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7.0 Techniques de traitement

L'approche à barrières multiples, qui comprend la protection des bassins versants et des têtes de puits, un traitement approprié, une filtration optimisée pour l'enlèvement efficace des particules fines et pour la désinfection, un réseau de distribution bien entretenu et la surveillance de l'efficacité du traitement (p. ex. turbidité, concentration résiduelle de désinfectant) est la meilleure manière de réduire le nombre de protozoaires et d'autres pathogènes d'origine hydrique dans l'eau potable. En général, il faut désinfecter toutes les sources d'approvisionnement en eau et maintenir en tout temps une concentration résiduelle adéquate de désinfectant dans l'ensemble du réseau de distribution.

Lorsque les événements entraînant l'apparition de protozoaires et influant sur la source d'eau sont bien définis, il est possible de mettre en place d'autres barrières et mesures de gestion du risque, en plus de celles mentionnées ci-dessus. Ces barrières et mesures peuvent consister entre autres à limiter le captage de l'eau brute et à utiliser de manière sélective une barrière additionnelle durant les événements présentant un risque élevé, à utiliser d'autres sources d'eau ou à combiner diverses sources (eaux souterraines et eaux de surface).

La qualité de l'eau à la source doit être caractérisée. La meilleure façon d'y parvenir consiste à effectuer une surveillance régulière de Giardia et de Cryptosporidium afind'établir des niveaux de références, et par la suite d'effectuer une surveillance ciblée à long terme. La surveillance des protozoaires dans les eaux de source peut être ciblée en utilisant l'information concernant les sources de contamination fécale d'une enquête sanitaire, en combinaison avec les données historiques sur les chutes de pluie, la fonte des neiges, le débit fluvial et la turbidité, afin d'identifier les conditions pouvant mener à une contamination élevée. Les enquêtes sanitaires ne remplacent pas la surveillance régulière ou ciblée. Pour bien caractériser la qualité des sources d'eau, on doit recueillir des données dans des conditions normales, de même que dans des conditions météorologiques extrêmes ou pendant des déversements ou des événements perturbateurs (p. ex. ruissellement printanier, orages). Ainsi, la surcharge des systèmes de collecte et de traitement des eaux usées pendant une pluie abondante peut entraîner une augmentation soudaine de la concentration des protozoaires ou d'autres pathogènes microbiens dans les sources d'eau.

Une fois que l'on a caractérisé la qualité d'une source d'eau, on peut établir pour cette dernière un objectif de traitement basé sur la santé et (ou) mettre en place des stratégies efficaces d'inactivation ou d'élimination des pathogènes afin d'assurer la salubrité de l'eau potable traitée. Pour assurer l'élimination ou l'inactivation optimale des pathogènes, il faut bien comprendre l'importance relative de chacun de ces procédés de traitement. Certains systèmes d'eau potable sont dotés de procédés redondants, ce qui assure un traitement adéquat même en cas de défaillance de l'un des procédés. Dans les autres systèmes, tous les procédés en place doivent bien fonctionner pour permettre d'obtenir le degré de traitement requis. En effet, la défaillance d'un seul d'entre eux pourrait entraîner une éclosion de maladies d'origine hydrique.

L'inactivation des protozoaires présents dans l'eau brute est compliquée par leur résistance aux désinfectants couramment utilisés tel le chlore. Les systèmes de traitement de l'eau qui utilisent seulement le chlore comme procédé de traitement ne parviendront pas à inactiver les protozoaires Giardia et Cryptosporidium qui pourraient être présents dans la source d'eau. La méthode la plus efficace pour réduire le nombre de protozoaires dans l'eau potable consiste à la fois en leur élimination physique et en la désinfection de l'eau. Dans la majorité des cas, une usine de traitement de l'eau bien exploitée qui utilise un processus conventionnel (c.-à-d. la filtration, suite à des processus de coagulation, flocculation et clarification) devrait être en mesure de produire de l'eau présentant un risque négligeable d'infection causée par des protozoaires pathogènes (Ireland Environmental Agency, 1995). Le présent document examine brièvement les options de traitement et de contrôle des protozoaires; des renseignements plus détaillés sont fournis dans d'autres publications (U.S. EPA, 1991; Santé et Bien-être social Canada, 1993; Deere et coll., 2001; Hijnen et coll., 2004a; LeChevallier et Au, 2004; MWH, 2005; Smeets et coll., 2006; AWWA, 2011). Ces options de traitement et de contrôle doivent également prendre en considération d'autres exigences de traitement telles que la turbidité, la formation de sous-produits de désinfection (SPD) et l'entretien du réseau de distribution.

