Célébration et réconciliation : Canada 150

Discours

Notes pour une allocution par
l’honorable Jody Wilson-Raybould, C.P., c.r., députée
Ministre de la Justice et procureur général du Canada

À la
Série de conférences de la Chambre des Lords de 2017
Palais de Westminster
Chambre des Lords – Salle de Robe de la Reine
Londres, Royaume-Uni
le 4 juillet 2017

Priorité au discours prononcé

Gilakas’la. Je vous remercie grandement de m’avoir invitée à être ici aujourd’hui. C’est un grand honneur de me trouver au milieu de si nombreux membres distingués de la Chambre des Lords, de la Chambre des communes, de la magistrature et du Service extérieur, ainsi que d’autres personnes qui se consacrent au service public dans nos deux pays. J’aimerais exprimer ma gratitude pour l’accueil et la générosité dont j’ai fait l’objet pendant ma visite.

En particulier, je remercie la conférence de la Chambre des Lords de l’honneur qu’elle nous a fait, à la très honorable Kim Campbell et à moi-même, de vous parler en ce 150e anniversaire du Canada.

Au nom du gouvernement du Canada, je suis très heureuse de vous transmettre les salutations de notre premier ministre, le très honorable Justin Trudeau. Il va sans dire que le Canada et le Royaume-Uni partagent une relation de longue date, qui repose sur des valeurs et des histoires communes et de solides liens personnels et familiaux.

D’entrée de jeu, je voudrais aussi prendre un instant pour déplorer les attentats récents de Manchester et de Londres et saluer la force et la résilience des Britanniques. Le Canada est uni avec la Grande-Bretagne. Nous savons que vous avez pleuré la mort d’une Canadienne dans l’attentat de Londres, tout comme les Canadiens ont pleuré la mort des Britanniques.

En tant qu’ancienne colonie britannique, le Canada, comme nation, a une histoire intimement liée à la vôtre. Notre pays célèbre cette année deux jalons historiques marquants où le Royaume-Uni a joué un rôle important. Le premier est la Confédération, la naissance du « Canada » comme pays, survenue en 1867, il y a 150 ans, avec l’adoption de l’Acte de l’Amérique du Nord britannique par votre Parlement.

Le second est le rapatriement, il y a tout juste 35 ans; c’est alors que le Royaume-Uni nous a rendu notre Constitution grâce au leadership du premier premier ministre Trudeau. Le rapatriement a été assorti de la Charte canadienne des droits et libertés, un document constitutionnel protecteur des droits qui sous-tend le système juridique moderne du Canada, de même que d’une affirmation explicite, dans notre Constitution, des droits des peuples autochtones.

Ce soir, je veux vous parler de ces moments de notre histoire commune, dans l’esprit de la célébration du 150e anniversaire du Canada. Je vous ferai également part de certaines réflexions au sujet de l’effort de réconciliation de notre pays avec les peuples autochtones – les Premières Nations, les Inuits et les Métis qui ont été les premiers habitants du Canada. Ce travail revêt une importance capitale pour l’avenir de nos peuples autochtones et pour l’avenir du Canada comme pays alors que nous terminons le travail inachevé de la confédération.

Comme vous le savez sans doute, les Canadiens n’ont pas tous célébré Canada 150 avec la même passion. Il y a des voix qui s’élèvent pour dénoncer notre célébration. L’expérience des Autochtones n’a pas toujours été caractérisée par les mêmes valeurs et réalités positives que le monde associe à juste titre au Canada.

Mais d’abord, comme c’est la coutume dans ma culture, je dois me présenter correctement et parler de mon propre parcours ici aujourd’hui.

Je vous ai été présentée comme Jody Wilson-Raybould, mais mon nom traditionnel est Puglaas.

Ma nation est le Kwakwaka’wakw des peuples parlant le kwak’wala du nord de l’île de Vancouver, en Colombie-Britannique, sur la côte ouest du Canada. Au sein de ma nation, je suis descendante des tribus Musgamagw Tsawataineuk et Laich-Kwil-Tach. Je suis du clan de l’Aigle.

