Corrélats des enquêtes conjointes des services de protection de l'enfance et de police sur les abus sexuels d'enfants : résultats de l'Étude canadienne sur l'incidence des signalements de cas de violence et de négligence envers les enfants 2008

Volume 35 · numéro 8/9 · octobre/novembre 2015

Corrélats des enquêtes conjointes des services de protection de l'enfance et des services de police sur les abus sexuels d'enfants : résultats de l'Étude canadienne sur l'incidence des signalements de cas de violence et de négligence envers les enfants 2008

L. Tonmyr, Ph. D. (1); A. Gonzalez, Ph. D. (2)

https://doi.org/10.24095/hpcdp.35.8/9.03f

Cet article a fait l'objet d'une évaluation par les pairs.

Rattachement des auteurs :

  1. Division de la surveillance et de l'épidémiologie, Agence de la santé publique du Canada, Ottawa (Ontario), Canada
  2. Département de psychiatrie et de neurosciences comportementales, Offord Centre for Child Studies, Université McMaster, Hamilton (Ontario), Canada

Correspondance : Lil Tonmyr, Division de la surveillance et de l'épidémiologie, Agence de la santé publique du Canada, 785, avenue Carling, I.A. 6807B, Ottawa (Ontario) K1A 0K9; tél. : 613-240-6334; courriel : lil.tonmyr@phac-aspc.gc.ca.

Résumé

Introduction : Dans cette étude, nous examinons la fréquence des enquêtes conjointes menées par les services de protection de l'enfance et les services de police dans les cas d'abus sexuels en comparaison des autres types de maltraitance. Nous examinons également les associations, dans les enquêtes conjointes, entre les caractéristiques relatives à l'enfant, celles relatives au pourvoyeur de soins de l'enfant, celles relatives aux mauvais traitements eux-mêmes et celles relatives à l'enquête, en nous intéressant plus particulièrement aux enquêtes sur les abus sexuels.

Méthodologie : Nous avons analysé par régression logistique les données de l'Étude canadienne sur l'incidence des signalements de cas de violence et de négligence envers les enfants 2008.

Résultats : D'après les données, les enquêtes conjointes portent en premier lieu sur les abus sexuels (55 %), puis sur la violence physique, la négligence et la violence psychologique. La corroboration des mauvais traitements, les mauvais traitements graves, le placement, l'intervention des tribunaux de la jeunesse et l'orientation d'un membre de la famille vers des services spécialisés sont plus fréquents quand les services de police participent à l'enquête.

Conclusion : Cette étude vient bonifier l'information limitée dont on dispose sur les corrélats des enquêtes conjointes menées par les agences de protection de l'enfance et les services de police. D'autres recherches devront être effectuées pour déterminer l'efficacité de ces enquêtes conjointes.

Mots clés : violence envers les enfants, abus sexuels d'enfants, maltraitance envers les enfants, police, travailleur des services de protection de l'enfance

Principales constatations

  • Les abus sexuels sont la catégorie de maltraitance qui fait le plus souvent l'objet d'enquêtes conjointes par les services de protection de l'enfance et les services de police, suivis par la violence physique, la négligence et la violence psychologique.
  • Nous avons constaté que les enquêtes conjointes étaient associées à une probabilité supérieure de corroboration des mauvais traitements, de mauvais traitements graves, de placement, d'intervention des tribunaux de la jeunesse et d'orientation d'un membre de la famille vers des services spécialisés.

Introduction

La maltraitance des enfants est un problème complexe, dont la résolution exige des approches multidisciplinaires. Les déterminants sociaux de la santé débordent presque toujours le champ de compétence traditionnel du secteur de la santé, ce qui est particulièrement vrai de la maltraitance envers les enfants en tant que problème de santéNote de bas de page 1. Les policiers et les travailleurs des services de protection de l'enfance ont pour mandat de protéger les enfants de toute forme de danger et, depuis la fin des années 1960, les policiers collaborent activement avec les travailleurs sociaux afin de protéger les enfants contre les mauvais traitementsNote de bas de page 2. Les enquêtes menées conjointement par les services de protection de l'enfance et les services de police répondent bien à l'approche en santé publique de lutte contre la maltraitance des enfants. De fait, l'Organisation mondiale de la santé favorise la collaboration multisectorielle comme mesure de prévention de la maltraitance et d'amélioration de la santé des enfantsNote de bas de page 3. Ce type d'enquêtes conjointes a permis de renforcer la communication et la collaboration entre les services de police et les organismes de protection de l'enfance, avec la mise en place de politiques écrites, d'ententes interagences et d'équipes multidisciplinaires.