7.1 Échelle municipale

Le traitement des eaux de surface ou des eaux souterraines assujetties à l'influence d'eaux de surface doit comprendre des méthodes d'élimination physique telles que la filtration avec procédé chimique (coagulation, floculation, clarification et filtration) et la désinfection ou des techniques équivalentes. Il est essentiel d'atteindre les objectifs d'élimination physique et de désinfection avant que l'eau ne parvienne au premier consommateur dans le réseau de distribution. Des mesures adéquates de contrôle des procédés, comme l'enlèvement de la turbidité, et la formation des opérateurs sont aussi nécessaires pour assurer en tout temps l'efficacité des procédés de traitement (U.S. EPA, 1991; Santé et Bien-être social Canada, 1993; MWH, 2005; AWWA, 2011).

7.1.1 Degré de traitement requis

Le degré de traitement requis varie selon la concentration de pathogènes dans la source d'eau et la qualité exigée de l'eau potable. La plupart des sources d'eau sont susceptibles d'être contaminées par des matières fécales; par conséquent, des techniques de traitement doivent être mises en place pour obtenir une élimination et (ou) une inactivation de Cryptosporidium et de Giardia d'au moins 3 log (99,9 %). Avec un tel traitement, une concentration de 34 kystes/100 L d'eau d'une source d'eau peut être réduite à 3,4 × 10-2 kystes/100 L, ce qui satisfait à l'objectif sanitaire de 10-6 années de vie corrigées de l'incapacité (AVCI)/personne par année (voir la section 9.0). De même, une concentration de 13 oocystes/100 L d'eau d'une source d'eau peut être réduite à 1,3 × 10-2 oocystes/100 L. Cependant, de nombreuses sources d'eau au Canada contiennent des concentrations de kystes et d'oocystes beaucoup plus élevées (voir les sections 5.1.1 et 5.2.1); il faut donc obtenir une élimination ou une inactivation plus importante afin d'atteindre la même concentration dans l'eau potable traitée (voir la section 9.3.4).

Il faut déterminer les concentrations de Giardia et de Cryptosporidium dans les sources d'eau en s'appuyant sur un échantillonnage et une analyse à l'échelle réelle. Il faut tenir compte des conditions normales et de la surveillance guidée par les événements, notamment le ruissellement printanier, les orages et les déversements. Les résultats des essais doivent également tenir compte de l'efficacité de récupération pour la méthode d'analyse et de la viabilité des pathogènes afin d'obtenir l'évaluation la plus précise de la présence de pathogènes infectieux dans les sources d'eau. Dans les cas où l'échantillonnage et l'analyse des sources d'eau en vue de détecter la présence de Giardia et de Cryptosporidium ne sont pas possibles (p. ex. petits systèmes d'approvisionnement en eau), on peut estimer les concentrations de kystes et d'oocystes. Les estimations doivent être fondées sur l'information issue de l'évaluation de la source d'eau ainsi que d'autres paramètres de la qualité de l'eau qui peuvent nous renseigner sur le risque et (ou) le degré de contamination fécale dans la source d'eau. Étant donné que ces estimations comportent un degré élevé d'incertitude, il faut appliquer des facteurs de sécurité technique ou effectuer des traitements additionnels afin d'assurer la salubrité microbiologique de l'eau potable.

On peut atteindre l'objectif de traitement basé sur la santé en procédant à une ou plusieurs étapes de traitement comprenant l'élimination physique et (ou) une désinfection primaire. Les réductions logarithmiques des kystes et des oocystes propres à chacun des procédés de traitement peuvent être combinées pour définir la réduction globale.

7.1.2 Élimination physique

7.1.2.1 Filtration conventionnelle

La filtration conventionnelle est une méthode pratique pour atteindre des taux élevés d'élimination ou d'inactivation des kystes et des oocystes. Un examen récent des données d'études pilotes et d'études à pleine échelle a permis de conclure que les procédés de coagulation, de floculation et de sédimentation ont été associés à des taux d'élimination de Cryptosporidium et de Giardia qui étaient, respectivement, de l'ordre de 1,6 log (plage de 0,4 à 3,7 log) et de 1,5 log (plage de 0 à 3,3 log) (Hijnen et coll., 2004a). Un autre examen (Emelko et coll., 2005) a révélé que la filtration sur milieu granulaire permet d'obtenir une élimination de 3 log ou plus des oocystes de Cryptosporidium lorsque les filtres sont utilisés dans des conditions optimales ou presque. Il faut optimiser la coagulation et la floculation pour que les particules soient enlevées de façon efficace par filtration. La fin du cycle de filtration correspond à une période vulnérable pour le fonctionnement des filtres. On a constaté une diminution du taux d'élimination des oocystes de plusieurs unités logarithmiques au cours de la phase initiale de pénétration des particules, lorsque le nombre de particules des eaux filtrées venait tout juste de commencer à devenir plus élevé, mais que la turbidité n'avait pas encore augmenté (Huck et coll., 2002). Les filtres doivent être soigneusement vérifiés, surveillés et lavés à contre-courant afin d'empêcher la pénétration de particules (Huck et coll., 2001; Emelko et coll., 2005), et l'eau de lavage à contre-courant des filtres ne doit pas être redistribuée dans l'usine d'épuration sans traitement additionnel. La filtration lente sur sable et la filtration sur diatomées peuvent également être très efficaces, l'élimination physique de Cryptosporidium et de Giardia se situant, respectivement, à > 4 log et 3,3 log (Hijnen et coll., 2004b). Puisque les sources d'eau présentent des caractéristiques fort différentes, des ingénieurs expérimentés doivent choisir le système le plus approprié en se fondant sur une analyse ou des essais pilotes adéquats.

