Deux voyages, un itinéraire semblable : Vérité et réconciliation au Canada et en Afrique du Sud

Discours

Notes pour une allocution par
l’honorable Jody Wilson-Raybould, c.p., c.r., députée
Ministre de la Justice et procureur général du Canada

À la
Faculté de droit de l’Université de Cape Town
Édifice de la Faculté de droit Wilfred et Jules Kramer
Cape Town, Afrique du Sud : le 30 mars 2017

Priorité au discours prononcé

Gilakas’la. Bonsoir, mesdames et messieurs. Merci beaucoup de cette généreuse présentation.

Et merci de m’avoir invitée à prendre la parole ce soir à la Faculté de droit de l’Université de Cape Town. C’est un grand plaisir pour moi d’être ici, et je vous remercie tous d’être venus.

Je suis ravie de vous saluer au nom du très honorable Justin Trudeau, premier ministre du Canada.

Le Canada et l’Afrique du Sud partagent une relation longue et riche, ancrée dans des valeurs partagées, des histoires partagées et des liens solides entre les peuples. En particulier, la contribution de l’ancien premier ministre Brian Mulroney au mouvement de libération et son soutien constant à la libération de Nelson Mandela sont bien connues, et j’aimerais personnellement remercier votre gouvernement de lui avoir attribué le titre de Compagnon suprême d’O.R. Tambo.

J’ai été touchée par l’estime dans laquelle le Canada est tenu en Afrique du Sud pour le modeste rôle que nous avons joué dans la promotion de la création d’une société multiethnique, multiraciale et démocratique en Afrique du Sud.

En tant que Canadiens, nous n’oublierons pas les fois où Nelson Mandela a pris la parole devant notre Parlement. Il l’a fait en 1990, en tant que combattant de la liberté à qui on avait refusé la citoyenneté dans son propre pays.

Lorsqu’il est venu chez nous, huit ans plus tard, en 1998, le président Mandela est devenu le premier chef d’État étranger à recevoir l’Ordre du Canada – notre plus grande distinction – puis, en 2001, il est devenu la première personne vivante à recevoir la citoyenneté canadienne honorifique.

Aujourd’hui, dans le monde entier, le message de liberté, d’espoir et de respect pour la diversité que Madiba a répandu partout où il est allé résonne avec autant de force et de puissance que jamais, et nous guide tous en nous inspirant à créer une société plus égalitaire et plus juste.

Comme le remarque souvent notre premier ministre, le Canada est plus fort non pas en dépit de nos différences, mais à cause d’elles. Cette capacité à célébrer la riche diversité de notre peuple sera au cœur du succès de notre démocratie. J’espère que c’est un message que nous pouvons partager humblement avec le monde entier.

Au cours de l’année du 150e anniversaire du Canada – l’anniversaire de notre fondation en tant que pays – j’aimerais partager avec vous certaines réflexions sur notre travail de réconciliation – notre travail de transformation – avec les peuples autochtones du Canada – les Premières Nations, les Inuits et les Métis – travail vital non seulement pour le bien-être des peuples autochtones, mais pour l’avenir de notre pays.

Mais je dois vous dire bien franchement que pour de nombreux peuples autochtones, célébrer le 150e anniversaire de notre pays comporte des défis. Il est difficile de célébrer 150 ans de colonialisme. Pour de nombreux peuples autochtones, il ne s’agit pas tant de célébrer le passé, mais plutôt de célébrer un nouvel optimisme sur l’avenir dans un Canada plus inclusif et plus juste – et faire en sorte que les 150 prochaines années soient meilleures pour tous.

J’ajouterais à cela un optimisme partagé par la plupart des Canadiens, pas seulement pour les peuples autochtones, mais pour tous les peuples, quel que soit la race, la religion, l’orientation sexuelle ou le genre.

Mais d’abord, comme c’est la coutume dans ma culture, je dois me présenter correctement et parler du parcours qui m’a amenée ici aujourd’hui.

Mon nom traditionnel est Puglaas.

Ma nation est celle des Kwakwaka’wakw, les peuples qui parlent le Kwak’wala du nord de l’île de Vancouver, en Colombie-Britannique, sur la côte ouest du Canada. Au sein de ma nation, je suis issue des tribus Musgamagw Tsawatineuk et Laich-Kwil-Tach. Je suis du clan de l’aigle.

