Page 3 : Recommandations pour la qualité de l'eau potable au Canada : document technique - protozoaires entériques : Giardia et Cryptosporidium

Partie II. Science et considérations techniques

4.0 Description

Les protozoaires sont un groupe diversifié de microorganismes eucaryotes généralement unicellulaires. La plupart d'entre eux sont des organismes libres qui peuvent vivre dans l'eau douce et ne présentent aucun risque pour la santé humaine. Cependant, certains protozoaires sont pathogènes pour les humains. On peut les classer en deux groupes fonctionnels : les parasites entériques et les protozoaires libres. Les cas d'infection humaine causée par des protozoaires libres résultent généralement d'un contact durant la baignade (ou d'un usage domestique de l'eau autre que la consommation); par conséquent, ce groupe de protozoaires est étudié dans les Recommandations au sujet de la qualité des eaux utilisées à des fins récréatives au Canada (Santé Canada, 2012a). Les protozoaires entériques ont, eux, été associés à plusieurs éclosions de maladies liées à l'eau potable, qui constitue une voie de transmission importante pour ces microorganismes. Ils sont donc examinés dans le cadre de ce document.

Les protozoaires entériques sont des parasites souvent présents dans l'intestin des humains et d'autres mammifères. Comme les bactéries et les virus entériques, ils peuvent se retrouver dans l'eau à la suite d'une contamination directe ou indirecte par les matières fécales d'humains ou d'animaux. Ces microorganismes peuvent être transmis par l'eau potable; ils ont été associés à plusieurs éclosions de maladies d'origine hydrique en Amérique du Nord et ailleurs dans le monde (Schuster et coll., 2005; Karanis et coll., 2007). La capacité de ce groupe de microorganismes de produire des kystes et des oocystes extrêmement résistants aux stress environnementaux et aux procédés conventionnels de désinfection de l'eau potable a renforcé leur capacité de propagation et leur potentiel pathogène.

Les protozoaires entériques les plus fréquemment associés aux maladies d'origine hydrique au Canada sont Cryptosporidium et Giardia. Ces protozoaires sont souvent présents dans les sources d'eau. Certaines souches sont très pathogènes, peuvent survivre pendant de longues périodes dans l'environnement et sont très résistantes à la désinfection chimique. C'est la raison pour laquelle ils font l'objet de l'analyse qui suit. Une brève description d'autres protozoaires entériques qui suscitent des préoccupations pour la santé humaine (c.-à-d. Toxoplasma gondii, Cyclospora cayetanensis et Entamoeba histolytica) figure à l'Annexe C.

4.1 Giardia

Giardia est un protozoaire parasite flagellé (phylum des Protozoa, sous-phylum des Sarcomastigophora, superclasse des Mastigophora, classe des Zoomastigophora, ordre des Diplomonadida, famille des Hexamitidae). Il a été découvert pour la première fois dans des selles humaines par Antonie van Leeuwenhoek, en 1681 (Boreham et coll., 1990). Cependant, il n'a été reconnu comme agent pathogène pour les humains qu'en 1960 après avoir causé des éclosions infectieuses dans la collectivité et avoir été identifié chez des voyageurs (Craun, 1986; Farthing, 1992).

4.1.1 Cycle de vie

Giardia vit dans l'intestin grêle des humains et des animaux. À l'étape de son développement où il se nourrit, le parasite Giardia, alors appelé « trophozoïte », est présent principalement dans le duodénum, mais on le trouve aussi fréquemment dans le jéjunum et l'iléon de l'intestin grêle. Les trophozoïtes (de 9 à 21 µm de longueur, de 5 à 15 µm de largeur et de 2 à 4 µm d'épaisseur) ont un corps en forme de poire dont l'extrémité antérieure est généralement arrondie; ils présentent deux noyaux, deux minces tiges médianes, quatre paires de flagelles, une paire de corps médians de coloration foncée et un large disque adhésif ventral (cytostome). Les trophozoïtes sont généralement attachés à la surface des villosités intestinales, où ils se nourrissent principalement, pense-t-on, de sécrétions muqueuses. Lorsqu'il se détache, le trophozoïte binucléé forme un kyste (enkystement), puis se divise au sein de ce kyste, de sorte que quatre noyaux deviennent visibles. Les kystes sont ovoïdes (de 8 à 14 µm de longueur sur 7 à 10 µm de largeur), possèdent deux ou quatre noyaux et présentent des restes d'organelles visibles. Les kystes stables dans l'environnement sont évacués dans les fèces, généralement en grand nombre. Une description complète du cycle de vie est fournie dans un article de synthèse d'Adam (2001).

