Investir dans l'avenir du Canada : les 150 prochaines années
Discours
Notes de l’allocution de
L’honorable Jody Wilson-Raybould, C.P., c.r., députée
Ministre de la Justice et procureur général du Canada
À la conférence du Forum des politiques publiques sur la réconciliation et la croissance économique inclusive
Westin Ottawa - Ottawa (ON), 15 février 2017
Je vous remercie pour cette belle présentation. Kim [Baird, ancien chef, Première Nation de Tsawwassen, membre du conseil d’administration, Forum des politiques publiques et maître de cérémonie] et moi-même sommes amis depuis de nombreuses années.
Tout d’abord, gilakas’la, bonjour tout le monde. Je suis très honorée d’être ici pour prendre la parole dans le cadre de ce forum. J’aimerais souligner la présence de l’Aîné Commanda et de toutes les personnes présentes : chefs, dirigeants, matriarches, mesdames et messieurs, je vous remercie de cette invitation. J’aimerais aussi souligner la présence de mon nouveau secrétaire parlementaire, Marco Mendicino, qui travaillera de très près avec moi lorsqu’il sera question des enjeux autochtones. De nouveau, j’aimerais remercier le Forum des politiques publiques de m’avoir invitée à prendre la parole. J’aimerais aussi souligner que nous nous réunissons sur les terres ancestrales du territoire traditionnel du peuple algonquin.
Je suis ravie d’être ici cet après-midi. Il s’agit certes du témoignage de la reconnaissance accrue du rôle que les peuples autochtones jouent et joueront au Canada, que de voir qu’un si grand nombre de nos éminents penseurs sur les questions d’administration publique et de gouvernance sont impatients de se réunir et de discuter de ce que signifient la réconciliation et la croissance inclusive pour les Premières Nations, les Métis, les Inuits et tous les Canadiens. Je désire aussi remercier le Conseil national de développement économique des Autochtones et l’Association nationale des sociétés autochtones de financement d’être les partenaires de notre gouvernement pour cet événement d’importance. Je suis heureuse de voir ici plusieurs visages familiers, dont bon nombre de la côte ouest de la Colombie-Britannique, de vieux amis et collègues.
Ainsi, bon nombre d’entre vous qui m’avez déjà entendu prendre la parole auparavant dans d’autres contextes, en particulier lorsque j’étais chef régionale de la BC Assembly of First Nations et aussi lorsque je siégeais au conseil de ma collectivité natale de We Wai Kai, m’avez entendu discuter des enjeux que j’aborderai aujourd’hui. Bien que mon rôle actuel soit différent, mon point de vue sur les nations autochtones et la reconstruction n’a pas changé. En tant que pays, nous savons qu’il nous reste encore beaucoup à accomplir pour nous assurer que les peuples autochtones puissent prendre la place qui leur revient au sein de la Confédération. Et il ne fait aucun doute que les peuples autochtones traversent une grande période de transformation, de transition et de reconstruction de leur nation.
La séance d’aujourd’hui, intitulée « élargir le cercle », est particulièrement signifiante. Elle explique la mesure dans laquelle les peuples autochtones ont été tenus à l’écart, tout en subissant des conséquences négatives, pendant une grande partie de l’évolution du Canada. Le thème « élargir le cercle » parle aussi du besoin que la société et l’économie canadienne prennent de l’expansion pour offrir des possibilités afin qu’un plus grand nombre de collectivités autochtones puissent devenir prospères, saines et culturellement dynamiques. Pendant trop longtemps au Canada, les lois, les politiques et les attitudes coloniales ont muselé le potentiel économique des nations autochtones. Pendant trop longtemps, les Premières Nations, les Inuits et les Métis ont été exclus des possibilités que la plupart des Canadiens tiennent pour acquises. Pour ma part, la séance d’aujourd’hui est une occasion de discuter de la façon dont l’engagement de notre gouvernement à l’égard d’une véritable relation de nation à nation avec les peuples autochtones permettra cette expansion.
