite initial détenu par le commandant qui, en tant qu’autorité convocatrice des cours martiales, prend effectivement la décision d’intenter ou non une poursuite en cour martiale. Il revient ensuite au procureur de mener la poursuite.
L’affectation au poste de procureur dure habituellement de 18 à 24 mois. Un même officier peut être affecté à différents postes au sein du service du contentieux militaire au cours de sa carrière, que ce soit comme procureur ou comme « avocat de la défense ».
Le procureur peut atteindre, au cours de sa carrière, différents niveaux de compétence en matière de litiges, soit les niveaux « de base », « supérieur », « expert » et « maître », après avoir participé à 3, à 7, à 12 et à 18 procès contestés, respectivement. Très peu d’officiers du JAG atteignent le niveau de « maître ».
Selon une source, il a été estimé qu’au cours de leur carrière, les officiers du JAG qui occupent des postes d’avocat plaidant, y compris le poste de procureur, ont participé, en moyenne, à 7 procès contestés et ont occupé des postes au contentieux pendant une moyenne de 25 mois.
5.2.1.2.3 Le mécanisme par lequel les services d’un conseil sont fournis aux personnes accusées d’avoir commis une infraction d’ordre militaire
Les officiers du JAG peuvent être affectés de manière intermittente à des postes d’« avocats de la défense » de la même façon qu’ils peuvent l’être à des postes de « procureurs ». La prestation des services d’avocats de la défense se fait dans un système qui est essentiellement le même que le système des services de poursuites. Chaque fois que les services d’un avocat de la défense militaire sont fournis à un accusé, ces derniers sont entièrement à la charge de l’État; l’accusé n’a pas à débourser de frais, et il n’y a pas de limite ou de tarif prédéterminé en ce qui a trait à l’étendue des services qui peuvent être offerts.
Un accusé devant une cour martiale sommaire n’est pas autorisé à être représenté par un avocat de la défense militaire de plein droit, mais cette possibilité n’est pas exclue. Un accusé qui souhaite être représenté par un avocat de la défense civil peut le faire dans la mesure où il assume lui-même cette dépense.
Un accusé devant une cour martiale spéciale ou générale peut être représenté sans frais par un avocat militaire de la défense et peut également retenir les services d’un avocat civil, à ses propres frais.
5.2.1.2.4 Le corpus d’infractions d’ordre militaire
Le code unifié de justice militaire établit une série d’infractions exclusivement militaires, telles que la désertion, le manque de respect à l’égard d’un officier supérieur et la simulation de maladie. Il établit également la compétence militaire à l’égard d’infractions de droit commun, qu’elles soient ou non liées au service. Le statut de militaire de l’accusé, qui fait de lui une personne assujettie au droit militaire, est suffisant pour conférer compétence à une cour martiale 3.
5.2.1.2.5 Les peines, les sanctions et les lois en matière de détermination de la peine applicables aux infractions d’ordre militaire
Les peines qui peuvent être imposées en cour martiale sont les suivantes : réprimande, suppression de solde et d’indemnités, amende, interdiction de sortir d’un certain périmètre géographique, travaux forcés sans détention, détention, révocation punitive (c.-à-d. divers degrés de destitution des forces armées) et peine de mort. Bon nombre de ces peines sont propres au système de cours martiales et n’ont pas d’équivalent en droit criminel.
5.2.1.2.6 Les règles de preuve applicables dans les procès relatifs à des infractions d’ordre militaire
Il existe des règles de preuve distinctes qui s’appliquent aux cours martiales, à savoir les Military Rules of Evidence; ces règles militaires sont énoncées à la partie III du Manual for Courts-Martial [manuel des cours martiales], une publication émanant du président qui a force réglementaire. Ce manuel est mis à jour régulièrement (par exemple, des versions mises à jour ont été publiées en 2012 et en 2016). Les règles militaires de la preuve comptent environ 47 pages et reflètent généralement les règles de preuve de la common law américaine, mais elles comprennent un certain nombre de règles exclusivement militaires, qui diffèrent des règles de preuve qui s’appliquent partout aux États-Unis devant les tribunaux locaux de juridiction criminelle.
5.2.1.2.7 Les droits, motifs et mécanismes d’appel dont disposent la poursuite et la défense
Une fois des mesures prises, à la suite d’un procès, par une autorité convocatrice concernant une décision rendue par une cour martiale, cette décision peut être portée en appel devant la Cour d’appel en matière criminelle (Court of Criminal Appeals) du service concerné. Les juges de ces cours font également partie de l’organisation du JAG du service en question et ils entendent les appels en comité de trois juges.
Une décision peut ensuite être portée en appel devant la cour d’appel unifiée des États-Unis pour les forces armées (Court of Appeal for the Armed Forces [CAAF]). Les juges de la CAAF, qui sont des civils nommés par le président, sur approbation du Congrès, exercent leurs fonctions à titre inamovible pour une période de 15 ans.
Un dernier recours est possible, dans certaines circonstances, devant la Cour suprême des États-Unis, mais la possibilité d’interjeter un tel appel est plus restreinte que dans le cas d’une affaire criminelle entièrement jugée dans le système de justice pénale civil.
5.2.1.2.8 Prise en compte des besoins spéciaux des groupes particuliers susceptibles d’interagir avec le système de justice militaire, dont les victimes, les jeunes et les contrevenants autochtones
En 2005, le département de la Défense des États-Unis a créé un bureau spécialisé dans la prévention des agressions sexuelles (Sexual Assault Prevention Office), qui est maintenant l’autorité centrale en ce qui concerne les politiques en matière d’agressions sexuelles et qui assure une surveillance afin de garantir que les programmes de chaque service respectent les politiques du Département.
De plus, en décembre 2014, dans le cadre des modifications législatives prévues dans la NDAA 2014, un nouveau programme plus solide a été mis en œuvre pour offrir les services de conseillers juridiques spéciaux aux victimes. Les victimes ont maintenant le droit de participer à certains égards aux procès en cour martiale par l’entremise de ces conseillers juridiques spéciaux, dont les services sont offerts, aux frais de l’État, par l’intermédiaire de l’organisation du JAG du service concerné.
5.2.1.3 Observations sur le système de cours martiales des États-Unis
L’ERGCM constate que le système de cours martiales des États-Unis demeure très centré sur le commandement. Le système exige des commandants qu’ils prennent la décision de poursuivre ou non et leur permet, dans de nombreuses situations, de modifier le verdict rendu ou la peine imposée par une cour martiale, une fois le procès terminé. L’ERGCM constate également que les juges militaires dans le système jouissent d’une garantie d’inamovibilité moins solide que celle des juges canadiens (y compris les juges militaires), étant donné que la durée de leurs mandats est variable ou encore fixe, mais plus courte.
Ces aspects du système de cours martiales des États-Unis seraient jugés inconstitutionnels au Canada, selon la jurisprudence de la CSC en matière d’indépendance judiciaire. Bien qu’il soit différent du cadre canadien, le cadre constitutionnel des États-Unis n’a pas empêché le type d’intervention décrit précédemment, de la part de la chaîne de commandement, dans le système de cours martiales du pays.
L’ERGCM constate que divers aspects du système de cours martiales des États-Unis ont fait l’objet d’un examen approfondi de la part du Congrès et d’autres organes exécutifs ces dernières années. Par exemple, en vertu d’une disposition de la NDAA 2013, le secrétaire à la Défense a créé un comité d’évaluation des systèmes d’intervention dans les cas d’agressions sexuelles envers des adultes (RSP) afin qu’il mène une évaluation et un examen indépendants des systèmes utilisés pour faire enquête, intenter des poursuites et juger les cas d’actes criminels, où il y a eu agression sexuelle envers des adultes, et d’autres infractions connexes commises au sein des forces armées américaines. Ce comité est composé de neuf membres issus des milieux universitaire, judiciaire et juridique et d’autres milieux civils et militaires. Le comité a publié son rapport final le 27 juin 2014, dans lequel une majorité de sept membres a recommandé de préserver, dans une large mesure, le vaste pouvoir discrétionnaire des commandants militaires leur permettant de prendre des décisions en matière de poursuites (c.-à-d. de convoquer une cour martiale) et de modifier les verdicts et les peines. Deux membres dissidents du comité ont recommandé l’abolition de ce pouvoir discrétionnaire des commandants afin de permettre aux forces armées de traiter plus efficacement les affaires à caractère sexuel et de mieux protéger les droits des victimes et des accusés4.
De manière générale, il semble que les membres de la chaîne de commandement militaire soient relativement satisfaits des résultats que donne le système de cours martiales. Toutefois, bon nombre reconnaissent également qu’il est de plus en plus difficile de justifier aux yeux du public les pouvoirs étendus qu’ont actuellement les commandants.
L’ERGCM a appris qu’il peut être difficile pour les avocats plaidants militaires d’acquérir le même degré d’expertise dans les affaires criminelles que leurs homologues civils, du fait que les officiers du JAG sont, par nature, des généralistes appelés à travailler dans différents domaines du droit au cours de leur carrière, dans la mesure où ils sont mutés environ tous les deux ans5.
5.2.2.1 Visite technique
Du 22 au 26 août, deux membres de l’ERGCM ont effectué une visite technique en personne en Australie. Les membres de l’équipe ont entretenu des discussions en personne avec différents intervenants, notamment avec le chef de la division juridique de la défense (Defence Legal Division [DLD]) du ministère de la Défense, le directeur général des services juridiques de la Force de défense australienne (Australian Defence Force [ADF]), le greffier de la justice militaire, le directeur du SAD, le DPM, l’inspecteur général de l’ADF, le juge-avocat en chef et le JAG.
L’ADF compte environ 58 000 membres de la force régulière et près de 19 000 membres de la force de réserve. L’Australie déploie régulièrement ses forces armées dans le cadre d’opérations internationales. Au cours des 5 dernières années, une moyenne d’environ 50 procès ont été instruits dans son système de cours martiales. En moyenne, de 4 à 5 décisions sont portées en appel chaque année.
5.2.2.2 Le système de cours martiales australien
5.2.2.2.1 Le statut et la structure institutionnelle des tribunaux et des cours à l’égard des infractions d’ordre militaire
Les magistrats de la Force de défense et les cours martiales ont compétence pour statuer sur les accusations portées contre des membres de la Force de défense et, dans certains cas, contre des réservistes et des civils. Les magistrats de la Force de défense et les cours martiales peuvent tenir des séances à l’étranger.
Les juges-avocats siègent à la fois comme magistrats de la Force de défense et juges de la cour martiale. Ils sont nommés par le chef de la Force de défense ou un chef militaire, suivant la recommandation du JAG6 et doivent obligatoirement être un officier occupant un poste d’avocat depuis au moins cinq ans. Ils sont nommés pour une période pouvant aller jusqu’à trois ans et leur mandat peut être reconduit. Bien que les juges-avocats bénéficient d’un certain nombre de protections visant à favoriser leur indépendance réelle et perçue, il est clair qu’ils exercent un pouvoir exécutif et non judiciaire. Lorsqu’ils siègent, les juges-avocats portent une toge par-dessus leur uniforme.
Les procès tenus devant un magistrat de la Force de défense sont présidés par un juge-avocat qui, habituellement, détient au moins le grade de colonel7. Le magistrat de la Force de défense jouit des mêmes pouvoirs qu’une cour martiale restreinte. Il siège seul en tant que décideur des questions de fait et de droit et peut imposer toutes les peines applicables prévues dans la loi sur la discipline de la Force de défense (Defence Force Discipline Act [DFDA]), à l’exception des peines les plus sévères. Il fournit les motifs de sa décision quant à la culpabilité ou l’innocence de l’accusé ainsi qu’en ce qui concerne la peine, le cas échéant, alors que les cours martiales n’ont pas à justifier leurs décisions.
Le comité d’une CMG se compose d’un président, qui détient au moins le grade de colonel, et d’au moins quatre militaires. Celui d’une cour martiale restreinte comprend un président, qui détient au moins le grade de lieutenant-colonel, et au moins deux militaires. Une CMG dispose de pouvoirs de punition plus étendus qu’une cour martiale restreinte.
En cour martiale, la responsabilité de juger les questions de fait et de droit est partagée. Un juge-avocat donne au comité des avis contraignants sur les questions de droit. Le comité de la cour martiale8 a la responsabilité de trancher les questions de fait, et il se prononce seul sur la culpabilité ou l’innocence de l’accusé et la peine à imposer, le cas échéant. Toute question est décidée à la majorité.
Si un magistrat de la Force de défense ou une cour martiale déclare une personne coupable d’une infraction militaire, un organe de révision doit revoir la procédure, après avoir obtenu les conseils juridiques d’un avocat militaire.
Depuis 2006, diverses modifications touchant les magistrats de la Force de défense et la structure des cours martiales ont été proposées dans le cadre d’initiatives législatives, mais les seuls changements qui ont été adoptés et mis en œuvre sont ceux qu’a apportés le projet de loi de 2006 visant à modifier les lois en matière de défense (Defence Legislation Amendment Bill 2006), qui prévoyait l’établissement de la Cour militaire australienne (Australian Military Court). Ces changements ont par la suite été jugés inconstitutionnels à l’issue de la décision rendue en 2008 par la haute cour d’Australie (High Court of Australia) dans Lane c. Morrison9. Depuis lors, des mesures provisoires ont été adoptées avec succès afin de rétablir le système des magistrats de la Force de défense et de cours martiales décrit précédemment.
5.2.2.2.2 Le statut et la structure institutionnelle du service chargé de la poursuite des infractions d’ordre militaire
Le DPM, qui ne fait pas partie de la chaîne de commandement militaire habituelle, est nommé par le ministre de la Défense (duquel il relève directement) pour une période maximale de cinq ans. Ce poste doit obligatoirement être occupé par un avocat possédant au moins cinq ans d’expérience, qui fait partie de la force armée régulière, de la force navale ou aérienne permanente ou encore de la force de réserve à temps plein, et qui détient au moins le grade de brigadier.
Le DPM supervise une équipe de procureurs, qui sont pour la plupart des avocats militaires portant l’uniforme. Le DPM n’exerce qu’un contrôle limité à l’égard des personnes nommées au sein de son organisation; il incombe plutôt à la DLD de contrôler les affectations des procureurs militaires. De plus, il n’existe pas de profil de carrière d’avocat plaidant pour avocats militaires. Le DPM peut également bénéficier de l’assistance des avocats militaires de la force de réserve, qui font partie du comité du SAD, dont il est question plus loin.
Dans l’exercice de leurs pouvoirs discrétionnaires de poursuite, les procureurs doivent tenir compte des intérêts du commandement, sans pour autant être tenus d’y obéir. Dans la pratique, lorsque des accusations sont renvoyées devant le DPM (par la personne chargée de porter les accusations), ce dernier écrit aux commandants concernés pour obtenir leur avis concernant l’intérêt du service visé à engager des poursuites.
5.2.2.2.3 Le mécanisme par lequel les services d’un conseil sont fournis aux personnes accusées d’avoir commis une infraction d’ordre militaire
Le DSAD est nommé par écrit par le chef de la Force de défense. Il ne fait pas partie de la chaîne de commandement et relève directement du secrétaire associé du ministère de la Défense. Il doit obligatoirement occuper un poste de juriste depuis au moins cinq ans, faire partie des forces permanentes ou offrir un service continu à temps plein dans la force de réserve, et détenir un grade équivalent ou supérieur à celui de colonel. Le DSAD est assisté dans ses fonctions par un avocat militaire, un directeur des opérations et un gestionnaire de cas.
Le rôle du DSAD est essentiellement celui d’un administrateur qui gère la prestation de services de représentation et de conseils juridiques par des avocats militaires aux personnes accusées devant le tribunal. Le DSAD tient une liste des avocats militaires de l’ADF, qui ont exprimé le désir d’exécuter des tâches dans le cadre des fonctions plus étendues du DSAD. Les avocats inscrits sur cette liste forment le comité du DSAD. Le DSAD désigne les avocats militaires de l’ADF (généralement des membres de la force de réserve, quoique ce ne soit pas toujours le cas) qui agiront à titre d’avocats de la défense devant le magistrat de la Force de défense ou la cour martiale, sans frais pour les accusés.
Le DSAD ne peut autoriser d’offrir une aide juridique dans le cadre des procédures menées devant le tribunal d’appel en matière disciplinaire de la Force de défense (Defence Force Discipline Appeal Tribunal [DFDAT]). Les membres de la Force de défense peuvent faire appel au programme d’aide financière dans le cadre de procédures judiciaires instauré par le Commonwealth d’Australie, s’ils souhaitent obtenir une aide juridique lorsqu’ils se présentent devant le DFDAT.
5.2.2.2.4 Le corpus d’infractions d’ordre militaire
La DFDA crée certaines infractions militaires, comme l’absence sans permission, la désobéissance à un ordre ou la violation d’un règlement militaire, qui peuvent être jugées par un magistrat de la Force de défense ou la cour martiale.
La plupart des infractions criminelles de droit commun sont intégrées au système de cours martiales.
Toutefois, les poursuites intentées en vertu de la DFDA doivent uniquement avoir pour but de maintenir ou de faire régner la discipline10. Le DPM et les directeurs des services de poursuites pénales des différents États et territoires australiens ont conclu un protocole d’entente, le 22 mai 2007, afin de clarifier la question des compétences dévolues à chacun11. Lorsque le DPM se questionne à savoir s’il existe un lien suffisant entre une infraction de droit commun et le service militaire ou les forces armées, il doit consulter le directeur des poursuites pénales (Director of Public Prosecutions [DPP]) concerné afin de déterminer si l’intérêt du public serait mieux servi en intentant une poursuite dans le système de justice criminelle12. En outre, en vertu de l’article 63 de la DFDA, il est nécessaire d’obtenir le consentement du DPP du Commonwealth d’Australie avant d’intenter des procédures visant certaines infractions criminelles (la trahison, le meurtre, l’homicide involontaire, la bigamie ou toute infraction impliquant une agression sexuelle).
5.2.2.2.5 Les peines, les sanctions et les lois en matière de détermination de la peine applicables aux infractions d’ordre militaire
Les peines que peuvent imposer le magistrat de la Force de défense et la cour martiale sont, en ordre décroissant de sévérité, l’emprisonnement; la destitution de la Force de défense; la détention; la rétrogradation; la perte d’années de service aux fins de promotion; la perte de l’ancienneté; une amende; le blâme; la restriction des privilèges; la suppression de congés; les travaux supplémentaires; les exercices militaires supplémentaires et la réprimande.
Lors de la détermination de la peine dont fera l’objet une personne reconnue coupable, la DFDA exige que le magistrat de la Force de défense ou la cour martiale tienne compte des principes de détermination de la peine appliqués par les tribunaux civils et de la nécessité de maintenir la discipline au sein de la Force de défense.
5.2.2.2.6 Les règles de preuve applicables dans les procès relatifs à des infractions d’ordre militaire
Aucune règle de preuve spéciale, qui soit digne de mention, n’a été relevée en Australie relativement aux infractions d’ordre militaire. Les règles de preuve en vigueur dans le Territoire de la baie de Jervis sont les mêmes que celles applicables devant un tribunal du Territoire de la capitale australienne; ces règles s’appliquent dans le cadre des procédures intentées devant le magistrat de la Force de défense ou la cour martiale, au même titre que s’il s’agissait d’une procédure criminelle engagée devant un tribunal du Territoire de la baie de Jervis.
5.2.2.2.7 Les droits, motifs et mécanismes d’appel dont disposent la poursuite et la défense
Le DFDAT est composé d’un président, d’un vice-président et des autres personnes nommées à titre de membres du tribunal. Pour être nommée membre du DFDAT, une personne doit être juge de paix ou juge d’un tribunal fédéral ou encore de la cour suprême d’un État ou d’un territoire.
Une personne déclarée coupable ou acquittée pour cause d’insanité peut interjeter appel de la décision devant le DFDAT, mais elle doit obtenir l’autorisation de ce dernier si elle souhaite introduire un appel pour un motif qui ne porte pas sur une question de droit. Le DPM n’a aucun droit d’appel devant le DFDAT.
5.2.2.2.8 Prise en compte des besoins spéciaux des groupes particuliers susceptibles d’interagir avec le système de justice militaire, dont les victimes, les jeunes et les contrevenants autochtones
En 2012, un bureau chargé de la prévention des inconduites sexuelles et des interventions connexes (Sexual Misconduct Prevention and Response Office [SeMPRO]) a été créé pour fournir des services aux membres de l’ADF, qui ont été victimes d’une inconduite sexuelle. Le SeMPRO peut aider les victimes à déposer une plainte officielle, les soutenir en recueillant des preuves médicolégales et les assister dans le cadre des divers processus, dont le processus d’enquête et la procédure judiciaire. Le SeMPRO travaille en étroite collaboration avec le service d’enquête de l’ADF et le DPM pour veiller à ce que les victimes reçoivent un soutien continu tout au long des procédures.
5.2.2.3 Observations sur le système de cours martiales de l’Australie
La majorité des intervenants de l’ADF avec qui l’ERGCM s’est entretenue ont laissé entendre qu’il est impératif d’examiner avec soin toute réforme potentielle du système canadien de cours martiales et d’en évaluer en profondeur la constitutionnalité13. Ce qui s’est passé en Australie devrait nous servir d’exemple et nous inciter à la prudence : en 2008, les réformes du système de justice militaire ont été jugées inconstitutionnelles par la haute cour d’Australie dans Lane c. Morrison, et près de 10 ans plus tard, des mesures législatives provisoires ont été adoptées successivement pour assurer le fonctionnement continu du système.