Je viens d’une société matrilinéaire où nous, comme beaucoup des tribus ici, avons des chefs héréditaires. Dans une société matrilinéaire, la descendance est tracée par la mère et nos ancêtres maternels. Le pouvoir et l’héritage passent par la lignée de la mère.

Mon père est le chef héréditaire de notre clan. Il s’appelle Hemas Kla-Lee-Lee-Kla, qui signifie « premier parmi les aigles, le chef qui est toujours là pour aider ». On lui a donné ce nom dans un potlatch, qui est notre institution de gouvernement traditionnelle. Nous continuons à pratiquer notre potlatch, bien que pendant plusieurs générations, les lois canadiennes nous ont interdit de le faire. C’est là que nos noms et nos terres sont transmis ou donnés de génération en génération. C’est là que nous adoptons nos lois, que nous réglons nos différends, que nous célébrons nos mariages, que nous redistribuons les biens et ainsi de suite.

Le nom de ma grand-mère était Pugladee, le nom le plus élevé dans notre clan. Son nom signifie « une bonne hôtesse » – un nom qui a été donné à ma sœur aînée, Kory, au même moment où j’ai reçu le mien. Mon nom traditionnel, Puglaas, signifie « femme née d’un peuple noble ». Ma sœur et moi avons reçu nos noms à l’occasion d’un potlatch quand j’avais cinq ans et ma sœur six ans.

Ma grand-mère m’a élevée de façon à ce que je sache qui je suis et d’où je viens, et que je sois consciente des droits et des responsabilités qui incombent à notre peuple dans notre pays. Ma grand-mère et mon père ont travaillé à obtenir la justice et l’égalité pour les peuples autochtones, la reconnaissance de leurs droits dans nos lois et notre constitution, et l’inclusion complète de nos peuples au Canada.

J’ai suivi leur exemple. Après avoir terminé mes études en droit, mon premier emploi a été celui de procureur de la Couronne dans le célèbre Eastside du centre-ville de Vancouver. Je me suis retrouvée trop souvent à poursuivre des jeunes hommes et des jeunes femmes autochtones qui m’apparaissaient souvent comme un produit d’un système qui les avait laissé tomber.

Après ce travail de procureur de la Couronne, j’ai passé une grande partie de ma vie adulte à occuper diverses fonctions en tant que chef autochtone élue. Tout récemment, j’ai été élue chef régional représentant la Colombie-Britannique à l’Assemblée des Premières Nations – une organisation représentant près d’un million d’Autochtones du Canada connus sous le nom de « Premières Nations ».

Dans mon travail en tant que chef autochtone, j’ai vu combien était lent et frustrant le rythme du changement et de la réconciliation.

Faire le saut de chef autochtone à la politique canadienne n’a pas été facile pour moi, et c’est une décision qui n’a pas été prise à la légère.

Compte tenu de mon éducation et de mon expérience, je ne peux pas prétendre avoir toujours rêvé d’être députée, et encore moins d’être ministre de la Couronne. Cependant, pendant mon mandat de chef régional, j’ai constaté que les peuples autochtones ne pouvaient pas reconstruire leurs nations et dépasser leur passé colonial sans partenaires motivés au gouvernement.

Comme c’est toujours le cas lorsque vous passez de modèles d’injustice à des modèles de justice, tous doivent faire preuve de créativité, de volonté de changement et de courage. Il fallait trouver de nouvelles approches de réconciliation pour poursuivre la transformation requise dans les relations du Canada avec les peuples autochtones.

J’ai rencontré notre premier ministre, le très honorable Justin Trudeau, pour la première fois il y a environ quatre ans lorsqu’il assistait à une réunion de l’Assemblée des Premières Nations.

Nous avons parlé de l’avenir du Canada, de nos visions. Nous avons parlé de rendre le Canada encore meilleur et, en particulier, de ses convictions à l’égard des peuples autochtones.

J’en suis venue à voir ma participation à la politique comme une chance de faire partie d’un gouvernement dont le chef s’est solennellement engagé à amener un vent de changement dans un esprit de réconciliation véritable avec les peuples autochtones.

À titre de ministre de la Justice et de procureur général du Canada, je suis responsable de ces mêmes lois et politiques que tant d’entre nous se sont efforcés de changer : des lois et politiques qui restent dans les livres et ont été les outils de la colonisation.