4.1.2 Espèces

La taxonomie du genre Giardia change rapidement au fur et à mesure que l'on dispose de nouvelles données sur l'isolement et l'identification de nouveaux génotypes et espèces, la phylogénie des souches et la spécificité pour l'hôte. La taxonomie actuelle du genre Giardia repose sur la définition des espèces proposée par Filice (1952), qui a défini trois espèces - G. duodenalis (syn. G. intestinalis, G. lamblia), G. muris et G. agilis - selon la forme de leur corps médian, une organelle composée de microtubules que l'on observe très facilement chez le trophozoïte. D'autres espèces ont, par la suite, été décrites en fonction de la morphologie des kystes et de l'analyse moléculaire. Actuellement, six espèces de Giardia sont reconnues (voir le tableau 1) (Thompson, 2004; Thompson et Monis, 2004). On a signalé la présence de ces six espèces chez les mammifères, les oiseaux, les rongeurs et les amphibiens et elles ne sont pas faciles à distinguer. On a largement discuté de leurs préférences en matière d'hôtes, excepté en ce qui concerne G. agilis, dont la morphologie est différente et dont on n'a signalé la présence que chez les amphibiens; de plus, on ne considère pas que cette espèce est infectieuse pour les humains (Adam, 1991).

Tableau 1. Espèces de Giardia
Espèces (assemblage) Principaux hôtes
G. agilis Amphibiens
G. ardea Oiseaux
G. lamblia (A) Humains, animaux d'élevage et autres mammifères
G. lamblia (B) Humains
G. lamblia (C) Chiens
G. lamblia (D) Chiens
G. lamblia (E) Bovins et autres ongulés d'élevage
G. lamblia (F) Chats
G. lamblia (G) Rats
G. microti Rats musqués, campagnols
G. muris Rongeurs
G. psittaci Oiseaux

On utilise couramment le nom G. lamblia pour désigner les isolats humains, bien que cette espèce soit capable d'infecter une grande variété de mammifères. La caractérisation moléculaire de cette espèce a démontré l'existence d'assemblages génétiquement distincts : les assemblages A et B infectent les humains et d'autres mammifères, tandis que les autres assemblages, soit C, D, E, F et G, n'ont pas encore été isolés chez des humains et semblent avoir un spectre d'hôtes limité (ils représentent probablement différentes espèces ou groupes) (voir le tableau 1) (Adam, 2001; Thompson, 2004; Thompson et Monis, 2004; Xiao et coll., 2004; Smith et coll., 2007). En plus des différences génétiques, ces variantes présentent également des variations phénotypiques, incluant une sensibilité aux médicaments et des taux de croissance différents (Homan et Mank, 2001; Read et coll., 2002). On s'est fondé sur ces différences génétiques pour distinguer l'espèce de Giardia infectieuse pour les humains d'autres espèces ou souches (Amar et coll., 2002; Cacciò et coll., 2002; Read et coll., 2004). L'applicabilité de ces méthodes pour l'analyse de Giardia dans l'eau a toutefois été limitée (voir la section 6.6). C'est pourquoi il faut considérer actuellement que tout kyste de Giardia présent dans l'eau peut être infectieux pour les humains.

4.2 Cryptosporidium

Cryptosporidium est un protozoaire parasite (phylum des Apicomplexa, classe des Sporozoasida, sous-classe des Coccodiasina, ordre des Eucoccidiorida, sous-ordre des Eimeriorina, famille des Cryptosporidiidae) dont on a reconnu le caractère pathogène potentiel pour les humains pour la première fois en 1976 chez un enfant de trois ans auparavant en bonne santé. Un deuxième cas de cryptosporidiose a été observé deux mois plus tard chez un sujet immunodéprimé à la suite d'une pharmacothérapie (Meisel et coll., 1976). Par la suite, la maladie est devenue plus courante chez les sujets immunodéprimés présentant des symptômes maintenant connus sous le nom de syndrome d'immunodéficience acquise ou sida (Hunter et Nichols, 2002).

