Les fumeurs à titre expérimental sont-ils différents de leurs camarades de classe n'ayant jamais fumé? Une analyse multiniveaux des jeunes Canadiens de la 9e à la 12e année - MCBC : Vol 34, No 2-3, juillet 2014

Les fumeurs à titre expérimental sont-ils différents de leurs camarades de classe n'ayant jamais fumé? Une analyse multiniveaux des jeunes Canadiens de la 9^e à la 12^e année

S. C. Kaai, Ph. D. (1); S. R. Manske, D. Éd. (1, 2); S. T. Leatherdale, Ph. D. (1); K. S. Brown, Ph. D. (1, 2, 3); D. Murnaghan, Ph. D. (4)

https://doi.org/10.24095/hpcdp.34.2/3.07f

Cet article a fait l'objet d'une évaluation par les pairs.

Rattachement des auteurs :

1. École de santé publique et des systèmes de santé, Université de Waterloo, Waterloo (Ontario), Canada
2. Centre pour l'avancement de la santé des populations Propel, Université de Waterloo, Waterloo (Ontario), Canada
3. Département de statistique et d'actuariat, Université de Waterloo, Waterloo (Ontario), Canada
4. École de sciences infirmières, Université de l'Île-du-Prince-Édouard, Charlottetown (Île-du-Prince-Édouard), Canada

Correspondance : Susan C. Kaai, École de santé publique et des systèmes de santé, Université de Waterloo, 200, avenue University West, Waterloo (Ontario) N2L 3G1; tél. : 519-888-4567, poste 31748; téléc. : 519-746-8631; courriel : skaai@uwaterloo.ca

Résumé

Introduction : Il est essentiel de comprendre les caractéristiques du tabagisme expérimental chez les jeunes pour élaborer des programmes de prévention. Dans cette étude, nous avons analysé, à partir d'un échantillon représentatif des élèves canadiens de la 9^e à la 12^e année, les facteurs relatifs aux élèves et les facteurs relatifs aux écoles qui différenciaient les fumeurs à titre expérimental des élèves n'ayant jamais fumé.

Méthodologie : Des données relatives aux écoles recueillies dans le cadre du Recensement de 2006 ainsi qu'une caractéristique relative au milieu bâti (densité des détaillants de produits du tabac) ont été reliées à des données relatives aux élèves du secondaire tirées de l'Enquête sur le tabagisme chez les jeunes de 2008-2009 et ont été soumises à une série d'analyses par régression logistique multiniveaux.

Résultats : Le taux de tabagisme expérimental variait d'une école à l'autre (p < 0,001).

Après ajustement en fonction des caractéristiques des élèves, on a observé une association entre l'emplacement (rapport de cotes ajusté = 0,66, intervalle de confiance à 95 % : 0,49 à 0,89) de l'école (milieu urbain ou rural) et le risque qu'un élève soit fumeur à titre expérimental plutôt qu'élève n'ayant jamais fumé. Les élèves étaient plus susceptibles d'être fumeurs à titre expérimental s'ils étaient d'un niveau scolaire inférieur, s'ils avaient un faible sentiment d'appartenance à leur école, s'ils consommaient de l'alcool ou de la marijuana, s'ils croyaient que le tabagisme avait un effet apaisant, s'ils recevaient de l'argent de poche chaque semaine et si un membre de leur famille ou un de leurs amis intimes fumait des cigarettes.

Conclusion : Les programmes de prévention du tabagisme en milieu scolaire doivent à la fois être adaptés au niveau scolaire et exhaustifs, comprendre des stratégies visant à accroître le sentiment d'appartenance des élèves à leur école et tenir compte du phénomène de polyconsommation, des croyances relatives au tabagisme et de l'utilisation qui est faite de l'argent de poche. Ces programmes devraient également cibler les élèves dont un ami ou un membre de la famille fume. Par ailleurs, les écoles situées en milieu rural pourraient avoir besoin de ressources supplémentaires.

Mots-clés : tabagisme, jeunes, prévention, analyse multiniveaux, Canada

Introduction

Malgré les effets néfastes bien connus du tabagisme, le taux de tabagisme chez les jeunes demeure élevé en Amérique du Nord^{Note de bas de page 1}. Plus de 16 % (au Canada) et de 20 % (aux États-Unis) des décès annuels découlent d'une maladie liée au tabagisme^{Note de bas de page 2Note de bas de page 5Note de bas de page 6}. La consommation de tabac commence souvent à l'adolescence, à la suite d'un désir naïf d'expérimenter la chose, et elle se transforme en une habitude dont il est difficile de se défaire^{Note de bas de page 7}. La plupart des fumeurs adultes ont commencé à fumer à l'adolescence^{Note de bas de page 3}. Selon diverses études, il semble par ailleurs que le comportement tabagique chez les adolescents comporte diverses trajectoires ou divers stades : les adolescents n'ayant jamais fumé mais susceptibles de le faire, les fumeurs à titre expérimental et les fumeurs établis (ou actuels)^{Note de bas de page 8Note de bas de page 9Note de bas de page 10}. Cette distinction entre stades de tabagisme est importante pour les professionnels de la santé publique et les éducateurs qui doivent élaborer des programmes de prévention et d'intervention en fonction des facteurs de risque et des facteurs protecteurs propres à chacun de ces stades.

La majorité des études portent sur le tabagisme établi^{Note de bas de page 10Note de bas de page 11Note de bas de page 12Note de bas de page 13Note de bas de page 14Note de bas de page 15Note de bas de page 16Note de bas de page 17}. Étant donné qu'environ les trois quarts des élèves feront l'expérience du tabagisme au moins une fois avant la fin de l'école secondaire^{Note de bas de page 18Note de bas de page 19}, et comme environ le tiers de ces élèves deviendront des fumeurs établis^{Note de bas de page 20}, il est essentiel de comprendre les facteurs qui distinguent les fumeurs à titre expérimental des personnes n'ayant jamais fumé pour élaborer des programmes de lutte contre le tabagisme visant à décourager les élèves d'essayer la cigarette.