Je vois ma nomination comme un reflet de l’évolution de mon pays. Il n’y a pas si longtemps, une femme autochtone comme moi n’aurait pas été autorisée à voter, encore moins de se présenter à des élections ou de pratiquer le droit. Aujourd’hui, une femme autochtone est la première conseillère juridique de la Couronne.

Mon éducation, mes études et mes expériences professionnelles et personnelles ont toutes façonné ma vision du monde et renforcé ma détermination à parvenir à la réconciliation entre les peuples autochtones et tous les Canadiens et entre les peuples autochtones et le gouvernement du Canada.

Et maintenant, en tant que ministre de la Couronne et en particulier en tant que ministre de la Justice et procureur général du Canada, je me trouve dans une position unique pour contribuer à faire avancer ces efforts. J’espère être à la hauteur des grandes responsabilités qui accompagnent cette tâche. C’est ce qui m’amène à vous dire pourquoi je suis ici, en Afrique du Sud.

Votre chemin vers la réconciliation et la transformation contient beaucoup d’éléments desquels le Canada peut tirer des leçons alors qu’il revoit ses propres lois et politiques afin de rendre justice aux peuples autochtones.

Nos deux pays ont dû mettre en branle un processus de réconciliation pour remédier aux injustices du passé. Les deux ont mis en place des commissions Vérité et réconciliation pour découvrir la vérité sur nos passés respectifs et enregistrer cette vérité afin de ne pas l’oublier.

Bien sûr, il existe des différences importantes dans nos réalités et l’ampleur des défis auxquels nous sommes confrontés. Au Canada, l’objectif de la réconciliation est d’habiliter les peuples autochtones, qui représentent environ cinq pour cent de la population du pays. Votre défi a été d’un ordre différent.

Et bien qu’il existe des parallèles dans l’histoire de nos pays en matière de réconciliation, l’expérience des peuples et des sociétés n’est pareille à aucune autre. Reconnaître et respecter ces réalités exige d’écouter et d’apprendre auprès de ceux qui les ont vécues.

Cela dit, il est extrêmement utile et important de partager ces expériences, car plus l’humanité comprend l’oppression, le racisme et la façon dont les peuples ont surmonté ces maux, plus nous pouvons construire un avenir où régneront les valeurs d’égalité, de diversité, d’inclusion et de liberté.

Au cours des jours que j’ai passé parmi vous, j’ai déjà beaucoup appris sur l’histoire récente de votre pays et sur vos efforts constants pour soigner les blessures infligées par l’apartheid. J’admire la force, le courage et la résilience des individus et des communautés sur le chemin de la réconciliation. Je vous suis reconnaissante de l’honnêteté et de l’ouverture dont vous avez fait preuve avec moi.

Aujourd’hui, nos deux pays partagent des valeurs communes pour créer une société plus inclusive et plus juste dont témoignent vos sept piliers constitutionnels de la démocratie, de l’égalité, de la réconciliation, de la diversité, de la responsabilité, du respect et de la liberté.

Bien entendu, il n’en a pas toujours été ainsi. Comme l’a dit l’archevêque Tutu il y a environ 20 ans lors d’une visite au Canada :

« Les luttes des peuples autochtones au Canada ont beaucoup de ressemblances avec les luttes des Sud-Africains noirs contre l’apartheid. Ils ont été traités de façon injuste. Ils ont le droit d’être humains et indiens ... leur culture doit être reconnue et elle ne doit pas disparaître. »

Les deux pays savent maintenant que reconnaître cette histoire n’est pas un choix, mais une nécessité fondamentale pour le bien-être futur de la société et de la population dans son ensemble. Pour s’assurer que les mots liberté et espoir ne sont pas vides ou creux, et que nous vivons selon nos constitutions respectives avec conviction et compassion dans nos actions et nos efforts.

Le fait que les peuples autochtones du Canada aient été exclus de notre cadre constitutionnel en 1867 a eu des répercussions importantes. La politique gouvernementale à l’égard des premiers peuples du Canada est devenue une entreprise de négation et d’assimilation et non une approche de reconnaissance et de partenariat. Cette approche a été alimentée par des idées racistes et des présomptions concernant les peuples autochtones.

L’exemple le plus insidieux était la Loi sur les Indiens. Dans les premières années de la création du Canada, le Parlement du Canada a promulgué la Loi sur les Indiens, qui a été le principal outil législatif pour propager la politique de déni et d’assimilation. La Loi sur les Indiens était – et demeure – un des outils juridiques centraux de la colonisation des peuples autochtones au Canada. Elle a joué un rôle central dans la destruction des systèmes de gouvernance autochtones, le déplacement des personnes de leurs terres ancestrales et l’interférence avec les systèmes familiaux et de parenté.

