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Même si ce document aura comme thème principal l'art numérique, il est utile d'envisager pour un instant tout le tableau de la manière dont les organismes culturels ont subi le contrepoids de la montée des médias numériques dans le domaine de la propriété intellectuelle. Un aspect qui illustre l'incidence de ce point est celui des reproductions numérisées des objets muséaux traditionnels et des manuscrits archivistiques, l'un des sujets de nombreux mémoires, volets de colloques, voire de congrès entiers dans le secteur de la culture. Ci-après se trouvent des exemples de la façon dont les enjeux de l'imagerie numérique affectent les organismes culturels suivant des modalités qui entraînent des précédents et des répercussions chez l'art numérisé.

Le Centre de recherche et de documentation de la Fondation Daniel Langlois de Montréal réunit de vastes archives sur les artistes contemporains et médiatiques. Alain Depocas, directeur du Centre, a affirmé, au cours de son interview, que l'une des questions les plus pressantes en matière de propriété intellectuelle à laquelle est confrontée son œuvre est celle à savoir s'il peut reproduire numériquement du matériel archivistique pour y faciliter l'accès de la part des chercheurs ou peut-être contribuer à sa préservation. Il doit même déterminer s'il est autorisé à montrer parfois aux chercheurs le manuscrit physique d'origine. Ce qui explique en partie cette préoccupation, c'est que la documentation archivée est en soi un sous-produit sans gêne des activités d'un individu ou d'un organisme et n'a donc pas nécessairement été filtré ou approuvé par tous les intéressés. Parmi les manuscrits en question, on peut retrouver des précisions fort personnelles portant sur la vie des gens ou des secrets industriels. Le problème serait accentué par le fait que l'archive comprend peut-être, au sujet des personnes, du matériel autre que la vedette matière principale du fonds archivistique. Par exemple, dans la collection Woody Vasulka du Centre se trouvent de la correspondance personnelle de Vasulka, mais également des lettres d'autres individus à l'intention de l'artiste. Bien que cela puisse constituer l'Archive Vasulka, la vie d'autrui fait partie intégrante du fonds. Depocas doit départager les renseignements personnels en jeu et les autorisations à obtenir afin de reproduire numériquement les documents archivés ou encore de publier de telles reproductions en ligne ou sur support papier. Ce dilemme rappelle un écueil similaire qu'il faut contourner au moment de rassembler les œuvres d'art numérisées qui sont souvent le fruit de multiples collaborateurs, dont seulement certains peuvent faire partie des artistes qui devront traiter directement avec un organisme chargé de la cueillette de l'information.

Jill Sterrett, responsable des Collections au San Francisco Museum of Modern Art (SFMOMA), insistait sur un projet visant à faire reproduire numériquement des affiches du fonds de design du musée. Ces affiches comprennent des outils de promotion commerciale de concerts qui ont eu lieu à San Francisco, au cours des années 1960 et 1970. Étant donné la nature même de ces outils promotionnels, le SFMOMA doit déterminer non seulement les multiples droits déjà compris dans les productions graphiques commerciales, mais également les sujets des affiches, y compris les promoteurs et les musiciens. Cette démarche conduira le musée dans l'arène de l'industrie de la musique et des pratiques propres à cette industrie en matière de publicité, d'édition et de reproduction. Le trajet est celui qu'emprunteront les autres instances chargées de colliger de l'art numérique qui est souvent un amalgame de supports (illustrations, musique, images mobiles) et donc un mélange complexe de règles et de pratiques recoupant plusieurs champs professionnels différents.