Nombre de procédés de traitement sont interdépendants et nécessitent des conditions optimales en amont pour que les étapes subséquentes du traitement puissent être exécutées avec efficacité. Par conséquent, afin d'éliminer efficacement Cryptosporidium et Giardia au moyen des procédés de filtration, il importe d'optimiser les étapes précédentes de coagulation et de floculation.

7.1.2.2 Filtration sur membrane

La filtration sur membrane est devenue un élément de plus en plus important des systèmes de traitement de l'eau potable (Betancourt et Rose, 2004; Goh et coll., 2005). Les membranes à microfiltration ont les plus gros pores (0,1 µm) (Taylor et Weisner, 1999). Même si les procédés de nanofiltration et d'osmose inverse sont efficaces pour éliminer les kystes et les oocystes de protozoaires, la microfiltration et l'ultrafiltration sont les méthodes les plus couramment utilisées pour éliminer les microbes en raison de leur rapport coût-efficacité. Jacangelo et coll. (1995) ont évalué l'élimination de G. muris et de C. parvum dans trois sources d'eau de qualité variable au moyen de diverses membranes à microfiltration et à ultrafiltration. Ils ont évalué des membranes à microfiltration de 0,1 et 0,2 µm, ainsi que des membranes à ultrafiltration de 100, 300 et 500 kilodaltons. Les deux types de membranes étaient capables d'éliminer complètement G. muris et C. parvum. La concentration de protozoaires dans les différentes eaux brutes analysées variait de 104 à 105/L, et les taux d'élimination logarithmique de G muris et de C. parvum se situaient, respectivement, entre 4,7 et 7,0 et entre 4,4 et 7,0. Plus récemment, States et coll. (1999) ont signalé l'élimination complète de Cryptosporidium (concentration de provocation de 108 d'oocystes) et de Giardia (concentration de provocation de 107 de kystes) par microfiltration. Parker et coll. (1999) ont également signalé une élimination complète de C. parvum avec l'utilisation de membranes à microfiltration (0,2 µm), la concentration d'oocystes passant de 2 × 102/100 L environ dans l'influent à moins de 1/100 L dans l'effluent (élimination de 5,3 log).

Même si la filtration sur membrane est très efficace pour éliminer les kystes et les oocystes de protozoaires, il faut tenir compte de l'intégrité du système (ruptures, joints toriques, raccords et adhésifs) de même que de l'encrassement et de la dégradation de la membrane. L'accumulation de particules et de produits chimiques ainsi que la croissance biologique sur les surfaces de la membrane causent ordinairement l'encrassement de cette dernière, tandis que l'hydrolyse et l'oxydation entraînent généralement sa dégradation. Étant donné que les caractéristiques physiques d'une membrane peuvent varier pendant la fabrication par différents fabricants et que les membranes polymériques, indépendamment de leur classe nominale, comportent différents diamètres de pores, il est possible de noter des taux d'élimination de pathogènes fort variables. Il faut démontrer l'efficacité de l'élimination des kystes et des oocystes dans le cas d'une membrane en particulier par des tests de provocation effectués par le fabricant et la vérifier par des tests d'intégrité directs à l'usine de traitement. Pour ce faire, il faut mesurer la perte de pression exercée sur la membrane ou évaluer l'élimination de particules enrichies au moyen d'une méthode à base de marqueur. Le document technique de la Recommandation sur la turbidité (Santé Canada, 2012b) contient de l'information plus détaillée sur les techniques de filtration.