Plutôt que d’être des citoyens ou des membres d’une Nation ou d’une tribu d’Indiens reconnus dans les premières relations conventionnelles qui ont été établies sous la Couronne britannique, en vertu de la Loi sur les Indiens, les personnes désignées comme Indiens par la loi ont été déplacées vers de petites réserves, déclarées pupilles de l’État et mis sous la tutelle du gouvernement.

Les Indiens ont été considérés comme juridiquement incompétents, à moins qu’ils ne soient émancipés pour devenir citoyens à part entière du Canada. Et s’ils choisissaient l’émancipation, ils n’étaient plus reconnus comme autochtones, perdaient le droit de participer aux affaires de leur communauté et abandonnaient l’accès aux terres dans leurs communautés.

La Loi sur les Indiens a également créé les tristement célèbres pensionnats, qui ont séparé plus de 150 000 enfants de leur famille et leur ont interdit de parler leur langue ou de suivre leurs pratiques culturelles. Comme l’a décrit un haut fonctionnaire de la Couronne, la politique a été conçue pour « tuer l’Indien dans l’enfant ». Des milliers d’enfants ont subi des abus physiques, émotionnels et sexuels inimaginables, et beaucoup sont morts dans les écoles. Le traumatisme causé par les pensionnats continue de se faire sentir dans les collectivités autochtones, en particulier chez les femmes et les filles.

Ironiquement, bien que l’objectif politique de la Loi sur les Indiens était d’assimiler les peuples autochtones, elles les a également découragés de participer à la société canadienne. Ce n’est pas une exagération de dire que c’est l’un des outils les plus sinistres jamais utilisés pour subjuguer un peuple.

La Loi sur les Indiens existe toujours. Ce fait est troublant et révélateur. Les Canadiens savent que la Loi sur les Indiens est mauvaise, nuisible et archaïque – elle ne peut pas servir à façonner notre avenir. Mais elle est devenue tellement ancrée dans le tissu des relations entre le Canada et les peuples autochtones qu’il est parfois difficile de voir par quoi il faudrait la remplacer. Il reste que nous devons trouver mieux, et cela, ensemble.

Nous savons que la réconciliation exige que nous nous débarrassions de la Loi sur les Indiens pour établir des relations appropriées fondées sur la reconnaissance et le respect, où les peuples autochtones sont autonomes et autodéterminés – mais nous avons eu du mal à y arriver.

Heureusement, notre monde a changé et continue de changer. Tout semble indiquer que nous nous dirigeons vers la reconnaissance que les peuples autochtones au Canada sont des groupes distincts ayant des droits inhérents qui doivent être protégés et concrétisés. Notre premier ministre a déclaré qu’aucune relation n’est plus importante pour lui que celle avec les peuples autochtones.

Au Canada, notre système juridique moderne repose sur la reconnaissance des droits fondamentaux de la personne dans notre Charte canadienne des droits et libertés et des droits des autochtones à l’article 35 de notre constitution.

Comme la Déclaration des droits et libertés de votre constitution, notre protection constitutionnelle des droits est un engagement récent envers un avenir plus juste. Les deux affirment un passage d’un ordre juridique fondé sur l’autorité à un ordre basé sur la reconnaissance des droits. C’est le passage d’une « culture de l’autorité » à une « culture de la justification », pour citer Etienne Mureinik, dont les travaux sur votre nouvelle constitution et votre déclaration des droits et libertés continuent d’être cités dans le monde entier aujourd’hui.

Une approche de reconnaissance des droits affirme l’autorité des droits et le fardeau de la justification de toutes les actions gouvernementales.

De cette manière importante, l’inclusion des droits des Autochtones dans notre constitution équivalait à une promesse aux peuples autochtones que leur présence au Canada et leurs droits ne seraient plus niés, que l’assimilation et la marginalisation étaient des reliques coloniales du passé et que tous les Canadiens étaient prêts à travailler avec eux pour bâtir un Canada meilleur.