Je viens d’une société matrilinéaire, dont les chefs sont héréditaires. Dans une société matrilinéaire, la descendance est tracée par la mère et nos ancêtres maternels. Le pouvoir et l’héritage passent par la lignée de la mère.

Mon père est le chef héréditaire de notre clan. Il se nomme Hemas Kla-Lee-Lee-Kla, ce qui signifie « le premier parmi les Aigles, le chef qui est toujours là pour vous aider ». Il a reçu ce nom dans un potlatch, une cérémonie qui est notre institution de gouvernement traditionnelle. Nous pratiquons toujours le potlatch, que les lois canadiennes nous ont pourtant interdit pendant quelques générations. C’est là que se transmettent nos noms d’une génération à l’autre. C’est là que nous adoptons nos lois, que nous réglons nos différends, que nous célébrons nos mariages et que nous redistribuons nos biens.

Ma grand-mère s’appelait Pugladee, le nom le plus élevé dans notre clan. Son nom signifie « une bonne hôtesse », un nom qui a aussi été donné à ma sœur aînée, Kory. Mon nom traditionnel, Puglaas, signifie « femme née de la noblesse ». Ces noms nous ont été donnés dans un potlatch d’attribution des noms quand j’avais cinq ans et ma sœur six.

Ma grand-mère et mon père se sont toujours faits champions des droits des Autochtones et de leur inclusion pleine et entière au sein du Canada. C’est dans ce contexte que j’ai été élevée.

Mon éducation, mes études et mes expériences professionnelles et personnelles ont toutes façonné ma vision du monde et renforcé ma détermination à réconcilier entre toutes les nations au sein du Canada.

Pendant de nombreuses années, j’ai travaillé avec bien d’autres personnes à changer les lois et les politiques du gouvernement fédéral du Canada, qui ont servi dans toute l’histoire du Canada d’instrument mal inspiré d’assimilation et d’oppression des peuples autochtones. J’ai accompli une bonne part de ce travail dans mon ancien rôle de chef régionale élue représentant la Colombie-Britannique à l’Assemblée des Premières Nations, une organisation qui représente presque un million de membres des Premières Nations, à l’échelle du Canada.

Nommée ministre de la Justice et procureur général du Canada en novembre 2015, je suis aujourd’hui justement responsable des lois et des politiques qu’un si grand nombre avons voulu modifier au prix de si grands efforts.

Pour moi, ma nomination au Cabinet n’est pas tant une réalisation personnelle qu’un symbole de tout le parcours que le Canada a suivi. Il n’y a pas si longtemps, on n’aurait pas permis à une femme autochtone comme moi de pratiquer le droit ou de voter, et encore moins de se faire élire. Aujourd’hui, une femme autochtone est le premier conseiller juridique de la Couronne.

Ce symbole est encore plus flagrant dans le contexte de l’histoire du Canada et du rôle qu’ont joué les peuples autochtones, dont je vais maintenant parler.

Le pays que nous appelons aujourd’hui Canada a connu un parcours remarquable dans les 150 années depuis la confédération des colonies d’où est né le Canada que nous connaissons; l’une des nations les plus diversifiées, les plus pacifiques, les plus démocratiques, les plus respectueuses et les plus cohésives sur terre, sinon la meilleure sur tous ces plans.

Un point critique de cette évolution a été l’adoption, il y a 150 ans, de la Loi constitutionnelle de 1867. C’est le Parlement britannique qui a adopté ce document de base, appelé à l’origine Acte de l’Amérique du Nord britannique, qui fixe le cadre constitutionnel essentiel du Canada. Ce moment souligne, à bien des égards, la transmission du flambeau du Parlement britannique au Parlement canadien. Le Canada, qui était formé au départ de quatre provinces, s’est vite élargi en accueillant d’autres colonies britanniques, de l’Atlantique à l’Arctique et au Pacifique.

