Collection et préservation

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Il semble approprié de faire suivre la discussion sur l'utilisation à court terme de l'art numérique dans les expositions de pourparlers sur l'usage à long terme de pareilles œuvres et de la propriété intellectuelle, sous-entendue dans les actes de collection et de préservation. On a déjà mentionné que l'art numérique se fonde sur des médias variables que l'on devra nécessairement modifier au cours de la vie des œuvres. Celles-ci peuvent devoir être réparées, mises à niveau ou reconstruites en totalité à partir de consignes. Les artistes et les institutions composent déjà avec les ramifications de cette réalité grâce à une forme naissante d'attribution de licence plutôt que l'achat pur et simple traditionnel. Les réserves implicitement présentes dans la décision de Gary Hill de conserver les bandes vidéos maîtresses des œuvres dans la collection muséale ne sont pas injustifiées, non plus qu'elles sont restreintes à quelques artistes. Par exemple, lorsque le Berkeley Art Museum/la Pacific Film Archive ont acquis l'œuvre numérique Landslide susmentionnée, l'artiste Shirley Shor a acheminé un ordinateur et un programme informatique pour exécuter l'œuvre d'art, mais elle a retenu le code source derrière le programme en question. Que l'objet de Hill se modifie à l'intérieur de la collection du musée ou que les artistes s'adonnent à des ententes qui s'apparentent à des licences d'utilisation d'un logiciel, ce ne sont pas là des faits qui en eux-mêmes soient des avènements négatifs; ils démontrent que la manière dont les arts médiatiques sont perçus évolue. Ce qui devrait alarmer la collectivité culturelle à propos de pareils exemples, c'est que de telles transformations donnent habituellement lieu à de rapides solutions techniques et contractuelles extraordinaires plutôt que des pourparlers de la part de la collectivité et la mise au point de pratiques éprouvées et songées à long terme. Les effets secondaires de ces solutions spéciales ne nourrissent souvent les intérêts à long terme ni de l'artiste ni de l'institution. Voyons un peu ces effets pervers puis certaines solutions proposées.

Dans le cas du code source de Landslide, par exemple, le musée pouvait transposer l'œuvre numérique de sa plateforme Windows initiale vers d'autres plateformes informatiques indiquées à des fins d'exposition ou de préservation quand (et non pas si) l'actuelle plateforme de famille Windows devient désuète. Sans cela, le musée devrait soit assumer la tâche beaucoup plus ardue d'obtenir le programme logiciel pour Windows afin de l'exécuter sur les plateformes éventuelles ou encore retourner à l'artiste en vue d'acquérir une copie à long terme de l'objet. Retenir le code d'origine d'une œuvre d'art numérique est en principe une opération similaire au fait de conserver les bandes maîtresses d'une pièce vidéographique. En pratique toutefois, il est plus facile de copier la version dérivée d'une vidéo vers une nouvelle plateforme, moyennant une perte de qualité, que d'obtenir un logiciel pour le faire rouler sur une plateforme étrangère. De plus, dans le cas d'une œuvre numérisée, on n'est pas confronté à la difficulté d'avoir une seule copie « maîtresse ». La « copie maîtresse » numérique peut être dupliquée sans perte de qualité aussi souvent que les produits dérivés, ce qui signifie qu'à la fois l'artiste et le musée pourraient détenir des copies « maîtresses ». Retenir la bande maîtresse/source des œuvres d'art électronique empêche la préservation et l'exposition réelles de l'objet et réserve une place douteuse à l'œuvre en ce qui a trait à la postérité.

Certaines conventions actuellement appliquées par les musées pour acquérir les œuvres d'art médiatique ressemblent à des licences d'utilisation de produits logiciels, mais elles s'apparentent souvent à des accords d'acquisition traditionnels suivant des modalités qui nuisent aux œuvres numériques. Par exemple, il n'est pas rare de voir dans pareilles ententes des clauses qui stipulent que le musée fera l'acquisition de la seule et unique copie ou de l'une des rarissimes copies de l'œuvre et que l'artiste ne doit en produire aucun autre exemplaire. Alain Depocas et al. faisaient remarquer que ces conventions définissent aussi parfois l'œuvre visée par l'opération d'acquisition en termes de support ou d'emballage plutôt que de contenu de sorte que le musée acquiert un « DVD » au lieu d'un film. Les deux tendances mentionnées ici délimitent les œuvres sur support numérisé selon le modèle d'échange de l'art médiatique traditionnel. Ils utilisent des contrats pour restreindre de manière artificielle l'œuvre à une copie exclusive comme s'il s'agissait d'un objet fixe unique (notamment une toile) ou au mieux d'une reproduction « à édition limitée ».

Les pratiques de collection des organismes artistiques ne sont pas fortuites; elles partent d'un désir sincère de l'artiste d'exercer une influence sur son œuvre au cours de sa vie et de l'élan mutuel des artistes et des musées de compenser l'artiste visé suivant un modèle économique familier. Cependant les effets secondaires de ces pratiques ne répondent aux intérêts à long terme ni de l'artiste ni de l'institution. Les solutions découlent des efforts déployés par la collectivité pour instaurer des pratiques exemplaires et des normes communes dans le domaine de la culture en vue de la cueillette des objets numériques et médiatiques. Deux projets du genre sont le Variable Media Network et Archiving the Avant-Garde. On expose ci-après des recommandations choisies issues de ces projets ainsi que leurs incidences en matière de droits d'auteur.