De nombreux chercheurs ont utilisé la théorie dite d'influence triadique (theory of triadic influence, TTI)^{Note de bas de page 21} pour comprendre les facteurs complexes associés au comportement tabagique chez les adolescents. D'après la TTI, divers facteurs intrapersonnels, sociaux et sociétaux interagissent et influent sur le comportement tabagique des jeunes. Les facteurs de risque intrapersonnels associés au tabagisme expérimental sont notamment l'âge^{Note de bas de page 22}, le fait d'être un garçon^{Note de bas de page 23}, la consommation d'alcool ou de drogues illicites^{Note de bas de page 22}, l'argent de poche^{Note de bas de page 24}, un faible sentiment d'appartenance à son école^{Note de bas de page 25}, une attitude positive à l'égard du tabagisme^{Note de bas de page 26} et la perception de règles claires à l'école au sujet du tabagisme^{Note de bas de page 27}. Les facteurs sociaux concernent surtout les membres de la famille^{Note de bas de page 22Note de bas de page 23} et les amis^{Note de bas de page 22Note de bas de page 27} qui fument. À plus grande échelle, les facteurs sociétaux (relatifs à l'école) qui sont associés au tabagisme expérimental sont surtout la fréquentation d'une école où le taux de tabagisme est relativement élevé dans les niveaux scolaires supérieurs^{Note de bas de page 27}, une forte densité de détaillants de produits du tabac près de l'école^{Note de bas de page 28} et l'absence de règles interdisant complètement le tabagisme à la maison^{Note de bas de page 29}. Chan et Leatherdale^{Note de bas de page 30} ont étudié la relation entre la présence de détaillants de produits du tabac et la susceptibilité au tabagisme, le tabagisme occasionnel et le tabagisme établi. Selon eux, il n'y avait d'association qu'entre le nombre de détaillants de produits du tabac situés près d'une école et la susceptibilité au tabagisme^{Note de bas de page 30}. Les autres facteurs sociétaux associés au tabagisme établi (mais non au tabagisme expérimental) sont surtout l'emplacement de l'école^{Note de bas de page 31Note de bas de page 32Note de bas de page 33} et le statut socioéconomique (SSE) du quartier^{Note de bas de page 31Note de bas de page 32Note de bas de page 34Note de bas de page 35}.

Il y a toutefois un très petit nombre d'articles portant sur l'effet qu'ont l'emplacement de l'école (milieu urbain ou rural), la densité des détaillants de produits du tabac et le SSE du quartier de l'école sur le tabagisme expérimental des élèves après ajustement en fonction d'autres facteurs relatifs aux élèves. Étant donné que ces facteurs relatifs à l'école ont déjà été associés au tabagisme établi^{Note de bas de page 31Note de bas de page 32Note de bas de page 33Note de bas de page 34Note de bas de page 35Note de bas de page 36Note de bas de page 37Note de bas de page 38}, nous avons voulu déterminer si ces facteurs étaient également associés au tabagisme expérimental chez les adolescents. Cette étude vise ainsi à déterminer quelles caractéristiques relatives au quartier et aux élèves sont susceptibles de distinguer les fumeurs à titre expérimental des élèves n'ayant jamais fumé. En comprenant mieux ces facteurs, les professionnels de la santé publique et les éducateurs qui élaborent des stratégies de prévention du tabagisme pourront mettre au point des stratégies qui visent de façon plus efficace les jeunes aux divers stades du tabagisme. Nous avons également traité des facteurs associés au tabagisme établi (ou actuel)^{Note de bas de page 39}.

Méthodologie

Conception

L'Enquête sur le tabagisme chez les jeunes de 2008-2009 (ETJ 2008) est une enquête transversale représentative à l'échelle nationale qui a été menée dans des écoles et qui visait à mesurer les déterminants du comportement tabagique chez les jeunes. Il s'agit d'une étude valide et fiable menée à l'aide de questionnaires imprimés remplis au crayon et lisibles à la machine^{Note de bas de page 40}. L'article d'Elton-Marshall et collab.^{Note de bas de page 41} et le site www.yss.uwaterloo.ca fournissent de plus amples renseignements sur l'élaboration de l'enquête, sur sa conception, sur la pondération et sur le protocole de collecte des données. En bref, la population cible était l'ensemble des jeunes résidents canadiens des niveaux scolaires visés qui fréquentaient une école publique ou privée dans l'une des 10 provinces du Canada. La stratégie d'échantillonnage reposait sur un échantillonnage stratifié à plusieurs degrés. Il fallait entre 20 et 30 minutes environ pour remplir le questionnaire. Pour garantir la confidentialité du processus, les élèves devaient placer leur questionnaire rempli dans une enveloppe scellée, laquelle était elle-même placée dans une plus grande enveloppe utilisée pour recueillir l'ensemble des enveloppes d'une classe. Le Bureau de recherche et d'éthique de l'Université de Waterloo a approuvé la méthodologie de cette enquête.

Participants

L'échantillon utilisé pour notre étude est tiré du volet « écoles secondaires » de l'ETJ 2008. Ce volet concernait des élèves de la 9^e à la 12^e année (n = 29 296) de 133 écoles des 10 provinces canadiennes. Le taux de réponse des élèves a été de 73,2 %^{Note de bas de page 41}. Notre étude ne porte que sur un sous-ensemble de 18 072 élèves, fumeurs à titre expérimental ou n'ayant jamais fumé.

Sources de données et mesures

Variables critères

En nous fondant sur d'autres travaux de recherche^{Note de bas de page 13Note de bas de page 28Note de bas de page 42Note de bas de page 43}, nous avons défini la catégorie des « fumeurs à titre expérimental » comme regroupant les élèves qui avaient fumé dans les 30 jours précédant l'enquête, mais qui n'avaient pas fumé 100 cigarettes au cours de leur vie. Nous avons comparé ce groupe à celui des élèves « n'ayant jamais fumé », c'est-à-dire ceux qui avaient affirmé n'avoir jamais fumé de cigarette ni même avoir tiré ne serait-ce qu'une bouffée de cigarette^{Note de bas de page 40}.

Corrélats relatifs aux élèves (interpersonnels et sociaux) et relatifs aux écoles (sociétaux)

La sélection des variables a été guidée par la TTI^{Note de bas de page 21} et par notre recension de la littérature. Nous avons attribué divers codes aux facteurs intrapersonnels (sexe, niveau scolaire, consommation d'alcool ou de marijuana, argent de poche, sentiment d'appartenance à l'école, connaissances et attitude à l'égard du tabac, perception des règles de l'école sur le tabagisme) et aux mesures relatives au contexte social (statut tabagique des parents, des frères et sœurs et des amis), ce que nous présentons dans le tableau 1. Nous avons associé à l'ensemble de données de l'ETJ 2008, comme l'ont fait d'autres chercheurs^{Note de bas de page 44Note de bas de page 45}, deux caractéristiques relatives au quartier de l'école utilisées dans le Recensement de 2006 : l'emplacement de l'école (milieu urbain ou rural) et le revenu médian du ménage, considéré comme une mesure indirecte du SSE du quartier où est située l'école. Les données relatives à l'emplacement des écoles et au revenu médian des ménages ont été déterminées en fonction du code postal des écoles, au moyen du Fichier de conversion des codes postaux, fichier qui établit un lien entre le code postal et les zones géographiques utilisées par Statistique Canada dans le cadre du Recensement de 2006^{Note de bas de page 46} (voir tableau 1). Nous avons utilisé le fichier EPOI (enhanced points of interest) 2008-2009 de la société Desktop Mapping Technologies inc.^{Note de bas de page 47} pour obtenir le nombre de détaillants de produits du tabac situés dans un rayon de 1 km de l'école (tableau 1).