4.2.1    Cycle de vie

Après avoir déterminé que Cryptosporidium était un agent pathogène pour les humains, on a mené davantage d'études sur le cycle de vie de ce parasite et effectué des recherches sur les voies de transmission possibles. Le cycle de vie de Cryptosporidium comporte de multiples étapes typiques des Coccidies entériques. Il se déroule chez un seul hôte et comporte six grandes étapes : 1) le dékystement au cours duquel les sporozoïtes sont libérés d'un oocyste enkysté; 2) la schizogonie (syn. mérogonie) au cours de laquelle se produit la reproduction asexuée; 3) la gamétogonie au cours de laquelle se forment les gamètes; 4) la fécondation du macrogamétocyte par un microgamète pour former un zygote; 5) la formation des parois de l'oocyste; 6) la sporogonie au cours de laquelle se forment les sporozoïtes dans l'oocyste (Current, 1986). Une description complète et un diagramme du cycle de vie figurent dans un article de synthèse de Smith et Rose (1990). La syzygie, un processus de reproduction sexuée au cours duquel les gamétocytes s'unissent bout à bout ou côte à côte avant la formation des gamètes, a récemment été observée chez deux espèces de Cryptosporidium, soit C. parvum et C. andersoni, ce qui a fourni de nouvelles données sur la biologie (cycle de vie) et la transmission de Cryptosporidium (Hijjawi et coll., 2002; Rosales et coll., 2005).

Étant donné qu'il s'agit d'un agent pathogène d'origine hydrique, l'étape la plus importante du cycle de vie de Cryptosporidium est celle de l'oocyste rond, à parois épaisses, stable dans l'environnement et d'un diamètre de 4 à 6 µm.Il arrive parfois qu'il y ait une suture externe visible; on peut colorer les noyaux des sporozoïtes à l'aide d'un colorant fluorogénique, tel le 4',6-diamidino-2-phénylindole (DAPI). Lorsqu'il est ingéré par les humains, le parasite achève son cycle de vie dans le tractus gastro-intestinal. L'ingestion déclenche le dékystement de l'oocyste et libère quatre sporozoïtes, qui adhèrent aux entérocytes du tractus gastro-intestinal et les envahissent (Spano et coll., 1998a; Pollok et coll., 2003). La vacuole parasitaire ainsi formée contient une organelle nourricière qui est, tout comme le parasite, protégée par une membrane externe. La membrane externe provient de la cellule hôte (intracellulaire). Le sporozoïte se reproduit de façon asexuée (schizogonie) et libère des mérozoïtes qui propagent l'infection aux cellules avoisinantes. La multiplication sexuée (gamétogonie) a ensuite lieu, ce qui est à l'origine de la formation des microgamètes (mâles) ou des macrogamètes (femelles). Des microgamètes sont ensuite libérés pour féconder les macrogamètes et former des zygotes. Un petit nombre (20 %) de zygotes conservent une mince paroi cellulaire; on les appelle des oocystes à paroi mince. Ils éclatent après la formation des sporozoïtes, mais avant le passage des fèces, entretenant ainsi l'infection chez l'hôte. Chez la plupart des zygotes, il se forme une épaisse paroi cellulaire résistante à l'environnement et quatre sporozoïtes, lesquels deviennent des oocystes matures, qui sont évacués dans les fèces.

4.2.2 Espèces

Notre compréhension de la taxonomie du genre Cryptosporidium s'améliore continuellement. Tyzzer (1907) a été le premier à décrire Cryptosporidium; après avoir isolé ce microorganisme des glandes gastriques de souris, il l'a nommé Cryptosporidium muris. Tyzzer (1912) a découvert un second isolat, qu'il a nommé C. parvum, dans l'intestin de la même espèce de souris. Upton et Current (1985) ont jugé que cet isolat était différent sur les plans de la structure et du développement. Bien que l'on ait proposé de nombreux noms d'espèces en fonction de l'identité de l'hôte, la plupart des isolats de Cryptosporidium de mammifères, y compris les isolats humains, sont similaires à C. parvum tel que décrit par Tyzzer (1907, 1912). Vingt espèces sont actuellement reconnues (voir le tableau 2) (Egyed et coll., 2003; Thompson et Monis, 2004; Xiao et coll., 2004; Fayer et coll., 2008; Jirků et coll., 2008; Power et Ryan, 2008; Ryan et coll., 2008).