Respecter cette promesse n’a pas été facile et le changement n’a pas eu lieu du jour au lendemain. Le changement a été lent – beaucoup trop lent – et il reste encore beaucoup à faire. Il ne suffit pas de modifier une constitution pour changer les esprits, les cœurs et les actions. Changer une constitution ne sort pas les personnes et les collectivités de la pauvreté, ça ne leur redonne pas les terres qui leur ont été prises illégalement et ça ne régénère pas les cultures et les traditions qui ont été supprimées.

Ce que les modifications apportées à la Constitution canadienne en 1982 ont fait, c’est ouvrir une nouvelle voie pour trouver un remède aux injustices historiques, aux tendances persistantes de la colonisation, aux divisions et aux inégalités dans la société. Pour dire les choses comme elles sont, cette nouvelle voie n’est pas toujours empruntée. Beaucoup de gouvernements ont bougé avec réticence et sont restés dans de vieux modèles. Le chemin de la décolonisation et de la réconciliation est tortueux – souvent douloureux et jamais facile.

Mais l’inclusion des droits des autochtones dans la Constitution a changé la dynamique. Les tribunaux sont devenus des véhicules très actifs intervenant pour tenter de faire progresser la réconciliation. Les injustices ont de plus en plus dénoncées et de plus en plus de Canadiens sont devenus des agents de changement. Et lentement, les gouvernements apprennent qu’ils doivent changer d’une manière concrète.

Aujourd’hui, pour les peuples autochtones et le gouvernement du Canada, le défi est de faire enfin des changements fondamentaux et irréversibles vers la réconciliation. Nous avons maintenant plus de 170 affaires devant les tribunaux canadiens portant sur les droits des Autochtones. Nous avons également la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones, un document que notre gouvernement a approuvé sans hésiter l’année dernière. Le défi actuel est d’utiliser ces outils pour assurer des avantages pratiques sur le terrain dans les communautés et pour finalement améliorer la vie des peuples autochtones.

L’héritage colonial est cependant un lourd fardeau, même avec de bonnes intentions et une volonté politique : la pauvreté, la santé et les problèmes sociaux, la rupture des institutions de l’ordre social et la dépendance. Il nous reste encore beaucoup de choses à reconstruire. Cela exige de la reconnaissance. Cela exige un processus de guérison. Cela exige le pardon. Cela exige de la confiance.

En 2008, nous avons franchi une étape importante quand le gouvernement du Canada s’est officiellement excusé auprès des peuples autochtones pour la tragédie des pensionnats et qu’il a créé notre propre commission Vérité et réconciliation. L’objectif de notre commission était de se pencher particulièrement sur la période sombre de l’histoire des pensionnats.

Le juge Murray Sinclair, président de la Commission et maintenant membre du Sénat du Canada, a reconnu publiquement que la Commission canadienne s’inspirait directement de la Commission Vérité et réconciliation de votre pays. Dans chacun de nos deux pays, cette commission a été mise en place pour reconnaître les violations des droits de la personne du passé afin de créer de nouvelles relations pour un avenir meilleur.

La Commission Vérité et réconciliation du Canada a documenté les histoires d’abus racontées par les survivants tout en respectant leur vérité et a formulé de nombreuses recommandations dans un rapport publié à la fin de 2015. Ces recommandations ou « appels à l’action » abordent de nombreux aspects du projet de réconciliation du point de vue de l’expérience des pensionnats.

Notre gouvernement s’est engagé à mettre en œuvre chacun de ces appels à l’action lorsque le gouvernement fédéral est concerné.

Notre gouvernement a également franchi une autre étape importante vers la réconciliation en faisant face à un autre héritage sombre – plus de 1 200 femmes et filles autochtones qui ont été tuées ou portées disparues.

Bien que les femmes autochtones représentent 4 % de la population féminine du Canada, 16 % de toutes les femmes assassinées au Canada de 1980 à 2012 étaient des Autochtones. C’est tout simplement inacceptable.

En septembre dernier, notre gouvernement a lancé une enquête nationale indépendante sur les femmes et les filles autochtones disparues et assassinées. Ce travail important est en cours et se terminera en 2018.

Il ne fait aucun doute que le travail combiné de la Commission Vérité et réconciliation et maintenant l’Enquête sur les femmes et les filles autochtones assassinées et disparues sera d’une valeur inestimable dans la guérison et la divulgation de la vérité qui font partie du cheminement vers la réconciliation.

Comme nous l’a enseigné le regretté Nelson Mandela – au-delà des excuses nécessaires et du travail émotionnel de divulgation de la vérité et de guérison – la réconciliation exige en réalité que les lois changent et que les politiques soient réécrites.