En même temps, grâce au travail que nous accomplissons – un travail essentiel à l’avenir économique et à la société canadienne dans son ensemble – nous reconnaissons les dimensions économiques des titres et des droits autochtones, en plus de reconnaître le besoin d’établir un climat de prévisibilité et de clarté fondé sur la collaboration. Il s’agit pour moi d’une occasion de partager avec vous quelques-unes de mes réflexions sur notre parcours collectif, en particulier dans le contexte des réflexions que suscite le 150e anniversaire du Canada. Bien que je sois consciente que de nombreux peuples autochtones estiment qu’il y a peu à célébrer quant à l’histoire des 150 dernières années de notre pays, je crois profondément qu’il y a de l’optimisme et de l’espoir pour les 150 prochaines années. N’oublions pas que cette année marque aussi le 35e anniversaire de l’adoption de la Charte canadienne des droits et libertés et de l’article 35 de la Loi constitutionnelle de 1982, deux textes d’une importance inestimable pour tracer le chemin des 150 prochaines années.
En tant que gouvernement, nous reconnaissons que l’objet fondamental de l’article 35 concerne la réconciliation entre la question de l’occupation antérieure par les peuples autochtones et la souveraineté de la Couronne. Nous sommes résolus à donner suite à la promesse constitutionnelle envers les peuples autochtones formulée en 1982. Et sur le plan personnel, j’ajouterais que mes enseignements culturels et mes travaux antérieurs m’ont toujours incitée à rester optimiste. Et cet optimisme n’est pas seulement lié à mon rôle actuel et aux dispositions constitutionnelles que je viens de mentionner; il s’agit d’un optimisme enraciné dans la résilience et le travail des peuples autochtones qui ont cherché justice par la réconciliation pendant des générations. En conséquence, lorsque nous regardons rétrospectivement – mais plus important, vers l’avenir – cette année marque une occasion particulièrement idéale pour définir le rôle que les nations autochtones joueront, et qu’elles doivent jouer, en fait, au Canada, car le résultat d’une véritable réconciliation doit être de s’assurer que les peuples autochtones ont enfin l’occasion de participer pleinement à la vie économique et sociale de notre pays.
Ainsi, pour rester dans le thème et le sujet de la conférence, j’expliquerai de quelle façon, à mon avis, la réconciliation appuiera la croissance économique des Premières Nations. Mais tout d’abord, j’aimerais parler des engagements que notre gouvernement a pris et du rythme du changement. Heureusement, nous avons beaucoup progressé par rapport à la réalisation des engagements que nous avons pris envers les peuples autochtones et pour rétablir la relation avec les peuples autochtones du Canada, une relation fondée sur des principes et « la reconnaissance des droits, le respect, la coopération et le partenariat ».
Notre gouvernement a donc amorcé son mandat il y a quelque 15 mois et certains se sont déjà interrogés sur la force de notre engagement envers les questions autochtones. Laissez-moi préciser ceci : notre engagement est plus fort que jamais. Notre premier ministre a exprimé très clairement que nous avions besoin d’une approche pangouvernementale fondée sur la reconnaissance des peuples autochtones et de leurs droits, pour réparer les séquelles coloniales de façon significative et de manière à engendrer la transformation. Nous avons déjà commencé à préparer le terrain, à l’interne, pour faire avancer cette transformation, et nous entendons prendre des mesures audacieuses, plus visibles du public. En décembre, le premier ministre Trudeau a annoncé qu’il mettrait sur pied un nouveau groupe de travail important réunissant des ministres qui auront pour tâche d’examiner les lois, les politiques et les pratiques opérationnelles du gouvernement fédéral liées aux peuples autochtones et à leurs droits. On prévoit que ce groupe de travail collaborera avec une gamme élargie de partenaires et d’experts – et, bien entendu, avec les peuples et les collectivités autochtones – pour déterminer et recommander les changements statutaires et les nouvelles politiques requises pour mieux nous acquitter de nos obligations constitutionnelles et de nos engagements internationaux envers les peuples autochtones.