7.1.2.3 Taux d'élimination physique logarithmique selon les procédés de traitement

Dans les usines de traitement de l'eau potable qui respectent les limites de turbidité établies dans le document technique sur la turbidité (Santé Canada, 2012b), on peut appliquer les taux d'élimination potentielle estimés pour Giardia et Cryptosporidium figurant au tableau 7. Ces taux d'élimination logarithmique s'appuient sur les taux d'élimination établis par l'U.S. EPA dans les documents intitulés Long Term 2 Enhanced Surface Water Treatment Rule (LT2ESWTR; U.S. EPA, 2006b) et Long Term 1 Enhanced Surface Water Treatment Rule (LT1ESWTR) du Disinfection Profiling and Benchmarking Guidance Manual (U.S. EPA, 2003). On peut aussi établir les taux d'élimination logarithmique en fonction de l'efficacité observée ou d'études pilotes. Les taux d'élimination physique logarithmique peuvent être combinés aux taux de désinfection afin de répondre aux objectifs de traitement globaux. À titre d'exemple, si une élimination globale de 5 log (99,999 %) de Cryptosporidium est nécessaire dans un système de traitement donné et que la filtration conventionnelle assure une élimination de 3 log, on doit obtenir la réduction de 2 log restante à l'aide d'un autre procédé, comme la désinfection primaire.

Tableau 7. Taux d'élimination de Cryptosporidium et de Giardia pour diverses techniques de traitement répondant aux valeurs de turbidité établies dans les Recommandations pour la qualité de l'eau potable au Canada Tableau 1 note de bas de page a
Procédé de traitement Taux d'élimination de CryptosporidiumTableau 1 note de bas de page b Taux d'élimination de GiardiaTableau 1 note de bas de page c

Notes de bas de page du Tableau 1

Tableau 1 note de bas de page 1

Santé Canada (2012b).

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Tableau 1 note de bas de page 2

Valeurs provenant du document LT2ESWTR (U.S. EPA, 2006a), p. 678.

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Tableau 1 note de bas de page 3

Valeurs fondées sur les études de Schuler et Ghosh, 1990, 1991; AWWA, 1991; Nieminski et Ongerth, 1995; Patania et coll., 1995; McTigue et coll., 1998; Nieminski et Bellamy, 2000; U.S. EPA, 2003; DeLoyde et coll., 2006; Assavavasilasukul et coll., 2008.

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Tableau 1 note de bas de page 3

Efficacité de l'élimination démontrée par des tests de provocation et vérifiée par des tests d'intégrité directs.

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Filtration conventionnelle 3 log 3 log
Filtration directe 2,5 log 2,5 log
Filtration lente sur sable 3 log 3 log
Filtration sur diatomées 3 log 3 log
Microfiltration et ultrafiltration Démonstration et tests de provocationTableau 7 note de bas de page d Démonstration et tests de provocationTableau 7 note de bas de page d
Nanofiltration et osmose inverse Démonstration et tests de provocationTableau 7 note de bas de page d Démonstration et tests de provocationTableau 7 note de bas de page d

7.1.3 Désinfection chimique

Parmi les désinfectants chimiques couramment utilisés pour le traitement de l'eau potable, mentionnons le chlore, la chloramine, le dioxyde de chlore et l'ozone. On procède habituellement à la désinfection après les traitements qui retirent les particules et la matière organique. Cette stratégie aide à assurer l'inactivation efficace des pathogènes et réduit au minimum la formation de SPD. Soulignons que dans la description de la désinfection microbienne de l'eau potable, le terme « inactivation » est employé pour indiquer que le pathogène ne peut plus se reproduire dans l'organisme hôte et n'est donc plus infectieux, quoiqu'il puisse toujours être présent.

7.1.3.1 Caractéristiques de la qualité de l'eau

Les caractéristiques physiques de l'eau, comme la température, le pH et la turbidité, peuvent influer considérablement sur l'inactivation et l'élimination des pathogènes. Par exemple, les taux d'inactivation de Cryptosporidium et de Giardia doublent ou triplent par tranche de 10 °C d'élévation de la température (voir la section 7.1.3.2 et les tableaux des valeurs « CT » dans les annexes A et B). Lorsque les températures de l'eau se rapprochent de 0 °C, comme c'est souvent le cas en hiver au Canada, l'efficacité de la désinfection est réduite et il faut augmenter la concentration de désinfectant ou le temps de contact avec celui-ci, pour atteindre le même degré d'inactivation.

L'efficacité de certains désinfectants varie également selon le pH. Lorsque l'on emploie du chlore libre, une augmentation du pH de 6 à 9 réduit de 3 fois le taux d'inactivation de Giardia (voir les tableaux des valeurs « CT » à l'annexe A). Par contre, il a été établi que le pH influait très peu sur le taux d'inactivation de Giardia lorsqu'on utilisait de l'ozone ou du dioxyde de chlore.