TABLEAU 1
Liste des variables utilisées dans l'analyse

Domaine de la TTI	Question posée ou description de la façon dont la variable a été obtenue	Codes utilisés pour l'analyse
Variables intrapersonnelles (relatives aux élèves)
Niveau scolaire	En quelle année es-tu?	9, 10, 11, 12
Sexe	Es-tu une fille ou un garçon?	0 = fille
		1 = garçon
Argent de poche	Combien d'argent reçois-tu habituellement chaque semaine, que ce soit pour dépenser ou pour économiser?	0 = 0 $
		1 = 1 à 20 $
		2 = 21 à 100 $
		3 = 101 $ et plus
Consommation d'alcool	Au cours des 12 derniers mois, à quelle fréquence as-tu consommé de l'alcool (quantité supérieure à une gorgée)	0 = je n'ai jamais bu d'alcool
		1 = toute consommation (options 2 à 10)
	1 = Je n'ai jamais bu d'alcool; 2 = Je n'ai pas bu d'alcool au cours des 12 derniers mois; 3 = Je n'ai bu qu'une gorgée d'alcool; 4 = Tous les jours; 5 = De 4 à 6 fois par semaine; 6 = 2 ou 3 fois par semaine; 7 = Une fois par semaine; 8 = 2 ou 3 fois par mois; 9 = Une fois par mois; 10 = Moins d'une fois par mois. 11 = La réponse « Je ne sais pas » n'était pas considérée comme valide.
Consommation de marijuana	Au cours des 12 derniers mois, à quelle fréquence as-tu consommé de la marijuana ou du cannabis (joint, hachisch, pot, herbe…)	0 = je n'ai jamais consommé de marijuana
		1 = toute consommation (options 2 à 9)
	1 = Je n'ai jamais consommé de marijuana; 2 = J'ai déjà consommé de la marijuana, mais pas au cours des 12 derniers mois; 3 = Tous les jours; 4 = De 4 à 6 fois par semaine; 5 = 2 ou 3 fois par semaine; 6 = Une fois par semaine; 7 = 2 ou 3 fois par mois; 8 = Une fois par mois; 9 = Moins d'une fois par mois. 10 = La réponse « Je ne sais pas » n'était pas considérée comme valide.
Sentiment d'appartenance à l'école	On a demandé aux élèves : s'ils se sentaient près des gens à l'école, s'ils avaient l'impression de faire partie de leur école, s'ils étaient heureux à l'école, s'ils trouvaient que les professeurs les traitaient équitablement et s'ils se sentaient en sécurité à l'école.	0 = pas du tout d'accord/pas d'accord
		1 = tout à fait d'accord/d'accord
	Les élèves devaient indiquer leur réponse sur une échelle de Likert à 4 points. On a fait la somme du score associé aux réponses fournies pour les cinq éléments relatifs au sentiment d'appartenance à l'école de façon à obtenir un score final de 0 à 5. Plus le score était élevé, plus le sentiment d'appartenance à l'école était important. Cette façon d'additionner le score est conforme à la méthodologie employée dans des études antérieures, et la cohérence interne de cette échelle est adéquate (∝ = 0,86)Note de bas de page 16.
Connaissances	Faut-il fumer pendant de nombreuses années pour que cela nuise à la santé?	0 = « non » ou « je ne sais pas »
		1 = oui
	Le fait de fumer occasionnellement représente-t-il un risque pour la santé?	0 = « non » ou « je ne sais pas »
		1 = oui
Croyances	Le tabagisme aide-t-il les gens à relaxer?	0 = « non » ou « je ne sais pas »
		1 = oui
Règles de l'école	Il y a des règles claires sur le tabagisme que les élèves doivent respecter. Les élèves devaient indiquer leur réponse sur une échelle de Likert à 4 points (vrai, habituellement vrai, habituellement faux, faux) et la réponse était consignée de la façon indiquée dans la colonne de droite.	0 = habituellement faux/ faux/je ne sais pas
		1 = vrai/habituellement vrai
Variables sociales (relatives aux élèves)
Parent fume	Est-ce que l'un de tes parents, de tes beaux-parents ou de tes tuteurs fume des cigarettes?	0 = « non » ou « je ne sais pas »
		1 = oui
Frère ou sœur fume	As-tu un frère ou une sœur qui fume des cigarettes?	0 = non ou « je ne sais pas » ou « je n'ai pas de frère ou de sœur »
		1 = oui
Ami fume	Combien de tes amis intimes fument des cigarettes?	0 = 0, 1 = 1, 2 = 2, 3 = 3, 4 = 4, 5 = 5 ou plus
Variables sociétales (relatives aux écoles) (relatives aux écoles)
Emplacement	L'emplacement des écoles a été déterminé en fonction du code postal des écoles et du Fichier de conversion des codes postaux, qui établit un lien entre le code postal et les zones géographiques standard utilisées par Statistique Canada dans le cadre du Recensement de 2006Note de bas de page 46. Aux fins de l'analyse, les zones associées à une population de moins de 50 000 habitants ont été considérées comme rurales, et celles de 50 000 habitants et plus, comme urbaines.	0 = milieu rural
		1 = milieu urbain
SSE	Les données relatives au revenu médian des ménages recueillies dans le cadre du Recensement de 2006 ont été utilisées pour mesurer indirectement le SSE du quartier de chaque école, comme l'ont fait d'autres chercheurs dans des études antérieuresNote de bas de page 44. Cette variable est continue, et nous avons utilisé des intervalles de 10 000 $ pour faciliter l'interprétation des données.	données numériques, par intervalles de 10 000 $
Densité de détaillants de produits du tabac	Les données du fichier EPOI de DMTI recueillies en 2008-2009 nous ont permis d'obtenir le nombre de détaillants de produits du tabac situés dans un rayon de 1 km de chacune des écoles secondaires de l'échantillon. Le fichier EPOI est une base de données nationale de plus de 1,6 million de commerces canadiens et de sites récréatifs d'intérêt (www.dmtispatial.com). Les données du fichier EPOI ont été obtenues par géocodage de l'adresse de chacune des écoles participantes au moyen du logiciel Arcview 3.3Note de bas de page 47. Nous avons considéré un rayon de 1 km comme étant représentatif de la distance parcourue à pied par la plupart des élèves du secondaire entre leur domicile et l'écoleNote de bas de page 44.	données numériques (intervalles d'une unité)
Abréviations : DMTI, Desktop Mapping Technologies Inc.; EPOI, Enhanced Points of Interest; ETJ, Enquête sur le tabagisme chez les jeunes; SSE, statut socioéconomique; TTI, théorie de l'influence triadique.