L’ERGCM a constaté que la grande majorité de la chaîne de commandement perçoit le système de cours martiales comme étant trop lent, trop compliqué et trop coûteux et estime que les peines sont trop clémentes. Pour diminuer les délais, le greffier de la justice militaire a adopté un ensemble d’indicateurs de rendement clés liés à la gestion des dossiers. Ainsi, au cours de la période s’étendant du 1er janvier au 31 décembre 2015, dans 94 p. 100 des cas, une date de procès avait été fixée dans un délai de 2 semaines suivant la réception de l’avis de renvoi du DPM ou la nomination d’un avocat de la défense. Le délai moyen pour fixer une date de procès était de 9,7 jours. De plus, 84 p. 100 des procédures étaient entamées dans les 3 mois après que le greffier eut reçu l’avis de renvoi du DPM14. L’ERGCM a également appris que, malgré ces mesures, la chaîne de commandement continue de percevoir le système de cours martiales comme étant trop lent.
Au moment de la consultation, le système comptait 4 juges-avocats ou magistrats de la Force de défense (2 de la force régulière et 2 de la force de réserve), qui instruisaient en moyenne 50 affaires par année devant la cour martiale. Selon certains, la présence d’officiers de justice militaires assure la légitimité du système : ceux qui appliquent la loi y sont également soumis. L’ERGCM a notamment observé que la présence d’officiers de la force régulière et de la force de réserve au sein de la magistrature assure une diversité d’expérience et d’expertise (connaissances d’ordre militaire et droit criminel).
Les tribunaux militaires peuvent siéger dans les théâtres d’opérations, mais cela arrive rarement. Une cour martiale a récemment été tenue en Iraq.
L’ERGCM a été informée que la grande majorité (80 p. 100) des procès sont présidés par un juge siégeant seul. Le greffier de la justice militaire a indiqué que lorsque des comités siègent, le fait de choisir les membres du comité dans la région où se tient la cour martiale, dans la mesure du possible, permet de réduire considérablement les coûts15. L’ERGCM a également été informée qu’il est plus avantageux sur le plan financier de faire appel aux services de sténographes judiciaires de la région où la cour martiale siège, que d’avoir des sténographes judiciaires militaires à temps plein, qui se déplacent à l’endroit où se déroulent les cours martiales.
On nous a dit que la présence d’avocats militaires de la force régulière et de la force de réserve dans le système de cours martiales était avantageuse. Les procureurs de la force régulière possèdent généralement de meilleures connaissances d’ordre militaire, alors que les avocats de la défense de la force de réserve ont habituellement une plus grande expertise en droit criminel et de meilleures compétences en matière de défense. Toutefois, l’ERGCM a observé que l’ADF dispose d’un bassin d’avocats militaires de la force de réserve beaucoup plus important que le Canada16. Étant donné que les procureurs de première ligne qui sont affectés au service du DPM proviennent des services juridiques existants, le DPM semble avoir peu de contrôle sur les employés nommés au sein de son équipe et sur le moment de leur affectation. L’ERGCM a été informée qu’il peut être difficile pour les avocats du service du contentieux militaire d’acquérir le même degré d’expertise dans les affaires criminelles que leurs homologues civils, du fait qu’ils sont, par nature, des généralistes appelés à travailler dans différents domaines du droit au cours de leur carrière. C’est pourquoi il semble y avoir un consensus sur le fait qu’il serait souhaitable pour tous les procureurs militaires portant l’uniforme de se spécialiser. Selon ce scénario, les procureurs militaires seraient affectés à un poste pour un nombre d’années précis afin de leur permettre de développer des compétences à titre d’avocats plaidants et une expertise en droit criminel, et ils seraient ensuite affectés à titre de procureurs militaires, une affectation sur deux.
Certains estiment que le fait que le DSAD demeure un avocat militaire dont le budget est contrôlé par l’exécutif renforce le manque apparent d’indépendance. L’écart fréquent entre le grade des procureurs militaires et celui des avocats de la défense (celui des premiers étant plus élevé que celui des seconds) peut aussi donner l’impression qu’il est possible d’influer sur l’issue d’une affaire.
Un consensus semble se dégager au sein du personnel de l’ADF consulté concernant la nécessité d’établir des tarifs quant à l’étendue des services que les avocats de la défense peuvent fournir aux accusés. Cette mesure a pour effet de limiter les questions soulevées par les avocats de la défense et réduire les délais dans le système de cours martiales.
Le recours à des procureurs ou à des avocats de la défense en uniforme présente une autre difficulté. Il a été porté à l’attention de l’ERGCM que les témoins de grade inférieur peuvent parfois hésiter à témoigner en toute franchise lors de l’interrogatoire principal ou du contre-interrogatoire mené par un officier militaire d’un grade supérieur. Dans de telles situations, les témoins peuvent être intimidés par le grade de l’avocat (s’ils n’interagissent pas quotidiennement avec des officiers aussi haut gradés), ou ils peuvent se montrer trop enclins à accepter une question ou un énoncé principal qui leur est présenté par l’avocat (par déférence à l’égard des officiers supérieurs et en raison d’une réticence à contredire un supérieur). En outre, le phénomène inverse peut également poser problème, notamment lorsque les avocats en uniforme au procès occupent un rang hiérarchique inférieur à celui du témoin qui subit le contre-interrogatoire, et que cela donne lieu à un contre-interrogatoire moins poussé, serré ou efficace qu’il le devrait en raison de la différence de grade. Tous ces phénomènes pourraient influer sur l’équité procédurale et la justesse de l’issue du litige, si les témoignages sont dans une large mesure altérés.
5.2.3.1 Visite technique
Les 29 et 30 août, deux membres de l’ERGCM ont effectué une visite technique en personne en Nouvelle-Zélande. Les membres de l’équipe ont entretenu des discussions en personne avec le greffier de la justice militaire, le DPM, le directeur adjoint des poursuites militaires, le JAG et un ancien conseiller juridique de la Force de défense de la Nouvelle-Zélande (New Zealand Defence Force [NZDF]).
Les forces armées de la Nouvelle-Zélande comptent environ 11 500 membres de la force régulière et 2 300 réservistes. La Nouvelle-Zélande déploie ses forces à l’échelle internationale dans le cadre de missions menées dans le contexte de coalitions.
Au cours des années précédentes, moins de 10 procès ont été instruits, en moyenne, par année dans le système de cours martiales.
5.2.3.2 Le système de cours martiales de la Nouvelle-Zélande
5.2.3.2.1 Le statut et la structure institutionnelle des tribunaux et des cours à l’égard des infractions d’ordre militaire
À la Cour martiale de la Nouvelle-Zélande, qui a été créée en 2009, les affaires sont instruites par un juge et trois ou cinq militaires. La Cour martiale, qui peut siéger en Nouvelle-Zélande ou à l’étranger, a compétence pour statuer sur toute accusation portée contre des membres de la force régulière et des forces territoriales (réserves actives) et, dans certaines circonstances, contre des membres de la force de réserve et des civils.
Le JAG est un avocat civil nommé par le gouverneur général, qui agit aussi à titre de juge en chef de la Cour martiale. Il jouit de la même inamovibilité et des mêmes immunités qu’un juge de la haute cour (New Zealand High Court [NZHC]), et l’âge de la retraite pour ce poste est fixé à 75 ans. Les autres juges de la Cour martiale sont obligatoirement des avocats inscrits depuis au moins 7 ans, ou des juges d’une cour de district. Le gouverneur général nomme au minimum 6 juges, dont l’âge de la retraite est fixé à 70 ans. Le JAG désigne le juge qui présidera l’instance.
Trois militaires sont affectés à un dossier, sauf dans les cas où la peine maximale prévue pour l’infraction est l’emprisonnement à vie ou une peine d’emprisonnement de 20 ans ou plus; dans un tel cas, on augmente à cinq le nombre de militaires désignés. Dans chaque cas, l’affectation est faite par le greffier, indépendamment de la chaîne de commandement.
La décision de déclarer un accusé coupable ou de l’acquitter est rendue à l’issue d’un vote unanime des militaires (et non par le juge). Par conséquent, à la Cour martiale, les juges ne tirent pas de conclusions de fait à l’étape du procès. Si les militaires sont incapables de s’entendre à l’unanimité, le juge les relève alors de leurs fonctions et renvoie l’accusation au DPM, qui décidera s’il y a lieu ou non d’ordonner un nouveau procès.
Le comité de militaires et le juge déterminent ensemble la peine à imposer à l’issue d’un vote de la majorité. En cas d’égalité des voix, le juge a voix prépondérante. Le juge présente les motifs de la sentence. Le comité de militaires ne fournit aucun motif pour justifier la déclaration de culpabilité ou l’acquittement prononcé.
5.2.3.2.2 Le statut et la structure institutionnelle du service chargé de la poursuite des infractions d’ordre militaire
Le gouverneur général nomme le DPM par mandat. Le DPM est un officier qui a occupé un poste d’avocat, plaidant ou non, depuis au moins sept ans. Il exerce ses fonctions sous la supervision du solliciteur général. Le DPM ne relève pas du ministre de la Défense ni du chef de la Force de défense.
Dans la pratique, le DPM est également le directeur ou le directeur général des services juridiques de la défense (Director General of Defence Legal Services [DGDLS]). Toutefois, en sa qualité de DPM, cet officier est légalement sous la supervision générale du solliciteur général et il ne relève ni du ministre de la Défense ni d’aucun officier militaire.
Habituellement, le DPM nomme un avocat militaire de la base locale pour agir à titre de procureur dans une affaire. Les procureurs peuvent également être des avocats de la Couronne ou des avocats de pratique privée.
Pour que l’avis du haut commandement soit pris en compte dans le cadre du processus décisionnel en matière de poursuites, les commandants supérieurs doivent obligatoirement formuler des recommandations non contraignantes au procureur concernant le sort qu’il convient de réserver à l’affaire. Seuls les intérêts du service, et non le caractère suffisant des éléments de preuve, sont pris en compte dans la formulation de ces recommandations.
5.2.3.2.3 Le mécanisme par lequel les services d’un conseil sont fournis aux personnes accusées d’avoir commis une infraction d’ordre militaire
Un accusé peut demander à être représenté devant la Cour martiale, la CACM, la Cour d’appel ou la Cour suprême. Le régime d’aide juridique des forces armées prévoit l’affectation d’un avocat de la défense (un avocat civil). Toutefois, le régime ne permet pas à l’accusé de choisir son avocat. Le greffier de la Cour martiale administre le service d’aide juridique et affecte un avocat à chaque affaire.
Habituellement, l’accusé est tenu d’assumer une partie des coûts de l’aide juridique reçue. Par exemple, si l’accusé ou l’appelant est un membre de la force régulière, il est tenu de verser 3 p. 100 de son salaire brut imposable pendant les 12 mois précédant le début des procédures en Cour martiale.
L’accusé peut recevoir de l’aide juridique sans avoir à assumer une partie des coûts s’il n’a pas les moyens d’assurer sa défense et que l’intérêt de la justice l’exige.
Les avocats représentant les accusés sont rémunérés pour un nombre d’heures déterminé, conformément à une échelle reconnue qui établit les honoraires et allocations payables pour le travail effectué. L’avocat peut demander un supplément d’honoraires, selon les circonstances et la complexité de l’affaire. Les décisions relatives à tout supplément d’honoraires sont prises par le solliciteur général.
L’accusé peut choisir de retenir lui-même les services d’un avocat. Dans un tel cas, il assume seul le paiement des honoraires de l’avocat.
Il peut également choisir d’être représenté par un membre des forces armées qui n’est pas un avocat (un défenseur)17.
5.2.3.2.4 Le corpus d’infractions d’ordre militaire
Le droit criminel ordinaire (surtout codifié dans la loi sur les actes criminels de 1961 [Crimes Act 1961]) s’applique à l’ensemble du personnel militaire. Les tribunaux civils et militaires disposent d’une compétence concurrente pour juger les infractions de droit commun (qu’elles aient ou non un lien de connexité avec le service militaire). À ces infractions de droit commun s’ajoute un régime légal complémentaire, établi par la loi de 1971 sur la discipline dans les forces armées (Armed Forces Discipline Act 1971), qui s’applique au personnel militaire (et dans certains cas aux civils) dans le cadre duquel seuls des tribunaux militaires ont compétence. Ce régime crée un certain nombre d’infractions exclusivement militaires, telles que l’absence sans permission et la désobéissance à un ordre.
5.2.3.2.5 Les peines, les sanctions et les lois en matière de détermination de la peine applicables aux infractions d’ordre militaire
Les peines que peut imposer la Cour martiale sont, en ordre décroissant de sévérité, l’emprisonnement; la destitution du service de Sa Majesté; la détention (ne s’applique pas aux officiers); la rétrogradation; la perte de l’ancienneté; la suspension de l’ancienneté; l’amende; le blâme et la réprimande.
La Cour martiale peut ordonner les mesures de réparation suivantes, qui s’ajoutent à la peine ou la remplacent : le dédommagement; la restitution; la confiscation; l’ordre de comparaître sur demande pour connaître sa sentence; la détention en tant que patient ayant des besoins particuliers; la détention en tant que patient; la libération pour cause de santé mentale; l’ordonnance de détention pour cause de santé mentale; l’ordonnance d’hospitalisation pour cause de santé mentale.
Le comité de discipline des forces armées18 produit des lignes directrices en matière de détermination de la peine pour aider à déterminer celle à imposer aux membres des forces armées. La Cour martiale doit veiller à ce que toute peine imposée soit conforme à ces lignes directrices, dans la mesure où celles-ci s’appliquent au cas du contrevenant, à moins qu’il soit contraire aux intérêts de la justice de le faire.
5.2.3.2.6 Les règles de preuve applicables dans les procès relatifs à des infractions d’ordre militaire
Les règles de preuve qu’applique la Cour martiale sont les mêmes que celles qu’appliquent les tribunaux civils. Les infractions d’ordre militaire ne sont assujetties à aucune règle de preuve spéciale.
5.2.3.2.7 Les droits, motifs et mécanismes d’appel dont disposent la poursuite et la défense
La CACM peut entendre un appel interjeté par un militaire reconnu coupable à l’égard de sa condamnation et de la peine qui lui est imposée. Le DPM peut interjeter appel devant la CACM d’une peine imposée par la Cour martiale, sauf s’il s’agit d’une peine prévue par la loi.
Les juges de la NZHC (l’équivalent des juges d’une cour supérieure au Canada) et les avocats, sous certaines conditions, peuvent siéger à la CACM (en formation de trois). Le juge qui préside est dans tous les cas un juge de la NZHC.
Une partie à un appel peut en appeler d’une décision rendue par la CACM devant la Cour d’appel19 ou la Cour suprême, après en avoir obtenu l’autorisation.
5.2.3.2.8 Prise en compte des besoins spéciaux des groupes particuliers susceptibles d’interagir avec le système de justice militaire, dont les victimes, les jeunes et les contrevenants autochtones
L’équipe d’intervention dans les cas d’agression sexuelle (Sexual Assault Response Team [SART]) a été créée pour fournir des services aux membres de la NZDF qui ont été victimes d’une inconduite sexuelle. La SART peut aider les victimes à déposer une plainte officielle, les soutenir en recueillant des preuves médicolégales et les assister dans le cadre des divers processus, dont le processus d’enquête et la procédure judiciaire.
La Cour martiale doit tenir compte des besoins des victimes d’infractions sexuelles, par exemple en assurant la présence de personnes de confiance lors du procès. Elle a le pouvoir d’empêcher la publication de documents relatifs aux infractions sexuelles et doit ordonner que les personnes présentent sortent de la salle d’audience pour entendre certains témoignages. Elle jouit du droit inhérent d’ordonner que des témoignages soient livrés derrière un écran.
Les victimes d’infractions ont le droit de présenter une déclaration de la victime, dont le tribunal doit tenir compte lors de la détermination de la peine.
Te Reo Māori (la langue du peuple maori) est une langue officielle de la Nouvelle-Zélande. Si une personne souhaite s’exprimer dans cette langue, les services d’un interprète sont fournis. Il en va de même pour le langage des signes de la Nouvelle-Zélande.
Dans les cas extrêmement rares où un enfant est jugé devant la Cour martiale, il faut traiter l’accusé d’une manière qui tient compte de son âge.
5.2.3.3 Observations sur le système de cours martiales de la Nouvelle-Zélande
L’ERGCM a constaté que le fait que la Cour martiale soit présidée par des juges civils, qu’ils aient ou non une expérience militaire, ne semble pas avoir d’incidences négatives importantes dans le contexte néozélandais. Au contraire, le fait qu’un juge civil, également juge d’une cour civile, préside la Cour martiale semble avoir de nombreux avantages. Il semble que la légitimité et l’indépendance objectives du tribunal s’en trouvent accrues, étant donné qu’on ne peut raisonnablement considérer les juges civils comme des juges subordonnés à la chaîne de commandement militaire de la Nouvelle-Zélande. En outre, la nomination conjointe à un tribunal civil et à la Cour martiale renforce l’expertise de cette dernière en matière criminelle et judiciaire. Toutefois, on nous a fait remarquer que le manque de disponibilité des juges civils peut causer certains problèmes en Cour martiale.
Il semble que ce sont les militaires membres du comité (en Nouvelle-Zélande, ces derniers sont dans tous les cas chargés à la fois de juger les faits et de participer à la détermination de la peine) qui apportent au tribunal des connaissances militaires. Le service de poursuites militaire semble lui aussi contribuer à mettre des connaissances militaires à la disposition de la Cour que ce soit par les témoignages qu’il fait entendre ou par le simple fait que les procureurs de la poursuite eux-mêmes sont généralement des militaires. Selon l’ERGCM l’idée que la présence de juges civils crée à certains égards une injustice envers l’accusé ou le public en raison de leur manque de connaissances du domaine ou du service militaire ne tient pas la route dans le contexte néozélandais.
L’ERGCM a constaté qu’il y a un nombre étonnamment élevé de juges civils, habilités à siéger comme juge d’une cour civile ainsi que comme juge à la Cour martiale, par rapport au nombre de procès qui y sont instruits, en raison de la non-disponibilité des juges. Actuellement, la Cour martiale compte 6 juges qui président en moyenne 10 procès par année.
L’ERGCM a appris qu’avant la réforme de 2007, des cours martiales avaient siégé dans des théâtres d’opérations (p. ex., en Bosnie et au Timor). Toutefois, depuis sa création en 2009, la Cour martiale de la Nouvelle-Zélande n’a pas siégé à l’étranger. On ne semble pas douter que les juges civils accepteraient de présider de tels procès; au contraire, on anticipe qu’un nombre trop élevé de juges souhaiterait le faire. C’était du moins le cas lors des appels de volontaires lancés aux juges-avocats civils sous l’ancien régime les invitant à prendre part à des déploiements. Toutefois, l’ERGCM a constaté qu’aujourd’hui, la NZDF ne déploie probablement pas suffisamment de personnes pour garantir à l’accusé un comité indépendant et impartial. Si un procès à l’extérieur de la Nouvelle-Zélande était souhaitable en raison d’autres considérations, il faudrait qu’un ou plusieurs militaires partent en déploiement pour compenser ce manque. En outre, bien que le DPM exerce ses fonctions en matière de poursuite sous la supervision du solliciteur général, il peut continuer de remplir d’autres fonctions militaires, qu’il n’assumera pas de manière indépendante. Par exemple, en règle générale, le DPM est également le directeur ou le DGDLS. De manière tout à fait hypothétique, il serait donc possible pour le DPM de se retrouver dans une situation où il aurait à décider de poursuivre ou non l’accusé pour une infraction relative aux opérations, alors que l’accusé aurait agi conformément aux conseils juridiques qu’il lui aurait prodigués en sa qualité de DGDLS. Une telle situation risquerait de donner l’impression qu’il y a conflit d’intérêts.
L’ERGCM a également appris qu’un nombre relativement peu élevé de procès sont tenus à la Cour martiale de la Nouvelle-Zélande chaque année, de sorte qu’en deux ou trois ans, les procureurs militaires, qui sont habituellement des officiers recrutés à la base locale, sont susceptibles de ne prendre part qu’à un très petit nombre de procès. Il semble qu’en de telles circonstances, il pourrait être difficile pour un procureur militaire de développer une expertise d’avocat plaidant.
L’ERGCM a constaté que l’adoption de lignes directrices en matière de détermination de la peine par le comité de discipline des forces armées permet de prendre en compte les points de vue de la chaîne de commandement et de la magistrature, ce qui est particulièrement important lorsque des juges civils participent à la détermination de la peine. En outre, il a été rapporté à l’ERGCM que la participation conjointe du juge civil et des militaires au processus de détermination de la peine permet de prendre en compte les réalités militaires, tout en assurant la cohérence des décisions concernant la peine.
L’ERGCM a constaté les avantages que présente l’établissement d’un tarif en ce qui a trait à l’étendue des services que les avocats de la défense peuvent fournir aux accusés. Cela permet de limiter les questions soulevées par l’avocat de la défense et de réduire les délais dans le système de cours martiales.