La réduction de la turbidité constitue une étape importante dans l'inactivation de Cryptosporidium, de Giardia et d'autres microorganismes. L'efficacité de la désinfection chimique peut être réduite par des particules qui protègent Cryptosporidium, Giardia et d'autres microorganismes. De plus, la turbidité neutralise l'action des désinfectants et réduit l'efficacité de la désinfection chimique. On a montré qu'une augmentation de la turbidité de 1 à 10 unités de turbidité néphélométrique (uTN) réduisait d'un facteur de huit l'efficacité de la désinfection au chlore libre (Hoff, 1986). L'effet de la turbidité sur l'efficacité du traitement est étudié plus en détail dans le document technique de la Recommandation sur la turbidité (Santé Canada, 2004).

7.1.3.2 Concept CT pour la désinfection

Il est possible de prédire l'efficacité des désinfectants chimiques d'après la concentration résiduelle d'un désinfectant en particulier et certains facteurs qui influent sur son efficacité, principalement la température, le pH, le temps de contact et le degré de désinfection requis (AWWA, 1991). Cette relation est communément appelée le concept CT, où CT représente le produit de « C » (concentration résiduelle d'un désinfectant, en mg/L) par « T » (temps de contact avec le désinfectant, en minutes) pour certains désinfectants à des températures et à des niveaux de pH employés durant le traitement de l'eau. Afin de tenir compte de la dégradation des désinfectants, on utilise normalement la concentration résiduelle, que l'on mesure à la sortie du bassin de contact, plutôt que la dose appliquée ou la concentration initiale. De plus, le temps de contact T est souvent calculé en employant une valeur T10, défini comme étant le temps de séjour durant lequel 90 % de l'eau qui traverse l'unité de traitement est retenue dans le bassin (AWWA, 1991) (c.-à-d. que le temps de contact requis est atteint ou dépassé pour 90 % de l'eau). On peut effectuer une estimation des valeurs T10 en fonction de la géométrie et des conditions d'écoulement de la chambre (ou du bassin) de désinfection (AWWA, 1991). Les essais de traçage hydraulique constituent toutefois la méthode la plus précise pour déterminer le temps de contact dans les conditions d'écoulement réelles de l'usine. La valeur T dépend de la conception hydraulique de l'usine de traitement d'eau. Pour cette raison, il est plus facile d'ajuster la dose de désinfectant que la valeur T durant le fonctionnement de l'usine de traitement. Il est cependant possible de changer les caractéristiques hydrauliques par des modifications physiques, comme l'ajout de déflecteurs dans le bassin de contact.

Les annexes A et B comprennent, respectivement, des tableaux complets des valeurs CT pour une inactivation de Giardia et de Cryptosporidium de 0,5 log à 3 log. Certaines valeurs CT sont présentées au tableau 8 pour l'inactivation de 3 log (99,9 %) de Giardia avec le chlore, la chloramine, le dioxyde de chlore et l'ozone. Ces valeurs indiquent que la chloramine est un désinfectant beaucoup moins puissant que le chlore libre, le dioxyde de chlore et l'ozone, puisqu'il faut des concentrations ou des temps de contact beaucoup plus élevés pour atteindre le même taux d'inactivation des kystes. La chloramine n'est donc pas recommandée comme désinfectant primaire pour les protozoaires.

Tableau 8. Valeurs CT pour une inactivation de 3 log (99,9 %) de Giardia avec divers désinfectants à 5 °C et à 20 °C (pH de 6 à 9) Tableau 1 note de bas de page a ,Tableau 1 note de bas de page b
Température (°C) Valeurs CT
Chlore libre (Cl2)Tableau 1 note de bas de page c Chloramine (NH2Cl) Dioxyde de chlore (ClO2) Ozone
(O3)

Notes de bas de page du Tableau 1

Tableau 1 note de bas de page 1

Données tirées de l'U.S. EPA (1991).

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Tableau 1 note de bas de page 2

Les valeurs choisies ont été tirées des tableaux A.1 à A.5 de l'annexe A.

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Tableau 1 note de bas de page 3

pH de 7,5, concentration résiduelle de chlore de 1 mg/L.