Lorsque les Pères de la Confédération canadienne se sont réunis en 1864 pour jeter les bases du Canada, les peuples autochtones n’étaient pas présents. Les Autochtones n’étaient pas partenaires de la Confédération. Cette réalité est lourde de conséquences pour le Canada, et j’y reviendrai dans un instant.

Mais permettez-moi d’abord de parler tout de suite de 1982 et de l’adoption, par votre Parlement, de la Loi de 1982 sur le Canada, qui a marqué le début de l’indépendance constitutionnelle affirmative en rapatriant notre constitution du Royaume-Uni. La Reine Élizabeth II est venue à Ottawa signer le rapatriement de notre Constitution.

Pour un grand nombre de Canadiens, le rapatriement rappelle avant toute chose l’adoption de la Charte des droits et libertés. L’énumération, dans une constitution écrite, des droits et libertés garantis à tous les Canadiens, a marqué la fin du consensus du Commonwealth alors régnant qui affirmait les droits dans la common law et dans la législation, mais pas dans une déclaration des droits comme telle.

Un grand nombre des droits et des libertés garantis par la Charte sont formulés dans une langue qui reflète le libellé de la Déclaration universelle des droits de l’homme, et en particulier :

  • les libertés fondamentales d’expression, d’association, de religion et de conscience, ainsi que de réunion pacifique;
  • le droit à la vie, à la liberté et à la sécurité de la personne;
  • les droits en matière de justice criminelle;
  • les droits à l’égalité.

D’autres aspects de notre Charte des droits et libertés soulignent l’attention particulière que nous portons, en tant que pays, à la reconnaissance des droits :

  • nos droits en matière de langues officielles;
  • nos droits à l’instruction dans la langue de la minorité;
  • notre engagement envers le multiculturalisme.

Au cours de ces 35 dernières années, la Charte a inspiré et fait naître une culture de droits dans les institutions de gouvernance au Canada et chez nos citoyens. La réputation de notre Charte comme instrument de renommée mondiale de protection des droits de la personne lui vient des personnes et des groupes qui ont réclamé le respect de leurs droits devant nos tribunaux et notre Parlement.

Mais en outre, comme l’a dit notre juge en chef, qui se prépare à la retraite, la Charte fait désormais partie de l’identité canadienne. Lors d’un sondage mené par Statistique Canada en 2015, quelque 70 % des Canadiens ont cité la Charte comme symbole national très important, plus que notre drapeau unifolié, que notre hymne national, que la tunique rouge des membres de la Gendarmerie royale du Canada, que le hockey et même que le castor.

En ma qualité de ministre de la Justice et procureur général, je me vois comme ambassadrice de la Charte, que la loi oblige à veiller à ce que toutes les lois et toutes les politiques, et toutes les décisions de contentieux du gouvernement respectent la Charte des droits et libertés.

Au‑delà de l’adoption de la Charte des droits et libertés, le rapatriement de notre constitution en 1982 a marqué un point tournant important pour l’inclusion des peuples autochtones dans le cadre constitutionnel du Canada. L’article 35 de notre Constitution reconnaît et affirme les droits existants, ancestraux ou issus de traités, des peuples autochtones.

La constitutionnalisation de ces droits revenait à promettre aux peuples autochtones que leur présence au Canada et leurs droits ne seraient plus déniés, que l’assimilation et la marginalisation étaient des vestiges d’un passé colonial et que les Canadiens étaient prêts à travailler de concert avec eux pour bâtir un Canada meilleur.

Cette promesse n’a pas été facile à tenir et le changement ne s’est pas fait du jour au lendemain. Il reste encore beaucoup de travail à faire. Mais l’inclusion explicite des droits des Autochtones dans la Constitution a changé la dynamique. Nos tribunaux sont devenus des véhicules d’intervention active pour promouvoir la réconciliation. Les injustices sont de plus en plus mises au grand jour et le public canadien est plus sensibilisé que jamais auparavant à ces questions. Et, petit à petit, les gouvernements apprennent qu’ils doivent changer de façon tangible.