5.2.4.1 Visite technique
Le 16 septembre 2016, deux membres de l’ERGCM ont rencontré des acteurs du système de cours martiales irlandais, notamment un représentant de l’ACM, un procureur du bureau du DPM et un juge militaire.
Les forces armées irlandaises comptent environ 9 200 membres de la force permanente et 2 400 réservistes. Elles sont encore déployées régulièrement dans le cadre d’opérations internationales, notamment pour participer à des missions de l’ONU, et il est fréquent qu’à tout moment, entre 6 p. 100 et 10 p. 100 de tous ses effectifs soient déployés.
Actuellement, 7 avocats militaires servent au sein des services juridiques des forces de défense. Au cours des 4 dernières années, 10 procès ont été instruits, en moyenne, chaque année dans leur système de cours martiales (y compris les appels interjetés à la suite d’une audition sommaire).
5.2.4.2 Système de cours martiales de l’Irlande
5.2.4.2.1 Le statut et la structure institutionnelle des tribunaux et des cours à l’égard des infractions d’ordre militaire
Le système de cours martiales de l’Irlande présente de nombreuses similitudes avec celui du Canada. L’Irlande compte trois types de tribunaux militaires et tous peuvent siéger en tout lieu, tant en Irlande qu’à l’étranger. La Cour martiale sommaire (Summary Court Martial [SCM]) est un tribunal militaire permanent composé d’un juge militaire siégeant seul. Elle juge les infractions de moindre gravité en vertu du droit militaire, elle peut instruire le procès de toute personne détenant le grade de commandant (équivalent du grade de major au Canada) ou un grade inférieur et elle ne peut prononcer une peine d’emprisonnement excédant six mois. Elle entend la grande majorité des affaires instruites dans le système de cours martiales irlandais. La SCM peut également entendre les appels interjetés à l’égard des décisions rendues lors d’un procès sommaire.
L’Irlande compte également deux tribunaux spéciaux qui traitent les affaires plus graves : les Cours martiales limitées (Limited Courts Martial [LCM]), qui peuvent seulement juger des militaires du rang et imposer une peine d’emprisonnement maximale de deux ans; et les Cours martiales générales (General Courts Martial [GCM]), qui peuvent juger les militaires de tous grades et imposer des peines allant jusqu’à l’emprisonnement à vie. Les LCM et les GCM sont composées d’un juge militaire, qui décide de toutes les questions de droit et détermine la peine, et d’un comité de militaires, qui décide de toutes les questions de fait et prononce le verdict à la majorité des deux tiers. Le comité d’une LCM est composé de trois militaires, alors que celui d’une GCM en compte cinq.
En Irlande, les juges militaires sont nommés par le président de l’Irlande et doivent obligatoirement être des avocats exerçant la profession depuis au moins 10 ans. Les juges militaires demeurent en poste jusqu’à la retraite et ne peuvent être relevés de leurs fonctions que pour un motif valable. Bien qu’ils puissent provenir ou non de la force de défense permanente (Permanent Defence Force), une fois qu’ils sont nommés, les juges militaires détiennent le grade de colonel ou un grade supérieur. Ils exercent leurs fonctions, qui sont exclusivement de nature judiciaire, de manière indépendante. Il n’y a eu jusqu’à présent qu’un seul juge militaire nommé à la fois.
5.2.4.2.2 Le statut et la structure institutionnelle du service chargé de la poursuite des infractions d’ordre militaire
En Irlande, le gouvernement nomme un avocat pour occuper le poste de DPM. Le DPM est un officier militaire, mais le gouvernement peut également nommer une personne qui n’a jamais été membre des forces de défense. Le DPM décide si une affaire sera portée ou non devant une cour martiale; il est prévu par la loi qu’il exerce ses fonctions de manière indépendante et il peut seulement être démis de ses fonctions pour des motifs expressément énumérés. Le gouvernement doit, le cas échéant, présenter à l’assemblée législative les motifs de la révocation du DPM. Le DPM peut exercer d’autres fonctions militaires, en plus de celles qui lui sont dévolues en sa qualité de DPM (p. ex., le DPM agit actuellement à titre de conseiller juridique militaire principal au sein des forces de défense). Le DPM supervise une équipe de procureurs, qui sont des avocats militaires et qui agissent souvent également comme conseiller juridique au sein de leur unité.
5.2.4.2.3 Le mécanisme par lequel les services d’un conseil sont fournis aux personnes accusées d’avoir commis une infraction d’ordre militaire
Une personne accusée devant une cour martiale peut choisir d’être assistée d’un officier commissionné des forces de défense (appelé un « officier défenseur »), qui n’est habituellement pas un avocat, ou d’un avocat civil de son choix.
L’Irlande possède un système d’aide juridique pour les cours martiales auquel il est possible d’avoir recours à l’étape de l’enquête, du procès et de l’appel (jusqu’à la Cour suprême). Actuellement, l’autorité responsable de l’aide juridique est le juge militaire de la Cour martiale permanente (Standing Court Martial), à qui sont adressées les demandes d’aide juridique. L’admissibilité à l’aide juridique est déterminée selon les revenus du demandeur et divers autres facteurs, tels que la complexité et l’ampleur du procès ainsi que l’équité. Un tarif réglementaire établit les honoraires à verser aux avocats ayant obtenu un certificat d’aide juridique, de même que le pourcentage à payer pour certains types d’affaires. Si l’accusé est admissible à l’aide juridique, il n’a pas à payer les frais de sa défense. Dans le système d’aide juridique, seuls les services d’avocats civils – habituellement des avocats plaidants – sont retenus comme avocats de la défense.
5.2.4.2.4 Le corpus d’infractions d’ordre militaire
En Irlande, les infractions militaires sont créées par la loi de 1954 sur la défense (Defence Act, 1954), en sa version modifiée, et elles ressemblent beaucoup à celles énoncées dans le CDM du Canada. La loi militaire irlandaise contient une disposition qui englobe par renvoi toutes les infractions criminelles de droit commun et en fait des infractions reconnues en droit militaire. Ces infractions civiles – à l’exception d’un petit nombre d’entre elles qui constituent les infractions les plus graves (appelées les « infractions pertinentes »), lesquelles relèvent du directeur des poursuites pénales – relèvent à la fois du système de justice militaire et du système de justice pénale civil.
5.2.4.2.5 Les peines, les sanctions et les lois en matière de détermination de la peine applicables aux infractions d’ordre militaire
En Irlande, il existe des peines exclusivement militaires qui s’appliquent différemment aux officiers et aux militaires du rang (la principale différence étant que les militaires du rang sont « destitués » et non « relevés de leurs fonctions », et que les officiers ne peuvent pas être condamnés à une peine de détention). La destitution ignominieuse, la rétrogradation, la perte de l’ancienneté et la réprimande sont des exemples de peines exclusivement militaires. Les officiers et les militaires du rang peuvent être condamnés à une peine d’emprisonnement, dont la durée peut aller jusqu’à la prison à vie.
Les cours martiales irlandaises peuvent surseoir aux peines d’emprisonnement et de détention et peuvent assortir ces sursis de conditions particulières.
5.2.4.2.6 Les règles de preuve applicables dans les procès relatifs à des infractions d’ordre militaire
Les règles de preuve applicables devant les tribunaux civils s’appliquent aussi devant les cours martiales irlandaises. Il existe certaines règles spéciales concernant la manière de prouver certains faits propres au contexte militaire (p. ex., comment établir qu’une personne était membre des forces de défense ou était hospitalisée, ou qu’un navire était un navire de l’État).
5.2.4.2.7 Les droits, motifs et mécanismes d’appel dont disposent la poursuite et la défense
L’Irlande a aboli sa CACM; tous les appels sont maintenant entendus par la Cour d’appel irlandaise (Irish Court of Appeal [CA]), et tout appel subséquent est du ressort de la Cour suprême de l’Irlande (Supreme Court of Ireland). Les contrevenants ont le droit d’interjeter appel d’un verdict ou d’une peine, ou des deux, prononcés par une des cours martiales. Dans certaines circonstances, le DPM peut aussi demander à la CA d’examiner la peine imposée par la Cour martiale dans des cas de clémence non justifiée.
La partie poursuivante ou le contrevenant peut interjeter appel sur une question de droit (case Stated) d’une décision rendue par la SCM à l’issue d’un procès sommaire.
5.2.4.2.8 Prise en compte des besoins spéciaux des groupes particuliers susceptibles d’interagir avec le système de justice militaire, dont les victimes, les jeunes et les contrevenants autochtones
Le système de justice militaire irlandais présente, en ce qui concerne certaines infractions sexuelles, des particularités en matière de procédure et de compétence. Dans les cas où un accusé n’était ni en service actif ni en mission au moment de l’infraction, le système de justice militaire ne peut statuer sur une accusation de viol que si la victime fait partie des forces armées, qu’elle y consent et que le procureur civil y consent également.
5.2.4.3 Observations sur le système de cours martiales de l’Irlande
L’ERGCM a constaté des similitudes frappantes entre les systèmes de cours martiales irlandais et canadien20. Toutefois, l’ERGCM a aussi observé d’importantes différences.
Premièrement, le juge militaire actuel, le colonel Michael Campion, qui était auparavant un avocat civil, possède une vaste expérience en matière contentieuse. Bien qu’il fût membre du barreau civil au moment où il a été nommé juge militaire, il avait fait partie de la force de réserve pendant de nombreuses années (mais pas en tant qu’avocat militaire). D’après les discussions qu’elle a eues avec plusieurs acteurs du système, l’ERGCM a constaté que l’expertise du juge militaire en matière de droit criminel et de litiges est jugée essentielle à la saine administration de la justice militaire au sein du système irlandais.
Deuxièmement, bien que le DPM exerce ses fonctions en matière de poursuite de manière indépendante en vertu de la loi, il peut continuer de remplir d’autres fonctions militaires, qui ne requièrent pas une telle indépendance. Par exemple, le DPM agit également, à l’heure actuelle, comme conseiller juridique militaire principal, notamment dans des dossiers relevant du droit opérationnel militaire. De manière tout à fait hypothétique, il serait donc possible pour le DPM de se retrouver dans une situation où il aurait à décider de poursuivre ou non l’accusé pour une infraction relative aux opérations, alors que l’accusé aurait agi conformément aux conseils juridiques qu’il lui aurait prodigués en sa qualité de conseiller juridique militaire principal.
Troisièmement, on a indiqué à l’ERGCM qu’un nombre relativement peu élevé de procès sont tenus en cour martiale chaque année en Irlande, de sorte que les procureurs militaires participent à peu de procès. L’ERGCM constate qu’en de telles circonstances, il peut être difficile pour les procureurs militaires de développer une expertise en matière de litiges, mais elle note également que, puisqu’il y a si peu d’avocats militaires (sept) au sein des forces armées irlandaises, il serait vraisemblablement impossible de leur offrir un cheminement de carrière plus spécialisé.
Par ailleurs, contrairement au modèle canadien où les services d’avocats de la défense sont entièrement financés, l’aide juridique, dans le système irlandais, est seulement offerte aux personnes qui établissent qu’elles n’ont pas les moyens de payer leur propre avocat. L’ERGCM a constaté que l’autorité réglementaire responsable de l’aide juridique est le juge militaire de l’Irlande, une situation unique au sein des systèmes de cours martiales anglo-américains.
L’ERGCM estime qu’en Irlande, la présence d’avocats de la défense civils en cour martiale ne semble pas avoir de conséquence néfaste importante pour l’accusé, le public ou les forces armées. L’ERGCM a toutefois constaté que dans certains cas (surtout ceux liés à des infractions relativement mineures), il semble que l’accusé a avantage à choisir un officier sans formation juridique pour le défendre, plutôt qu’un avocat civil. Dans les cas du genre, l’ERGCM a remarqué que la cour martiale semblait parfois donner plus de poids aux arguments d’un officier défenseur (p. ex., en ce qui concerne les demandes de clémence lors de la détermination de la peine).
Contrairement aux RMP du Canada, les règles de la preuve qui s’appliquent dans le système de cours martiales irlandais sont pratiquement toutes les mêmes que celles applicables devant les tribunaux de justice civils de juridiction criminelle, à l’exception de quelques règles légales précises portant sur des questions exclusivement militaires. Cette similitude semble être considérée comme un élément positif dans les deux systèmes de justice : elle favorise davantage la présence d’avocats de la défense civils dans le système militaire que ne le permettrait un système dans lequel des règles de preuve exclusivement militaires s’appliqueraient.
Enfin, l’ERGCM a été informée de l’exigence d’obtenir le consentement du service des poursuites civiles pour que certaines infractions (« pertinentes »), surtout des infractions sexuelles, soient jugées dans le système de cours martiales. L’ERGCM relève, notamment, que la victime peut intervenir au moment de déterminer si une poursuite particulière doit être engagée devant les tribunaux civils ordinaires ou dans le système de cours martiales.
5.2.5.1 Visite technique
Après leur visite technique en Irlande, les deux mêmes membres de l’ERGCM ont effectué une visite en personne au Royaume-Uni, du 19 au 23 septembre 2016, lors de laquelle ils ont consulté les intervenants suivants : le DPM du pays et des membres de son personnel; le directeur du service des tribunaux militaires (Military Court Service); le chef du service d’aide juridique des forces armées (Armed Forces Criminal Legal Aid Authority); le chef de la législation au sein du ministère de la Défense; des membres de la section de la discipline des services juridiques de la Marine royale (Royal Navy [RN]); le grand prévôt de la RN et le JAG.
L’ERGCM a également recueilli des commentaires par correspondance de la section de la discipline des services juridiques de l’armée britannique.
Les forces armées du Royaume-Uni, qui sont constituées principalement de la RN (Régiment royal des Fusiliers marins), de l’armée britannique et de la force aérienne royale (Royal Air Force [RAF]), comptent environ 153 000 membres de la force régulière et 81 000 membres de la force de réserve. De manière générale, environ 500 procès sont tenus en cour martiale tous les ans.
5.2.5.2 Le système de cours martiales du Royaume-Uni
5.2.5.2.1 Le statut et la structure institutionnelle des tribunaux et des cours ayant compétence pour juger les infractions d’ordre militaire
La Cour martiale du Royaume-Uni est un tribunal permanent. Elle peut siéger n’importe où, au Royaume-Uni comme à l’étranger.
Le modèle du tribunal actuel est le fruit d’une série de modifications législatives cumulatives découlant, en grande partie, des décisions de la Cour européenne des droits de l’homme dans les affaires Findlay c. Royaume-Uni (jugement du 25 février 1997), Morris c. Royaume-Uni (no 38784/97, CEDH 2002-I), Cooper c. Royaume-Uni (no 48843/99, CEDH 2003), et Grieves c. Royaume-Uni (no 57067/00, CEDH 2003), selon lesquelles certains aspects de l’ancien système de tribunaux spéciaux étaient problématiques en ce qui a trait au droit à un procès indépendant et impartial, qui est garanti à l’article 6 de la Convention européenne des droits de l’homme. La loi modificatrice la plus exhaustive a été la loi de 2006 sur les forces armées (Armed Forces Act 2006). Elle a remplacé les systèmes disciplinaires auparavant distincts de l’armée britannique, de la RN et de la RAF par un système unique, et qui a établi une cour martiale civile permanente, de même qu’un service des poursuites indépendant (Service Prosecuting Authority [SPA]).
Les juges de la Cour martiale, appelés « juges-avocats », sont des civils. Ils sont nommés par le grand chancelier, suivant la recommandation de la commission des nominations judiciaires (Judicial Appointments Commission), qui agit à titre indépendant, de la même manière que le sont les juges des tribunaux de district et des cours de circuit; ils doivent obligatoirement exercer la profession d’avocat depuis au moins 10 ans et ne sont pas tenus d’avoir servi auparavant dans les forces armées. Il n’est pas rare qu’ils siègent aussi à la Cour de la Couronne (Crown Court), où sont jugés les actes criminels graves et où se tiennent les procès devant jury.
Le juge en chef de la cour martiale détient le titre de JAG. Il est nommé par Sa Majesté la Reine et fait actuellement l’objet d’une nomination conjointe à la Cour de la Couronne (Crown Court) et à la Haute Cour de justice (High Court). En plus de ses obligations judiciaires et de ses fonctions de supervision, le JAG fournit une orientation à tous les intervenants du système de justice pénale de son service concernant les pratiques, les procédures, les changements et les réformes et donne des conseils concernant l’efficacité et l’efficience du système. Il convient toutefois de noter que l’élaboration de politiques relève uniquement du gouvernement de Sa Majesté.
À la Cour martiale, la responsabilité de tirer les conclusions de fait revient au comité, qui est presque toujours composé de 3 à 5 adjudants et officiers commissionnés, selon la gravité de l’affaire. Dans certaines circonstances, il peut y avoir jusqu’à 6 ou 7 membres au sein du comité (c.-à-d. lors de procédures susceptibles de durer plus de 10 jours ou encore de procès tenus à l’extérieur du Royaume-Uni et de l’Allemagne susceptibles de durer plus de 5 jours). Le verdict de culpabilité ou de non-culpabilité est rendu par un vote majoritaire. Le comité et le juge-avocat décident ensemble de la peine.
Toutes les personnes assujetties au droit militaire, de même que les civils assujettis à la discipline militaire peuvent être jugés par la Cour martiale. Les membres de la force régulière sont assujettis au droit militaire en tout temps et en tout lieu, alors que les membres de la force de réserve y sont assujettis seulement dans les circonstances énumérées (essentiellement, lorsqu’ils sont appelés à servir ou qu’ils sont en service à temps plein). Les civils (souvent des personnes à la charge des militaires) sont assujettis à la discipline militaire dans certaines circonstances.
Lorsqu’elle juge des civils, la Cour martiale peut être constituée d’un comité composé de civils, et le juge-avocat détermine seul la peine à imposer.
Les juges-avocats peuvent aussi siéger seuls en tant que tribunal militaire pour les civils (Service Civilian Court [SCC]), mais seulement à l’extérieur du Royaume-Uni. La SCC a compétence pour juger les civils assujettis à la discipline militaire, qui sont habituellement accusés d’infractions mineures. Les civils sont seulement tenus de respecter la discipline militaire lorsqu’ils accompagnent les forces armées à l’étranger. Les tribunaux du système de justice militaire n’ont pas compétence à l’égard des civils au Royaume-Uni.
En ce qui concerne l’administration des tribunaux, des fournisseurs de services civils fournissent sur une base contractuelle des services de sténographie judiciaire à la Cour martiale. Grâce à ces services, des transcriptions sont rapidement produites dans tous les environnements où siège la cour martiale, y compris en dehors du Royaume-Uni.
5.2.5.2.2 Le statut et la structure institutionnelle du service des poursuites chargé des infractions d’ordre militaire
Au Royaume-Uni, un avocat ayant au moins 10 ans d’expérience peut être nommé au poste de DPM par Sa Majesté la Reine. Le DPM est un haut fonctionnaire entièrement indépendant de la chaîne de commandement militaire.
Il dirige le service de la SPA et est responsable d’une équipe de procureurs, qui peuvent être des militaires ou des civils. Ces procureurs relèvent du DPM dans l’exercice de leurs fonctions, mais en leur qualité d’avocats, plaidants ou non, ils relèvent également de leur ordre professionnel (respectivement, le Bar Standards Board ou le Solicitors Regulatory Authority). Lors de la visite technique de l’ERGCM, les procureurs de la SPA étaient tous des officiers nommés par les autorités militaires de l’armée britannique, de la RN et de la RAF.
Le DPM et la SPA relèvent du procureur général et non du secrétaire d’État à la défense.
5.2.5.2.3 Le mécanisme par lequel les services d’un conseil sont fournis aux personnes accusées d’avoir commis une infraction d’ordre militaire
Le Royaume-Uni dispose d’un régime d’aide juridique bien établi pour les personnes accusées d’infractions d’ordre militaire, qui a été conçu de manière à refléter celui utilisé au civil. Pour obtenir de l’aide juridique, il faut en faire la demande et remplir des critères de revenus. Les personnes dont le revenu disponible se situe entre les seuils de revenu élevé et faible peuvent être admissibles à l’aide juridique, mais elles doivent assumer une partie des coûts de leur défense, selon leur capacité de payer. Les avocats de la défense sont des avocats plaidants ou des conseillers juridiques et sont généralement des civils. Les personnes dont le revenu est supérieur au seuil de revenu élevé peuvent recevoir de l’aide juridique; elles doivent toutefois assumer la totalité des coûts de leur défense qui leur seront remboursés si elles sont acquittées (ce qui ne serait pas possible si elles avaient recours aux services d’avocats de pratique privée). Les personnes dont le revenu est inférieur au seuil de faible revenu sont admissibles à l’aide juridique et n’ont pas à contribuer financièrement.
Les accusés peuvent à leur choix demander d’être représentés par un avocat militaire de la RN, de la RAF ou de l’armée britannique. Dans la pratique, seule la RN fournit les services d’avocats de la défense lors d’un procès devant la Cour martiale. Dans la mesure où cet avocat militaire est disponible, apte et disposé à défendre la cause, il peut fournir ses services gratuitement.