Analyse des données statistiques

Nous avons eu recours à une régression logistique multiniveaux pour analyser les données emboîtées sur deux niveaux, car cette méthode tient compte de l'effet de grappe (interdépendance des cas) observé dans les écoles et prévoit que l'ordonnée à l'origine du modèle varie d'une école à l'autre^{Note de bas de page 48}. Cela accroît l'exactitude des erreurs-types et réduit la probabilité des erreurs de type 1^{Note de bas de page 49}. Tout comme d'autres chercheurs^{Note de bas de page 27}, nous avons eu recours à une modélisation en quatre étapes. Le premier modèle est un modèle nul calculé pour déterminer s'il y avait une interdépendance statistiquement significative dans les grappes qui justifierait l'utilisation d'une approche multiniveaux. Le modèle 2 a servi principalement à déterminer quelles variables relatives aux écoles ont une incidence directe sur la probabilité qu'un élève soit fumeur à titre expérimental plutôt qu'élève n'ayant jamais fumé. Dans le modèle 3, nous avons utilisé un modèle de régression à coefficient aléatoire pour mesurer la force des effets directs des corrélats relatifs à l'école et des corrélats relatifs aux élèves.

Le modèle 4 a été élaboré pour évaluer les interactions contextuelles entre les variables prédictives relatives à l'école et les variables prédictives relatives aux élèves. Grâce à la procédure SAS PROC GLIMMIX^{Note de bas de page 50}, nous avons obtenu des premières estimations, que nous avons ensuite utilisées dans le cadre d'une analyse PROC NLMIXED avec chaque modèle. Les variables prédictives qui n'étaient pas statistiquement significatives à p < 0,05 ont été éliminées jusqu'à ce que le modèle final ne contienne que des variables prédictives statistiquement significatives à cette valeur p. La corrélation intraclasse mesure la proportion de la variance totale entre les écoles. Le paramètre σ²_m désigne la variance au niveau de l'école, alors que la distribution logistique des résidus au niveau individuel implique une variance de π²/3 de 3,29. Cette formule tient compte du fait que la variable à réponse binaire observée est en fait une variable continue avec seuil à laquelle on a attribué la valeur 0 sous le seuil d'observation et la valeur 1 au-dessus du seuil^{Note de bas de page 48}.

Toutes les analyses ont été effectuées à l'aide de la version 9.2 du logiciel SAS (SAS Institute inc., Cary, Caroline du Nord, États-Unis)^{Note de bas de page 50}.

Résultats

Caractéristiques relatives aux élèves et aux écoles

Dans notre échantillon d'élèves de la 9e à la 12e année, 16 044 élèves (54,8 %) n'avaient jamais fumé et 2 028 élèves (6,9 %) étaient fumeurs à titre expérimental. Nous n'avons pas tenu compte des autres élèves pour cette étude. Les garçons représentaient 51 % de l'échantillon. Il n'y avait pas de différence liée au sexe quant à la prévalence du tabagisme expérimental (x2 = 0,02; p = 0,89; dl = 1). Les autres caractéristiques relatives aux élèves étaient statistiquement significatives (p < 0,001).

Nous avons observé une augmentation de la proportion de fumeurs à titre expérimental entre la 9^e et la 12^e année, lorsque le nombre d'amis fumeurs passait de 1 à 5 et au fur et à mesure que l'argent de poche dont les élèves disposaient chaque semaine augmentait (tableau 2). Il y avait un écart frappant entre le pourcentage de fumeurs à titre expérimental qui consommaient de la marijuana (36,8 %) ou de l'alcool (14,2 %) et le pourcentage de fumeurs à titre expérimental qui ne consommaient pas de marijuana (2,4 %) ou d'alcool (1 %).

TABLEAU 2
Statistiques descriptives (pondérées) des élèves du secondaire par catégorie de tabagisme, Enquête sur le tabagisme chez les jeunes, Canada, 2008 (n = 18 072)

Caractéristiques	Fumeurs à titre expérimental (n = 2 028)	Élèves n'ayant jamais fumé (n = 16 044)
Sexe (%)
Masculin	11,2	88,8
Féminin	11,3	88,8
Niveau scolaire (%)
9e année	8,4	91,6Tableau 2 - Note *
10e année	9,7	90,3
11e année	12,5	87,5
12e année	15,7	84,3
Argent de poche par semaine, en dollars (%)
0	4,8	95,2Tableau 2 - Note *
1 à 20	8,8	91,2
21 à 100	14,6	85,4
Plus de 100	17,4	82,6
Consommation d'alcool (%)
Non	1,0	99,0Tableau 2 - Note *
Oui	14,2	85,8
Consommation de marijuana (%)
Non	2,4	97,6Tableau 2 - Note *
Oui	36,8	63,2
Faut-il fumer pendant de nombreuses années pour que cela nuise à la santé? (%)
Non	15,9	84,1Tableau 2 - Note *
Oui	9,9	90,1
Le fait de fumer occasionnellement représente-t-il un risque pour la santé? (%)
Non	15,6	84,4Tableau 2 - Note *
Oui	9,7	90,3
Le tabagisme aide-t-il les gens à relaxer? (%)
Non	4,4	95,6Tableau 2 - Note *
Oui	18,4	81,6
Score médian relatif au sentiment d'appartenance à l'école (écart-type)	3,75 (1,47)	4,20 (1,27)Tableau 2 - Note *
Perception de la présence de règles claires sur le tabagisme (%)
Non	7,9	92,1Tableau 2 - Note *
Oui	12,1	87,9
Au moins un parent fume (%)
Non	8,4	91,7Tableau 2 - Note *
Oui	16,6	83,4
Au moins un frère ou une sœur fume (%)
Non	9,3	90,7Tableau 2 - Note *
Oui	22,8	77,2
Nombre d'amis fumeurs (%)
0	2,4	97,6Tableau 2 - Note *
1	16,6	83,4
2	25,5	74,5
3	36,2	63,8
4	32,4	67,6
5	41,6	58,4
Remarque : Tests du khi carré pondérés utilisés pour les variables nominales et tests « t » indépendants utilisés pour la variable continue (score médian relatif au sentiment d'appartenance à l'école). Note * p < 0,001. Retour à la référence de la note de bas de page 1

Sur les 133 écoles secondaires de l'échantillon, 69 étaient situées en milieu urbain. Le taux moyen de tabagisme expérimental chez les élèves de la 9e à la 12e année dans ces 133 écoles secondaires était de 6,2 % (variation : 0 % à 17,4 %), et ce taux était plus faible en milieu urbain (5,7 %) qu'en milieu rural (6,6 %). Il n'y avait pas de différence statistiquement significative entre le pourcentage de fumeurs à titre expérimental dans les écoles situées en milieu urbain (11,1 %; 1325/11 977) et dans les écoles situées en milieu rural (11,5 %; 703/6095). Le nombre moyen de détaillants de produit du tabac se trouvant dans un rayon de 1 km de l'école était de 5,8 (écart-type = 10; variation : 0 à 49 km). Le revenu moyen des ménages situés dans la même zone que l'école, d'après le code postal, était de 56 424 $ (écart-type = 14 574 $; variation : 30 784 $ à 97 706 $).