La Franklin Furnace Archive de New York fournit un accès en ligne à des images et des enregistrements d'artistes-exécutants qui ont fait des prestations à la Franklin Furnace. L'archiviste Michael Katchen a l'habitude de demander individuellement à chacun des artistes la permission de présenter ces images et enregistrements en ligne. Conservant des liens étroits avec les artistes, Katchen a également reçu d'eux des demandes en vue de modifier l'illustration et/ou le texte en ligne (même si le personnel de la Franklin Furnace et non pas l'artiste a rédigé le document en tant que compte rendu de fait de l'événement). La justification d'au moins une de ces demandes était que la prestation en question relatée sur le site Web de la Franklin Furnace comprenait du matériel audacieux touchant le sexe et la pornographie. À cette étape avancée de sa carrière, l'artiste ne souhaitait plus être associé à ces travaux antérieurs. Bien que le concept de « droits moraux » n'existe pas dans la jurisprudence américaine en tant que telle, cet exemple illustre la prise en compte des visées de l'artiste après le fait, que cette prise en compte soit prescrite par la loi ou simplement dictée par un rapport déontologique avec l'artiste. Cette demande spécifique visant à modifier l'œuvre ou l'enregistrement de l'œuvre bien après l'étape de la documentation ou de la cueillette a des incidences particulières sur l'art sur support numérique en ce sens que pareilles modifications sont non seulement plus faciles, mais souvent nécessaires en raison de la préservation permanente et de l'exposition ultérieure. Ces activités exigeront des échanges continus avec la source de l'artiste de l'électronique, que ce soit ou non requis par la loi. Elles pourraient également indiquer une nouvelle manière de fonctionner, surtout dans les pays sans jurisprudence au chapitre des droits moraux.

À propos du thème de la moralité et de l'éthique (en mettant de côté pour l'instant les droits moraux en tant que concept juridique spécifique), il pourrait être utile d'effeuiller les différentes préoccupations entourant la propriété intellectuelle chez les organismes culturels. Comme on l'a déjà mentionné, les organisations de nature culturelle se sont récemment intéressées grandement aux biens intellectuels sous forme numérique. Souvent implicite dans les mémoires professionnels et les congrès, la motivation derrière cet intérêt est soit pratique (évitant les complications juridiques) ou économique puisque les organismes voués à la culture eux-mêmes tirent parfois des recettes de la délivrance de licences en contrepartie de l'utilisation d'illustrations reprenant des œuvres de leur collection. Cette motivation n'explique toutefois pas le niveau d'intérêt et, pour tout dire, le feu qui se dégage de tels échanges professionnels. Sur le plan économique, les recettes provenant des licences d'utilisation des images par la vaste majorité des musées d'Amérique du Nord sont peu marquées; habituellement, une faible proportion du budget de fonctionnement muséal. Éviter les litiges est évidemment toujours conseillé, mais puisque les enjeux pécuniaires sont peu prononcés, on atteint aisément cet objectif en effectuant chaque fois un choix conservateur et prudent. La motivation, cette source du feu qu'on ne remarque souvent pas, n'est pas du tout de nature juridique ou économique; elle relève plutôt des valeurs morales et sociales des organismes culturels. Un jeu de valeurs d'ordre social est de toute évidence présent dans le débat actuel au sujet de la culture libre et de l'accès franc à l'information. D'autres valeurs, sans doute compensatoires, auxquelles on s'attarde moins souvent de manière ouverte placent les organisations de nature culturelle dans un rôle de protecteurs ou de gardiens moraux de la culture et, par extension, des artefacts culturels et de leurs représentations. Ces valeurs poussent les professionnels des musées à froncer les sourcils à l'idée d'autoriser la reproduction de leurs images par voie de licences pour fins d'utilisation dans de la publicité commerciale de cigarettes par exemple. Les organismes qui ont à cœur ces valeurs sont au fait qu'une bonne partie de l'art dont ils ont la garde a été créée comme critique des grands courants ou de la culture de masse et que de coopter ces images au service de ladite culture relève davantage de la vulgarité que de l'ironie. Peu importe les motifs spécifiques, bon nombre des organismes voués à la culture agissent comme intendants moraux des œuvres contenues dans leur collection et des représentations de ces œuvres. Cette valeur sous-entend un besoin d'exercer un contrôle sur pareilles illustrations, le type de contrôle qu'il est difficile d'imaginer aux frontières du numérique. Bien que le présent document n'insistera pas outre mesure sur ce point, les valeurs culturelles font partie de la conversation sociale d'ensemble et doivent donc faire partie intégrante d'une réponse culturelle aux règles régissant la propriété intellectuelle. Il est utile de rendre explicites les aspects généraux qui viendraient autrement obscurcir une discussion nette sur les biens intellectuels relevant du patrimoine culturel.