5.2.5.2.4 Le corpus d’infractions d’ordre militaire
Les infractions militaires au Royaume-Uni se divisent en deux catégories : les infractions « disciplinaires » et les infractions liées à un « comportement criminel ». Les infractions disciplinaires reflètent les types d’inconduites propres aux forces armées. L’article 42 de la Loi de 2006 sur les forces armées (Armed Forces Act 2006) précise que les personnes assujetties au droit militaire commettent une infraction d’ordre militaire dès lors qu’elles adoptent un « comportement criminel » punissable en vertu du droit criminel de l’Angleterre ou du Pays de Galles; cette disposition s’applique également à l’étranger (contrairement au système de justice pénale civil, dans le cadre duquel la compétence à l’égard des infractions criminelles se limite habituellement aux omissions ou aux actes commis sur le territoire du Royaume-Uni).
Au Royaume-Uni, les autorités des systèmes de justice militaire et civil ont une compétence concurrente à l’égard des infractions (de droit commun) liées à un « comportement criminel ». Toutefois, le DPM et le directeur des poursuites pénales ont conclu un protocole d’entente dans lequel ils se sont entendus quant à la façon d’exercer cette compétence21. De façon générale, ils reconnaissent, dans ce protocole, que la compétence civile doit avoir préséance sur la compétence militaire en cas de doute; que le directeur des poursuites pénales jouit du pouvoir décisionnel ultime dans ces cas particuliers où un doute subsiste; et que les affaires concernant des personnes ou des biens civils doivent normalement être jugées devant les tribunaux civils22.
5.2.5.2.5 Les peines, les sanctions et les lois en matière de détermination de la peine applicables aux infractions d’ordre militaire
Les peines pouvant être imposées dans le système de justice militaire britannique sont l’emprisonnement; la destitution et la destitution ignominieuse; la détention (non applicable aux officiers); la perte de l’ancienneté (applicable uniquement aux officiers); la rétrogradation; l’amende; les ordonnances communautaires militaires; la réprimande et le blâme (non applicables aux caporaux et aux soldats); les ordonnances militaires de surveillance et les sanctions d’ordre militaire; les peines mineures et les ordonnances militaires d’indemnisation. Seuls les civils peuvent se voir congédier. La Cour martiale jouit des mêmes pouvoirs en ce qui a trait à la détermination des peines d’emprisonnement que la Cour de la Couronne et elle peut, notamment, imposer une peine d’emprisonnement à perpétuité.
Les ordonnances communautaires du système de justice pénale civil sont intégrées par renvoi au système militaire, mais elles sont applicables seulement lorsque le militaire est également destitué de ses fonctions dans les forces armées (il peut alors être surveillé dans la collectivité par les autorités civiles appropriées). Ces ordonnances s’apparentent à la peine d’emprisonnement avec sursis purgée dans la collectivité utilisée au Canada et peuvent comprendre des ordonnances de réadaptation ou de counseling obligatoire, des travaux communautaires, un couvre-feu ou une surveillance électronique.
Les ordonnances militaires de surveillance et les sanctions d’ordre militaire s’apparentent aux peines mineures que sont la suppression de congés et les travaux et exercices supplémentaires énoncés dans les ORFC au Canada, et les ordonnances militaires d’indemnisation ressemblent quelque peu aux ordonnances de dédommagement auxquelles on a recours au Canada.
5.2.5.2.6 Les règles de preuve applicables dans les procès relatifs à des infractions d’ordre militaire
Les règles de preuve applicables en cour martiale sont généralement les mêmes que celles appliquées par les tribunaux civils de juridiction criminelle du pays. Il y a quelques différences procédurales en ce qui a trait à certains types de preuves (p. ex., la preuve par ouï-dire), de même que des règles spéciales décrivant la façon dont certains éléments relevant du domaine militaire, y compris le contenu des ordres permanents, peuvent être établis. La Cour martiale est autorisée par la loi à prendre connaissance d’office des questions relevant de ses connaissances militaires générales.
5.2.5.2.7 Les droits, motifs et mécanismes d’appel dont disposent la poursuite et la défense
Les appels des décisions rendues en Cour martiale sont entendus par la CACM, qui est composée de juges civils tous issus de la Cour d’appel (division criminelle).
Les contrevenants peuvent, avec autorisation, interjeter appel d’un verdict ou d’une peine, ou des deux, devant la CACM.
Si le procureur général du Royaume-Uni estime qu’une peine imposée par la Cour martiale pour certaines infractions liées à un comportement criminel (généralement des infractions punissables par mise en accusation) est trop clémente, il peut interjeter appel de la peine infligée devant la CACM, avec l’autorisation de la Cour.
Le contrevenant et le procureur général peuvent, avec autorisation, interjeter appel d’une décision de la CACM sur une question de droit d’intérêt public général devant la Cour suprême du Royaume-Uni.
5.2.5.2.8 Prise en compte des besoins spéciaux des groupes particuliers susceptibles d’interagir avec le système de justice militaire, dont les victimes, les jeunes et les contrevenants autochtones
Les règles de la Cour martiale énoncent des procédures spéciales visant à aider les témoins vulnérables, notamment les victimes, lors de leur témoignage.
En dehors du tribunal, les victimes ont droit, dans la plupart des cas, à l’aide d’un agent de liaison. Les victimes jouissent aussi de droits en matière d’information (p. ex., le droit de savoir si l’accusé est en détention ou en liberté; le droit à des communications en temps opportun concernant l’évolution de l’affaire; le droit de connaître l’heure et le lieu des audiences, etc.), de même que de certains droits au chapitre de la transparence (p. ex., le droit de connaître les motifs de la décision de ne pas poursuivre ou de réduire la gravité des accusations).
Les victimes ont le droit de demander la révision des décisions de ne pas poursuivre par les autorités supérieures de la SPA (et ultimement par le DPM, si cela s’avère nécessaire), et elles doivent être informées de ce droit et de la procédure à suivre pour présenter une telle demande. Les victimes disposent aussi d’un processus de plaintes, dont elles doivent être informées23.
Les contrevenants de moins de 18 ans ne peuvent en principe être condamnés à une peine d’emprisonnement par la Cour martiale. Dans certaines circonstances (p. ex., dans le cas d’infractions très graves), les contrevenants de moins de 18 ans peuvent être condamnés à une période de détention, comme dans le régime civil.
5.2.5.3 Observations sur le système de cours martiales du Royaume-Uni
Les intervenants rencontrés au Royaume-Uni ont indiqué que le fait d’avoir un tribunal permanent au lieu de tribunaux ad hoc pour juger les infractions d’ordre militaire présentait plusieurs avantages24. La nature permanente de la Cour martiale lui permet plus aisément de créer des règles de procédure, de rendre des ordonnances (notamment à l’égard des questions préliminaires), de prendre des décisions concernant l’exécution des ordonnances, de commencer immédiatement la gestion individuelle des cas, de créer des politiques pour améliorer la gestion systématique des dossiers et de publier des lignes directrices en matière de détermination de la peine25.
L’ERGCM a constaté que le fait que des juges civils (juges-avocats) président les instances en cour martiale ne semble pas avoir de conséquences néfastes au Royaume-Uni, et ce, que les juges-avocats aient servi ou non dans les forces armées. Toutefois, les intervenants dans le système de justice militaire prennent des mesures pour veiller à ce que les juges-avocats se familiarisent avec la vie militaire; ils organisent, entre autres, des visites annuelles pour qu’ils voient où vit et travaille le personnel militaire. En moyenne, chaque juge britannique préside environ 90 procès en cour martiale par année. L’idée que la présence de juges civils est de nature à susciter à certains égards un sentiment d’injustice envers l’accusé ou le public en raison d’un manque de connaissances du domaine ou du service militaire ne semble pas tenir la route dans le contexte britannique. Aucun exemple d’une telle situation n’a été porté à l’attention de l’ERGCM. Cela pourrait être attribuable au fait qu’un juge de la cour martiale n’a pas besoin, en réalité, de ce type de connaissances militaires pour que le procès soit équitable ou encore que l’expertise militaire est fournie par les membres du comité (qui, au Royaume-Uni, sont chargés à la fois de juger les faits et de participer à la détermination de la peine) ou par le service de poursuites militaire, notamment par les éléments de preuve qu’il produit ou du simple fait que les procureurs eux-mêmes sont généralement des militaires.
Au contraire, le fait qu’un juge civil, aussi nommé à un tribunal civil de juridiction criminelle, préside la Cour martiale semble avoir de nombreux avantages. Il semble que la légitimité et l’indépendance objectives du tribunal s’en trouvent accrues, étant donné que les juges civils ne peuvent raisonnablement être considérés comme étant subordonnés à la chaîne de commandement militaire du Royaume-Uni. En outre, il serait difficile de prétendre qu’ils sont des intervenants de « second rang » ou inférieurs à ceux des tribunaux civils de juridiction criminelle, puisque ces juges-avocats y siègent également. Leurs décisions sont perçues comme étant fondées uniquement sur le droit, et ils ne semblent pas parler exclusivement au nom de la chaîne de commandement militaire, mais plutôt au nom de la société dans son ensemble. Le système britannique prévoit la nomination d’experts en matière de droit et procédure pénale et facilite le maintien du savoir et des compétences, en assignant aux juges un volume suffisant de dossiers du fait qu’ils siègent dans les deux types de cours de justice criminelle (de droit commun et militaires).
Le fait que les juges civils de la Cour martiale siègent à l’étranger ne semble pas poser problème. En fait, la Cour martiale a siégé à plusieurs reprises à l’étranger, notamment à Chypre, au Belize et aux États-Unis. Jusqu’à maintenant, la Cour martiale n’a pas tenu de procès dans des zones d’hostilités, et il semble que les intervenants britanniques ne l’envisagent aucunement, notamment en raison de l’importance des ressources de protection que devraient fournir les forces armées du Royaume-Uni pour assurer la sécurité du tribunal et en raison du fait qu’un tel procès pourrait détourner l’attention des militaires de l’objectif de la mission en cours.
En ce qui concerne les poursuites, il a été porté à notre attention que le fait d’avoir un DPM civil relevant du procureur général comporte certains avantages. Un directeur civil indépendant de par la loi ne peut raisonnablement être considéré comme étant subordonné à la chaîne de commandement militaire et la légitimité des décisions difficiles qu’il est appelé à prendre en matière de poursuites s’en trouve accrue, celles-ci étant prises à l’abri de toute influence inappropriée, réelle ou perçue.
L’ERGCM a constaté que la structure proprement dite du service des poursuites posait certains problèmes, semblables à ceux rencontrés en Australie, au Canada et aux États-Unis26. Étant donné que les procureurs de première ligne qui sont affectés au service du directeur proviennent des branches existantes des services juridiques (armée britannique, RN et RAF), le directeur semble avoir peu de contrôle sur les membres de son équipe et sur le moment de leur affectation. La formation et l’expérience des officiers affectés au service des poursuites varient. Les procureurs militaires, qui détiennent divers grades et possèdent différents niveaux d’expérience et de connaissances, ne suivent pas un cheminement de carrière spécialisé; ils sont fréquemment mutés d’un poste à un autre à l’intérieur et à l’extérieur du service de poursuites.
La question de la suffisance des connaissances militaires des procureurs (particulièrement de ceux provenant de l’armée britannique et de la RAF) semble également être un enjeu dans le système de cours martiales britannique. En effet, ces derniers ne sont pas tenus d’avoir déjà servi dans les forces armées ni de suivre périodiquement des stages de familiarisation officiels sur les fonctions opérationnelles. L’ERGCM a constaté que même s’ils sont des membres des forces armées en uniforme, certains procureurs militaires (pour des raisons indépendantes de leur volonté) peuvent avoir moins de connaissances militaires que d’autres intervenants dans la salle d’audience, notamment que les membres du comité, le juge-avocat, les témoins et parfois les avocats de la défense expérimentés. Cette situation pourrait poser des difficultés sur plan de la légitimité interne et sur celui de l’efficacité procédurale.
L’ERGCM a également constaté certains problèmes que cause le recours à des procureurs militaires en uniforme au lieu d’avocats civils en toge. Cette différence vestimentaire peut parfois influencer les intervenants du système, comme les témoins, les membres du comité et les personnes qui assistent à l’audience. Bien que les différences vestimentaires puissent avoir une influence de bien des façons, il semble qu’aux yeux de certains, un avocat en toge ait plus de crédibilité à titre d’avocat plaidant qu’un avocat portant l’uniforme militaire.
En outre, le recours à des procureurs à charge ou à des avocats de la défense en uniforme militaire (lorsqu’un militaire demande à obtenir les services d’un avocat de la défense de la RN et que cette demande est approuvée) pose des difficultés d’un autre ordre. Il a été porté à l’attention de l’ERGCM que les témoins de grade inférieur peuvent parfois hésiter à témoigner en toute franchise lors de l’interrogatoire principal ou du contre-interrogatoire mené par un officier militaire d’un grade supérieur. Dans de telles situations, les témoins peuvent être intimidés par le grade de l’avocat (s’ils n’interagissent pas quotidiennement avec des officiers aussi haut gradés), ou ils peuvent se montrer trop enclins à accepter une question ou un énoncé principal qui leur est présenté par l’avocat (par déférence à l’égard des officiers supérieurs et en raison d’une réticence à contredire un supérieur). En outre, le phénomène inverse peut également poser problème, notamment lorsque les avocats en uniforme au procès occupent un rang hiérarchique inférieur à celui du témoin qui subit le contre-interrogatoire et que cela donne lieu à un contre-interrogatoire moins poussé, serré ou efficace qu’il le devrait en raison de la différence de grade. Tous ces phénomènes pourraient influer sur l’équité procédurale et la justesse de l’issue du litige, si les témoignages sont dans une large mesure altérés.
L’ERGCM a été informée que le système de cours martiales du Royaume-Uni met une procédure d’appel spéciale à la disposition des victimes d’infractions quant aux décisions de ne pas intenter de poursuites; selon l’équipe une telle mesure assure aux victimes une plus grande transparence à cet égard.
Enfin, il a été rapporté à l’ERGCM que, tout comme au Canada, les délais constituent un problème majeur dans le système de cours martiales britannique, malgré les efforts déployés (par les tribunaux) pour les réduire, notamment en adoptant un système de gestion des dossiers.
5.2.6.1 Visite technique
Le 3 octobre 2016, deux membres de l’ERGCM se sont rendus en Norvège pour y effectuer une visite technique; ils y ont rencontré le JAG de la Norvège ainsi que deux de ses procureurs subalternes.
Le système de cours martiales de la Norvège doit être examiné dans le contexte général des forces armées norvégiennes. Les forces armées de la Norvège comptent environ 17 000 membres de la force régulière, auxquels s’ajoutent chaque année et pour une période de un an 7 000 conscrits. L’ERGCM a été informée qu’à l’heure actuelle, le public norvégien perçoit de façon très positive le service militaire, ce qui explique pourquoi les conscrits sont des jeunes extrêmement motivés et très performants.
En 2015, le système de cours martiales a traité environ 20 dossiers d’infractions criminelles.
5.2.6.2 Le système de cours martiales de la Norvège
5.2.6.2.1 Le statut et la structure institutionnelle des tribunaux et des cours ayant compétence à l’égard des infractions d’ordre militaire
En temps de paix, les tribunaux civils instruisent les affaires d’infraction militaire. Ces tribunaux peuvent être composés de juges militaires non professionnels, bien que cela soit rarement le cas dans la pratique. Les juges civils qui entendent les affaires militaires ne sont pas spécialisés dans le domaine militaire. S’agissant des infractions d’ordre militaire commises à l’étranger, les procès sont tenus en Norvège.
En temps de guerre, un certain nombre de tribunaux civils composés de juges militaires non professionnels (deux de la Cour de district et quatre de la Cour d’appel) instruisent les affaires militaires.
Seuls les militaires de plus de 25 ans, qui ont terminé leur service préparatoire ou un entraînement de base semblable et qui vivent en Norvège depuis au moins 3 ans, peuvent faire office de juge militaire non professionnel.
Les dispositions du code pénal militaire de la Norvège s’appliquent généralement au personnel militaire. Le personnel civil des forces armées peut être assujetti à ce code en temps de paix comme en temps de guerre, dans certaines circonstances.
Le plus long procès militaire tenu au cours des six dernières années a duré une journée.
5.2.6.2.2 Le statut et la structure institutionnelle du service chargé de la poursuite des infractions d’ordre militaire
En temps de paix, les infractions criminelles d’ordre militaire sont poursuivies autant par le service de poursuites militaire que par le service de poursuites civil. Il reste toutefois qu’en pratique, c’est le service de poursuites militaire qui poursuit ces infractions (c.-à-d. les manquements au code pénal militaire), avec l’approbation du procureur public, alors que le service de poursuites civil s’occupe des infractions criminelles de droit commun (c.-à-d. les manquements au code pénal civil).
En temps de guerre, le service des poursuites militaires traite généralement les dossiers d’ordre militaire sans avoir à obtenir l’approbation du procureur public.
Le service des poursuites militaires relève du procureur public, qui relève du directeur des poursuites pénales (DPP), qui exerce, pour sa part, ses fonctions sous la supervision du ministre de la Justice. En temps de guerre, le service des poursuites militaires relève directement du DPP.
Le service des poursuites militaires est un service à deux niveaux : le JAG des forces armées norvégiennes (qui est le principal représentant du service) et les juges-avocats nommés pour la Norvège septentrionale et la Norvège méridionale (leur nombre varie de trois à quatre, et ils ont chacun l’aide de deux juges-avocats adjoints).
En plus de s’occuper des poursuites militaires, les procureurs militaires sont également appelés à donner des conseils sur les dossiers disciplinaires, qui sont réglés par voie sommaire. Ils consacrent donc tout leur temps aux affaires militaires, qu’elles soient de nature criminelle ou disciplinaire.
Les procureurs militaires sont des avocats civils nommés par le ministre de la Justice. Ce dernier détermine le nombre de procureurs militaires, leur compétence et l’unité ou le service auquel ils sont affectés.
5.2.6.2.3 Le mécanisme par lequel les services d’un conseil sont fournis aux personnes accusées d’avoir commis une infraction d’ordre militaire
En Norvège, tous les avocats de la défense sont des civils. Dans la plupart des affaires militaires, comme dans les affaires d’infraction criminelle de droit commun, l’accusé a droit à ce que les coûts de sa défense soient assumés par l’État, grâce à un système national d’aide juridique de type général. Il incombe aux tribunaux de déterminer si les honoraires des avocats de la défense sont raisonnables.
5.2.6.2.4 Le corpus d’infractions d’ordre militaire
En temps de paix, seuls les manquements au code pénal militaire commis par des militaires sont considérés comme des infractions criminelles militaires. En temps de guerre, toute violation d’une disposition pénale commise par un militaire dans une zone militaire, dans un théâtre d’opérations ou à l’extérieur de la Norvège, est considérée comme une infraction criminelle militaire.
5.2.6.2.5 Les peines, les sanctions et les lois en matière de détermination de la peine applicables aux infractions d’ordre militaire
L’ERGCM n’a relevé aucune règle ou option spéciale digne de mention relativement à la détermination de la peine à imposer pour les infractions militaires.
5.2.6.2.6 Les règles de preuve applicables dans les procès relatifs à des infractions d’ordre militaire
Aucune règle de preuve spéciale, qui soit digne de mention, n’a été relevée relativement aux infractions d’ordre militaire.
5.2.6.2.7 Les droits, motifs et mécanismes d’appel dont disposent la poursuite et la défense
Ce sont les tribunaux civils qui entendent les appels liés à des infractions militaires. Quatre juges militaires non professionnels peuvent siéger à la Cour d’appel pour instruire les affaires d’infraction militaire, bien que ce soit rare en pratique.
5.2.6.2.8 Prise en compte des besoins spéciaux des groupes particuliers susceptibles d’interagir avec le système de justice militaire, dont les victimes, les jeunes et les contrevenants autochtones
Les victimes d’infractions sexuelles peuvent bénéficier d’une représentation juridique gratuite dans le cadre d’une procédure judiciaire.
5.2.6.3 Observations sur le système de cours martiales norvégien
L’ERGCM a pris acte des avantages qu’offre un service de poursuites spécialisé composé entièrement de civils, qui est distinct du service de conseillers juridiques opérationnels des forces armées. Un de ces avantages est la séparation nette qui existe entre les personnes chargées d’offrir des conseils sur le droit opérationnel et le droit des conflits armés et celles chargées d’intenter des poursuites en cas de manquement aux lois applicables à cet égard. L’ERGCM a été informée par les intervenants norvégiens que la civilarisation des procureurs était essentielle pour assurer l’indépendance et la légitimité de ces derniers, d’un point de vue objectif. L’ERGCM a appris que le grade aurait forcément une influence sur les procureurs, si ceux-ci faisaient partie des forces armées.
Un autre avantage d’un tel système est la spécialisation des membres du service de poursuites, qui acquièrent ainsi des connaissances en matière militaire, de même qu’une expertise en droit et procédure pénale. Toutefois, afin d’accroître l’expertise des membres du service de poursuites dans ces domaines, le service de poursuites militaires a suggéré d’envoyer un détachement auprès du bureau du procureur de l’État pour que les membres du service voient comment les crimes graves sont jugés et acquièrent une expérience pratique de travail. Le service de poursuites offre également des conseils à la chaîne de commandement sur les questions disciplinaires, ce qui permet à ses membres d’acquérir des connaissances sur le système militaire, grâce au volume de dossiers traités. En outre, cela permet de maintenir la distinction entre les conseillers juridiques opérationnels et les conseillers juridiques en matière de discipline et de s’assurer que les cas d’inconduite sont réglés au niveau approprié (p. ex., discipline par voie sommaire ou tribunal de juridiction criminelle), en se fondant sur une analyse juridique éclairée.