Analyse multiniveaux des fumeurs expérimentaux

Le tableau 3 fournit les résultats des analyses par régression logistique multi-niveaux. Les résultats du modèle nul (modèle 1) montrent une variation aléatoire statistiquement significative entre les écoles (estimation [erreur-type] = 0,23 [0,05]; p < 0,001) quant à la probabilité qu'un élève de la 9e à la 12e année soit fumeur à titre expérimental. D'après cette estimation, 6,5 % de la variabilité quant à la probabilité qu'un élève soit fumeur à titre expérimental plutôt qu'un élève n'ayant jamais fumé dépend de l'école fréquentée par celui-ci. Les résultats du modèle 2 montrent que seul l'emplacement de l'école est important : en comparaison des élèves fréquentant une école en milieu rural, les élèves des écoles situées en milieu urbain étaient moins susceptibles d'être fumeurs à titre expérimental plutôt qu'élèves n'ayant jamais fumé (rapport de cotes ajusté [RCA] = 0,74, intervalle de confiance [IC] à 95 % : 0,60 à 0,91). Cette caractéristique relative à l'emplacement de l'école explique 11,9 % de la variabilité observée d'une école à l'autre quant à la probabilité qu'un élève soit fumeur à titre expérimental. Le nombre de détaillants de produits du tabac dans un rayon de 1 km de l'école n'était pas associé (RCA = 0,99, IC à 95 % : 0,97 à 1,01) au tabagisme expérimental. De plus, le revenu médian des ménages utilisé comme mesure indirecte du SSE du quartier de l'école n'était pas associé (RCA = 0,93, IC à 95 % : 0,86 à 1,01) à la probabilité qu'un élève soit fumeur à titre expérimental plutôt qu'élève n'ayant jamais fumé.

TABLEAU 3
Analyse par régression logistique multiniveaux des variables relatives aux élèves et de celles relatives aux écoles associées à la probabilité d'être fumeur à titre expérimental plutôt qu'élève n'ayant jamais fumé, Enquête sur le tabagisme chez les jeunes, Canada, 2008 (n = 18 072)

Caractéristiques	Modèle 1Tableau 3 - Note a	Modèle 2Tableau 3 - Note b	Modèle 3Tableau 3 - Note c
	Estimés du modèle (erreur-type)	RCA (IC à 95 %)	RCA (IC à 95 %)
Facteurs intrapersonnels (relatifs aux élèves)
Sexe
Féminin (réf.)	—	—	1,0
Masculin	—	—	1,00 (0,86 à 1,16)
Niveau scolaire
9e année (réf.)	—	—	1,0
10e année	—	—	0,75 (0,61 à 0,93)Tableau 3 - Note *
11e année	—	—	0,71 (0,57 à 0,89)Tableau 3 - Note *
12e année	—	—	0,82 (0,64 à 1,05)
Argent de poche par semaine, en dollars
0 (réf.)	—	—	1,0
1 à 20	—	—	1,59 (1,20 à 2,11)Tableau 3 - Note *
21 à 100	—	—	2,03 (1,54 à 2,68)Tableau 3 - Note **
Plus de 100	—	—	2,23 (1,66 à 2,99)Tableau 3 - Note **
Le tabagisme aide-t-il les gens à relaxer?
Non (réf.)	—	—	1,0
Oui	—	—	3,37 (2,85 à 3,97)Tableau 3 - Note **
Faut-il fumer pendant de nombreuses années pour que cela nuise à la santé?
Non (réf.)	—	—	1,0
Oui	—	—	0,66 (0,55 à 0,79)Tableau 3 - Note **
Le fait de fumer occasionnellement représente-t-il un risque pour la santé?
Non (réf.)	—	—	1,0
Oui	—	—	0,62 (0,52 à 0,73)Tableau 3 - Note **
Il y a des règles claires sur le tabagisme à l'école
Non (réf.)	—	—	1,0
Oui	—	—	1,56 (1,27 à 1,92)Tableau 3 - Note **
Consommation d'alcool
Non (réf.)	—	—	1,0
Oui	—	—	3,51 (2,41 à 5,12)Tableau 3 - Note **
Consommation de marijuana
Non (réf.)	—	—	1,0
Oui	—	—	15,4 (12,96 à 18,26)Tableau 3 - Note **
Score médian relatif au sentiment d'appartenance	—	—	0,87 (0,83 à 0,92)Tableau 3 - Note **
Facteurs sociaux (relatifs aux élèves)
Au moins un parent fume
Non (réf.)	—	—	1,0
Oui	—	—	1,29 (1,11 à 1,50)Tableau 3 - Note *
Au moins un frère ou une sœur fume
Non (réf.)	—	—	1,0
Oui	—	—	1,45 (1,22 à 1,73)Tableau 3 - Note **
Nombre d'amis fumeurs
0 (réf.)	—	—	1,0
1	—	—	3,69 (2,96 à 4,59)Tableau 3 - Note **
2	—	—	5,87 (4,69 à 7,35)Tableau 3 - Note **
3	—	—	8,56 (6,59 à 11,12)Tableau 3 - Note **
4	—	—	10,52 (7,10 à 15,60)Tableau 3 - Note **
5	—	—	9,51 (7,59 à 11,91)Tableau 3 - Note **
Facteurs sociétaux (relatifs aux écoles)
Densité de détaillants de produits du tabac (intervalles d'une unité)	—	0,99 (0,97 à 1,01)	0,99 (0,97 à 1,02)
Emplacement
Milieu rural (réf.)	—	1,0	1,0
Milieu urbain	—	0,74 (0,60 à 0,91)Tableau 3 - Note *	0,66 (0,49 à 0,89)Tableau 3 - Note *
Revenu médian du ménage (intervalles de 10 000 $)	—	0,93 (0,86 à 1,01)	0,92 (0,82 à 1,03)
Variance aléatoire, estimation (estimation [erreur-type])	0,23 (0,05)Tableau 3 - Note **	0,20 (0,04)	0,28 (0,07)
Corrélation intraclasseTableau 3 - Note dσ2m/( σ2m + π2/3)	0,065	0,056	0,079
Abréviations : IC, intervalle de confiance; RCA, rapport de cotes ajusté; réf., catégorie de référence. Remarque : Variable dépendante : fumeur à titre expérimental = 1 et élève n'ayant jamais fumé = 0. Note a Ordonnée à l'origine aléatoire seulement (le modèle nul a été calculé pour déterminer s'il y avait une interdépendance statistiquement significative dans les grappes qui justifierait l'utilisation d'une approche multiniveaux). Retour à la référence de la note de bas de page a Note b Variables relatives aux écoles qui auraient une incidence directe sur la probabilité qu'un élève soit fumeur à titre expérimental plutôt qu'élève n'ayant jamais fumé. Retour à la référence de la note de bas de page b Note c Variables relatives aux écoles et relatives aux élèves. Retour à la référence de la note de bas de page c Note d Mesures de la proportion de la variance totale observée entre les écoles. Retour à la référence de la note de bas de page d Note * p < 0,05. Retour à la référence de la note de bas de page * Note ** p < 0,001. Retour à la référence de la note de bas de page **