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5 179 2 200 26 1,9
20 67 1 100 15 0,72

Le chlore libre est le produit chimique le plus souvent utilisé pour la désinfection primaire, car on peut s'en procurer facilement, il est relativement peu coûteux et il fournit un résidu dont on peut se servir pour maintenir la qualité de l'eau dans le réseau de distribution. Cependant, l'inactivation de Giardia au moyen du chlore libre requiert des concentrations ou des temps de contact relativement élevés, particulièrement dans les eaux froides. De plus, la chloration n'est pas efficace pour l'inactivation de Cryptosporidium. L'ozone et le dioxyde de chlore sont des désinfectants efficaces contre Cryptosporidium et Giardia. L'ozone est un oxydant très puissant capable d'inactiver efficacement Cryptosporidium et Giardia. Bien qu'ils soient des désinfectants efficaces, l'ozone et le dioxyde de chlore sont habituellement plus coûteux et leur utilisation est plus complexe, surtout dans les petits systèmes de traitement. De plus, l'ozone se dégrade facilement après application pendant le traitement et ne peut fournir de résidu pour la désinfection secondaire. Le dioxyde de chlore n'est pas non plus recommandé pour la désinfection secondaire parce qu'il se dégrade relativement vite (Santé Canada, 2008). Additionnellement, il faudrait tenir compte des conditions opérationnelles comme la température et le pH dans le choix du désinfectant, puisque son efficacité peut être affectée par ces conditions. De manière générale, les désinfectants sont moins efficaces lorsque la température de l'eau est plus basse (Tableau 8).

7.1.3.3 Résistance aux produits chimiques

Même si les protozoaires peuvent être inactivés par la désinfection chimique, ils sont beaucoup plus résistants que les bactéries ou les virus. En général, Cryptosporidium est plus résistant que Giardia à la désinfection chimique. Cela est en partie attribuable à l'épaisse paroi protectrice qui entoure les oocystes, laquelle est difficile à traverser. Les valeurs CT nécessaires pour inactiver Cryptosporidium sont environ 5 à 200 fois plus élevées que celles requises pour inactiver Giardia, plus particulièrement en ce qui concerne la désinfection au chlore (Korich et coll., 1990; U.S. EPA, 1991; Finch et coll., 1994, 1997). Il est donc impossible d'utiliser la concentration de chlore libre nécessaire pour l'inactivation de Cryptosporidium parce qu'elle ne concorderait pas avec les autres exigences relatives à la qualité de l'eau (c.-à-d. formation de SPD, goût et odeur, etc.). Par conséquent, les systèmes de traitement de l'eau qui utilisent du chlore libre comme désinfectant primaire doivent éliminer ou inactiver Cryptosporidium en utilisant un autre procédé de traitement, comme la filtration sur milieu granulaire ou la désinfection aux rayons UV. La protection des bassins versants et un réseau de distribution en excellent état sont aussi des éléments essentiels pour réduire les concentrations de Cryptosporidium et d'autres pathogènes d'origine hydrique présents dans l'eau potable produite par les usines de traitement d'eau qui ont recours seulement à la chloration.

En plus des différences entre Giardia et Cryptosporidium quant à leur sensibilité aux désinfectants, on doit aussi prendre en considération les divers degrés de résistance aux désinfectants selon les souches. Chauret et coll. (2001) ont noté qu'une inactivation de 2 log (99 %) nécessitait des valeurs CT de 70, 530 et 1 000 mg·min/L pour trois souches différentes de Cryptosporidium parvum. On a aussi fait état de différences de sensibilité aux désinfectants entre les souches environnementales et les souches de laboratoire (Maya et coll., 2003). Ces constatations mettent en évidence l'importance de prendre en compte la variabilité des souches lorsqu'il s'agit d'examiner les taux d'élimination des procédés de traitement et les risques potentiels pour la santé.

7.1.3.4 Sous-produits de désinfection

Outre l'inactivation microbienne, la désinfection chimique peut entraîner la formation de SPD, dont certains présentent un risque pour la santé humaine. Le chlore, le désinfectant le plus couramment utilisé, réagit avec la matière organique naturelle pour former des trihalométhanes et des acides haloacétiques, ainsi que plusieurs autres composés organiques halogénés (Krasner et coll., 2006). L'utilisation d'ozone et de dioxyde de chlore peut aussi entraîner la formation de SPD inorganiques, comme le bromate (dans le cas de l'ozone) et le chlorite/chlorate (dans le cas du dioxyde de chlore). Lorsqu'on choisit un désinfectant chimique, il faut tenir compte de l'effet potentiel des SPD. Il est essentiel de s'assurer que les efforts déployés pour réduire au minimum la formation de ces SPD n'influent pas de manière négative sur l'efficacité de la désinfection.