Les médias numériques sont grandement portés à être copiés, contrairement aux supports artistiques traditionnels comme les toiles et les imprimés, et même contrairement aux anciennes formes d'art médiatique analogiques telles que la photographie et la vidéo qui subissent une perte de qualité au moment de la copie. En fait, copier est une stratégie de préservation primaire dans le cas des artefacts numériques. « Sauvegarder » s'applique aux fichiers de renseignements personnels, mais s'applique aussi aux objets d'art numérisé. Plus il existe de copies, plus la tâche de les préserver est répartie parmi les divers agents et mieux sont les chances de survie de cette œuvre à long terme. Par conséquent, l'exclusivité de certaines conventions d'acquisition devrait être inversée. La collectivité artistique aurait intérêt à envisager des modèles où de nombreuses copies d'une œuvre numérique sont recueillies et préservées, peut-être de manière concertée. Bien entendu, cette procédure soulèverait des aspects de la propriété intellectuelle qui permettraient aux œuvres d'être détenues en commun ou échangées parmi un groupe accru mais délimité d'établissements plutôt que d'être conservées jalousement par une ou deux parties.

L'évolution constante de l'œuvre de Gary Hill dans la collection du musée qui la détient ne fait nullement exception en matière d'art électronique; c'est la nouvelle règle. Il est évident que les œuvres sur support numérisé ne sont pas des objets statiques qui demeureront stables pendant de longues périodes. À la place, elles nécessiteront de fréquentes opérations de maintenance, de mise à jour et parfois même de recréation en une technologie contemporaine au moyen de consignes émanant de l'artiste. Le changement fait partie intégrante de toute œuvre médiatique. Dans ce cas, ceux qui recueillent l'art numérique devront obtenir des permissions qui dépassent les droits habituels d'exposer, de prêter et de reproduire. Les permissions doivent aussi exposer de manière explicite les autorisations et paramètres servant à modifier l'objet à long terme.

Il n'existe aucune justification technique pour expliquer que les copies « maîtresses » de l'art numérisé tel que le code source ne peuvent être dupliquées et remises aux collectionneurs. Cette marche à suivre nourrit le mieux le désir de préserver l'œuvre. On doit donc concevoir des solutions qui permettent de procéder ainsi tout en protégeant l'intérêt de l'artiste en matière de contrôle exercé sur l'objet. Bien entendu, on peut notamment y parvenir en rédigeant des contrats qui exposent clairement les permissions et droits limités du collectionneur en ce qui a trait au code. Par exemple, un contrat portant sur Landslide stipulerait qu'on peut utiliser le code source pour produire de nouvelles versions de l'œuvre seulement et ne pas s'en servir pour fabriquer les autres maquettes que le code est capable de produire (mais que le musée n'a pas achetées). Une autre manière d'atteindre ce but est de créer des droits différés. Ippolito et Depocas décrivent un type de « version numérique entiercée » (c.-à-d. livrée sous condition) en vertu de laquelle soit on promet légalement le code d'origine au collectionneur à une date ultérieure ou soit on crée une tierce partie neutre pour détenir pareil code sous forme de dépôt (et le maintenir entre-temps). Comme l'explique Ippolito, le musée Guggenheim n'exige pas l'exclusivité absolue du code source dont il fait l'acquisition, mais permet aux artistes de conserver et de réutiliser leur exemplaire du code d'origine pour produire de nouvelles œuvres. Ceux-ci acceptent également que si le musée omet dans le cadre de ses fonctions officielles de maintenir les objets en ligne actifs (afin de les exposer) l'artiste est autorisé à négocier d'autres modalités pour héberger l'œuvre dans le cyberespace.

On recommande aux collectionneurs d'objets numériques, dans la mesure du possible, de négocier les droits de rétroconcevoir le logiciel et de percer le chiffrement du logiciel lorsque l'une ou l'autre de ces opérations est requise pour récupérer et préserver l'œuvre. Il faut souligner que la première opération est interdite par la plupart des licences de logiciels du commerce et que la seconde opération est implicitement proscrite aux États-Unis par la Digital Millennium Copyright Act.Note en bas de page 31 Cette réalité fait à nouveau ressortir le besoin pour le secteur culturel de participer activement aux débats juridiques et sociaux entourant les règles du droit d'auteur.

Compte tenu du flot d'œuvres d'art numérique, la documentation est encore plus importante qu'elle ne l'est pour l'art médiatique traditionnel. La documentation est parfois tout ce qui est aisément accessible pour la visualisation ou la recherche, et elle est déterminante pour le maintien et la mise à niveau de l'œuvre. On recommande aux collectionneurs qui font l'acquisition de l'art sur support numérisé d'acquérir autant de documentation accessoire que possible auprès de l'artiste en accompagnement de l'objet en soi. Le collectionneur doit également clarifier les questions de droit d'auteur/vie privée de la documentation que ce qu'on mentionne brièvement dans la discussion précédente sur les archives du fonds Langlois. La documentation concernant l'art numérique doit respecter un format différent de celui pour l'art électronique traditionnel puisqu'elle doit décrire les crédits et autorisations connexes touchant les œuvres multiples et les divers sous-composantes de l'œuvre. Cette dernière recommandation nécessite de nouveaux modèles conceptuels et descriptifs pour les œuvres d'art numérisé. Un modèle du genre a été proposé par le projet Archiving the Avant-Garde sous forme de Media Art Notation System ou système de notation de l'art médiatique.Note en bas de page 32

Des activités aussi importantes pour la collectivité culturelle que la cueillette et la préservation appellent des pratiques exemplaires et des normes collectives. Pareilles normes qui voient le jour doivent être conçues de pair avec les pratiques de propriété intellectuelle connexes et les modèles économiques pertinents touchant l'art numérique. Ces trois discussions comportent des liens pratiques et elles peuvent aussi s'éclairer mutuellement sur le plan conceptuel.

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