Malgré l'abondance d'études sur les attitudes et les perceptions relatives aux collaborations entre agences, il existe peu de données sur les caractéristiques des enquêtes conjointes. Une meilleure compréhension des facteurs associés aux enquêtes conjointes pourrait pourtant améliorer les normes dans les pratiques et politiques.

Même si les provinces et les territoires canadiens disposent tous de protocoles définissant quand et comment les enquêtes conjointes doivent être menées, la nature et l'étendue de la collaboration varient, tout comme c'est le cas aux États-UnisNote de bas de page 4. À titre d'exemple, en Alberta, en vertu du Code criminel du Canada, les travailleurs en protection de l'enfance avisent les services de police s'ils croient qu'une infraction a été commiseNote de bas de page 5. En Colombie-Britannique, lorsqu'un policier a des motifs raisonnables de croire qu'il existe un danger immédiat pour la sécurité ou le bien-être d'un enfant, il est autorisé à prendre en charge l'enfant et doit en aviser un travailleur des services de protection de l'enfance aussi rapidement que possibleNote de bas de page 6.

Les Centres d'appui aux enfants constituent un autre exemple de collaboration au Canada. Ces centres, financés par le ministère de la Justice depuis 2010, font actuellement l'objet d'une évaluationNote de bas de page 7. L'efficacité de centres similaires a déjà été prouvée aux États-UnisNote de bas de page 8. Ils offrent des services axés sur les enfants et emploient des équipes composées de représentants des organismes d'application de la loi, des services de protection de l'enfance, ceux des poursuites judiciaires, ceux de santé mentale et ceux de défense des droits des victimes et de défense de l'enfantNote de bas de page 8.

Les enquêtes se situent en général dans un continuum : enquêtes conjointes officielles, pour lesquelles les deux groupes de professionnels doivent collaborer relativement à certains types de maltraitance, enquêtes conjointes informelles, dans le cadre desquelles ils peuvent collaborer et enquêtes distinctes, qui relèvent exclusivement de l'un ou de l'autreNote de bas de page 9. Les protocoles relatifs aux enquêtes conjointes officielles concernent le plus souvent les cas de violence physique et ceux d'abus sexuelNote de bas de page 9. Ces enquêtes conjointes ont pour objectif, en premier lieu, de rendre la démarche moins désagréable et moins traumatisante pour l'enfant en diminuant le nombre d'entrevuesNote de bas de page 10 et, en second lieu, de mieux protéger l'enfant en améliorant le rassemblement des éléments de preuve grâce à une communication accrue entre professionelsNote de bas de page 10,Note de bas de page 11.

Tant les travailleurs en protection de l'enfance que les policiers se sont montrés en partie insatisfaits quant à la collaboration dans les enquêtes sur la maltraitance envers les enfants. Stanley et collab.Note de bas de page 12 ont constaté que les policiers comprenaient mal l'usage fait par les travailleurs en protection de l'enfance des renseignements communiqués. Ils se sont dits également insatisfaits du temps mis par les travailleurs des services de protection de l'enfance pour leur transmettre l'information sur les dossiersNote de bas de page 12, ainsi que de leurs attitudes, de leur efficacité dans le travail et de leur capacité à prendre des décisionsNote de bas de page 2. Selon HoldawayNote de bas de page 13, les travailleurs des services de protection de l'enfance ne sont pas toujours disponibles au moment voulu, ce qui oblige les services de police à composer avec différents problèmes (p. ex., un parent est arrêté tôt le matin et son enfant a besoin d'un refuge). De leur côté, les travailleurs en protection de l'enfance étaient insatisfaits des démarches trop rapides des policiers et considéraient que ceux-ci n'étaient pas ouverts aux critiques constructivesNote de bas de page 14. De plus, la culture policière s'est révélée parfois incompatible avec les attitudes anti-discrimination et anti-oppression des travailleurs en protection de l'enfanceNote de bas de page 2. La principale source de conflits entre policiers et travailleurs des services de protection de l'enfance s'est révélée être la réalisation des entrevues auprès des enfantsNote de bas de page 14. Les contraintes organisationnelles (heures de travail différentes et territoires de compétence ne se chevauchant pas) et le manque de ressources se sont ajoutées aux difficultés posées par la collaboration. Chacun des organismes a estimé que son identité professionnelle risquait de s'éroder au fil du tempsNote de bas de page 14.

En dépit de ces difficultés, les enquêtes conjointes ont leurs avantages : la collaboration améliore la communication entre policiers et travailleurs des services de protection de l'enfance, les deux groupes professionnels échangent de l'information de manière plus équitable, planifient de manière plus globale, se soutiennent mutuellement et apportent à l'enquête leurs compétences, leurs connaissances et leur expérience spécifiquesNote de bas de page 14.