Quoi qu’il en soit, puisque la Norvège envisage de procéder à une réforme de son système de justice militaire, l’ERGCM a été informée des difficultés que la civilarisation du service des poursuites pouvait soulever. S’il fallait que les bureaux et les ressources du service des poursuites militaires fassent partie intégrante du bureau du procureur de l’État (ce qui n’est pas le cas actuellement en Norvège), les dossiers militaires risqueraient d’être éclipsés par les dossiers civils jugés plus graves et plus urgents.
5.2.7.1 Visite technique
Les 4 et 5 octobre 2016, deux membres de l’ERGCM ont effectué une visite technique au Danemark, où ils ont rencontré en personne le procureur général militaire, le procureur général adjoint et l’administrateur de projet du Danemark; le procureur militaire en chef et le chef des enquêtes militaires; le commandant de la compagnie de garde de la garde royale (Guard Company of the Royal Life Guards) et des membres de la magistrature civile danoise qui président les procès militaires.
L’ERGCM a été informée que le service militaire était perçu de façon très positive à l’heure actuelle au Danemark, comme c’était le cas en Norvège. Les conscrits danois ont également tendance à être des jeunes extrêmement motivés et très performants. En outre, l’ERGCM a été informée que les jeunes sont tellement motivés que les jeunes femmes, qui ne sont pas encore légalement visées par la conscription, mais qui peuvent tout de même effectuer leur service militaire, font souvent volontairement concurrence aux jeunes hommes conscrits pour pourvoir les postes vacants. Ces jeunes femmes sont choisies avant les hommes conscrits si elles répondent mieux que ces derniers aux critères de sélection.
Les forces de défense danoises comptent environ 15 000 membres de la force régulière et de 12 000 réservistes. Plus de 50 000 membres volontaires de la force de réserve peuvent également servir dans la garde nationale. Les forces de défense danoises participent régulièrement à des opérations internationales.
Au cours des 5 dernières années, 218 sanctions ont été imposées, en moyenne, à l’issue d’actions en justice intentées en vertu du code pénal militaire (en excluant les affaires visées par le code pénal civil et d’autres lois).
5.2.7.2 Le système de cours martiales danois
5.2.7.2.1 Le statut et la structure institutionnelle des tribunaux et des cours ayant compétence à l’égard des infractions d’ordre militaire
Les infractions criminelles d’ordre militaire sont jugées par des tribunaux de droit commun présidés, dans la plupart des cas, par un seul juge civil professionnel ou par un juge civil professionnel et deux juges civils non professionnels.
En temps de paix, la compétence militaire en matière pénale s’étend aux militaires en service actif et, dans certains cas, aux militaires libérés des forces. Lors de conflits armés, qu’ils aient lieu au Danemark ou à l’extérieur du pays, cette compétence peut s’étendre à tous les membres des forces armées et à toute personne, y compris les civils, qui accompagne une unité militaire.
5.2.7.2.2 Le statut et la structure institutionnelle du service chargé de la poursuite des infractions d’ordre militaire
Le service des poursuites militaires (Military Prosecution Service [MPS]) du Danemark est entièrement indépendant de la chaîne de commandement militaire. Le procureur général militaire dirige le MPS et rend compte directement au ministre de la Défense. Le procureur militaire en chef, qui relève du procureur général militaire, supervise les enquêtes et les poursuites en cours.
Bien qu’il soit membre des forces armées et qu’il ait le statut de militaire, le procureur général militaire ne détient aucun grade (bien qu’il porte un insigne distinct correspondant au grade de major-général) et ne relève donc d’aucun officier. Il en va de même pour l’ensemble des procureurs et des enquêteurs du MPS. Lorsqu’ils portent une affaire en justice au Danemark, les procureurs ne portent pas l’uniforme militaire, et leur bureau est établi à l’extérieur des bases militaires.
Le MPS est chargé des enquêtes et des poursuites relatives aux infractions au code pénal militaire et aux lois pénales ordinaires relatives au service militaire. Il est habilité à mener des enquêtes au Danemark et à l’étranger, dans les théâtres d’opérations. Il y a actuellement cinq postes de procureur militaire au Danemark.
5.2.7.2.3 Le mécanisme par lequel les services d’un conseil sont fournis aux personnes accusées d’avoir commis une infraction d’ordre militaire
Au Danemark, tous les avocats de la défense sont des civils. La défense d’un accusé est habituellement financée par leur association représentative (semblable à un syndicat) ou par le gouvernement, lorsqu’un avocat de la défense est désigné par le tribunal à partir d’une liste établie à cette fin.
Si un avocat est désigné par le tribunal pour représenter la personne accusée aux frais de l’État, cette dernière n’aura pas à contribuer financièrement aux frais de sa représentation, si elle est acquittée. Toutefois, si elle est reconnue coupable, elle devra rembourser l’intégralité des frais liés à sa défense (qui sont établis à partir des taux ou des tarifs normalement applicables à ce genre de dossier). Le tribunal détermine si les honoraires des avocats de la défense sont raisonnables.
5.2.7.2.4 Le corpus d’infractions d’ordre militaire
Dans le système de justice militaire danois, les infractions disciplinaires mineures sont jugées par des commandants des forces armées et sont entièrement distinctes des infractions criminelles d’ordre militaire, qui sont définies dans le code pénal militaire et qui ne peuvent être jugées que par les tribunaux de droit commun.
Le code pénal militaire prévoit une vaste gamme d’infractions liées au service militaire. Le MPS peut également poursuivre le militaire qui a commis une infraction civile lorsque la loi le prévoit (en général, lorsque les circonstances entourant l’infraction sont fortement liées au service militaire).
5.2.7.2.5 Les peines, les sanctions et les lois en matière de détermination de la peine applicables aux infractions d’ordre militaire
Au Danemark, il n’y a aucune différence en ce qui a trait aux peines que peuvent imposer les tribunaux de droit commun qui sont saisis d’une affaire militaire. Les tribunaux infligent aux contrevenants la peine qu’ils jugent appropriée en se fondant sur les lignes directrices en matière de détermination de la peine. Ils peuvent choisir d’imposer une peine d’emprisonnement, une amende ou toute autre sanction (p. ex., une ordonnance de service communautaire), selon la nature de l’infraction. Les tribunaux de droit commun ont également le pouvoir d’ordonner au contrevenant de dédommager les victimes ou de remettre aux autorités compétentes les revenus tirés d’activités criminelles.
Les tribunaux de droit commun ne peuvent pas imposer de sanctions militaires spéciales, mais la chaîne de commandement militaire conserve le pouvoir d’infliger des sanctions disciplinaires ou administratives ou de libérer les militaires fautifs.
5.2.7.2.6 Les règles de preuve applicables dans les procès relatifs à des infractions d’ordre militaire
Le droit commun de la preuve du Danemark s’applique aux poursuites militaires.
5.2.7.2.7 Les droits, motifs et mécanismes d’appel dont disposent la poursuite et la défense
Le droit commun danois en matière d’appel s’applique aux affaires militaires. En règle générale, le droit d’interjeter appel est automatique lorsqu’il s’agit d’infractions graves, alors qu’une autorisation d’appel doit être obtenue dans les cas d’infractions mineures. Une autorisation est requise pour interjeter appel devant la Cour suprême, et l’appel doit alors porter uniquement sur des questions de droit.
5.2.7.2.8 Prise en compte des besoins spéciaux des groupes particuliers susceptibles d’interagir avec le système de justice militaire, dont les victimes, les jeunes et les contrevenants autochtones
Les tribunaux danois doivent suivre les lignes directrices établies par l’organe exécutif du gouvernement, selon lesquelles tout procès pour une infraction avec violence doit commencer dans les 37 jours suivant le dépôt des accusations.
Les victimes peuvent interjeter appel, auprès du procureur général militaire, de la décision du procureur militaire en chef de ne pas intenter de poursuites dans un cas particulier.
5.2.7.3 Observations sur le système de cours martiales du Danemark
Tout d’abord, les intervenants danois ont affirmé que la structure du système de justice militaire du Danemark présente d’importants avantages, dont la séparation complète du système de discipline par voie sommaire, qui est de nature non pénale et qui est administré par la chaîne de commandement, et du système de justice pénale militaire, au sein duquel le MPS mène des enquêtes et intente des poursuites devant les tribunaux civils ordinaires. L’ERGCM a été informée que le système de discipline fonctionne bien, du point de vue des commandants, et qu’il est rare qu’on se demande si une affaire particulière doit être traitée comme une affaire de discipline jugeable sommairement ou comme un crime véritable. En cas de doute, toutefois, un procureur militaire est immédiatement consulté. Cette séparation totale permet aux commandants d’imposer rapidement des mesures disciplinaires équitables dans la majorité des cas soulevant des préoccupations; par ailleurs, les commandants n’ont pas exprimé le besoin d’établir, au sein de l’environnement opérationnel actuel, un système leur permettant d’imposer des sanctions pénales à leur niveau hiérarchique.
Il a été mentionné à l’ERGCM qu’il ne serait pas acceptable que les procureurs détiennent un grade militaire au Danemark, et ce, pour des raisons de politique juridique liées à la perception d’indépendance de ces derniers. L’ERGCM a été informée des avantages dont bénéficient les membres du MPS (y compris les procureurs et les enquêteurs qui relèvent directement de ces derniers) qui ont le statut de militaire, mais ne détiennent aucun grade. L’ERGCM a estimé qu’il s’agit là d’un atout permettant d’assurer l’indépendance objective des processus d’enquête et de poursuite, dans la mesure où il ne serait pas raisonnable de considérer que des personnes sans aucun grade militaire relèvent de la chaîne de commandement militaire habituelle ou subissent l’influence de cette dernière. Les membres de l’ERGCM ont appris que cela permettait aux plus novices des enquêteurs et des procureurs de contre-interroger librement les officiers les plus haut gradés. Toutefois, en étant membres des forces armées, les enquêteurs et, au besoin, les procureurs peuvent se rendre dans les théâtres d’hostilités en tant que combattants.
Pour l’ERGCM, l’un des avantages notables de ce système, où les membres du service de poursuites et d’enquêtes ne détiennent pas de grade militaire, concerne le procureur général militaire; en effet, ce dernier, tout comme les responsables des organismes de poursuites civils, relève directement d’un ministre et non des dirigeants des forces armées. Par ailleurs, puisque le procureur général militaire relève du ministre de la Défense et non du ministre de la Justice (ou du procureur général), il est raisonnable de présumer qu’il a le pouvoir de tenir compte des besoins en matière disciplinaire et des réalités de la vie militaire. L’ERGCM a été informée que les membres des forces armées sont conscients que le service des poursuites est un système indépendant de la chaîne de commandement et qu’ils estiment que ce système est équitable et objectif.
Toutefois, l’ERGCM a remarqué que le MPS danois se heurte parfois à certains problèmes internes de légitimité du fait qu’il est perçu comme étant distinct des forces ordinaires. Il arrive, à l’occasion, que les membres opérationnels des forces armées estiment que les décisions et les dossiers de poursuites ne tiennent pas compte de la réalité des conflits armés modernes.
De même, les membres de l’ERGCM estiment que le système danois, où les tribunaux civils ordinaires jugent les infractions criminelles d’ordre militaire, présente certains avantages. L’ERGCM a été informée que cette pratique a permis de renforcer considérablement la perception de légitimité au sein des forces armées danoises, puisque les militaires savent qu’ils seront traités de la même façon que tout autre citoyen danois, s’ils doivent subir un procès criminel.
L’ERGCM a constaté que ce système pourrait théoriquement présenter un désavantage, en ce que les tribunaux de droit commun du pays ne peuvent pas actuellement tenir de séances à l’étranger. Toutefois, l’ERGCM a remarqué que cela semblait jamais n’avoir causé de problèmes dans le système de justice militaire danois; en fait, on trouve d’excellents exemples de poursuites et de procès pour des infractions relatives aux opérations commises au cours d’un conflit armé à l’extérieur du Danemark (notamment en Afghanistan), qui se sont déroulés de manière efficace devant les tribunaux de droit commun danois. Dans de tels cas, les tribunaux danois ont largement recours à la technologie (p. ex., pour permettre à des témoins à l’étranger de témoigner).
En ce qui concerne les peines qui peuvent être imposées pour des infractions d’ordre militaire, l’ERGCM a été informée que les juges danois étaient satisfaits du fait que les peines sont les mêmes dans les systèmes de justice civil et militaire. Selon eux, les peines militaires, plus particulièrement, sont inappropriées dans le système de justice pénale, puisqu’elles ne sont et ne devraient être imposées que par les commandants.
5.2.8.1 Visite technique
Le 7 octobre 2016, deux membres de l’ERGCM ont rencontré des représentants du bureau du procureur général (Office of the Prosecutor General) de la Finlande, y compris le procureur d’État et l’un de ses procureurs de district, des représentants des forces de défense, y compris le chef de la division des services juridiques de l’état-major de la Défense (Legal Division of the Defence Staff), le conseiller juridique de l’officier chargé des enquêtes criminelles, un « officier de justice » militaire27 et, enfin, le Juge en chef de la Cour d’appel de Helsinki, ainsi que plusieurs juges de la division militaire de cette cour, y compris deux juges non professionnels.
Comme la Norvège et le Danemark, la Finlande fait appel à la conscription universelle pour recruter des soldats de sexe masculin. Les forces de défense finlandaises sont formées d’environ 8 000 membres de la force régulière et d’environ 25 000 conscrits, et environ 900 000 membres du personnel de la réserve peuvent être appelés à servir, au besoin. La Finlande déploie régulièrement les membres de sa force régulière dans le cadre d’opérations internationales.
Le nombre de cas d’infractions militaires varie approximativement de 300 à 500 par année. La grande majorité de ces cas sont liés à des absences et à des désertions.
5.2.8.2 Le système de cours martiales de la Finlande
5.2.8.2.1 Le statut et la structure institutionnelle des tribunaux et des cours ayant compétence à l’égard des infractions d’ordre militaire
Les affaires criminelles d’ordre militaire sont instruites par des tribunaux de compétence générale, conformément à la procédure applicable aux infractions criminelles relevant habituellement des tribunaux civils. Parmi les 27 cours de district du pays, 15 jugent les cas d’infractions militaires. La composition d’une cour de district est différente dans les cas d’infractions militaires, puisqu’elle est alors formée d’un président (un juge civil) et de deux membres des forces armées qui n’ont pas de formation juridique. Les cas d’infractions militaires sont traités de façon urgente.
La Cour d’appel nomme les militaires, pour une période de deux ans, en fonction des candidatures soumises par le commandant de l’armée finlandaise. Lorsque le militaire n’est pas tenu de siéger au tribunal, il réintègre ses fonctions habituelles. En échange de ses services, un militaire a droit à une rémunération, aux frais de l’État, pour chaque jour où il siège au tribunal, de même qu’à une indemnité quotidienne et à une indemnité pour frais de déplacement, conformément aux modalités approuvées par le ministère de la Justice. Les militaires doivent prêter serment en tant que juges avant de pouvoir siéger au tribunal. Les militaires sont l’équivalent des juges ordinaires sur le plan fonctionnel; par conséquent, ils font preuve d’indépendance lorsqu’ils prennent des décisions, et leurs gestes sont surveillés au même titre seulement que ceux des juges ordinaires.
Le système de justice militaire finlandais n’a compétence qu’à l’égard des affaires touchant le personnel militaire et les personnes qui effectuent leur service militaire. Une exception s’applique, toutefois, en temps de paix; en effet, le citoyen de sexe masculin qui ne se présente pas pour son service militaire obligatoire devra répondre d’une accusation d’absence sans permission devant une cour civile, dans sa version militaire, même s’il n’est encore qu’un civil.
Le seul tribunal ayant compétence pour statuer sur les infractions militaires commises à l’étranger est la Cour de district d’Helsinki. Dans de tels cas, la Cour peut siéger à l’étranger.
Si l’état de défense a été décrété, les tribunaux militaires peuvent alors être appelés à juger des représentants non militaires des forces armées, des personnes qui servent dans l’armée, mais qui ne sont pas des soldats, des personnes travaillant dans des organismes publics et des agents de la circulation ou des communications, s’ils relèvent d’un commandant des forces armées.
5.2.8.2.2 Le statut et la structure institutionnelle du service chargé de la poursuite des infractions d’ordre militaire
Le procureur général a nommé 40 procureurs, parmi les 300 procureurs civils du pays, pour qu’ils s’occupent des dossiers d’infraction militaire, en plus des dossiers criminels relevant des tribunaux civils. En moyenne, un procureur gère environ 200 dossiers par année, dont quelques-uns seulement sont liés à des infractions d’ordre militaire. Au besoin, les procureurs peuvent intenter des poursuites à l’étranger. Le pouvoir discrétionnaire de poursuivre du procureur est plus restreint dans les cas d’infractions militaires que dans les affaires criminelles habituelles : la décision de ne pas intenter de poursuite ne peut pas être fondée sur l’importance mineure de l’infraction.
Le service des poursuites de la Finlande est une organisation indépendante, qui fait partie du ministère de la Justice. Les forces de défense relèvent du ministère de la Défense et n’ont aucun lien fonctionnel ou administratif avec le service des poursuites.
En grande partie grâce à la conscription universelle, un pourcentage élevé de procureurs finlandais a acquis, à tout le moins, une certaine expérience du service militaire. Les personnes désignées à titre de procureurs militaires peuvent participer périodiquement à des séances de familiarisation et de formation dans des établissements militaires locaux afin de mieux comprendre les réalités de la vie militaire.
5.2.8.2.3 Le mécanisme par lequel les services d’un conseil sont fournis aux personnes accusées d’avoir commis une infraction d’ordre militaire
Dans les cas d’infraction d’ordre militaire, toute personne accusée se voit offrir, aux frais de l’État, les services d’un avocat chargé de la représenter, ce qui n’est pas le cas au civil. Il n’existe pas de seuil de revenu que la personne accusée doit respecter pour avoir droit gratuitement aux services d’un avocat. L’avocat qui la représente ne peut pas être un membre des forces de défense.
5.2.8.2.4 Le corpus d’infractions d’ordre militaire
En temps de paix, les tribunaux constitués à des fins militaires jugent les infractions militaires, comme les absences sans permission et la désobéissance à un ordre, ainsi que les infractions civiles, comme les vols et les agressions, à condition que la personne accusée soit un soldat et que l’infraction ait été commise à l’endroit d’un autre soldat des forces de défense. Pour toutes les autres infractions criminelles, la Cour de district siège comme à l’habitude, dans sa version non militaire.
En temps de guerre, des cours militaires distinctes peuvent être constituées pour statuer sur l’ensemble des infractions criminelles impliquant des soldats.
5.2.8.2.5 Les peines, les sanctions et les lois en matière de détermination de la peine applicables aux infractions d’ordre militaire
Le même régime de détermination de la peine s’applique aux civils et aux soldats.
5.2.8.2.6 Les règles de preuve applicables dans les procès relatifs à des infractions d’ordre militaire
Aucune règle de preuve spéciale, qui soit digne de mention, n’a été relevée relativement aux infractions d’ordre militaire.
5.2.8.2.7 Les droits, motifs et mécanismes d’appel dont disposent la poursuite et la défense
La Cour d’appel d’Helsinki entend les appels interjetés à l’égard des décisions de la Cour de district. Une autorisation d’appel est requise dans la plupart des cas d’infractions militaires.
La Cour d’appel d’Helsinki agit également à titre de tribunal de première instance lorsque la personne accusée détient le grade de major ou un grade supérieur ou qu’elle occupe un poste militaire équivalent.
La Cour suprême de la Finlande entend les appels interjetés à l’égard des décisions rendues par la Cour d’appel d’Helsinki. Une autorisation d’appel est requise dans les cas d’infractions militaires, sauf si la Cour d’appel entend les affaires militaires en première instance.
La formation régulière des différentes cours d’appel (la Cour d’appel et la Cour suprême) est complétée par deux militaires non professionnels. Lorsqu’il n’est pas tenu de siéger au tribunal, le militaire réintègre ses fonctions habituelles.
La Cour suprême choisit les militaires qui siègent à la Cour d’appel parmi les candidatures proposées par le ministère de la Défense. Le président de la République de Finlande nomme ceux siégeant à la Cour suprême.
5.2.8.2.8 Prise en compte des besoins spéciaux des groupes particuliers susceptibles d’interagir avec le système de justice militaire, dont les victimes, les jeunes et les contrevenants autochtones
En Finlande, les affaires militaires doivent être traitées de façon prioritaire par les procureurs.
5.2.8.3 Observations sur le système de cours martiales finlandais
Même si la Finlande s’appuie sur les procureurs civils et les tribunaux de droit commun pour les affaires d’infraction militaire, il reste que le niveau de spécialité de ces affaires est passablement élevé. Cette spécialité tient notamment au fait que des militaires en service actif agissent à titre de juges non professionnels, autant en première instance qu’en appel, dans les affaires d’infractions militaires. Ces officiers indépendants sur le plan juridique peuvent être considérés comme apportant leur expertise militaire au tribunal, tant au moment de tirer des conclusions de fait que lors de la détermination de la peine. L’ERGCM a été informée que les connaissances militaires et l’expérience communautaire des militaires siégeant au tribunal étaient très utiles dans le cadre du processus. Il semble qu’aux yeux de la personne accusée, la présence de militaires au tribunal confère une certaine légitimité au système. Par ailleurs, les militaires sont perçus comme étant très fiables en Finlande; les conclusions qu’ils tirent et les peines qu’ils imposent sont très semblables à celles des tribunaux civils.
