Modèles économiques en numérisation de l'art

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Le droit d'auteur est directement relié aux intérêts économiques, et différents modèles de droits d'auteur desservent différents modèles économiques. Pour bien étudier le lien entre le droit d'auteur et l'art numérique, on doit envisager lesquels des modèles économiques suivent l'évolution de l'art numérisé et leurs liens avec le droit d'auteur. La sous-économie que constitue le marché de l'art repose sur le modèle traditionnel d'échange de produits tangibles, de biens matériels, pour la vente. Il existe évidemment des nuances dans ce créneau quant à la nature spéculative des prix et aux manières spécifiques dont les faiseurs de goûts l'influencent, mais le modèle économique de base est à la fois ancien et simple.

Une façon évidente suivant laquelle l'art numérisé diffère de l'art électronique traditionnel est que l'art numérique ne prend habituellement pas la forme d'un objet physique particulier et discret. Cela affecte l'important concept de propriété exclusive qu'entretient le marché de l'art et la capacité de quantifier sur-le-champ ce qu'on achète. Comme on le décrivait antérieurement, l'art numérique nourrit un rapport fluide face à la tangibilité des choses et les procédés sont souvent plus importants que le produit pour définir l'œuvre. De même, les nouveaux modèles économiques d'art numérique – à titre expérimental en fait, puisqu'il n'existe encore aucun modèle fonctionnel convenu – insistent souvent sur le procédé plutôt que sur le produit. Par exemple, en 1999 cet auteur est devenu le premier artiste à vendre avec succès une maquette numérique sur eBay. L'œuvre d'art a été affichée à 5 $ et, une fois la ronde de soumissions terminée, s'est vendue pour 52 $.Note en bas de page 33 Cette expérience ou prestation avait pour but de rehausser la perspective des nouveaux modèles économiques pour l'art numérique en utilisant les outils iconiques de l'économie alors dite « nouvelle » et de vendre l'art numérisé plus comme « partagiciel » que comme maquette. Le partagiciel est un logiciel que met au point un programmeur puis dont l'on vend de multiples copies à prix très minime. L'idée n'est pas de gagner sa vie des recettes de la vente du logiciel, mais de recouvrer un minimum de coûts de production tout en utilisant le partagiciel pour faire connaître les compétences du créateur. Celui-ci gagne ensuite réellement sa croûte par des emplois contractuels qui peuvent découler du partagiciel, ou il peut être embauché carrément pour ses habiletés et sa créativité. Le concept pertinent ici, ce sont les compétences et les services du créateur qui ont préséance sur ses produits tangibles. En insistant sur l'art en tant que procédé, on privilégie le rôle de l'artiste. Dans le marché artistique traditionnel fondé sur les produits, ce sont souvent de tierces parties, des galeries aux successions d'artistes, qui recouvrent le plus de valeur de l'œuvre des artistes en question par la vente et la revente tandis que l'objet quitte l'univers de son créateur. Le droit d'auteur attenant relatif à cette formule de partagiciel devrait sans doute être un modèle ouvert et souple (sauf pour des droits d'attribution rigoureux) puisque cet artiste souhaite que la maquette soit facilement partagée et visible, utilisée et réutilisée, afin de bien publiciser l'artiste.

Alain Depocas peut témoigner de la présence de modèles similaires où la maquette sert non pas de principale source de recettes pour les artistes de l'électronique, mais bien de carte d'appels qui donne lieu à des invitations à prendre part à des festivals d'art médiatique et de contrats d'artistes en résidence (dont les artistes tirent la majeure partie de leur revenu). En pratique, les politiques (voire les règles) de droit d'auteur connexes que constate Depocas sont en effet légèrement plus ouvertes que les droits artistiques traditionnels. Par exemple, le laboratoire V2 des Pays-BasNote en bas de page 34 nécessite que toute technologie mise au point par les artistes de l'électronique pendant leur résidence dans le cadre du projet V2 demeure sur place pour fins de réutilisation par les futurs artistes résidents qui peuvent les intégrer à leurs propres travaux.