Comme certains d’entre vous me l’ont déjà entendu dire auparavant quand je parlais de réconciliation, nous devons nous souvenir des mots du regretté Nelson Mandela qui, réfléchissant sur son pays, a affirmé – et je paraphrase – qu’au-delà de la guérison et de la divulgation de la vérité nécessaires, la réconciliation exige en fait d’apporter des changements aux lois et de réécrire les politiques. En apportant ces changements systémiques, nous nous positionnerons nous-mêmes sur une nouvelle voie et une nouvelle trajectoire qui sortiront des tracés passés et garantiront un nouvel avenir pour les peuples autochtones et tous les Canadiens. Pour commencer, il faudra examiner les lois et les politiques en se dotant d’une démarche fondée sur des principes et la reconnaissance des peuples autochtones et de leurs droits. À cette fin, la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones offre un cadre pour nos efforts de réconciliation. Par sa mise en œuvre, nous pouvons créer le terreau nécessaire pour apporter de véritables changements tangibles dans le bien-être économique, social et humain des peuples autochtones de partout au Canada. La Déclaration a été et continuera d’être essentielle pour éclairer nos travaux d’élaboration d’un cadre canadien pour la réconciliation enraciné dans nos structures juridiques et constitutionnelles uniques. J’estime qu’il s’agit là du mécanisme le plus fort pour garantir la dignité des peuples autochtones et le dynamisme des collectivités.
Comme je l’ai déjà dit, et comme il avait été prévu par l’article 38 de la Déclaration des Nations Unies, la mise en œuvre de la Déclaration exigera un ensemble de nouvelles lois, politiques, institutions, structures et des modèles de relation qui s’agenceront et reconnaîtront et intégreront les connaissances autochtones, les perspectives et les traditions juridiques. Notre gouvernement est résolu à entreprendre ces travaux importants ici au Canada, afin de s’assurer que les mécanismes nécessaires sont mis en place pour concrétiser cette vision. Ce ne sera certes pas toujours facile et cela pourrait parfois être litigieux. En effet, la déconstruction du legs de l’histoire coloniale du Canada, les 150 dernières années, exige que le gouvernement fédéral (et nos partenaires provinciaux, lorsqu’approprié) et les peuples autochtones et leurs gouvernements fassent preuve d’auto-réflexion et se posent des questions très difficiles, et surtout, trouvent des solutions à des défis qui, autrefois, semblaient insurmontables.
Par exemple, comme le présent forum s’adresse précisément aux Premières Nations, j’aimerais prendre un moment pour parler de l’entrecroisement entre la Déclaration des Nations Unies et la Loi sur les Indiens. La Déclaration des Nations Unies souligne à quel point le travail de reconstruction d’une nation avec les peuples autochtones est une composante essentielle de la reconnaissance et de la réconciliation. En conséquence, il doit s’agir d’un élément fondamental de nos travaux. Les deux articles les plus importants de la Déclaration, à mon avis, sont les articles 3 et 4. L’article 3 stipule que : « Les peuples autochtones ont le droit à l’autodétermination. En vertu de ce droit, ils déterminent librement leur statut politique et assurent librement leur développement économique, social et culturel ». L’article 4 stipule que : « Les peuples autochtones, dans l’exercice de leur droit à l’autodétermination, ont le droit d’être autonomes et de s’administrer eux-mêmes pour tout ce qui touche à leurs affaires intérieures et locales, ainsi que de disposer des moyens de financer leurs activités autonomes ». La Loi sur les Indiens tranche nettement avec la Déclaration et impose un système de conseil de bande. De toute évidence, le fait qu’une loi fédérale comme la Loi sur les Indiens détermine le statut politique d’un groupe de peuples autochtones est contraire aux articles 3 et 4 de la Déclaration.