7.1.4 Désinfection aux rayons ultraviolets

La désinfection aux rayons UV est très efficace pour inactiver les protozoaires. La lumière UV est habituellement appliquée après les procédés d'élimination des particules, comme la filtration, pour empêcher la protection des pathogènes par les particules en suspension et favoriser la pénétration de la lumière jusqu'aux pathogènes cibles. Des études ont montré que des doses de rayons UV relativement faibles pouvaient permettre une inactivation importante des protozoaires (Clancy et coll., 1998; Bukhari et coll., 1999; Craik et coll., 2000, 2001; Belosevic et coll., 2001; Drescher et coll., 2001; Linden et coll., 2001, 2002; Shin et coll., 2001; Campbell et Wallis, 2002; Mofidi et coll., 2002; Rochelle et coll., 2002). En se fondant sur d'autres études en plus de celles mentionnées ci-dessus, l'U.S. EPA a formulé des exigences concernant l'inactivation de Giardia et de Cryptosporidium par des rayons UV dans son document LT2ESWTR (U.S. EPA, 2006a). Pour obtenir un taux d'élimination de Cryptosporidium et de Giardia de 3 log, le LT2ESWTR exige des doses respectives de rayons UV de 12 et 11 mJ/cm2 (voir le tableau 9). En ce qui concerne les systèmes d'approvisionnement en eau au Canada, on emploie habituellement une dose de rayons UV de 40 mJ/cm2 (MEO, 2006). On peut ainsi obtenir une inactivation efficace des protozoaires.

Plusieurs études récentes ont porté sur l'effet des particules sur l'efficacité de la désinfection aux rayons UV; dans la majorité des cas, on a conclu que la réaction des microorganismes à la dose de rayons UV n'était pas influencée par les variations de turbidité de 10 uTN et moins (Christensen et Linden, 2002; Oppenheimer et coll., 2002; Mamane-Gravetz et Linden, 2004; Passantino et coll., 2004). Cependant, on a démontré que la présence de particules d'acides humiques et de coagulants avait une influence considérable sur l'efficacité de la désinfection aux rayons UV pour deux substituts de virus (coliphage MS2 et bactériophage T4), l'inactivation obtenue étant plus faible en présence de ces substances (Templeton et coll., 2005). Des études plus poussées sont nécessaires pour mieux comprendre la pertinence de ces substituts en ce qui concerne l'inactivation des protozoaires ainsi que l'effet des particules et des coagulants sur l'inactivation microbienne par la lumière UV. La dose de rayons UV administrée aux microorganismes qui traversent un réacteur UV est déterminée par la conception hydraulique de celui-ci. Le système hydraulique du réacteur doit être conçu de manière à permettre à tous les microorganismes de recevoir la dose requise minimale de rayons UV (U.S. EPA, 2006c).

Tableau 9. Doses de rayons UV (mJ/cm 2) requises pour une inactivation maximale de 4 log (99,99 %) de kystes de Giardia lamblia et d'oocystes de Cryptosporidium (U.S. EPA, 2006a)
Inactivation logarithmique Dose UV requise pour inactivation (mJ/cm2)
Cryptosporidium Giardia
0,5 1,6 1,5
1 2,5 2,1
1,5 3,9 3
2 5,8 5,2
2,5 8,5 7,7
3 12 11
3,5 15 15
4 22 22

7.1.5 Utilisation de désinfectants multiples

Une stratégie axée sur l'utilisation de désinfectants multiples comprenant au moins deux étapes de désinfection primaire (c.-à-d. utilisation séquentielle de plusieurs désinfectants) est efficace pour inactiver les protozoaires et d'autres microorganismes présents dans l'eau potable. La lumière UV et le chlore libre, par exemple, peuvent être utilisés de façon complémentaire au cours de la désinfection afin d'inactiver les protozoaires, les virus et les bactéries. Puisque la lumière UV est très efficace pour inactiver les protozoaires (mais moins pour inactiver les virus) et que le chlore est très efficace pour inactiver les bactéries et les virus (mais moins pour inactiver les protozoaires), la stratégie axée sur l'utilisation de désinfectants multiples permet d'utiliser des doses plus faibles de chlore. Cette stratégie permet ainsi de réduire la formation de SPD. Dans certaines usines de traitement, on utilise de l'ozone pour éliminer les composés responsables du goût et de l'odeur de l'eau, puis on procède à une désinfection au chlore. Dans de tels cas, on pourrait considérer que l'ozone et le chlore remplissent l'exigence de désinfection globale, selon des facteurs tels que la conception hydraulique du contacteur d'ozone et la présence d'une concentration résiduelle d'ozone à la prise d'eau à l'effluent du contacteur.

7.1.6 Efficacité du traitement

Afin de mieux comprendre et d'évaluer les systèmes de traitement, on a utilisé des substituts comme indicateurs de l'inactivation et de l'élimination microbienne. Des substituts non biologiques et biologiques ont été utilisés, incluant respectivement des microsphères de polystyrène et des spores bactériennes. Les microsphères constituent une option possible pour l'évaluation de l'enlèvement des oocystes par filtration (Emelko et coll., 2003; Baeza et Ducoste, 2004; Emelko et Huck, 2004; Amburgey et coll., 2005; Tang et coll., 2005). Les spores bactériennes ne sont pas des substituts appropriés pour l'inactivation des oocystes, puisqu'elles sont inactivées plus facilement que Cryptosporidium et qu'elles sont généralement plus sensibles à certains désinfectants (p. ex. dioxyde de chlore) (Driedger et coll., 2001; Larson et Mariñas, 2003). On a aussi utilisé des cellules de levure (Rochelle et coll., 2005) pour évaluer l'inactivation des oocystes, mais d'autres recherches doivent être menées sur la faisabilité de cette méthode.