Tableau 2. Espèces de Cryptosporidium
Espèces (génotype) Principaux hôtes
C. andersoni Bovins
C. baileyi Volailles
C. bovis Bovins
C. canis Chiens
C. fayeri Kangourous rouges
C. felis Chats
C. frageli Crapauds
C. galli Pinsons, poulets
C. hominis (génotype H, I ou 1) Humains, singes
C. macropodum Kangourous gris de l'est
C. meleagridis Dindes, humains
C. molnari Poissons
C. muris Rongeurs
C. parvum (génotype C, II ou 2) Bovins, autres ruminants, humains
C. ryanae Bovins
C. scophithalmi Poissons
C. serpentis Reptiles
C. suis Porcs
C. varanii Lézards
C. wrairi Cobayes

Grâce à la mise au point de techniques moléculaires, plusieurs génotypes de Cryptosporidium ont été proposés parmi divers groupes d'animaux, notamment les rongeurs, les marsupiaux, les reptiles, la faune aviaire et les primates. Les recherches portent à croire que ces génotypes diffèrent par leur développement, leur sensibilité aux médicaments et le tableau clinique des maladies qu'ils causent (Chalmers et coll., 2002; Xiao et Lal, 2002; Thompson et Monis, 2004; Xiao et coll., 2004). Jusqu'à présent, plus de 40 génotypes ont été reconnus (Fayer, 2004; Xiao et coll., 2004; Feng et coll., 2007; Fayer et Xiao, 2008; Fayer et coll., 2008). L'analyse moléculaire des isolats humains et bovins de C. parvum, qu'on a reliés à des éclosions de cryptosporidiose chez des humains, indique l'existence de deux génotypes distincts prédominants chez les humains (Morgan et coll., 1997; Peng et coll., 1997; Spano et coll., 1998b; Sulaiman et coll., 1998; Widmer et coll., 1998; Awad-El-Kariem, 1999; Ong et coll., 1999; Cacciò et coll., 2000; McLauchlin et coll., 2000; Xiao et coll., 2001). On trouve des isolats du génotype 1 (syn. génotype I, génotype H et C. hominis) principalement chez les humains, tandis qu'on a signalé la présence d'isolats du génotype 2 (syn. génotype II et génotype C), qui est zoonotique, chez des veaux et d'autres ruminants/ongulés, des souris et des humains. Le génotype 1 a, par la suite, été reconnu en tant que nouvelle espèce, soit C. hominis (Morgan-Ryan et coll., 2002). D'autres études ont permis d'identifier de nouveaux génotypes chez les humains. Pieniazek et coll. (1999) ont identifié deux nouveaux génotypes de Cryptosporidium, semblables à un génotype infectant les chiens et à un autre infectant les chats,chez des personnes infectées par le virus de l'immunodéficience humaine (VIH). D'autres chercheurs ont identifié deux nouveaux génotypes de Cryptosporidium chez les humains : un semblable au génotype de l'isolat prélevé chez un cervidé (cerf) (Ong et coll., 2002) et un autre qui n'a pas encore été identifié (c.-à-d. qui n'avait pas été identifié auparavant chez les humains ou les animaux) (Wong et Ong, 2006). Ces découvertes et constatations ont d'importantes répercussions pour les collectivités dont la source d'eau peut être contaminée par les matières fécales de la faune. L'importance épidémiologique de ces génotypes demeure incertaine, mais les données portent à croire que certains génotypes sont adaptés aux humains et transmis (directement ou indirectement) de personne à personne. De nombreux autres génotypes de Cryptosporidium, pour lesquels la désignation de la souche n'a pas encore été fournie, ont aussi été identifiés (Feng et coll., 2007; Smith et coll., 2007; Fayer et coll., 2008; Xiao et Fayer, 2008).

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