Un autre exemple illustrant comment la Loi sur les Indiens va à l’encontre de la Déclaration est l’article 33, qui traite des peuples autochtones qui déterminent eux-mêmes les membres de leurs nations. Néanmoins, au Canada, seules les nations autochtones qui sont reconnues comme jouissant d’une autonomie gouvernementale peuvent véritablement déterminer leurs critères de citoyenneté. En ce qui concerne les personnes qui sont constitutionnellement reconnues comme des Indiens, cela représente encore seulement environ 40 anciennes bandes visées par la Loi sur les Indiens, y compris la Première Nation de Tsawwassen, dont mon bon ami Kim Baird est un membre. Ainsi, pour toutes les autres Premières Nations, quiconque ne jouit pas d’autonomie gouvernementale, la Loi sur les Indiens continue d’imposer un système de gouvernement et des règles. Le défi est que chaque nation détermine véritablement elle-même comment elle entend se gouverner, comment elle entend s’organiser et qui sont ses membres.
Les problèmes fondamentaux du système de Loi sur les Indiens, si on s’éloigne du point de vue de la reconnaissance des droits et si on adopte un point de vue pragmatique visant à favoriser le développement économique et la croissance des économies autochtones, il devient très clair que la gouvernance des Indiens et des terres réservées aux Indiens, en vertu du paragraphe 91(24) de la Constitution, de façon distincte et séparée des autres Canadiens, en vertu de la Loi sur les Indiens paternaliste, a contribué à l’inertie économique dans les réserves. En effet, les mêmes limites inhérentes à la Loi sur les Indiens d’un gouvernement fondé sur des réserves, qui ont entravé la capacité des Premières Nations de développer des économies sur les terres de réserve, sont précisément celles qui empêchent de se mobiliser auprès de l’industrie et des entreprises à l’extérieur des réserves, dans les territoires traditionnels plus généraux, et entraînent incidemment des répercussions sur l’économie plus générale. Pour cette raison, la Loi sur les Indiens n’est pas un cadre approprié pour la gouvernance des Premières Nations, ni pour aucun peuple d’ailleurs.
En ce qui a trait à la gestion et l’administration sur réserve dans le cadre de la transition d’un gouvernement autonome, heureusement, la situation évolue, mais trop lentement et probablement pas uniformément. Dans les 30 dernières années – de nouveau, comme le savent plusieurs d’entre vous ici présents qui avez participé à de nombreuses initiatives de gouvernance dirigées par des Premières Nations – il y a eu plusieurs tentatives visant au moins à améliorer certains aspects de la gouvernance sur les réserves. Et je ne fais pas ici référence uniquement aux traités modernes à plus grande visibilité ou aux accords relatifs à l’autonomie gouvernementale, mais aussi aux initiatives de gouvernance sectorielles comme la Loi sur la gestion des terres des Premières Nations (LGTPN), ou la Loi sur la gestion financière des Premières Nations. En ce qui a trait à la LGTPN, dans ma vie précédente, j’ai eu l’honneur d’être élue au Conseil des terres, puisque ma collectivité natale dispose d’un code foncier. Je connais aussi très bien la Loi sur la gestion financière des Premières Nations et l’importance des initiatives pour renforcer la capacité des Premières Nations de générer des revenus de même que d’emprunter de l’argent sur le marché des obligations, et d’une façon générale, d’établir des systèmes administratifs et financiers cohérents. Les rôles de l’Administration financière des Premières Nations, du Conseil de gestion financière et de la Commission de la fiscalité des Premières Nations sont d’une importance cruciale. Et à mon avis, il est impératif d’examiner comment nous pouvons soutenir d’autres institutions autochtones qui favorisent la reconstruction d’une nation.