Le modèle 3 identifiait les caractéristiques relatives aux écoles qui présentaient une association statistiquement significative avec la probabilité qu'un élève soit fumeur à titre expérimental, après ajustement pour tenir compte des caractéristiques relatives aux élèves. La première fois que nous avons examiné chacune des trois variables relatives aux écoles de façon séparée (après ajustement en fonction des variables relatives aux élèves), l'emplacement des écoles (RCA = 0,62, IC à 95 % : 0,46 à 0,82; milieu urbain ou rural; données non présentées) et le SSE du quartier (RCA = 0,88, IC à 95 % : 0,79 à 0,98; données non présentées) étaient associés de façon statistiquement significative avec la probabilité qu'un élève soit fumeur à titre expérimental. Cependant, lorsque nous avons réuni toutes les variables relatives aux écoles (emplacement, SSE et nombre de détaillants de produits du tabac) et les variables relatives aux élèves en un seul et unique modèle, seul l'emplacement des écoles (milieu urbain ou rural) demeurait statistiquement significatif (RCA = 0,66, IC à 95 % : 0,49 à 0,89; voir le tableau 3). Aucune des interactions contextuelles du modèle 4 (résultats non présentés) n'était associée à la variable critère.

En résumé, le modèle final laisse entendre qu'il n'y avait aucune différence entre les sexes (RCA = 1,00, IC à 95 % : 0,86 à 1,16) quant à la probabilité qu'un élève soit fumeur à titre expérimental plutôt qu'élève n'ayant jamais fumé. Les probabilités qu'un élève soit fumeur à titre expérimental étaient moins élevées dans une école située en milieu urbain (RCA = 0,66, IC à 95 % : 0,49 à 0,89) que dans une école située en milieu rural. En ce qui concerne les observations relatives aux élèves, les élèves des 10e et 11e années étaient moins susceptibles que ceux de 9e année d'être fumeurs à titre expérimental plutôt qu'élèves n'ayant jamais fumé (10e année par rapport à 9e année : RCA = 0,75, IC à 95 % : 0,61 à 0,93; 11e année par rapport à 9e année : RCA = 0,71, IC à 95 % : 0,57 à 0,89). En revanche, les probabilités qu'un élève soit fumeur à titre expérimental plutôt qu'élève n'ayant jamais fumé augmentaient en fonction de l'importance de son argent de poche hebdomadaire (entre 1 $ et 20 $ par rapport à 0 $ : RCA = 1,59, IC à 95 % : 1,20 à 2,11; plus de 100 $ par rapport à 0 $ : RCA = 2,23, IC à 95 % : 1,66 à 2,99), s'il croyait que le tabagisme avait un effet apaisant (RCA = 3,37, IC à 95 % : 2,85 à 3,97), selon sa perception de l'existence de règles claires sur le tabagisme à l'école (RCA = 1,56, IC à 95 % : 1,27 à 1,92), s'il avait un faible sentiment d'appartenance à son école (RCA = 0,87, IC à 95 % : 0,83 à 0,92) et s'il consommait de l'alcool (RCA = 3,51, IC à 95 % : 2,41 à 5,12). La consommation de marijuana semblait jouer un rôle très important, car la probabilité qu'un élève soit fumeur à titre expérimental était plus de 15 fois plus élevée (RCA = 15,4, IC à 95 % : 12,96 à 18,26) lorsque l'élève disait fumer de la marijuana.

En ce qui concerne les corrélats sociaux, les élèves qui disaient avoir au moins un parent (RCA = 1,29, IC à 95 % : 1,11 à 1,50) ou un frère ou une sœur (RCA = 1,45, IC à 95 % : 1,22 à 1,73) qui fumait des cigarettes présentaient un risque accru d'être fumeurs à titre expérimental que les élèves n'ayant jamais fumé. De plus, la probabilité qu'un élève soit fumeur à titre expérimental augmentait de façon considérable en fonction du nombre de ses amis intimes qui fumaient des cigarettes, le RCA allant de 3,69 (IC à 95 % : 2,96 à 4,59), chez les élèves ayant un ami intime fumeur par rapport à ceux n'ayant aucun ami fumeur, à 10,52 (IC à 95 % : 7,10 à 15,60), chez les élèves ayant quatre amis intimes fumeurs par rapport à ceux n'ayant aucun ami fumeur. Ces facteurs relatifs aux élèves n'expliquaient pas la variation observée entre les écoles. Cette variation entre écoles est demeurée statistiquement significative même après ajustement en fonction des facteurs relatifs aux élèves.

Analyse

Étant donné que la dépendance à la nicotine apparaît dans les 24 heures suivant la première bouffée de cigarette chez certains jeunes^{Note de bas de page 22}, il est important pour prévenir le tabagisme de les décourager d'expérimenter la cigarette. Notre étude a mis en lumière quatre observations qui pourraient s'avérer utiles à l'élaboration de programmes de prévention du tabagisme. Premièrement, il y avait une variation statistiquement significative de la probabilité qu'un élève soit fumeur à titre expérimental d'une école à l'autre, ce qui concorde avec les observations réalisées dans le cadre d'autres travaux de recherche sur le comportement tabagique des jeunes^{Note de bas de page 27Note de bas de page 51}. Cela laisse entendre que la probabilité qu'un élève devienne fumeur à titre expérimental dépend davantage des caractéristiques de l'école que de ses caractéristiques individuelles. Bien que les caractéristiques des écoles n'aient représenté qu'un modeste 6,5 % de la variabilité, elles sont associées à une variation notable et loin d'être négligeable à l'échelle de la population de l'ensemble des écoles secondaires du Canada.