7.2 Échelle résidentielle

Le traitement à l'échelle résidentielle est aussi applicable aux petits systèmes d'approvisionnement en eau potable. Ceux-ci incluent à la fois les systèmes privés et les systèmes sans réseau de distribution ou dotés d'un réseau minimal qui fournissent de l'eau au public à partir d'une usine non reliée à une source d'approvisionnement publique (aussi appelés systèmes semi-publics). Le traitement de tous les systèmes d'approvisionnement alimentés par des eaux de surface ou des eaux souterraines assujetties à l'influence directe d'eaux de surface doit comprendre, au minimum, une filtration (ou des techniques équivalentes) et une désinfection adéquates.

Il existe un éventail d'options permettant de traiter les sources d'eau afin de fournir de l'eau potable d'excellente qualité. Parmi elles, on compte diverses méthodes de filtration, telles que l'osmose inverse et la désinfection au moyen de composés chlorés, ainsi que d'autres techniques, comme le traitement aux rayons UV ou l'ozonation. Ces techniques s'apparentent aux procédés de traitement municipaux, mais elles sont appliquées à plus petite échelle. On peut aussi recourir à d'autres procédés, comme la distillation, qui ne conviennent cependant qu'aux petits systèmes d'approvisionnement en eau. La majorité de ces techniques ont été intégrées à un dispositif au point d'entrée qui traite toute l'eau qui arrive dans le système, ou à des dispositifs au point d'utilisation qui traitent l'eau en un seul endroit, comme au robinet de la cuisine.

Les systèmes semi-publics et privés qui pratiquent la désinfection utilisent généralement le chlore ou la lumière UV comme méthodes de désinfection en raison de leur disponibilité et de leur facilité relative d'exécution. Il est important de savoir que l'inactivation de Giardia par le chlore libre requiert des concentrations et (ou) temps de contact relativement élevés. La chloration n'est pas efficace pour inactiver le Cryptosporidium. L'application de la lumière UV à des systèmes d'approvisionnement en eau de dureté moyenne ou élevée (p. ex. eaux souterraines), l'entartrage et l'encrassement de la surface de la lampe UV constituent un problème courant. On peut toutefois utiliser des mécanismes spéciaux de nettoyage des lampes UV ou des adoucisseurs d'eau pour régler ce problème d'entartrage.

Santé Canada ne recommande pas de marques particulières de dispositifs de traitement de l'eau potable, mais conseille vivement aux consommateurs de n'utiliser que les dispositifs certifiés par un organisme de certification accrédité comme étant conformes aux normes appropriées de NSF International (NSF) et de l'American National Standards Institute (ANSI). Ces normes visent à protéger l'eau potable en aidant à garantir l'innocuité des matériaux et l'efficacité des produits qui entrent en contact avec elle. Par exemple, les appareils de traitement qui satisfont à la norme 55 de la NSF concernant les systèmes de désinfection aux rayons UV (classe A) sont conçus pour inactiver les microorganismes, y compris les bactéries, les virus, les oocystes de Cryptosporidium et les kystes de Giardia, et les éliminer de l'eau contaminée. Ils ne sont pas conçus pour traiter les eaux usées, ni les eaux contaminées par les eaux usées brutes et doivent être installés à des endroits où l'eau est claire à l'œil nu.

La NSF a également établi des normes relativement aux allégations de réduction des kystes; il s'agit de la norme 58 sur l'osmose inverse, de la norme 53 sur les dispositifs de traitement de l'eau potable et de la norme 62 sur les distillateurs d'eau potable. Pour répondre aux normes relatives aux allégations de réduction des kystes, les appareils de traitement doivent permettre une réduction d'au moins 3 log des kystes. Ce type d'appareils ne peut toutefois être homologué pour l'inactivation des pathogènes, puisque cette certification ne vise que la filtration mécanique.

Les organismes de certification garantissent qu'un produit ou service est conforme aux normes en vigueur. Au Canada, le Conseil canadien des normes (CCN) a accrédité un certain nombre d'organismes qu'il autorise à homologuer les dispositifs de traitement de l'eau potable qui satisfont aux normes susmentionnées NSF/ANSI :

On peut obtenir une liste à jour des organismes de certification accrédités auprès du Conseils canadien des normes.

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