Et voici le défi, à mon avis : bien qu’il existe plusieurs initiatives de gouvernance dirigées par les Premières Nations de grande envergure, la notion même de gouvernance de celles-ci continue de faire fond sur la Loi sur les Indiens. Il s’agit toutes d’initiatives qui imposent un système de gouvernement par bande comme le prévoit la Loi sur les Indiens. En outre, elles ne portent en fait que sur une très petite partie des terres de réserve qui ont été réservées pour les Indiens, à travers l’histoire, et omettent de traiter de processus décisionnels partagés, fondés sur la collaboration ou le consensus, ou la gouvernance à niveaux multiples, à l’extérieur des limites des réserves. En d’autres termes, ce que j’explique ne vise aucunement à diminuer l’importance de ces initiatives ou des progrès qui ont été réalisés pour établir une gouvernance appropriée et forte pour les collectivités qui les ont établies. Au contraire, j’affirme que si nous voulons nous débarrasser de la Loi sur les Indiens, nous devons déterminer comment les Premières Nations peuvent effectuer la transition et s’éloigner d’un gouvernement de bande pour adopter une forme de gouvernement qui reflète les intérêts des titulaires de titres et de droits, les modes de gouvernance autochtones et les traditions juridiques, ce qui représente véritablement une expression d’autodétermination, que ces collectivités soient visées par un traité historique ou qu’elles n’aient jamais conclu de traités.
De nouveau, par souci de clarté, le gouvernement du Canada ne peut pas entreprendre cette démarche. Ce n’est pas approprié et ce n’est pas le rôle du gouvernement du Canada de déterminer, d’imposer ou d’établir quels devraient être ces modes et systèmes de gouvernement autochtones. Seuls les peuples autochtones peuvent établir leurs institutions et bâtir leur avenir. Cependant, ce que je peux ajouter, c’est que le gouvernement ne peut plus être un obstacle aux efforts de reconstruction d’une nation en imposant un système de gouvernement par des instruments comme la Loi sur les Indiens. Ainsi, si nous voulons redéfinir la relation en la fondant sur la reconnaissance, il s’agit de l’un des défis institutionnels fondamentaux auxquels nous sommes confrontés et que nous devrons relever pour tracer la voie à suivre.
Bien que nous puissions tous maintenant convenir que nous devons quitter la tutelle de la Loi sur les Indiens pour nous rapprocher de l’autonomie gouvernementale – inutile pour moi d’expliquer à quiconque dans cette pièce le défi que cela représente, surtout que pour certains, la Loi sur les Indiens est devenue une partie de leur vie. Pour trouver le chemin menant à l’autodétermination, lequel exige de quitter la tutelle de la Loi sur les Indiens, la réalité de notre transition postcoloniale à ce jour est que, faute d’avoir un tribunal affirmant que les peuples autochtones ont des droits sur la terre, ou le droit de se gouverner eux-mêmes, les peuples autochtones ont dû négocier l’autonomie gouvernementale avec la Couronne d’abord pour ensuite, collectivité par collectivité, voter pour éliminer le rôle paternaliste du gouvernement dans leur vie. Cette approche a été lente, parfois à contre-courant, souvent à l’opposé de la réconciliation. De plus, elle n’est pas même passée près d’être aussi efficace, fondée sur des principes et axée sur la collaboration qu’elle l’aurait pu et dû. Aucun autre segment de la société canadienne n’a dû procéder à une décolonisation pour ensuite recourir à ce processus pour établir des structures de gouvernance de base, afin de créer des moteurs de développement social et économique.