En tant que ministre de la Justice, je dois veiller à ce que les lois et les politiques de notre pays changent réellement en fonction de la reconnaissance des droits. De nombreuses lois et politiques doivent changer et de nouvelles doivent être élaborées.

Vous vous demandez peut-être où il faut commencer.

En fait, le travail a déjà commencé – avec les peuples autochtones en tête qui ont entrepris des travaux de développement communautaire importants pour tout reconstruire. Je reprends espoir en l’avenir en voyant la façon dont les nations autochtones ont ouvert la voie et montré à l’ensemble du Canada quel devrait être l’avenir.

Beaucoup de nations autochtones ont développé leurs propres institutions de gouvernance qui reflètent leurs propres cultures et traditions – certaines au niveau local, d’autres au niveau régional et parfois à l’échelle du Canada.

Aujourd’hui, il existe plus de 40 anciennes bandes relevant de la Loi sur les Indiens qui sont reconnues comme autonomes au Canada et des dizaines d’autres se sont engagées dans un processus de réforme de la gouvernance. Ces collectivités autonomes obtiennent des résultats sociaux et économiques bien meilleurs que celles qui ne le sont pas.

Mais bien sûr, il reste beaucoup de travail essentiel qu’il incombe au gouvernement canadien de faire. En vérité, il n’existe pas encore de mécanisme juridique simple pour passer du déni et de l’assimilation d’un peuple à la reconnaissance et à la réconciliation. Ce qu’il faut faire, c’est un virage à 180 degrés afin que nos lois et nos politiques guident nos pas vers l’avenir de la réconciliation et de la transformation – et non vers le passé de la colonisation.

À cette fin, le mois dernier, le Premier ministre a mis sur pied un groupe de travail de ministres chargé d’examiner toutes les lois et politiques fédérales liées aux peuples autochtones et il m’en a confié la présidence. Notre groupe de travail a reçu un mandat de transformation : décoloniser les lois, les politiques et les pratiques opérationnelles fédérales, et veiller à ce que tous les aspects des relations du Canada avec les peuples autochtones soient ancrés dans la reconnaissance des droits.

Nous comprenons qu’il ne s’agit pas uniquement de changer les règles. D’autres appuis sont nécessaires pour aider les communautés et les individus à abolir l’héritage social et économique du colonialisme. Et pour nous, l’éducation est la clé. Tout au long de mon séjour parmi vous, j’ai pu constater qu’il en allait de même dans votre pays. Il faut veiller à ce que tous les enfants autochtones reçoivent une éducation de qualité. La marée montante, comme on dit, soulève tous les bateaux.

Comme dans le cas de l’éducation, nous devons aussi remédier à des problèmes de santé physique et mentale. Il faut que toutes les communautés autochtones aient de l’eau potable. Au Canada, est difficile de croire que beaucoup de communautés en sont privées. À cette fin, notre gouvernement a fait et fera des investissements importants. Mais il faudra faire plus. Et bien sûr, cela ne semble jamais suffire. À vrai dire, c’est le nouveau prix de la liberté lorsque les guerres de l’égalité sont terminées.

À mon avis, la nouvelle relation de nation à nation et la résurgence de la gouvernance autochtone, fondée sur les traditions juridiques autochtones, changera pour le mieux, au cours de la prochaine génération, la façon dont le Canada est gouverné, non seulement en transformant les nations autochtones, mais aussi notre pays dans son ensemble.

En reprenant le contrôle de leur destinée, les peuples autochtones contribuent à renforcer le Canada, à en faire un pays dans lequel tous les Canadiens aspirent à vivre – un pays reposant sur des valeurs et des principes partagés que nous avons passé des années à encourager, créant une société équitable, compatissante et soucieuse des autres qui assure notre place sur cette planète en tant que l’un des meilleurs pays au monde où vivre.

Mais il y a beaucoup de travail à faire pour nous tous au Canada. Les peuples autochtones du Canada doivent se préparer à reconstruire leurs pays et à assumer les responsabilités qui découlent de l’autodétermination et de l’autonomie gouvernementale. Certains sont déjà prêts, déterminés et capables de prendre les choses en main. D’autres auront besoin d’un peu plus de temps.