L’ERGCM a pris note de certains risques potentiels liés à cet aspect du système finlandais. Par exemple, il semble que le fait d’avoir recours à des juges non professionnels accroît le risque qu’un tribunal soit perçu comme s’appuyant sur des faits et non sur des éléments de preuve pour rendre un verdict de culpabilité ou pour déterminer une peine. Par contre, ce risque potentiel peut être atténué par le fait que les acteurs du système judiciaire sont généralement perçus comme agissant de façon appropriée et conforme à la loi; la seule présence d’un juge civil professionnel au tribunal permet également d’atténuer considérablement ce risque. Toutefois, certains intervenants se demandaient s’il était vraiment nécessaire que des militaires siègent en tant que juges dans les affaires militaires. Ils ont laissé entendre que le témoignage d’experts pourrait fournir aux juges professionnels les renseignements dont ils ont besoin, ce qui pourrait être perçu comme étant plus transparent. En outre, l’ERGCM a été informée que les militaires siégeant au tribunal ne possèdent parfois pas l’expertise ou les connaissances militaires nécessaires pour l’affaire dont ils sont saisis (p. ex., une affaire concernant un accident de la force aérienne où aucun militaire siégeant au tribunal ne possède de connaissances sur les opérations aéroportuaires).
Les militaires siégeant au tribunal (qui exécutent de façon indépendante leurs fonctions judiciaires tout au long de leur mandat à durée déterminée) doivent continuer à s’acquitter au jour le jour de leurs fonctions militaires habituelles, sauf lorsqu’ils sont appelés à siéger au tribunal dans une affaire donnée. Bien que les membres de l’ERGCM aient fait remarquer qu’un tel système pourrait, selon les lois constitutionnelles canadiennes, soulever des questions concernant l’indépendance objective de tels juges militaires « à temps partiel », ils ont été informés que ce système particulier avait probablement été adopté par nécessité, compte tenu de la petite taille des forces armées régulières de la Finlande et, plus particulièrement, du corps des officiers.
La cour de district d’Helsinki peut tenir des séances à l’étranger, mais cela semble très rarement être le cas puisqu’il est plus pratique de les tenir en Finlande. Quoi qu’il en soit, il semble qu’il n’y ait jamais eu de problème à trouver un juge civil disposé à siéger à l’étranger. Selon un juge rencontré par l’ERGCM, cela fait partie de leurs fonctions judiciaires.
Enfin, les membres de l’ERGCM ont appris que les commandants ont tendance à trouver que les peines imposées ne sont pas assez sévères et que le processus est trop lent (cela crée des problèmes lorsque les militaires doivent être déployés).
5.2.9.1 Visite technique
Du 7 au 9 novembre 2016, deux membres de l’ERGCM ont effectué une visite technique en personne en France, où ils ont rencontré les personnes suivantes :
- des magistrats militaires, des greffiers militaires et des militaires du rang supérieurs de la Division des affaires pénales militaires du ministère de la Défense;
- des officiers supérieurs de la Gendarmerie prévôtale (la PM nationale);
- des magistrats civils du parquet spécialisés dans les affaires militaires;
- des magistrats d’instruction civils spécialisés dans les affaires militaires;
- des officiers d’état-major représentant le chef d’état-major des armées;
- la directrice de la Direction des affaires juridiques du ministère de la Défense.
Les forces armées françaises sont formées d’environ 208 000 membres de la force régulière, de 98 000 membres de la Gendarmerie nationale (police paramilitaire nationale, qui comprend un certain nombre d’éléments constitutifs spécialisés) et de 28 000 réservistes. La France participe activement à un certain nombre d’opérations internationales et de déploiements opérationnels à l’étranger, et plus de 10 000 militaires français sont déployés à l’étranger en tout temps, plus particulièrement en Afrique et au Moyen-Orient. La conscription a été abolie en France en 2001.
5.2.9.2 Le système de cours martiales de la France
5.2.9.2.1 Le statut et la structure institutionnelle des tribunaux et des cours ayant compétence à l’égard des infractions d’ordre militaire
Il existe en droit français deux systèmes distincts permettant de traiter les cas d’infractions militaires : en principe, l’un doit servir en temps de paix, et l’autre en temps de crise ou de guerre.
Le système utilisé en temps de paix offre trois possibilités distinctes en matière de compétence pour juger les infractions commises par le personnel militaire. Premièrement, les infractions d’ordre purement civil, qui ne sont pas commises dans le cadre du service militaire, sont jugées par l’un des 32 tribunaux de district civils de la France (juridiction de droit commun). Deuxièmement, les infractions exclusivement militaires et les infractions civiles commises dans le cadre du service militaire, en France (sauf dans la région de Paris), sont jugées dans l’une des 8 juridictions civiles régionales de la France, qui sont spécialisées dans les affaires militaires (juridiction de droit commun spécialisée en matière militaire). Troisièmement, les infractions exclusivement militaires et les infractions civiles commises dans le cadre du service militaire, dans la région de Paris ou dans le cadre d’opérations à l’extérieur de la France, sont jugées par les cours de district de la juridiction de droit commun spécialisée en matière militaire de Paris. Les tribunaux ne peuvent pas tenir de séances à l’étranger.
Dans ces trois types de situations, les cas de moindre gravité sont traités par le tribunal de grande instance, tandis que les affaires plus graves sont instruites par la cour d’assises. Contrairement aux tribunaux de district civils ordinaires, la cour d’assises de juridiction civile spécialisée dans les affaires militaires siège sans jury.
Par ailleurs, dans les juridictions civiles spécialisées en matière militaire, les magistrats d’instruction spécialisés en la matière sont assistés par des greffiers militaires, qui sont également des officiers et des militaires du rang. Ces greffiers sont des militaires de carrière, qui suivent une formation juridique ou parajuridique et qui assument des fonctions judiciaires auxiliaires, en aidant les magistrats d’instruction à mieux comprendre, entre autres, les aspects militaires d’une affaire donnée. En général, le nombre de dossiers militaires traités par un magistrat d’instruction spécialisé ne représente qu’un faible pourcentage de sa charge de travail.
En cas d’état de siège ou en temps de guerre, la loi française autorise le rétablissement des tribunaux militaires par décret-loi. La compétence de ces tribunaux dépend du lieu où l’infraction a été commise; si l’infraction a eu lieu en France, la compétence est conférée aux tribunaux territoriaux des forces armées ou au Haut Tribunal des forces armées, alors que si elle est commise à l’étranger, ce sont les tribunaux militaires aux armées qui ont compétence. Tous ces tribunaux sont constitués d’officiers et d’au moins un juge civil et ont compétence pour juger toutes les infractions commises par le personnel militaire, dans le cadre du service militaire ou autre.
5.2.9.2.2 Le statut et la structure institutionnelle du service chargé de la poursuite des infractions d’ordre militaire
Tout comme pour le système de cours et de tribunaux de la France, il existe trois possibilités distinctes en ce qui a trait aux services de poursuites, dans les cas d’infractions commises par le personnel militaire. Premièrement, les infractions d’ordre purement civil, qui ne sont pas commises dans le cadre du service militaire, sont traitées par les procureurs (magistrats du parquet) dans l’un des 164 districts judiciaires civils ordinaires de la France. Deuxièmement, les infractions exclusivement militaires et les infractions civiles commises dans le cadre du service militaire, en France (sauf dans la région de Paris), sont traitées par les procureurs civils des bureaux de district des services de poursuites, dans l’une des 8 juridictions civiles régionales de la France, qui sont spécialisées dans les affaires militaires. Troisièmement, une section spéciale a été mise sur pied, en 2012, au sein du bureau du procureur de Paris pour traiter les infractions exclusivement militaires et les infractions civiles commises dans le cadre du service militaire, dans la région de Paris ou dans le cadre d’opérations à l’extérieur de la France.
Au bureau des poursuites spéciales de Paris, deux magistrats du parquet sont affectés à temps plein aux affaires militaires. Dans les huit autres bureaux régionaux qui relèvent des juridictions spécialisées en matière militaire, les dossiers militaires ne représentent qu’un faible pourcentage de la charge de travail des magistrats du parquet, qui doivent également s’occuper des poursuites d’ordre purement civil dans le cadre de leurs activités quotidiennes.
Dans le bureau des poursuites spéciales de Paris et les huit autres bureaux régionaux qui relèvent des juridictions spécialisées en matière militaire, les magistrats du parquet sont assistés par des greffiers militaires qui, entre autres choses, apportent au bureau du procureur un certain niveau de connaissances et d’expérience du domaine militaire.
Dans toutes les juridictions françaises, les magistrats du parquet sont complètement indépendants de la chaîne de commandement militaire habituelle.
Le ministre de la Défense doit fournir des conseils à ces procureurs civils concernant chaque affaire militaire avant que ceux-ci ne décident d’intenter ou non des poursuites contre un militaire. Ces conseils, qui sont le plus souvent fournis par des représentants officiels des forces armées au nom du ministre de la Défense, ont pour objectif d’informer les magistrats du parquet des intérêts militaires en jeu dans une affaire donnée, en portant à leur attention divers facteurs, tels que le comportement antérieur de la personne accusée, toute mesure en suspens concernant sa carrière et toute peine disciplinaire qui lui a été imposée pour des infractions non criminelles.
5.2.9.2.3 Le mécanisme par lequel les services d’un conseil sont fournis aux personnes accusées d’avoir commis une infraction d’ordre militaire
En temps de paix, un militaire accusé peut avoir recours aux services d’un avocat ou d’un autre militaire, qui n’a pas forcément suivi de formation en tant qu’avocat. Les frais liés aux services de l’avocat sont payés par l’État si l’infraction dont la personne est accusée a été commise dans le contexte militaire et non strictement dans le cadre de la vie personnelle de l’accusé.
En temps de guerre, sur le territoire français, les personnes accusées d’une infraction ont également droit aux services d’un avocat ou d’un autre militaire. À l’extérieur du pays, les personnes accusées peuvent aussi être représentées par un officier défenseur dont le nom figure sur une liste établie en vue d’offrir des services spéciaux en matière de justice militaire.
5.2.9.2.4 Le corpus d’infractions d’ordre militaire
Le Code pénal français définit toutes les infractions civiles, tandis que le Code de justice militaire fait état des infractions exclusivement militaires comme la désertion, le complot militaire et la désobéissance à un ordre. Les affaires liées aux infractions exclusivement militaires sont toujours instruites par des tribunaux de juridiction civile spécialisés dans les affaires militaires, à moins que les tribunaux militaires n’aient été rétablis en vertu d’un décret-loi.
5.2.9.2.5 Les peines, les sanctions et les lois en matière de détermination de la peine applicables aux infractions d’ordre militaire
En règle générale, les tribunaux qui jugent les infractions militaires imposent les mêmes peines que les tribunaux purement civils. Ces peines sont imposées conformément aux principes de détermination de la peine, qui s’appliquent aussi bien dans l’ensemble du système de justice pénale que du système de justice militaire. Toutefois, les tribunaux qui traitent les affaires liées à une infraction militaire peuvent également imposer une peine de rétrogradation ou de destitution, qui peut avoir de graves répercussions sur le droit à pension du contrevenant, de même que sur son droit de porter son insigne, entre autres choses.
5.2.9.2.6 Les règles de preuve applicables dans les procès relatifs à des infractions d’ordre militaire
Aucune règle de preuve spéciale ne s’applique lors des procès relatifs à des infractions militaires.
5.2.9.2.7 Les droits, motifs et mécanismes d’appel dont disposent la poursuite et la défense
En temps de paix, le processus d’appel relatif aux infractions militaires n’est pas différent de celui qui existe pour les infractions criminelles de droit commun.
En temps de guerre, un processus d’appel distinct serait établi pour permettre aux accusés d’interjeter appel de la décision initiale d’un tribunal militaire. La décision rendue en première instance serait examinée par le même tribunal militaire que celui qui a rendu la décision, mais il s’agira d’une formation différente. Par ailleurs, si un tel examen s’avère impossible, la décision pourrait alors être examinée par un tribunal désigné à cette fin par la chambre criminelle de la Cour de cassation. Dans certaines circonstances, il peut être interjeté appel devant la Cour de cassation des décisions définitives rendues par les tribunaux militaires.
5.2.9.2.8 Prise en compte des besoins spéciaux des groupes particuliers susceptibles d’interagir avec le système de justice militaire, dont les victimes, les jeunes et les contrevenants autochtones
Aucune règle de procédure ou règle de fond particulière se rattachant aux infractions militaires n’a été relevée pour les groupes particuliers ayant des besoins spéciaux.
5.2.9.3 Observations sur le système de cours martiales français
Il existe encore à ce jour, en France, une forme de justice spécialisée pour juger les infractions militaires, en dépit des allégations voulant que le système de justice militaire ait été aboli dans ce pays28. Bien que les membres des forces armées ne participent pas directement aux poursuites intentées ou aux décisions rendues dans les cas d’infractions militaires, ils continuent d’y prendre part de façon indirecte ou d’exercer une influence à cet égard (p. ex., par l’entremise des greffiers militaires, qui travaillent dans les bureaux des magistrats du parquet et des magistrats d’instruction, ou suivant l’obligation pour les procureurs de solliciter les conseils du ministre de la Défense avant de décider d’intenter ou non des poursuites pour une infraction d’ordre militaire). En outre, les militaires accusés restent assujettis à certaines procédures différentes (p. ex., ils ne sont pas jugés par un jury à la cour d’assises), et les contrevenants militaires peuvent se voir imposer d’autres peines (p. ex., la rétrogradation). Compte tenu de ces différences, les membres de l’ERGCM sont d’avis qu’il serait trompeur de prétendre [traduction] « qu’il n’y a qu’une seule justice en France puisque les soldats sont d’abord et avant tout des citoyens »29,. En France, les militaires sont soumis à une forme de justice criminelle qui diffère quelque peu de la justice qui s’applique aux citoyens ordinaires.
En outre, l’ERGCM a été informée que les différences de procédure ou de structure qui existent entre les tribunaux civils de juridiction criminelle et les juridictions spécialisées en matière militaire visent généralement à s’assurer que les décideurs des tribunaux spécialisés ont accès aux connaissances militaires appropriées. Ces connaissances militaires proviennent, à différents degrés, des greffiers qui ont travaillé avec les magistrats du parquet et les magistrats instructeurs, des principaux acteurs au sein des neuf juridictions spécialisées qui ont acquis une expertise au fil du temps en traitant divers dossiers militaires (particulièrement dans la région de Paris, où les magistrats du parquet travaillent à temps plein sur ces dossiers) et des procureurs qui ont l’obligation de solliciter les conseils du ministre de la Défense sur les intérêts militaires en jeu dans une affaire et les circonstances pertinentes de celle-ci. De manière générale, il semble que ces mesures permettent effectivement d’obtenir les connaissances militaires requises, même si des membres de la chaîne de commandement militaire estiment parfois que dans des cas particuliers, les autres acteurs civils du système de justice ne comprennent pas suffisamment bien certaines questions militaires.
L’ERGCM a été informée que le recours à des magistrats du parquet civils chevronnés pour traiter les affaires liées à des infractions militaires permettait clairement de réaliser des gains d’efficacité. Par exemple, dans le bureau des poursuites régional de Paris, deux magistrats du parquet spécialisés en matière militaire traitent tous les dossiers de la région de Paris liés aux infractions exclusivement militaires et aux infractions civiles commises dans le cadre du service militaire, ainsi que tous les dossiers provenant de l’extérieur de la France liés à des infractions perpétrées par le personnel militaire. Ensemble, ces deux magistrats du parquet traitent environ 800 dossiers par année (et assurent, dans une certaine mesure, la supervision des enquêtes policières). Sur ces 800 dossiers, certains n’exigent aucune mesure supplémentaire, alors que d’autres sont réglés autrement que par voie judiciaire ou sont renvoyés au juge d’instruction en vue d’une enquête plus approfondie, et environ 100 d’entre eux sont portés devant les tribunaux. Dans les autres dossiers qui ne sont pas portés devant les tribunaux, les procureurs peuvent décider de ne pas déposer d’accusations immédiatement ou (comme leurs collègues du système de justice purement civil) de régler le dossier au moyen de solutions de rechange aux poursuites fondées sur le consentement (comme les « mesures de rechange » au Canada), en demandant, entre autres, à la personne accusée d’entreprendre une médiation, de suivre une thérapie ou de respecter certaines conditions.
En outre, le fait d’avoir recours à des juges civils pour statuer sur les infractions commises à l’extérieur de la France ne semblait pas poser de difficultés majeures sur le plan pratique ou juridique, même si ces juges ne peuvent pas tenir de cours martiales à l’étranger. Par exemple, dans les cas où un juge d’instruction était chargé de superviser une enquête (comme cela est souvent le cas dans bon nombre de pays de droit civil, plus particulièrement dans les affaires plus graves ou plus complexes), ce dernier devait s’assurer que les enquêteurs de police, où qu’ils soient dans le monde, étaient en mesure de le joindre par téléphone ou par tout autre moyen, et devait, au besoin, se rendre sur les lieux de l’infraction faisant l’objet de l’enquête. L’ERGCM a été informée que la croyance selon laquelle les cours martiales devaient pouvoir être déployées était considérée comme « hors du temps », compte tenu de l’étendue des ressources de protection des forces qu’il faudrait mobiliser pour assurer la sécurité de la cour et du fait que la tenue d’un procès détournerait l’attention des militaires de l’objet de la mission.
Enfin, dans la pratique, on observe une collaboration et une liaison importantes entre le ministère de la Défense et les divers magistrats spécialisés en matière militaire. D’abord, plusieurs de ces magistrats sont affectés à un poste au sein des forces armées, où ils détiennent un grade particulier, comme celui de magistrat colonel ou de magistrat lieutenant-colonel, pour toute la durée de leur affectation. Lorsqu’ils réintègrent leur poste de magistrat civil, ils se voient retirer leur grade et cessent d’être considérés comme faisant partie des forces armées. Les magistrats militaires assurent, en quelque sorte, la liaison entre les forces armées (d’une part) et les magistrats du parquet et les magistrats d’instruction des juridictions civiles spécialisées en matière militaire (d’autre part). Les magistrats militaires offrent également aux magistrats civils la possibilité de mieux comprendre les opérations militaires et de parfaire leur formation. Il appert clairement que tant les membres de la chaîne de commandement opérationnelle que les magistrats civils spécialisés jugent essentielle la présence des magistrats militaires dans le système global utilisé pour traiter les cas d’infractions militaires en France.
5.2.10.1.1 Visite technique
Les 10 et 11 novembre 2016, deux membres de l’ERGCM ont effectué une visite technique en personne aux Pays-Bas, où ils ont rencontré les personnes suivantes :
- le directeur général des services juridiques militaires des Pays-Bas (Dutch Military Legal Service) et plusieurs officiers d’état-major membres du personnel juridique au quartier général;
- un conseiller juridique supérieur civil travaillant pour le ministère de la Défense des Pays-Bas;
- deux procureurs civils du bureau de district du procureur public (District Public Prosecutor’s Office) d’Arnhem, qui font partie de la division des affaires militaires (Division of Military Affairs [DMA]) de ce bureau et qui se consacrent à temps plein aux poursuites intentées relativement aux infractions militaires;
- l’officier de liaison militaire principal, qui fait partie de la DMA du bureau du procureur public;
- l’agent de liaison de la Maréchaussée (PM), qui fait partie de la DMA du bureau du procureur public;
- un conseiller juridique civil actuellement en poste et un ancien conseiller juridique du centre d’expertise en droit militaire (Expertise Centre for Military Law [le centre d’expertise]), qui fait partie de la DMA du bureau du procureur public;
- un procureur civil du bureau de l’avocat général (qui est responsable des appels dans les dossiers civils et militaires);
- un militaire (juge) de la chambre militaire de la Cour de district (Military Chamber of the District Court) d’Arnhem;
- les juges civils qui président la chambre militaire de la Cour d’appel et de la Cour de district d’Arnhem, respectivement.
Les forces armées néerlandaises sont formées d’environ 45 000 membres de la force régulière et de 32 000 membres de la force de réserve. Au sein de la force régulière, l’armée de terre, la marine et la force aérienne comptent environ 20 000, 12 000 et 7 000 militaires, respectivement. La Maréchaussée (force de police paramilitaire nationale) comprend environ 6 000 membres chargés d’assurer, pour la plupart, la sécurité à la frontière; seulement 600 d’entre eux environ assument les fonctions traditionnelles des policiers militaires. Les forces armées néerlandaises participent activement à des opérations et à des exercices d’entraînement multinationaux; à l’heure actuelle, environ 1 300 militaires sont déployés dans le cadre d’opérations (principalement en Afrique et au Moyen-Orient).
5.2.10.2 Le système de cours martiales des Pays-Bas
5.2.10.2.1 Le statut et la structure institutionnelle des tribunaux et des cours ayant compétence à l’égard des infractions d’ordre militaire
Aux Pays-Bas, tous les crimes commis par des membres du personnel militaire sont traités par la chambre militaire de la Cour de district (civile) d’Arnhem, et tous les appels sont entendus par la chambre militaire de la Cour d’appel (civile) du district d’Arnhem.