L'importance des valeurs sociales dans un débat sur la propriété intellectuelle a été soulignée par Zainub Verjee, auparavant agente de programmes du volet Arts médiatiques du Conseil des Arts du Canada, lorsqu'elle a déclaré que l'enjeu n'est pas autant l'art numérique que le traitement réservé aux biens intellectuels dans une culture axée sur le numérique. Verjee a laissé entendre que la notion culturelle de la « fabrication de biens » est en soi mise en doute. En formulant les enjeux en termes de cultures mondiales relatives, Verjee incite fortement les professionnels du domaine de la culture à effectuer des observations et des apprentissages à propos des points de vue sur la propriété à l'extérieur du contexte nord-américain (soit l'« hémisphère Sud » en émergence) et dans les cultures internes (soit les savoirs traditionnels des populations indigènes).

Susan Miller, directrice sortante de New Langton Arts, un local expérimental à l'intention des artistes médiatiques situé à San Francisco, convient de l'importance cruciale de conserver à l'esprit que toute discussion sur la propriété intellectuelle sous-entend les valeurs culturelles générales. Miller allègue que les organismes culturels devraient offrir une tribune où désigner et mobiliser les « titulaires et intéressés » de la société, en accordant un droit de parole égal à chaque partie et sans nécessairement restreindre le débat à un cadre juridique préexistant. Selon Miller, ce qui ne devrait constituer qu'un aspect de la discussion, c.-à-d. les règles régissant la propriété intellectuelle, se retrouve souvent à l'avant-plan et réprime toute la conversation à lui seul. Elle émet une réserve à l'effet que fournir pareille tribune pour le débat social comporte un risque de litige de la part des artistes hôtes qui contestent la notion de propriété intellectuelle. Parmi les forces portées à clore le débat se trouvent les bailleurs de fonds et les organisations du secteur culturel qui censurent les artistes arborant des thèmes tels que les droits des animaux, les sévices infligés aux enfants, la pornographie et le racisme – tous des sujets pertinents au débat sur la propriété sociale et les intervenants sociaux. Miller soutient que ces dangers ne devraient pas dissuader les organismes culturels, en particulier ceux en « marge » de l'univers artistique, d'inspirer ce débat culturel étant donné que personne d'autre n'ose en assumer le risque.

David Clark, professeur agrégé au Nova Scotia College of Art and Design, voit une réponse à l'appel de Verjee et de Miller en faveur d'un débat sur la culture en provenance d'un autre secteur : l'éducation. Clark se dit le plus intéressé aux domaines de la propriété intellectuelle connus sous les vocables « fair use » (É-.U.)Note en bas de page 7 ou « utilisation équitable » (Canada).Note en bas de page 8 Ce sont ces concepts qui peuvent permettre la tenue du débat culturel par la création d'un espace protégé, même dans un terrain en apparence miné de nature juridique qu'est la propriété intellectuelle. Clark mentionnait que le fair use / l'utilisation équitable peut contribuer à mettre le débat à la portée des étudiants en lui permettant, en tant qu'enseignant, d'apporter en classe la documentation culturelle visée par le droit d'auteur et en permettant aux étudiants de s'intéresser directement aux dossiers en créant, remixant et critiquant les productions culturelles mêmes. Il ajoute que le fair use / l'utilisation équitable ne constitue pas une solution intégrale aux problèmes découlant de la propriété intellectuelle pour le patrimoine culturel. En fait, comme il le mentionne, la plupart des éducateurs n'exercent pas leurs droits de fair use / d'utilisation équitable parce qu'ils n'en savent rien et qu'ils préfèrent pêcher par omission. Les écueils se sont également pointés sur son trajet lorsqu'il a tenté de partager, de publier ou d'exposer les critiques et productions culturelles créées par sa classe en partie par voie de remixage des créations d'autrui.

Jon Ippolito est professeur adjoint de Néomédiatique à l'université du Maine et conservateur associé des Arts électroniques au musée Guggenheim. À titre d'enseignant-boursier, Ippolito voit les valeurs culturelles implicites dans la propriété intellectuelle s'actualiser sur la scène universitaire aussi. Il parle d'un service Web commercial baptisé turnitin.com.Note en bas de page 9 Turnitin.com est un service payable à l'utilisation dont se prévalent les professeurs d'universités pour présenter les travaux de leurs étudiants et les contrevérifier par rapport à une immense base de données d'autres mémoires d'étudiants et d'autres sources afin de se protéger contre tout acte de plagiat. La base de données des travaux d'étudiants n'est pas librement accessible aux utilisateurs. Turnitin.com affirme inciter à l'originalité, mais Ippolito voit d'un œil très critique le service en question et déclare que celui-ci amasse de manière hypocrite de l'argent en cooptant les formulations des étudiants sans leur accorder les mentions d'usage, la permission de s'y soustraire ou une compensation appropriée. Il allègue que les fonds universitaires seraient mieux investis s'ils servaient à créer une grande base de données de travaux étudiants mis à la disposition de tous. Un système ouvert encouragerait la collaboration et inciterait aussi à l'originalité puisque les mémoires de chacun seraient publics et librement accessibles. Le plagiat serait dans les faits utile et, dans le cas contraire, à tout le moins difficile à camoufler. À juste titre, Ippolito voit dans cet exemple un microcosme de la question générale entourant la propriété intellectuelle, à savoir : « "Offrir un accès restreint ou libre favorisera-t-il l'originalité?" »