Ainsi, en ce qui a trait à l’examen des lois et des politiques, je m’attends à ce que nous commencions par les politiques qui traitent du principe fondamental de la reconnaissance, et reflètent notre situation juridique unique au Canada, l’article 35. Par la reconnaissance, nous créerons un environnement où le véritable travail de construction d’une nation et de reconstruction et de réconciliation pourra progresser de façon novatrice et significative. Par exemple, cela signifie d’examiner la politique relative aux revendications globales, une série de politiques et de mandats traitant des questions relatives aux terres, de même que le droit inhérent de la politique sur l’autonomie gouvernementale qui traite des questions de gouvernance. Nous allons également examiner les lois actuelles qui s’appliquent aux peuples autochtones, sachant que des changements considérables devront être apportés à certaines de ces lois, en tenant compte bien entendu du besoin de continuer de soutenir les lois fédérales qui ont été élaborées conjointement avec les peuples autochtones.
En clair, à l’avenir, nous devrions prendre appui sur nos réussites, sur vos réussites, et sur ce que nous avons appris, tant pour ce qui est de la gouvernance et de l’établissement de mécanismes efficaces à l’appui du développement économique dans les réserves. Nous devons multiplier les possibilités pour les collectivités qui sont prêtes, qui le désirent et sont capables d’aller de l’avant. Pour qu’il y ait réconciliation et pour que la transition soit une transformation durable, les collectivités, individuellement et collectivement, tout comme les personnes, doivent déterminer elles-mêmes leurs structures de gouvernance et leurs institutions et souscrire sans réserve aux articles 3 et 4 de la Déclaration et à ce qu’on entend par le droit inhérent à l’autonomie gouvernementale protégé en vertu de l’article 35.
Pour la suite des choses, à mon avis, nous devons également réfléchir davantage à la façon dont nous appuyons les institutions contrôlées par les Autochtones qui favorisent la reconstruction d’une nation, afin que ce soient les peuples autochtones qui gouvernent ces institutions en ayant à cœur les résultats du travail qu’elles accomplissent et les décisions qu’elles prennent. La reconstruction d’une nation, voilà le véritable travail qui nous attend, qui attend chacun de vous : un travail fondamental, fondé sur la reconnaissance, où les nations autochtones soumettent leurs propres propositions ou solutions étayant comment elles entendent s’organiser et être reconnues, et où le rôle du gouvernement fédéral est d’appuyer ces efforts et d’abandonner son rôle actuel d’administrateur des réserves indiennes pour les Premières Nations.
Alors que nous procédons à la mise en œuvre de la Déclaration, nous devons examiner les terres et les ressources à l’égard desquelles les peuples autochtones ont des droits, et qui peuvent contribuer à soutenir davantage leurs économies et leur capacité de générer des revenus pour offrir des programmes et des services leur permettant de répondre aux besoins de leurs citoyens. Nous devons tenir compte de ce que les tribunaux ont désigné comme une composante économique inéluctable du titre autochtone dans Delgamuukw, et déterminer comment nous pouvons élargir l’applicabilité de ce concept aux terres ancestrales de nos nations.
Entre-temps, alors que nous nous efforçons de mettre au point de nouveaux outils et mécanismes relativement à la relation, à la gouvernance, à l’accès aux terres et aux ressources et à la nouvelle relation financière, nous devons aussi veiller à répondre aux besoins urgents et bien entendu immédiats en matière de santé, d’éducation et de société. C’est en quelque sorte un attrape-nigaud. À mesure qu’on s’attarde aux relations entre la Couronne et les peuples autochtones, pour ce qui est de la gouvernance, des terres et des questions financières, un plus grand nombre de possibilités seront créées. Mais sans citoyens en santé et éduqués dans les collectivités autochtones, la possibilité de saisir ces occasions pourrait être entravée. Il faut dès maintenant répondre à des besoins fondamentaux : l’accès à de l’eau propre et à des logements sécuritaires. Il faut aussi s’attaquer à la question du suicide, des enfants et des familles. Nous devons accomplir du travail en parallèle. Mais pour progresser, nous avons besoin de leadership, de vision et de bonne volonté. Et bien entendu, nous avons besoin de confiance, ce qui est probablement la composante la plus difficile à obtenir, compte tenu du legs colonial. Cependant, comme je sais que nous avons des réalisations et qu’il existe des personnes très compétentes, comme ma collègue et amie, la ministre des Affaires autochtones et du Nord, Carolyn Bennett, qui sont véritablement déterminées à favoriser la réconciliation, je suis convaincue que nous saurons relever le formidable défi de notre génération, qui est demeuré pendant longtemps relativement inaccessible pour un grand nombre.