Le gouvernement du Canada doit faire sa part et apporter son soutien aux nations autochtones dans ce travail de reconstruction. Le Canada doit affronter l’histoire de la colonisation et le déni des peuples autochtones et de leurs droits, un héritage qui subsiste encore aujourd’hui. Le Canada doit examiner ses lois et ses politiques pour s’assurer qu’elles s’harmonisent avec une approche de reconnaissance des droits. Nous devons faire sans tarder les investissements nécessaires dans le développement communautaire.

La vérité, c’est que la réconciliation n’est pas facile. Les Sud-Africains savent mieux que bien d’autres qu’il s’agit d’un long cheminement, souvent douloureux et difficile. Mais pour ceux qui croient en l’égalité, la paix et la dignité humaine, il n’y a pas d’autre chemin à prendre.

Surmonter l’apartheid a fait de l’Afrique du Sud une nation plus forte, respectueuse, inclusive et prospère. Cela ne veut pas dire que le voyage est terminé. En fait, comme je l’ai entendu dire plusieurs fois au cours de ma visite, il reste beaucoup à faire. Mais l’Afrique du Sud a vraiment fait des progrès remarquables et a tiré de son expérience des leçons précieuses dont des pays comme le Canada peuvent s’inspirer.

Et sur cette note, et avant de conclure, je veux vous dire ce que représente pour moi d’être ici, à l’Université de Cape Town, et de m’adresser à la future génération de juristes qui continueront de guider votre pays tout au long de son parcours de réconciliation et de transformation dans les années et les décennies à venir.

Votre école est réputée pour son soutien historique à la liberté. En tant qu’étudiants ici, vous portez cet héritage en vous. Le droit a été un outil d’oppression, mais dans le cadre de la règle de droit, c’est un outil incroyable pour la justice et pour donner la parole aux plus défavorisés. En tant qu’avocats de demain, vous avez la possibilité de façonner l’avenir de votre pays. Votre constitution est l’une des plus avancées au monde. Vous pouvez jouer un rôle central dans la définition de l’avenir de vos droits constitutionnels pour tous les Sud-Africains.

Votre faculté de droit a été l’endroit où de grands esprits ont participé à la Campagne de défiance contre les lois injustes, comme Albie Sachs, qui a été nommé à votre cour constitutionnelle. Votre faculté abrite également le Tribunal-école Oliver Tambo, qui porte le nom de cet homme qui a combattu toute sa vie pour une Afrique du Sud libre, mais qui est décédé avant les premières élections libres de votre pays. Vous honorez sa mémoire en donnant à son nom une place permanente au sein de votre faculté.

Votre université a également ajouté à sa réputation d’inclusion et possède maintenant l’un des campus universitaires les plus diversifiés d’Afrique du Sud.

Et en reconnaissant « le rôle de la loi dans la création d’une société qui était caractérisée par l’oppression » et qui « reste profondément divisée par l’inégalité », l’énoncé des valeurs et des objectifs de votre faculté de droit établit un lien important entre les fautes du passé et leurs conséquences qui perdurent encore aujourd’hui. Et cet énoncé fixe des objectifs louables pour aujourd’hui et pour demain en célébrant et en favorisant la diversité.

Ce sont des valeurs et des objectifs qui peuvent être appliqués universellement et qui ont certainement une grande résonance au Canada. La volonté de reconnaître le passé dans nos efforts de promotion de la diversité dans le présent rend nos institutions et nos sociétés plus fortes.

En terminant, permettez-moi de dire ceci. Comme les nombreux Sud-Africains inspirants que j’ai rencontrés pendant mon voyage, je suis d’un naturel optimiste. Et je suis convaincue que nos deux grands pays continueront de voir qu’il est toujours possible de faire mieux.

Lorsque Madiba a reçu son titre de citoyen canadien d’honneur, il a déclaré à notre Parlement que, dans le monde où nous vivons tous, les riches et les pauvres, les forts et les faibles sont tous liés dans un destin commun et que nul ne peut profiter d’une prospérité et d’une stabilité durables à moins que tous y aient accès. Ce sont des paroles prophétiques.

Qu’il s’agisse de la minorité autochtone au Canada ou de la majorité noire ici en Afrique du Sud, c’est par la façon dont nous traitons les autres et recherchons l’égalité que nous donnons la véritable mesure de notre humanité.

C’est le message de la réconciliation – le message de la transformation. C’est le message de l’Afrique du Sud. Je crois que c’est le message du Canada. C’est notre message collectif.

Gilakas’la. Merci beaucoup.

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