En dépassant (mais sans jamais vraiment délaisser) le débat des valeurs culturelles entourant la propriété intellectuelle, nous nous attardons à une autre discipline qui se répercute sur l'art numérique et les biens de nature intellectuelle, soit les arts de la scène. Diane Zorich est une consultante en gestion de l'information située aux États-Unis qui a travaillé auprès des organismes culturels américains et canadiens. Zorich a laissé entendre dans son interview que les organisations en arts visuels qui se démènent avec les modèles servant à appliquer la notion de propriété intellectuelle aux formes d'art médiatique pourraient sonder le paysage du patrimoine culturel à l'affût des arts d'interprétation. Plus précisément, comme le souligne Zorich, les arts du spectacle disposent d'un modèle enrichi pour exposer en détail les droits distincts inhérents à toute œuvre. Par exemple, les cinéastes et les réalisateurs de pièces de théâtre administrent les éléments séparés du droit d'auteur sur un script original, les droits d'exécution, les droits de diffusion et bien plus encore. Les États-Unis et le Canada ont tous deux des applications différentes et bien restreintes des droits d'« exposition » ou d'« étalage » pour les œuvres d'art, mais ces droits distincts sont loin de se rapprocher de la grille des droits évolués utilisée en arts scéniques ou cinématiques. Même si un modèle plus complexe semble aller à l'encontre des efforts visant à faciliter chez les professionnels du patrimoine culturel le traitement à réserver aux biens de nature intellectuelle, il pourrait en fait être indiqué d'élaborer pour l'art numérique un modèle de propriété intellectuelle qui reflète plus précisément le caractère polyvalent du support.

Un autre facteur qui contribue à l'intérêt accru particulier pour les biens intellectuels numérisés dans le secteur culturel est l'attention des médias grand public pour la question dans son ensemble. Les organismes de la culture qui, pendant des décennies, pourraient n'avoir accordé que peu d'attention à la protection des droits et aux autorisations d'utiliser les illustrations d'œuvres d'art dans leurs bulletins mensuels imprimés sont maintenant hautement soucieux de l'utilisation de ces mêmes images sur leurs sites Web. Ainsi, du moins aux États-Unis, une part de l'épineuse flamme que frôle le patrimoine culturel en matière de droits d'auteur touchant le numérique pourrait provenir des médias qui entretiennent le feu de fameuses affaires telles que Napster ou la couverture télévisuelle par C-net de l'entreprise Disney qui se targue devant le Congrès américain d'élargir la portée du droit d'auteur. L'image de Mickey Mouse suppliant Oncle Sam de ne pas le libérer semble en être une à laquelle les médias ne peuvent tourner le dos. Dans l'univers numérique, non seulement la copie est-elle plus facile, mais il en va de même des cas de manquement aux mesures policières. Ces activités contradictoires se rallient en une intensification de la course aux armements dans le cadre d'exercices de type « plonger-couvrir » de plus en plus empreints de panique déclenchés par les médias. Ces cris d'alarme ne peuvent que continuer de résonner dans l'oreille de la collectivité du patrimoine culturel.

De façon claire, bon nombre des enjeux de la propriété intellectuelle entourant l'art numérique ne sont pas tout à fait uniques ou nouveaux, mais sont plutôt altérés par des considérations et des influences externes. Un grand nombre des subtilités soulevées dans la présente section referont surface ultérieurement dans ce document puisqu'ils s'appliquent directement à l'art numérique. Néanmoins, cette forme d'art peut donner aux questions de propriété intellectuelle un élan inhabituel, un aspect auquel nous devons maintenant nous attarder.

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