Le changement est en cours, mais bien entendu, nous ne réussirons pas à régler tous les problèmes auxquels sont confrontées les collectivités autochtones du jour au lendemain. Pour certaines Premières Nations, la transition s’effectuera relativement rapidement si les mécanismes de transition sont mis en place, comme nous avons pu l’observer dans les collectivités qui ont déjà amorcé la reconstruction de leurs institutions de gouvernance, et dans certains cas, où une nouvelle génération n’a jamais connu la vie sous la tutelle de la Loi sur les Indiens. Pour certaines collectivités, cependant, il faudra un peu plus de temps pour se reconstruire et avant que l’on puisse atteindre un seuil de comparabilité quant aux indicateurs et aux résultats sociaux. Dans certains cas, le défi a trait à l’éloignement et à la géographie; dans d’autres, il s’agit de la question de la taille de la population et du besoin de regroupement et de coopération, quand il faut voir au-delà de la nation que les nations unissent leurs efforts.
Ce que nous pouvons faire en tant que gouvernement – selon une approche fondée sur la reconnaissance et sans égard à la situation actuelle de la nation – consiste à positionner notre pays sur une trajectoire qui ne pourra être inversée, et où les limites systémiques au changement qui se reflètent dans les lois et les politiques sont éliminées. Il s’agit d’une nouvelle vision pour notre pays. Bien entendu, nous n’avons pas toutes les réponses quant à savoir ce à quoi ressemblera cette approche fondée sur la reconnaissance dans tous les cas. Il n’est pas non plus probable que toutes les mesures que nous prenons en cette période de transformation seront parfaites. Ce qui est certain, c’est que la vision de la réconciliation fondée sur la reconnaissance façonnera notre pays, et ce, pour le mieux. Elle créera l’espace où le colonialisme et le paternalisme cèdent le pas à la reconnaissance, à la responsabilité, aux possibilités et où, en travaillant de concert, nous pourrons élaborer des solutions et bâtir conjointement notre avenir.
Enfin, pour conclure, l’économie du Canada et des Premières Nations, ainsi que notre avenir collectif, sont interreliés. Il est essentiel que nous amorcions ce travail de réconciliation, car il nous permettra d’édifier un avenir ensemble. En élargissant le cercle, si nous voulons décupler notre potentiel collectif social, culturel et économique, le besoin est là. Personnellement, en tant que fière femme Kwakwaka'wakw et une Canadienne tout aussi fière, je suis optimiste. Mais en même temps, je connais les défis qui se dressent devant nous. Je suis convaincue que la reconnaissance des droits autochtones et la croissance économique ne sont pas mutuellement exclusives. Bien au contraire, je crois que la réconciliation fondée sur la reconnaissance est le chemin assuré vers la croissance économique, pas seulement pour les Premières Nations, mais pour tous les Canadiens. Les études montrent clairement que lorsque les réformes de gouvernance ont porté leurs fruits, les débouchés économiques ont foisonné. Et comme je l’ai mentionné précédemment, le décuplement du potentiel économique et de la réussite commerciale des Premières Nations n’est pas une fin en soi, mais plutôt un moyen, la fin étant d’établir des collectivités des Premières Nations plus saines et plus prospères, et que nos peuples profitent d’une qualité de vie meilleure, dans des cultures dynamiques et vivantes. En réfléchissant aux 150 ans de la Confédération et en anticipant les 150 prochaines années, nous ne devons jamais perdre de vue cet objectif. Je suis impatiente que nous accomplissions ce travail remarquable ensemble. Gilakas’la. Je vous remercie beaucoup.
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