Dans toute affaire donnée, la chambre militaire de la Cour de district est composée soit d’un juge civil, soit de deux juges civils et d’un militaire, alors que la chambre militaire de la Cour d’appel est formée de deux juges civils et d’un militaire. Chacune de ces cours compte trois militaires (en général, un pour chaque branche des forces armées, soit l’armée de terre, la marine et la force aérienne, et chacun d’eux détient le grade de colonel à la Cour de district et de brigadier-général à la Cour d’appel) et jusqu’à 40 juges civils, qui peuvent tous être appelés, à tour de rôle, à siéger à la chambre militaire en vue d’instruire un procès particulier.
Ces militaires sont des avocats militaires qualifiés. Il existe des règles précises qui assurent l’indépendance des militaires afin qu’ils ne soient pas influencés par la chaîne de commandement et qui leur confèrent le même statut juridique et les mêmes protections qu’aux juges. Les militaires sont nommés par décret royal pour une période de quatre ans, suivant la recommandation du ministre de la Sécurité et de la Justice et l’approbation du ministre de la Défense. Le mandat de quatre ans de ces militaires peut être renouvelé deux fois. Les militaires sont également nommés à titre de juges suppléants de la Cour de district ou de la Cour d’appel (selon le cas); ils doivent suivre la même formation préalable et obtenir les mêmes certifications que les juges civils et peuvent donc siéger également en tant que juges civils dans les affaires non militaires.
Dans la pratique, les militaires siégeant à la Cour de district partagent leur temps entre leurs fonctions de juges (c.-à-d. les militaires siégeant à la chambre militaire) dans les affaires militaires et leurs fonctions de juges suppléants dans les affaires civiles, en plus d’enseigner aux membres des forces armées le droit militaire à l’Académie de la défense des Pays-Bas (Netherlands Defence Academy) et d’organiser pour tous les membres de la chambre militaire des visites opérationnelles au sein des unités militaires et dans le cadre d’exercices ou de missions militaires. Les militaires de la Cour d’appel sont généralement appelés à siéger un seul jour par mois environ pour entendre les appels liés à des infractions d’ordre militaire. Ils peuvent également agir comme président dans les appels liés à des infractions civiles (quoique cela soit moins courant), et ils occupent à temps plein des postes d’avocats militaires principaux au sein des forces armées, lorsqu’ils n’exercent pas leurs fonctions de président.
La compétence de la chambre militaire, qui peut tenir des séances à l’étranger, se limite au personnel militaire : membres de la force régulière, membres volontaires, conscrits (bien que la conscription soit suspendue depuis 1996), réservistes (lorsqu’ils sont effectivement en service) et, dans des circonstances très limitées, certains civils.
Au sein de la chambre militaire de la cour de district, les affaires simples sont jugées par un seul juge civil. Les affaires plus complexes et celles où le procureur cherche à obtenir une peine d’emprisonnement de plus d’un an sont instruites par la chambre militaire siégeant au complet, laquelle est formée d’un juge civil professionnel agissant à titre de président, d’un deuxième juge civil et d’un militaire. Les décisions sont prises par vote majoritaire, mais la chambre ne rend qu’une seule décision sans préciser si une voix dissidente s’est fait entendre lors des délibérations secrètes des juges. Comme l’a fait remarquer le major Bas van Hoek, [traduction] « en moyenne, 10 p. 100 des affaires sont instruites par l’ensemble des membres de la chambre militaire et 60 p. 100 par un seul juge. Le reste des affaires traitées concernent des infractions mineures30. »
5.2.10.2.2 Le statut et la structure institutionnelle du service chargé de la poursuite des infractions d’ordre militaire
La responsabilité de superviser les enquêtes et les poursuites liées aux infractions criminelles commises par des membres des forces armées néerlandaises incombe à la DMA du bureau de district du procureur public d’Arnhem. Cette division spéciale des services de poursuites civiles est actuellement composée de deux procureurs publics civils, de trois greffiers, de deux conseillers juridiques civils du centre d’expertise, de deux agents de liaison des forces armées et d’un agent de liaison de la Maréchaussée royale néerlandaise (police).
Les procureurs de la division sont des avocats civils qui, en raison du nombre relativement peu élevé de dossiers d’infraction militaire, s’occupent aussi des dossiers portant sur des infractions commises par des civils. Comme l’a fait remarquer le major Bas van Hoek, [traduction] « les procureurs publics ont acquis leur expertise en exerçant quotidiennement leur métier, en suivant des formations sur le droit militaire, en assistant aux exposés donnés par les unités militaires et en visitant les unités déployées31 ». Les procureurs civils peuvent être déployés dans les théâtres d’opérations, au besoin, bien que cela soit très rarement le cas32. La plupart du temps, ils gèrent les dossiers depuis les Pays-Bas (c’est ce qui est arrivé dans des dossiers portant sur des infractions commises en Afghanistan, au Mali et en Iraq).
Le rôle du centre d’expertise, qui a été établi en 2007, est d’offrir au procureur public un soutien juridique opérationnel en matière militaire. Les conseillers juridiques qui travaillent au centre d’expertise doivent être des civils possédant une expérience juridique pertinente relative aux opérations (p. ex., ils ont déjà participé à des missions en tant que conseillers juridiques militaires). Les procureurs et les conseillers juridiques du centre d’expertise sont entièrement indépendants de la chaîne de commandement militaire et ne relèvent pas du ministère de la Défense.
Le rôle des agents de liaison est de faciliter la communication entre le service des poursuites pénales et le ministère de la Défense, en offrant un soutien au procureur public pour ce qui touche les questions d’organisation militaire, les procédures opérationnelles et les règles et règlements militaires pertinents.
Bien que différentes sources d’information et mesures de soutien soient mises à la disposition des procureurs publics, notamment par l’entremise des agents de liaison militaires de la division, la décision d’intenter ou non une action en justice incombe exclusivement aux procureurs publics, qui prennent cette décision de façon indépendante.
5.2.10.2.3 Le mécanisme par lequel les services d’un conseil sont fournis aux personnes accusées d’avoir commis une infraction d’ordre militaire
Les personnes accusées qui se trouvent en détention provisoire peuvent avoir recours aux services d’un conseiller juridique, aux frais de l’État.
Celles qui ne sont pas ainsi détenues peuvent obtenir une aide juridique, si elles n’ont pas les moyens de retenir les services d’un conseiller juridique. Ces personnes sont appelées à verser une modeste contribution, dont le montant varie en fonction de leur revenu.
Les personnes accusées peuvent également recevoir l’aide d’un officier disposé à assurer gratuitement leur défense. Il n’est pas nécessaire que ces officiers aient un bagage juridique, puisqu’ils ne sont pas tenus d’offrir un soutien ou des conseils juridiques éclairés. La tâche de l’officier défenseur est d’aider l’accusé dans les affaires relativement simples et d’expliquer à la cour les aspects particuliers du contexte militaire, qui sont liés au comportement de l’accusé et à l’infraction militaire.
Dans la pratique, une entente a été conclue afin de permettre au ministère de la Défense d’offrir une compensation pour rembourser les services d’un avocat de la défense, dans certaines circonstances particulières.
5.2.10.2.4 Le corpus d’infractions d’ordre militaire
Le code criminel (Criminal Code) et le code criminel militaire (Military Criminal Code), qui établit un régime légal complémentaire relativement modeste, s’appliquent tous deux à l’ensemble du personnel militaire. Le code criminel militaire définit un certain nombre d’infractions d’ordre militaire, comme les absences sans permission et la désobéissance à un ordre ou à un règlement relatif au service.
La chambre militaire tranche en général les affaires portant sur des infractions militaires ou des infractions de droit commun commises par des membres du personnel militaire.
Comme l’a fait remarquer le major Bas van Hoek, [traduction] « on a observé une réduction du nombre d’infractions criminelles militaires, en général, et du nombre d’infractions typiquement militaires, en particulier. La plupart des affaires concernent des infractions aux lois en matière criminelle qui ont été commises par des militaires, alors que ceux-ci n’étaient pas en service actif, et qui ne présentent aucun lien avec les forces armées ni aucun attribut de nature militaire. Ces infractions ont peu ou pas d’incidence sur les forces armées33. »
Pour qu’une inconduite soit considérée comme étant criminelle, un certain seuil doit être atteint (autrement, le contrevenant sera assujetti uniquement au droit disciplinaire). Le critère servant à distinguer les infractions d’ordre militaire des infractions disciplinaires est le suivant : si l’une des conséquences immédiates et directes de l’infraction est une atteinte réelle ou potentielle à l’état de préparation d’une unité des forces armées qui s’apprête à réaliser une opération ou un exercice, si la vie d’une autre personne est menacée ou risque de l’être, ou si un danger généralisé menace les biens ou risque de les menacer, l’infraction devrait alors être considérée comme étant de nature criminelle.
5.2.10.2.5 Les peines, les sanctions et les lois en matière de détermination de la peine applicables aux infractions d’ordre militaire
La chambre militaire applique le régime de peines du système de justice civil, ainsi que le régime établi en vertu du droit criminel militaire (p. ex., emprisonnement de militaires). Toutefois, la peine maximale qui peut être imposée pour bon nombre d’infractions d’ordre militaire est plus sévère en temps de guerre qu’en temps de paix.
5.2.10.2.6 Les règles de preuve applicables dans les procès relatifs à des infractions d’ordre militaire
Le droit de la preuve est le même pour la chambre militaire et pour les tribunaux civils. Aucune règle de preuve spéciale, qui soit digne de mention, n’a été relevée relativement aux infractions d’ordre militaire.
5.2.10.2.7 Les droits, motifs et mécanismes d’appel dont disposent la poursuite et la défense
Aucune règle spéciale digne de mention n’a été relevée relativement aux droits, aux motifs et aux mécanismes d’appel dans les affaires d’infraction militaire aux Pays-Bas; la seule exception vient du fait que la chambre militaire de la Cour d’appel du district d’Arnhem a compétence exclusive pour entendre les appels dans les affaires d’infraction militaire, ainsi que les plaintes des victimes quant à la décision d’un procureur public de la DMA d’intenter ou non des poursuites. La chambre militaire de la Cour d’appel est formée de deux juges civils et d’un militaire.
La Cour suprême des Pays-Bas, qui entend les appels en dernière instance dans les affaires militaires, ne possède pas de chambre militaire.
Dans bien des cas, il est nécessaire d’obtenir une autorisation afin de pouvoir interjeter appel devant la chambre militaire de la Cour d’appel d’une décision rendue par la chambre militaire de la Cour de district. Toutefois, dans la pratique, la Cour d’appel a tendance à accorder très facilement les autorisations d’appel. La chambre militaire de la Cour d’appel entend de 30 à 40 appels chaque année, répartis sur environ 10 séances d’une demi-journée chacune.
5.2.10.2.8 Prise en compte des besoins spéciaux des groupes particuliers susceptibles d’interagir avec le système de justice militaire, dont les victimes, les jeunes et les contrevenants autochtones
Toute personne ayant un intérêt direct dans une affaire peut contester une décision de ne pas intenter de poursuites en déposant une plainte auprès de la Cour d’appel. Si la Cour estime que la plainte est fondée, le service des poursuites pénales doit s’adresser à la Cour de district.
5.2.10.3 Observations sur le système de cours martiales néerlandais
Les membres de l’ERGCM ont manifesté un intérêt particulier à l’égard de la structure de la chambre militaire des cours de première instance et d’appel, puisqu’elle combine certains aspects de l’indépendance des cours civiles à l’expertise de militaires. Il est évident que la participation des militaires aux chambres militaires des cours donne lieu à des délibérations très productives sur des questions de fait et de droit, d’une manière qui tient compte des circonstances particulières et des besoins spéciaux des forces armées néerlandaises.
Comme l’a fait remarquer le major Bas van Hoek, [traduction] « la plupart des affaires concernent des infractions qui ont été commises par des militaires, alors que ceux-ci n’étaient pas en service actif, et qui ne présentent aucun lien avec les forces armées ni aucun attribut de nature militaire. La raison d’être de la chambre militaire et de la présence d’un militaire à cette chambre n’ont pas fait l’objet de discussions approfondies au cours des deux dernières décennies." 34. » Toutefois, compte tenu du faible nombre d’affaires instruites par des militaires (moins de 10 p. 100)35 et des très rares cas d’infractions exclusivement militaires36, les membres de l’ERGCM ont remarqué que certaines personnes s’interrogent sur la pertinence de maintenir la chambre militaire37.
Certains peuvent également considérer que les militaires ne jouissent pas de l’indépendance requise38. Quoi qu’il en soit, l’ERGCM a constaté que la Cour européenne des droits de l’homme a récemment affirmé à deux reprises que le concept de la chambre militaire mixte était conforme aux exigences relatives à l’indépendance prévues dans la Convention européenne des droits de l’homme39, en partie en raison du statut et des protections conférés aux militaires par la loi.
En ce qui concerne les juges civils qui siègent à la chambre militaire, l’ERGCM a été informée que ces derniers ont généralement tendance à se spécialiser et à développer une expertise militaire, étant donné qu’ils sont relativement peu nombreux (trois à la Cour de district et deux à la Cour d’appel) et qu’ils font habituellement partie de la chambre pendant quelques années40. Les visites opérationnelles auprès des unités ou dans le cadre d’exercices ou de missions (p. ex., au Mali) les aident également à accroître leur expertise militaire.
La question de savoir comment structurer le service des poursuites pour traiter les dossiers d’infractions militaires a été longuement examinée aux Pays-Bas. La récente publication du major Bas van Hoek, intitulée « Military Criminal Justice in the Netherlands : The “Civil Swing” of the Military Judicial Order41 » (la justice criminelle militaire aux Pays-Bas : la civilarisation du système judiciaire militaire), présente un excellent résumé des divers incidents, interventions politiques et changements structuraux qu’a subis le service des poursuites. Pour commencer, l’ERGCM a été informée que la nomination de militaires en service actif à des postes de procureurs publics a été jugée non conforme à l’exigence d’indépendance existant aux Pays-Bas42. Le défi constant des Pays-Bas a donc été de trouver un équilibre entre les éléments nécessaires que sont, d’une part, l’indépendance civile et l’expertise en droit criminel, et d’autre part, les connaissances et l’expertise militaires. Les membres de l’ERGCM ont conclu que la structure actuelle permet d’atteindre cet équilibre de façon très efficace, dans la mesure où des procureurs civils indépendants ont la responsabilité ultime de prendre toute décision d’intenter ou non des poursuites et, le cas échéant, d’en assurer la conduite, tout en ayant accès à l’expertise des agents de liaison des forces armées et des forces policières, de même qu’à celle de spécialistes en droit opérationnel du centre d’expertise. Les procureurs ignorent parfois bon nombre des facettes de la vie militaire, mais ils peuvent compter, dans chaque cas, sur le soutien de leurs divers conseillers pour les renseigner à ce sujet.
Par ailleurs, cette structure du service des poursuites semble favoriser une étroite coopération entre les procureurs civils et la chaîne de commandement militaire. Par exemple, le commandant de chaque contingent néerlandais sortant rencontre en personne les procureurs, avant un déploiement, afin de discuter avec eux de divers scénarios relatifs à des infractions disciplinaires et criminelles et d’effectuer des exercices de simulation à cet égard pour que tous les intervenants s’entendent sur la façon de réagir à de tels incidents, s’ils se produisent lors d’un déploiement. De plus, une copie de chaque compte rendu d’incident ayant nécessité le recours à la force est envoyée au centre d’expertise du service des poursuites, qui fournit des conseils aux procureurs sur les situations où le recours à la force doit faire l’objet d’une enquête plus poussée ou de poursuites. Ce processus d’examen de la légalité des incidents ayant nécessité le recours à la force semble bien conçu et vise à s’assurer que les décisions d’ouvrir une enquête ou d’intenter des poursuites sont prises par des personnes désintéressées, qui sont réellement impartiales dans chaque cas.
Enfin, en ce qui concerne les services de poursuites, l’ERGCM a été informée que les procureurs civils devraient idéalement rester au sein de la division militaire de six à huit ans pour s’assurer qu’ils développent l’expertise militaire requise, compte tenu du fait que les procureurs ont besoin d’un à deux ans pour en venir à bien connaître le droit militaire et les forces armées.
5.2.11.1 Singapour
Les 20 et 21 septembre 2016, un membre de l’ERGCM et un autre avocat militaire du CJAG ont effectué une visite complémentaire auprès du greffier de la cour militaire.
Singapour impose la conscription universelle à ses citoyens, qui doivent servir à temps plein pendant 2 ans et faire ensuite partie de la force de réserve pendant 10 ans. Les forces armées de Singapour comptent environ 350 000 militaires. Ces militaires sont déployés dans le cadre de diverses opérations, y compris des opérations de maintien de la paix et de lutte contre la piraterie. La cour martiale de Singapour ne tient pas de séance sur les lieux des déploiements.
Il existe deux types de cours martiales : les CMG et les CMG sur le terrain. Les CMG sur le terrain sont tenues dans les cas exceptionnels où il est impossible de tenir une CMG; elles n’ont donc pas été examinées dans le cadre de la visite complémentaire. Singapour tient environ 500 CMG chaque année.
Les CMG se déroulent au sein d’un tribunal militaire permanent où des juges civils, qui ont chacun au moins 10 ans d’expérience en tant que juges en exercice, sont nommés à la cour sur une base conjointe. Le greffier de la cour a fait remarquer que la préférence est accordée aux juges ayant une expertise en droit pénal et quant à la prise de décision en matière criminelle.
Bon nombre des juges sont des réservistes – il s’agit de juges qui effectuent leur service obligatoire ou qui l’ont terminé, mais qui continuent ensuite de faire partie de la force de réserve. Les membres de la magistrature acquièrent ainsi une expérience militaire concrète au sein des forces armées de Singapour, ce qui leur permet d’apporter une expertise militaire au tribunal. Les juges président en uniforme et sont assujettis à la loi sur les forces armées (Armed Forces Act) lorsqu’ils siègent. Lorsqu’ils ne siègent pas en tant que juges militaires, ils exécutent les fonctions judiciaires habituelles attendues des juges des tribunaux de l’État. Ils ne reçoivent pas un salaire ou des avantages supplémentaires lorsqu’ils siègent en tant que juges militaires.
Les infractions de droit commun, qui sont commises par des membres du personnel militaire, sont jugées en cour martiale devant un juge civil, qui siège seul. Lorsqu’un juge préside une cour martiale convoquée pour juger une infraction exclusivement militaire, il siège en tant que membre d’un comité comprenant également deux autres militaires en service actif, qui exercent généralement un métier opérationnel et qui sont plus haut gradés. Les membres de ce comité tirent ensemble toutes les conclusions de fait et de droit. Les questions de droit sont renvoyées au juge professionnel, alors que les questions de fait sont tranchées par les militaires du comité conjointement avec le juge professionnel – tous les membres du comité sont égaux entre eux. Le juge professionnel rédige les motifs des décisions du comité.
Les tribunaux militaires appliquent les règles de procédure et de preuve pénale, en les modifiant légèrement afin de mieux tenir compte de la nécessité d’apporter des connaissances en matière de service militaire.
Les appels des décisions rendues par les cours martiales sont entendus par la cour d’appel militaire (Military Court of Appeal).
Dans le système de cours martiales, les militaires accusés ont droit à l’aide d’un « officier défenseur », qui est un militaire en service actif, mais qui n’est pas forcément un avocat. Les poursuites sont menées par des avocats militaires.
5.2.11.2 Israël
Le 30 novembre et le 1er décembre 2016, un membre de l’ERGCM et un autre avocat militaire du CJAG ont effectué une visite complémentaire en Israël, où ils ont rencontré divers acteurs du système de justice militaire des forces de défense israéliennes. Ils ont rencontré le chef des avocats de la défense, le procureur militaire en chef et des juges militaires.
Les forces de défense israéliennes ont recours à la conscription universelle. Elles ne déploient pas leurs membres à l’extérieur d’Israël, mais elles mènent leurs opérations dans un contexte opérationnel particulier, puisque le pays est impliqué dans des conflits armés l’opposant à plusieurs autres entités. Israël est également une puissance occupante43.
Les tribunaux militaires jouissent d’une compétence exclusive sur les infractions purement militaires et d’une compétence commune sur les infractions criminelles de droit commun.
Il existe trois cours martiales de district permanentes, qui sont situées dans chacune des régions où se trouvent les commandements militaires : les régions du Sud, du Nord et du Centre. Il existe également une cour martiale spéciale pour les officiers détenant le grade de lieutenant-colonel ou un grade supérieur, de même qu’une cour martiale statuant sur les infractions routières. Les cours martiales sont présidées par un comité formé de trois juges : un juge professionnel et deux juges non professionnels, à savoir des militaires en service actif, qui proviennent généralement des districts régionaux et qui sont plus haut gradés. Les décisions de la cour martiale se prennent par vote majoritaire.
Les appels des décisions rendues par toutes les cours martiales sont entendus par la cour d’appel militaire. Cette dernière est présidée par un comité formé de trois juges, dont au moins deux sont des juges professionnels; le troisième juge est un militaire, qui est habituellement un commandant supérieur. Les juges professionnels doivent déjà avoir servi dans les forces de défense israéliennes. Les appels des décisions rendues par la Cour d’appel militaire sont entendus par la Cour suprême civile d’Israël.