Au cœur des règles du droit d'auteur se trouve la notion que les protections visant la propriété intellectuelle servent à promouvoir la créativité et l'innovation dans la société étant donné qu'elles assurent un rendement sur l'œuvre initiale, ce qui contribue à motiver le créateur. Les périodes de protection prolongées (la vie du créateur plus plusieurs décennies) garantissent un rendement énorme. Cependant les modèles d'art numérique, lesquels insistent sur le procédé plutôt que le produit, laissent entendre que des périodes de loin écourtées serviraient sans doute à mieux promouvoir l'innovation puisque cela exigerait une démarche innovante et constante; personne ne pourrait s'asseoir sur les lauriers d'un rongeur animé pendant 95 ans. Des périodes de protection moins longues viendraient également renforcer l'idée que le créateur est le principal bénéficiaire de son œuvre plutôt que les tiers qui peuvent faire l'acquisition ou hériter de l'objet protégé sans créer ni innover eux-mêmes.

John Sobol, auparavant éducateur et conservateur adjoint de Digifest, a déclaré que le marché de l'art actuel amortit toute la valeur en objets fixes tangibles, privilégiant la transposition au détriment de l'exécution. Selon lui, il serait plus profitable pour les artistes et la société de déplacer la valeur depuis le produit vers le procédé. Sobol a assisté à diverses expériences touchant les économies de l'art numérique, mais rappelle que la majeure partie du monde artistique, même une grande tranche de la collectivité de l'art médiatique, définit toujours sa valeur selon le contenu qu'elle produit ou possède plutôt que les procédés qu'elle applique. Sobol souligne que les organismes qui profitent le plus des supports numérisés et d'Internet sont ceux qui adoptent une attitude neutre vis-à-vis le contenu. Ces entités (eBay, Google, Amazon, Cisco) ne produisent aucun contenu elles-mêmes, mais s'activent plutôt à appliquer les procédés et à relier les gens les uns par rapport aux autres, aux idées ou encore aux services et aux produits. Comme l'a affirmé Sobol, les commandes consenties aux artistes, par exemple, attribuent de la valeur au procédé autant qu'au produit et les commandes constituent une forme de procédé habilitant. Sobol suggère que les commandes qui sont habituellement versées par un agent à grands frais pourraient sans doute être décentralisées de sorte que les coûts soient répartis parmi de nombreux agents. Les artistes pourraient solliciter de nombreuses donations de moindre envergure en ligne, récompensant les donateurs par des productions artistiques à petite échelle telles que des épinglettes originales ou des cartes postales. Même si les dons individuels pourraient être minimes, ils pourraient s'accumuler pour constituer l'équivalent de la commande d'un musée. Ce modèle a connu une popularité restreinte dans le monde artistique, mais a retenu l'attention des musiciens indépendants et des politiciens parmi lesquels, par exemple, le candidat à la présidence américaine Howard Dean a amassé un montant considérable de fonds de campagne à partir de nombreuses petites donations par Internet plutôt que quelques dons d'importance.Note en bas de page 35

Neeru Paharia, directrice associée de Creative CommonsNote en bas de page 36, a dressé la liste des modèles similaires de la part de la collectivité créative, en s'en remettant surtout au secteur privé. Parmi ces modèles économiques qui servent à appuyer financièrement les créateurs, on trouve les suivants. D'abord, on a les « jarres à pourboires » informatisées au profit des musiciens. Il s'agit de sites de musique en ligne dont le contenu est gratuit, mais où les utilisateurs sont invités à faire un don à l'artiste en utilisant le système de paiement intégré PayPal. On peut trouver que ce modèle est l'équivalent en direct du musicien du métro qui dépose son chapeau par terre, mais ce qui fascine dans ce contexte c'est que le financement est dirigé vers le procédé artistique et détaché d'un prix fixe pour un produit fixe. Paharia mentionne d'autres sites musicaux où le contenu échantillonné est gratuit, mais où la version intégrale nécessite un achat, et d'autres sites où le contenu est gratuit à des fins non commerciales, mais payant pour usage commercial. Jon Ippolito suggérait que le meilleur modèle économique au profit des artistes de l'électronique pourrait consister simplement à conserver un emploi de jour. Bien que ce modèle ait évidemment desservi les artistes de tous genres depuis la nuit des temps, les artistes du numérique sont parmi de très rares regroupements d'artistes qui peuvent décrocher un emploi rémunérateur en faisant quelque chose qui est directement relié à leur pratique artistique. Il existe peu de postes pour les peintres et leur chevalet, mais beaucoup pour de bons programmeurs. Les emplois de jour grugent bien évidemment du temps que l'artiste professionnel aurait pu consacrer à son art et minent même la désignation d'« artiste professionnel » puisque bon nombre se servent de terme pour désigner ceux qui gagnent leur vie de leur art. Sur une note positive toutefois, les artistes du numérique en particulier peuvent acquérir une précieuse expérience dans la forme d'art choisie et créer durant la nuit des œuvres qui s'inspirent de leur industrie ou s'y harmonisent. Un revenu qui ne dépende pas de la vente d'objets d'art sous-entend également une certaine liberté des préoccupations commerciales qui entachent la pratique de l'artiste. De même, cela permet à l'artiste d'être plus flexible quant aux droits de propriété intellectuelle qu'il impose ou auxquels il consent quant à son art. Day Jobs, une exposition d'art numérique chez New Langton Arts, explorait le rapport relativement nouveau entre la survie artistique et le travail dans le domaine des arts numériques.Note en bas de page 37