Cela m’amène à mes derniers messages sur la réconciliation.

J’ai fait la connaissance de notre premier ministre, le très honorable Justin Trudeau, il y a environ quatre ans et demi, alors qu’il était présent à un rassemblement de l’Assemblée des Premières Nations.

Nous avons parlé de l’avenir du Canada et de ses convictions au sujet des peuples autochtones.

J’ai compris qu’une présence formelle en politique serait pour moi la chance de faire partie d’un gouvernement dont le chef avait pris l’engagement solennel d’amener un vent de changement avec un esprit de réconciliation véritable avec les peuples autochtones.

Quatre ans et demi plus tard, je suis fière de mon rôle de ministre de la Justice et procureur général au sein d’un gouvernement qui est résolument engagé dans la voie d’une véritable réconciliation.

Notre gouvernement s’est engagé à mettre en œuvre le rapport de la Commission de vérité et réconciliation, qu’il avait chargée de se pencher sur le triste héritage des « pensionnats ». Pour ceux d’entre vous qui ne connaissent peut-être pas ces séquelles, disons que des jeunes Autochtones ont été arrachés à leur famille et placés dans des écoles gérées par l’État, où il leur était interdit de parler leur langue ou de suivre leurs pratiques culturelles. Pis, des enfants ont subi des sévices inimaginables dans les écoles, et certains n’en sont jamais revenus. Les effets traumatisants de ces événements ont trouvé leur écho dans toutes les collectivités autochtones au fil des ans.

Mais au‑delà des excuses nécessaires et du travail émotif de recherche de vérité et de guérison, la réconciliation demande des changements de lois et la réécriture de politiques.

À cet égard, mon rôle de ministre de la Justice consiste à veiller à ce que les lois et les politiques de notre pays changent effectivement dans le sens de notre engagement de reconnaissance des droits.

À cette fin, en début d’année, le premier ministre a chargé un Groupe de travail de ministres de revoir toutes les lois et politiques fédérales touchant les peuples autochtones et m’en a confié la présidence. Notre mandat ne vise rien de moins qu’un bouleversement : il s’agit de décoloniser nos lois et politiques fédérales et de veiller à ce que l’approche de la reconnaissance des droits soit au cœur de tous les aspects de la relation qu’entretiennent le gouvernement du Canada et les peuples autochtones. Ce n’est pas une mince tâche, mais c’est une tâche à laquelle j’ai l’honneur de m’atteler et qui pourrait modifier le cours de l’histoire du Canada.

En terminant, donc, je vous laisse sur cette pensée. Nos célébrations du 150e anniversaire du Canada suscitent beaucoup d’optimisme et d’espoir. Pour de nombreux Autochtones, cet anniversaire n’est pas tellement l’occasion de célébrer le passé, mais davantage celle de se réjouir de ce que le Canada est devenu et est en passe de devenir – d’entrevoir l’avenir avec un nouvel optimisme dans un Canada plus inclusif et plus juste – et de faire en sorte que les 150 prochaines années soient meilleures pour tous.

Le Canada et le Royaume-Uni ont une histoire commune et entretiennent une profonde amitié. Nos vieilles traditions de multilatéralisme, de protection des droits, de diversité et de tolérance nous unissent et continueront de nous unir dans l’avenir.

Dans le tragique attentat du pont de Londres le mois dernier, la jeune Canadienne qui a perdu la vie s’appelait Christine Archibald. Dans une déclaration publique, la famille de Christine a dit qu’« elle avait une place dans son cœur pour tout le monde et avait la conviction qu’il fallait valoriser et respecter tout le monde ». Forte de cette conviction, elle a trouvé au Royaume-Uni un nouveau chez-soi aussi accueillant que celui qu’elle avait quitté au Canada.

Merci, Gilakas'la.

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