Les tribunaux militaires utilisent les règles ordinaires de procédure et de preuve en matière criminelle, qui s’appliquent en Israël.
Les procureurs et les avocats de la défense sont des avocats militaires qui font partie du corps du procureur général militaire. Les services d’avocats de la défense sont entièrement financés par les forces armées. Le procureur général militaire est également le principal conseiller juridique du chef d’état-major général (commandant supérieur des forces de défense israéliennes).
Les droits des victimes sont protégés dans le système de justice pénale civil d’Israël depuis 2005, année où la loi sur les droits des victimes (Victims’ Rights Act) a été adoptée. Les droits des victimes s’entendent des différents droits liés au respect de la vie privée, à la protection physique et à l’information, ainsi que des droits procéduraux et du droit d’exprimer une opinion. Bien que cette loi ne s’applique pas officiellement aux procédures militaires, elle a été adoptée volontairement selon les directives du chef des poursuites militaires et la section des enquêtes criminelles. Il existe également un programme offrant aux victimes spéciales un soutien émotionnel et leur fournissant des renseignements sur le système de justice militaire.
5.3 Étude comparative internationale – résumé des leçons tirées
Grâce aux observations formulées par les membres de l’ERGCM, cette dernière a été en mesure de cibler quelques thèmes principaux, malgré les particularités de chaque système de cours martiales examiné par l’équipe.
Tout d’abord, tous les pays s’assurent de conserver un certain degré de spécialisation dans les affaires militaires, en dépit du fait que certains d’entre eux ont recours aux tribunaux de droit commun pour instruire les affaires d’infractions militaires, alors que d’autres ont établi des tribunaux militaires particuliers. Cette approche commune à tous est observable aussi bien dans les systèmes qui peuvent, à juste titre, être décrits comme étant les plus militarisés (p. ex., celui des États-Unis) que dans ceux considérés comme les plus civilarisés (p. ex., celui de la France). Les différents États semblent adhérer au principe selon lequel dans les affaires militaires, il est nécessaire de s’assurer qu’un certain niveau de connaissances des forces armées ou du service militaire est apporté au tribunal, au-delà du simple témoignage des témoins.
L’existence de ce phénomène ne peut pas raisonnablement être niée, quelle qu’en soit la raison. Aucun des pays visités par l’ERGCM n’a entièrement « civilarisé » son système de cours martiales. Tous les systèmes étudiés conservent, à différents degrés, certains éléments de spécialisation militaire, en combinant de différentes façons les services de poursuites, les comités et les tribunaux. Tous les pays ont mis en place des mécanismes pour s’assurer que les tribunaux ont accès à une expertise et à des connaissances militaires, sans avoir à compter sur les témoins militaires. La façon dont ces connaissances militaires sont intégrées au système de justice varie beaucoup d’un système à l’autre, et aucun pays ne semble avoir trouvé la meilleure façon de réussir cette intégration; toutefois, tous les pays semblent en reconnaître l’importance.
Parallèlement, les différents acteurs du système de cours martiales des pays étudiés semblent croire qu’il est plus important de posséder une expertise en droit criminel et une expérience suffisante des procès plutôt que d’avoir des connaissances et de l’expérience en matière militaire. Dans presque tous les pays étudiés, les personnes consultées ont indiqué à l’ERGCM que les services de poursuites, les avocats de la défense et les juges doivent avoir une connaissance suffisante du droit et des procédures en matière pénale pour que le système de cours martiales fonctionne de façon efficace et efficiente. Pour s’adapter à cette réalité, de nombreux pays ont mis en place certains mécanismes grâce auxquels les acteurs du système de cours martiales (y compris les avocats et les juges de première instance) participent régulièrement aux affaires relevant du droit criminel ordinaire, en plus d’exercer les fonctions qui leur sont dévolues dans le système de cours martiales, afin de développer et de maintenir leurs compétences.
De même, les membres de l’ERGCM ont remarqué que le simple fait de nommer une personne à un poste, au sein du système de cours martiales, ne fait pas d’elle une experte en matière de droit pénal et de procédures criminelles, pas plus que le fait de demander à un acteur du système de cours martiales de porter l’uniforme ne confère à ce dernier une expérience ou des connaissances militaires. L’équipe a appris que le défaut d’établir un mécanisme institutionnel permettant de s’assurer que les tribunaux ont accès à une expertise en droit criminel appropriée, ainsi qu’aux connaissances requises en ce qui a trait aux réalités de la vie militaire, semble avoir une incidence négative sur l’efficacité, l’efficience et la légitimité du système en place.
Par ailleurs, l’ERGCM a constaté que tous les pays – sauf peut-être un – reconnaissent qu’une participation accrue des militaires ou la présence d’un plus grand nombre d’entre eux en uniforme au sein du système de cours martiales pose quelques problèmes en ce qui concerne, du moins, la perception de légitimité du système. Dans certains cas, cette perception a trait à la capacité des procureurs militaires ou des avocats de la défense à exercer leurs fonctions avec zèle et efficacité, dans les situations où ils doivent composer avec des témoins, des accusés ou des victimes d’un grade supérieur au leur, puisqu’ils pourraient alors se sentir obligés de s’en remettre à l’autorité de ce plus haut gradé. Dans d’autres cas, cette perception est liée aux préoccupations soulevées par l’organe exécutif du gouvernement et la chaîne de commandement opérationnelle quant à l’apparence d’indépendance des intervenants (en général, celle des juges). Dans d’autres cas encore, elle résulte des décisions initiales prises à l’intérieur du système (p. ex., les décisions d’intenter ou non des poursuites ou de demander ou non la tenue d’un procès) par une personne qui pourrait être perçue comme ayant des raisons de s’acharner sur un suspect ou une personne accusée (p. ex., en faisant d’une autre personne d’un grade inférieur son bouc émissaire afin de protéger sa propre réputation) ou de faire preuve d’une clémence excessive de manière à assurer l’impunité (p. ex., en protégeant l’auteur d’un méfait parce qu’il est considéré comme un « bon soldat »). Dans tous ces cas, les pays ont reconnu que le simple fait qu’un décideur ou un acteur clé du système de justice porte le même uniforme que les membres des forces armées régis par ce système peut nuire à l’efficacité, à l’efficience et à la légitimité de ce dernier.
En outre, les membres de l’ERGCM ont appris incidemment que partout dans le monde, les systèmes de discipline par voie sommaire sont l’assise des systèmes de justice militaire et le mécanisme privilégié par les commandants. Ils ont clairement observé que, même dans les cas où les pays ont décriminalisé leur système de discipline par voie sommaire et séparé ce système et de celui utilisé en droit criminel ou pénal, il n’y a eu aucune répercussion négative apparente – ni sur les commandants chargés de faire respecter la discipline ni sur les militaires régis par le système de discipline par voie sommaire. En fait, l’ERGCM a recueilli d’importants commentaires qui laissent croire le contraire; en effet, le fait qu’il y ait une distinction claire entre la discipline assurée par voie sommaire au sein des unités et la façon de traiter les comportements criminels semble améliorer la perception d’équité qu’ont les militaires (à condition que les personnes accusées d’infractions pénales ou criminelles soient traitées de la même façon que celles accusées de telles infractions dans le système de justice pénale civil), et les commandants militaires (qui avaient accès à un outil rapide et simple pour traiter la grande majorité des affaires d’indiscipline) se sont également dit satisfaits de ces systèmes de discipline par voie sommaire. En outre, les personnes consultées ont invariablement indiqué à l’ERGCM qu’il est rarement difficile de déterminer la nature (pénale ou disciplinaire) d’un incident précis, mais que dans les cas où de telles difficultés surviennent, celles-ci peuvent rapidement être réglées en consultant les services de poursuites concernés.
L’ERGCM a constaté qu’un thème commun, à savoir la « parité dans le traitement des affaires », ressort de ces visites. Dans les affaires criminelles ou pénales impliquant des militaires, il semble que de façon invariable, les perceptions relatives à la légitimité du système de cours martiales visé sont liées au degré de parité existant entre les systèmes de justice pénale militaire et civil. Pour être clair, les personnes consultées n’ont pas dit à l’ERGCM que les systèmes de cours martiales devaient être identiques aux systèmes de cours civiles de juridiction criminelle ou uniquement faire appel à des cours civiles de juridiction criminelle. Au contraire, elles ont indiqué que la nature militaire ou civile d’un processus ou d’un tribunal particulier importait peu et que le critère le plus important, s’agissant de la légitimité du système, était la mesure dans laquelle les principales composantes de ce dernier (p. ex., le fardeau de la preuve, les règles de preuve, les juges et les peines) sont liés de près – sans pour autant être identiques – à ceux du système de justice pénale civil. Dans les cas où les systèmes de justice militaire et civil étaient sensiblement comparables, il semble que les acteurs des systèmes militaires étaient également plus nombreux à considérer ce dernier comme légitime, tant au sein du système qu’à l’extérieur de ce dernier.
Enfin, l’ERGCM a constaté que de nombreux pays n’ont pas recours à un modèle de services entièrement financés, où les avocats militaires de la défense offrent leurs services à temps plein. Quant à ceux qui fournissent aux militaires accusés des services juridiques aux frais de l’État, ils ont tous recours à une combinaison de divers éléments : critères de revenus, contribution financière, avocats à temps partiel, certificats d’aide juridique, établissement de tarifs ou contrôle judiciaire ou quasi judiciaire des heures et des honoraires des avocats de la défense.
En conclusion, l’ERGCM a pris note de toutes les leçons tirées de cette étude comparative concernant la façon dont d’autres pays aux vues similaires exploitent leur système de cours martiales (ou un système équivalent). Plus particulièrement, cette étude a permis d’exposer les membres de l’ERGCM à tout un éventail de facteurs, de structures et de pratiques liés à la justice militaire, qui leur ont permis d’évaluer le système de cours martiales canadien44 et les options avancées pour améliorer ce dernier45.
Notes en bas de page
1 Il faut garder à l’esprit la définition générale d’un « système de cours martiales » établie par l’ERGCM dans le chapitre 1 (Introduction) ci-dessus, à savoir tout système de justice qui s’applique au personnel militaire et qui permet de juger les infractions militaires.
2 La définition de l’expression « JAG » varie selon les régions du monde. Elle peut renvoyer à l’avocat militaire supérieur (p. ex., au Canada et aux États-Unis); à un juge d’un tribunal fédéral ou d’une cour suprême d’un État ou d’un territoire responsable du contrôle civil des opérations des forces armées (p. ex., en Australie); à un avocat plaidant ou consultant civil qui est également nommé juge en chef de la cour martiale (p. ex., en Nouvelle-Zélande et au Royaume-Uni); ou à un haut fonctionnaire civil du service de poursuites militaires (p. ex., en Norvège).
3 Solorio c. États-Unis, (1987) 107 S Ct 2924.
4 États-Unis, département de la Défense, Report of the Response Systems to Adult Sexual Assault Crimes Panel, Arlington, VA, département de la Défense des États-Unis, 2014. Sur Internet : <URL : http://responsesystemspanel.whs.mil/Public/docs/Reports/00_Final/RSP_Report_Final_20140627.pdf>. Les idées exprimées par les membres dissidents du comité ont aussi été exprimées dans un projet de loi introduit par la sénatrice Kristen Gillibrand – États-Unis, projet de loi S 967, Military Justice Improvement Act, 113e Congrès américain, 2013-2014 (lequel aurait également aboli le pouvoir discrétionnaire des commandants) –, mais le projet de loi a été rejeté.
5 Il semble que les dirigeants du système de justice militaire américain envisagent d’établir un parcours de carrière d’avocat plaidant pour tous les avocats de la défense et les procureurs militaires portant l’uniforme. Un programme pilote de cinq ans a été mis sur pied pour veiller à ce que les procureurs et les avocats de la défense aient suffisamment d’expérience et de connaissances, et un rapport a été produit à la fin du programme afin de présenter les conclusions qui en ont été tirées.
6 Le JAG doit être ou avoir été juge d’une cour fédérale ou d’une cour suprême d’un État ou d’un territoire. Un militaire peut être nommé au poste de JAG. Le JAG est nommé par le gouverneur général du Conseil exécutif pour une période maximale de sept ans. La nomination n’a pas d’incidence sur le mandat du titulaire de la fonction judiciaire.
7 Bien que les grades mentionnés soient des grades de l’armée de terre, ils englobent les grades des forces navales et aériennes équivalents.
8 Cela n’inclut pas le juge-avocat.
9 [2009] HCA 29.
10 Major-général Len Roberts-Smith, juge à la Cour suprême, « A nettle grasped lightly: the introduction of the Australian military court » (document présenté lors de la conférence judiciaire de la cour d’appel des forces armées américaines, tenue le 17 mai 2007), p. 10-11.
11 Australie, Memorandum of Understanding between the Australian Directors of Public Prosecutions and Director of Military Prosecutions, Australie, 2007.
12 Ibid., paragr. 33 à 40.
13 Voir ci-dessus le chapitre 1 (Introduction) à la section 1.5. L’hypothèse no 4 est ainsi formulée : « Tout projet de réforme doit être constitutionnel, dans l’ensemble du spectre des opérations. »
14 Australie, ministère de la Défense, Report of the Judge Advocate General for the period of 1 January to 31 December 2015, Canberra, JAG, 2015, T-3.
15 Les membres du comité sont choisis au hasard au sein du même service que l’accusé et, autant que possible, de la même région que ce dernier. Les membres potentiels du comité doivent remplir un questionnaire concernant les conflits d’intérêts.
16 La force de réserve de l’Australie compte environ 400 avocats militaires, dont près de 80 font partie du comité du SAD.
17 Si l’accusé souhaite être représenté par un défenseur, il doit transmettre une demande par écrit à son commandant. La demande doit comprendre une description du service et de l’unité du militaire visé par la demande. Le militaire visé par la demande doit être libéré de ses fonctions pour agir comme défenseur de l’accusé, s’il est raisonnablement disponible. Si ce n’est pas le cas, le commandant peut inviter l’accusé à proposer une autre personne.
18 Le comité est composé du chef et du chef adjoint des forces de défense, des chefs des forces navale, terrestre et aérienne, du commandant des forces interarmées de la Nouvelle-Zélande (Joint Forces New Zealand), du JAG, du DPM et d’un représentant du comité des avocats de la défense des forces armées, nommé par le JAG.
19 Le droit d’interjeter appel devant la Cour suprême n’est pas assujetti à des conditions d’ordre procédural. Toutefois, l’appelant doit solliciter l’autorisation d’en appeler, tout comme dans le système civil, habituellement au motif que l’appel est d’une importance publique exceptionnelle. La Cour suprême peut donner l’autorisation de la saisir d’un appel d’une décision de la Cour martiale ou de la CACM si elle est convaincue que des circonstances exceptionnelles le justifient.
20 Ces similitudes ne sont pas accidentelles. Voir, par exemple, Mike Madden, « Keeping Up with the Common Law O’Sullivans? The Limits of Comparative Law in a Military Justice Context », Alberta Law Review, vol. 51 (2013), p. 125, aux p. 127-129 (l’auteur constate l’influence qu’ont eue l’un sur l’autre le droit irlandais et le droit canadien de 1950 à ce jour).
21 Royaume-Uni, Protocol on the Exercise of Criminal Jurisdiction in England and Wales between the Director of Service Prosecutions and the Director of Public Prosecutions and The Ministry of Defence, Royaume-Uni, 2011. Sur Internet : <URL : http://spa.independent.gov.uk/linkedfiles/spa/test/about_us/publication_scheme/20111007-juris_ eng_and_wales.pdf>.
22 Ibid.
23 La politique complète concernant les droits des victimes à l’égard des décisions relatives aux poursuites est accessible en ligne : <URL : http://spa.independent.gov.uk/test/victims_and_witnesse.htm>.
24 Le regretté juge en chef Lamer a fait des observations similaires dans le rapport qu’il a produit en tant qu’autorité chargée du premier examen indépendant, dans lequel il a recommandé que le Canada établisse un tribunal militaire permanent, ce qu’a recommandé également le juge en chef Lesage dans le rapport qu’il a produit en tant qu’autorité chargée du deuxième examen indépendant. Certains des pouvoirs en question (et non tous) existent dans le système de cours martiales actuel du Canada, en vertu de l’article 179 de la Loi sur la défense nationale, L.R.C. 1985, ch. N-5 [LDN].
Voir : Canada, ministère de la Défense nationale, Le premier examen indépendant par le très honorable Antonio Lamer C.P., C.C., C.D., des dispositions et de l’application du projet de loi C-25, Loi modifiant la Loi sur la défense nationale et d’autres lois en conséquence, conformément à l’article 96 des Lois du Canada (1998), ch. 35, Ottawa, ministère de la Défense nationale, 2003, p. 25-29. Voir : Canada, ministère de la Défense nationale, Rapport final de l’autorité indépendante chargée du deuxième examen à l’honorable Peter G. MacKay, Ministre de la Défense nationale, par l’honorable Patrick J. LeSage, Ottawa, ministère de la Défense nationale, 2011, p. 42-47.
25 Bien qu’encore méconnues au Canada, les directives en matière de détermination de la peine sont bien établies dans le système de justice britannique de droit commun.
26 Les dirigeants du système de justice militaire américain seraient en train de développer un parcours de carrière dans le domaine des litiges. Les États-Unis envisagent d’exiger des corps du JAG des forces terrestres et des forces aériennes américaines qu’ils établissent des parcours de carrière dans le domaine des litiges pour les avocats en uniforme. Pour l’instant, ils ont demandé à ces deux services de mener un programme pilote sur cinq ans pour veiller à ce que les procureurs à charge et les avocats de la défense possèdent une expérience et des connaissances suffisantes, et de produire un rapport à la fin de ces cinq ans faisant état de leurs conclusions. Voir sur Internet : <URL : http://dailysignal.com/2017/02/21/latest-case-of-jag-malpractice-shows-pressing-need-for-reform/> et <URL : http://dailysignal.com/2016/05/12/a-career-litigation-track-is-necessary-for-army-and-air-force-jags/>.
27 Un militaire qui n’est pas un avocat, mais qui a, entre autres, pour fonction d’offrir des conseils à un commandant tactique concernant divers événements et processus juridiques.
28 Voir, par exemple, Antoine Krempf, « La justice militaire n’existe plus en France ? », Franceinfo : radio (19 juin 2015). Sur Internet : <URL : http://www.francetvinfo.fr/replay-radio/le-vrai-du-faux/la-justice-militaire-nexiste-plus-en-france_1781121.html>.
29 Gilles Létourneau, « The resurrection of Napoléon’s principle of equal justice », blogue dans Global Military Justice Reform (30 avril 2015). Sur Internet : <URL : http://globalmjreform.blogspot.ca/2015/04/the-resurrection-of-napoleons-principle.html>.
30 Major Bas van Hoek, « Military Criminal Justice in the Netherlands: The “Civil Swing” of the Military Judicial Order », dans Alison Duxbury et Matthew Groves, Military Justice in the Modern Age, Cambridge, Cambridge UP, 2016, p. 218-237, à la p. 232 (note de bas de page 80) [van Hoek].
31 Ibid., p. 230.
32 Par exemple, deux procureurs et un greffier, assistés d’un agent de liaison des forces armées, sont allés en Afghanistan pendant deux semaines pour diriger l’enquête sur un incident de tir fratricide survenu en 2008 à Uruzgan, en Afghanistan.
33 Van Hoek, précité, note 30, p. 232-233.
34 Ibid., p. 232-233.
35 Ibid., p. 232 (note de bas de page 80).
36 Ibid., p. 233.
37 Voir Ibid., p. 233 (note de bas de page 81) : [traduction] « lors d’une entrevue réalisée par la presse locale en mars 2013, un professeur de droit criminel de l’Université Radboud de Nimègue, a déclaré que le nombre peu élevé d’affaires criminelles liées à des infractions militaires justifiait l’abolition de la chambre militaire ».
38 Ibid., p. 233 (note de bas de page 81) : [traduction] « en 2011, un militaire de la cour a salué un suspect militaire dans la salle d’audience. Le suspect avait reçu l’ordre militaire de Guillaume (Willems-Orde), la plus ancienne et la plus haute distinction militaire des Pays-Bas, pour le courage qu’il a démontré en Afghanistan. Un des juges a déclaré que ce salut était inapproprié et a laissé entendre qu’un tel comportement par un représentant de la justice militaire renforçait la perception du public qu’une chambre militaire distincte n’était plus appropriée. »
39 Jaloud c. Pays-Bas [GC], nº 47708/08, [2014] CEDH, aux paragr. 195-196; Mustafic-Mujic and others c. The Netherlands [Third Section], no 49037/15, [2016] CEDH, aux paragr. 111-114.
40 À l’heure actuelle, le nombre maximal d’années pendant lesquelles un juge civil a siégé à la chambre militaire est de trois ans, mais on envisage d’adopter une politique pour les obliger à siéger pendant quatre ou cinq ans.
41 Van Hoek, précité, note 30.
42 Ibid., p. 235.
43 Les tribunaux militaires exercent également leur compétence sur les territoires occupés. Ces tribunaux n’ont pas été examinés dans le cadre de l’étude comparative.
44 Voir ci-dessous, chapitre 7 (Évaluation).
45 Voir ci-dessous, chapitre 7 (Évaluation).
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