Un exemple de modèle économique pour les artistes en général qui soit privé mais collectif est l'Artist Legacy Foundation.Note en bas de page 38 Mise sur pied par les artistes Squeak Carnwrath et Viola Frey, cette fondation est une sorte de succession artistique fédérée. La fondation accepte et garde des œuvres données par des artistes. Pendant la vie de l'artiste et bien au-delà, la fondation promeut l'objet artistique tout en tirant profit de sa vente et de sa reproduction par voie de licences. Les recettes issues de ces œuvres sont réinvesties dans la collectivité des arts par le truchement de subventions aux artistes en vie. Ce modèle économique semblerait nécessiter une protection des droits d'auteur qui s'apparente beaucoup aux règles en vigueur.

Jem Budney, conservateur à la Kamloops Art Gallery, a traité des modèles économiques publics et de l'influence officielle sur les modèles privés. Budney a parlé de la CARFAC, une société nationale canadienne vouée à la gestion des droits d'auteur qui fixe les tarifs standard pour les commandes d'artistes et les expositions.Note en bas de page 39 Budney voit une utilité à pareille agence et se sert de ses barèmes tarifaires pour compenser les artistes le mieux possible. Budney suggère que la CARFAC affecte les fonds publics parce que les organismes artistiques peuvent clairement démontrer le bien-fondé des tarifs artistiques spécifiques. Budney souligne toutefois que la CARFAC n'est pas un syndicat d'artistes visuels, ce qui affecte aussi le financement public. Par exemple, les artistes exécutants disposent de plusieurs syndicats nationaux qui les aident à négocier et à fixer des honoraires uniformes et élargis auprès des présentateurs. Cela signifie que les instances chargées de présenter les arts de la scène peuvent démontrer des besoins clairement définis pour des postes budgétaires beaucoup plus imposants que ne le peuvent les organismes voués aux arts visuels. Budney croit que ce phénomène contribue aux montants réduits de fonds publics consentis aux arts visuels. David Clark, artiste et professeur agrégé au Nova Scotia College of Art and Design, tire son gagne-pain de son salaire universitaire jumelé aux subventions artistiques publiques et aux commandes. Clark a mentionné qu'un ami fait l'essai d'un modèle économique intéressant pour un livre électronique où l'ami en question contribuera gratuitement du contenu sur Internet, mais facturera les droits de diffusion. Cela fait écho à une suggestion de Diane Zorich selon laquelle les artistes commencent à départager les divers droits sur les œuvres numériques et les traitent de manière individuelle en créant des structures économiques et des modèles de propriété intellectuelle plus évolués. Clark conclut en suggérant que le Canada fournit aux artistes un meilleur financement public que ne le font les États-Unis, mais dispose d'une bien moins imposante culture de collectionneurs privés à l'appui des artistes.

La collectivité des arts numériques fait l'expérience de solutions économiques de rechange et de pratiques de droits d'auteur connexes, mais cela ne veut pas dire que certains des modèles plus traditionnels ne s'appliquent nullement à l'art numérisé. Les ventes de maquettes aux collectionneurs ou aux musées peuvent toujours jouer un rôle important, surtout si pareils modèles sont adaptés et mis à jour pour les médias électroniques tels que décrits dans la section précédente portant sur les collections et la préservation.

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