Deuxièmement, nos résultats ont corroboré la TTI et nous ont permis de pousser plus loin les observations réalisées dans le cadre d'autres études^{Note de bas de page 31Note de bas de page 32Note de bas de page 33Note de bas de page 34Note de bas de page 35}, en montrant que les variables liées à l'emplacement des écoles (c.-à-d. milieu rural ou urbain et SSE du quartier de chaque école [analysé seul]) étaient associées au tabagisme expérimental après ajustement en fonction des caractéristiques relatives aux élèves. Cependant, il y aurait lieu de mener des études plus robustes et plus approfondies pour aider les professionnels de la santé publique à déterminer les caractéristiques précises des écoles situées en milieu rural et dans les quartiers à faible SSE qui prédisposent les élèves au tabagisme expérimental^{Note de bas de page 31Note de bas de page 32Note de bas de page 33Note de bas de page 34Note de bas de page 35}. De plus, l'emplacement de l'école (milieu urbain ou rural), le SSE du quartier et la densité des détaillants de produits du tabac n'expliquaient que partiellement la variabilité observée entre les écoles. Il faudra mener davantage d'activités de surveillance pour évaluer les autres types de données relatives aux écoles, comme les liens avec la collectivité et les médias et le rôle des programmes et des politiques visant à lutter contre le tabagisme en milieu scolaire^{Note de bas de page 42Note de bas de page 52Note de bas de page 53}.

Contrairement aux observations d'autres chercheurs sur le tabagisme expérimental^{Note de bas de page 28}, nous avons constaté qu'il n'y avait pas d'association entre le nombre de détaillants de produits du tabac situés près d'une école secondaire et la variable critère. Cela laisse penser que le nombre de détaillants de produits du tabac situés près d'une école est plus important pour les élèves qui sont susceptibles de fumer^{Note de bas de page 30} ou qui sont fumeurs établis^{Note de bas de page 36Note de bas de page 37Note de bas de page 38Note de bas de page 39} que pour les élèves qui n'en sont encore qu'au stade de l'expérimentation. Cette observation pourrait s'expliquer par les variables de la TTI concernant le niveau individuel. Selon certaines études, les fumeurs réguliers sont en effet davantage susceptibles d'acheter des cigarettes chez les détaillants de produits du tabac tandis que les fumeurs à titre expérimental ont tendance à « emprunter » des cigarettes à des amis ou à des membres de leur famille, ce qui peut expliquer que l'emplacement des détaillants de produits du tabac se révèle moins important dans notre étude^{Note de bas de page 54}.

Troisièmement, les observations à propos des caractéristiques intrapersonnelles (niveau scolaire, attitude, argent de poche, perception des règles interdisant le tabagisme, consommation d'alcool et de marijuana, sentiment d'appartenance à l'école) réalisées dans notre étude correspondent aux observations exposées dans la littérature^{Note de bas de page 21Note de bas de page 26}. Par exemple, les élèves qui déclaraient avoir une attitude favorable envers le tabagisme, comme le fait de croire que cela avait un effet apaisant, étaient plus susceptibles d'être fumeurs à titre expérimental. Il n'y a là rien de surprenant, et la TTI postule d'ailleurs que les perceptions et les croyances des adolescents représentent le niveau d'influence le plus « proximal » que ceux-ci peuvent subir. Ces perceptions et croyances reflètent leur capacité à résister aux pressions qui pourraient les amener à adopter un comportement tabagique et à progresser vers une forme de tabagisme plus poussée^{Note de bas de page 21}. La quantité d'argent de poche dont disposaient les élèves était également associée au tabagisme expérimental, ce qui concorde avec les observations de Mohan et coll.^{Note de bas de page 24}. Les parents ou les tuteurs qui donnent de l'argent de poche à leur adolescent doivent savoir comment ceux-ci dépensent cet argent.

Nos observations au sujet des perceptions des élèves sur les règles interdisant le tabagisme à l'école concordent avec celles d'autres chercheurs selon lesquelles la présence de politiques ou de règles interdisant le tabagisme à l'école n'est efficace que si celles-ci sont accompagnées de mesures adéquates visant à les faire respecter^{Note de bas de page 14Note de bas de page 16}. Dans le cadre de notre étude, nous n'avons pas évalué les mesures prises pour faire respecter ces règles ou ces politiques. Il est plausible que les fumeurs établis aient tendance à remarquer les politiques antitabac qui les concernent ou que les écoles élaborent et adoptent des politiques en réaction à un taux élevé de tabagisme^{Note de bas de page 55}. Il est possible également que le comportement des fumeurs à titre expérimental dans notre étude soit le reflet de différences individuelles quant à la tendance à se rebeller ou à la recherche de sensations fortes (nous n'avons pas mesuré ces caractéristiques), ce qu'ont indiqué d'autres chercheurs^{Note de bas de page 56Note de bas de page 57}.

Notre observation selon laquelle la consommation d'alcool permettait de prédire le statut de fumeur à titre expérimental concorde avec les observations d'autres chercheurs^{Note de bas de page 22}. Le fait le plus frappant est que la probabilité d'être fumeur à titre expérimental (par opposition à n'avoir jamais fumé) était plus de 15 fois plus élevée (RCA = 15,4, IC à 95 % : 12,96 à 18,26) chez les élèves qui consommaient de la marijuana que chez ceux qui n'en consommaient pas. Bien qu'il soit impossible de déterminer si la consommation de marijuana précède le tabagisme ou le suit à la lumière de nos données transversales, cette observation étonnante attire l'attention sur la polyconsommation de substances et l'adoption de multiples comportements à risque par les adolescents et fait ressortir à quel point il est important que les écoles priorisent la prévention de la consommation de substances (tabac, marijuana, alcool ou toute autre association de substances) en optimisant les ressources limitées dont elles disposent grâce à des stratégies à volets multiples ciblant cette polyconsommation de substances^{Note de bas de page 58Note de bas de page 59Note de bas de page 60Note de bas de page 61Note de bas de page 62Note de bas de page 63}. Cette approche a en effet une incidence favorable sur le parcours scolaire des élèves et encourage l'adoption de comportements sociaux sains qui aident les élèves à ne pas consommer de substances et à avoir un plus grand sentiment d'appartenance à leur école^{Note de bas de page 63Note de bas de page 64Note de bas de page 65}. Comme l'ont constaté avant nous d'autres chercheurs^{Note de bas de page 25Note de bas de page 66}, les élèves qui éprouvent un plus grand sentiment d'appartenance à leur école sont moins susceptibles d'adopter des comportements à risque comme le tabagisme. Cette approche concorde également avec les efforts déployés au Canada (p. ex. par le Consortium conjoint pancanadien pour les écoles en santé^{Note de bas de page 64} et la stratégie du mieux-être du Nouveau-Brunswick ^{Note de bas de page 65}) pour s'attaquer « en amont » aux problèmes en milieu scolaire, afin de créer un environnement sain et de donner aux jeunes les outils dont ils ont besoin pour ne pas succomber à la tentation de consommer des substances, quelles qu'elles soient.

Quatrièmement, les résultats que nous avons obtenus au sujet des amis et des membres de la famille qui fument concordent avec les données existantes^{Note de bas de page 22Note de bas de page 23Note de bas de page 27} ainsi qu'avec la TTI^{Note de bas de page 21}, qui postule que c'est ce groupe de personnes qui forme l'environnement social immédiat contribuant à la pression sociale (p. ex. en renforçant le comportement par l'offre de cigarettes ou en faisant du tabagisme un modèle de comportement) subie par les adolescents et les pousse à expérimenter le tabagisme. Les implications qui découlent de cette observation sont que les programmes de lutte contre le tabagisme en milieu scolaire devraient donner aux élèves l'information et les compétences leur permettant de faire face à toute forme de pression prédisposant au tabagisme expérimental^{Note de bas de page 8}.

Le fait que les élèves de 10^e et 11^e années étaient moins susceptibles d'être fumeurs à titre expérimental (par rapport aux élèves n'ayant jamais fumé) que les élèves de 9^e année concorde avec les résultats d'études ayant porté sur le tabagisme établi^{Note de bas de page 20}. Les élèves des niveaux scolaires supérieurs pourraient en effet être déjà passés du stade expérimental au stade de fumeurs réguliers ou établis. Cela laisse donc penser que les stratégies de prévention en milieu scolaire devraient être mises en œuvre très tôt, dès l'école primaire, puis être maintenues dans les écoles secondaires et jusque dans les établissements d'enseignement postsecondaires (en fonction des ressources disponibles). Contrairement à une étude menée en Chine^{Note de bas de page 23}, nous n'avons pas observé d'association entre le sexe et la variable critère. Cependant, bien qu'il n'y ait pas eu de différences entre garçons et filles dans notre analyse, les influences qu'ils auraient subies et qui les auraient amenés à expérimenter le tabagisme pourraient avoir été différentes^{Note de bas de page 67}. Si c'est bien le cas, il se pourrait qu'il faille toujours tenir compte du sexe au moment d'élaborer des interventions en milieu scolaire.

Points forts et points faibles

L'un des points forts de notre étude est le fait que nous avons utilisé des données représentatives à l'échelle nationale d'adolescents canadiens à divers stades de tabagisme. Notre étude est également guidée par une théorie d'une grande portée (la TTI), qui cible un large éventail d'influences associées aux comportements relatifs à la santé, dont le tabagisme^{Note de bas de page 21}. Nous avons utilisé une analyse de régression logistique multiniveaux à deux niveaux pour tenir compte de l'effet de grappe des élèves de la même école et pour réduire la probabilité d'une erreur de type 1^{Note de bas de page 48}.

La séquence temporelle de nos données transversales ne nous permet toutefois pas de réaliser des inférences causales. S'il est vrai que les données autodéclarées peuvent conduire à un biais dans les réponses, la méthodologie que nous avons adoptée nous a permis d'assurer la confidentialité des réponses fournies par les élèves de même que la fiabilité et la validité de ces données^{Note de bas de page 41Note de bas de page 42Note de bas de page 43}. L'utilisation exclusive de données de recensement pour déterminer le SSE du quartier de chaque école (mesure indirecte) est critiquable : il serait effectivement mieux d'utiliser plusieurs mesures relatives au quartier, en particulier les caractéristiques physiques et sociodémographiques^{Note de bas de page 44}. Les travaux de recherche ultérieurs devraient donc explorer la TTI plus avant, en étudiant la relation qui existe entre le tabagisme expérimental et certaines variables relatives aux élèves et aux écoles qui n'étaient pas disponibles dans notre ensemble de données.

Conclusion

Nos observations offrent une meilleure compréhension des caractéristiques relatives aux élèves et aux écoles poussant certains élèves du secondaire à devenir fumeurs à titre expérimental. Plus particulièrement, les caractéristiques de l'école fréquentée par l'élève (p. ex. le fait d'être située en milieu rural) ont une plus grande incidence sur la probabilité qu'il devienne fumeur à titre expérimental que les influences s'exerçant à l'échelle individuelle. Notre étude souligne aussi l'importance d'élaborer des politiques et des programmes de lutte contre le tabagisme en milieu scolaire de grande envergure, adaptés au niveau scolaire et visant à accroître le sentiment d'appartenance à l'école, à sensibiliser les élèves à l'utilisation de leur argent de poche et à lutter contre la polyconsommation de substances et contre les croyances relatives au tabac. Ces programmes devraient également cibler les élèves dont un ami ou un membre de la famille fume. Mentionnons également pour terminer que les écoles situées en milieu rural pourraient avoir besoin de ressources supplémentaires.

Remerciements

L'ETJ est le fruit d'un projet pancanadien de renforcement des capacités financé dans le cadre d'un accord de contribution et d'un contrat conclus entre Santé Canada et le Centre pour l'avancement de la santé des populations Propel pour 2004-2011. Scott Leatherdale est titulaire de la chaire de recherche en études populationnelles d'Action Cancer Ontario et est financé par le ministère ontarien de la Santé et des Soins de longue durée. L'ETJ fait appel à des chercheurs canadiens de l'ensemble des provinces qui s'intéressent à la lutte contre le tabagisme et offre des possibilités de formation aux étudiants universitaires de tous les niveaux. À l'Île-du-Prince-Édouard, l'ETJ est menée dans le cadre du School Health Action Planning and Evaluation System – Prince Edward Island, qui est financé par le ministère provincial de l'É ducation et du Développement de la petite-enfance, le ministère provincial de la Santé et du Mieux-être et Santé Canada. On trouvera de plus amples renseignements sur le système SHAPES/YSS-PEI à l'adresse : www.upei.ca/cshr/.

Les opinions exprimées dans cet article ne reflètent pas nécessairement celles de Santé Canada.

Conflits d'intérêts

Les auteurs déclarent tous qu'ils n'ont aucun conflit d'intérêts.

Références