Les avantages de la collaboration peuvent également s'observer sur le plan individuel. Les travailleurs en protection de l'enfance se sont sentis mieux protégés en présence des policiers lors de situations potentiellement dangereusesNote de bas de page 2. De plus, les policiers étant autorisés par la loi à employer la force dans certaines circonstances, leur présence peut être demandée pour des interventions qui concernent des conflits familiaux à haut risqueNote de bas de page 13. De surcroît, une collaboration étroite favorise une meilleure compréhension de la fonction, de l'importance et des compétences de l'autre organisme. Ainsi, des travailleurs en protection de l'enfance ont affirmé que les policiers leur avaient permis de mieux comprendre le système de justice pénaleNote de bas de page 14, tandis que, grâce aux travailleurs en protection de l'enfance, les policiers ont dit avoir appris comment mieux communiquer avec les enfants, par exemple en utilisant un langage approprié ou en ayant recours à des jouets et au jeu pour faciliter les interventions auprès d'euxNote de bas de page 15. Les enquêtes conjointes sont également susceptibles d'éviter à l'enfant de devoir participer à plusieurs entrevues similairesNote de bas de page 4,Note de bas de page 16.

Les connaissances sur les caractéristiques des enquêtes conjointes sont rares. Une étude réalisée aux États-Unis a permis de constater que davantage d'enquêtes sur les abus sexuels étaient menées en collaboration (45 %), en comparaison d'autres types d'enquêtes comme celles concernant la violence physique (28 %) et la négligence (18 %)Note de bas de page 17. La crédibilité d'une allégation s'est trouvée fortement associée à la participation des policiers à l'enquête. En outre, l'abus d'alcool ou de drogues par le pourvoyeur de soins de l'enfant, la gravité de l'abus et la présence de violence familiale active ont plus souvent entraîné une participation des services de police. Par ailleurs, il était plus probable que l'enfant ou sa famille reçoivent des services en cas d'enquête policièreNote de bas de page 17.

Aucune étude de ce type n'a été réalisée au Canada. D'après une étude de mise en situation visant à évaluer les attitudes à l'égard des cas d'inceste, les policiers chercheraient principalement à recueillir des éléments de preuve, tandis que les travailleurs en protection de l'enfance se concentreraient sur la sécurité de l'enfant et sur les conséquences à long terme pour la familleNote de bas de page 18. Cependant, malgré leur pertinence, les mises en situation hypothétiques ne tiennent pas compte de la complexité du processus de décision et pourraient ne pas refléter la réalité.

C'est dans ce contexte de pénurie de connaissances que l'Agence de la santé publique du Canada (ASPC) et ses partenaires ont lancé l'Étude canadienne sur l'incidence des signalements de cas de violence et de négligence envers les enfants (ECI), qui offre une occasion unique, grâce à l'utilisation de techniques multidimensionnelles, d'étudier la contribution de la police au travail des agences de protection de l'enfance.

Nous nous servons dans cette étude des données de l'ECI pour étudier la fréquence des enquêtes menées conjointement par les services de protection de l'enfance et les services de police dans les cas d'abus sexuels comparativement aux autres types de mauvais traitements et pour étudier, dans les enquêtes conjointes, les associations entre les caractéristiques relatives à l'enfant, celles relatives au pourvoyeur de soins de l'enfant, celles relatives aux mauvais traitements eux-mêmes et celles relatives à l'enquête, en nous intéressant plus particulièrement aux enquêtes sur les abus sexuels. Bien que toutes les formes de maltraitance envers les enfants puissent faire l'objet d'enquêtes conjointes, notre examen a porté essentiellement sur les abus sexuels car l'ensemble des provinces et des territoires du Canada ont mis en place des protocoles de collaboration dans les cas d'abus sexuelsNote de bas de page 5Note de bas de page 6Note de bas de page 19-Note de bas de page 28.

Méthodologie

Source de données

Les données utilisées proviennent de l'ECI 2008Note de bas de page 29. L'ASPC et ses partenaires ont créé l'ECI afin d'obtenir des estimations du nombre de cas de maltraitance envers les enfants signalés aux agences de protection de l'enfance à l'échelle du Canada. L'ECI, a reçu l'approbation du comité d'éthique de l'Université McGill. La méthodologie de l'ECI est décrite ailleursNote de bas de page 29. En résumé, elle utilise un modèle d'échantillonnage en grappes stratifié à plusieurs degrés permettant de réunir un échantillon d'enquêtes réalisées dans les 13 provinces et territoires du Canada. Pour 2008, les données ont été recueillies du 1er octobre au 31 décembre 2008, auprès de 112 des 412 agences existantes. Les travailleurs des services de protection de l'enfance ont fourni des renseignements sur chaque enfant ayant fait l'objet d'une enquête en remplissant le formulaire de trois pages normalisé de l'ECI, de quatre à six semaines après le signalement initial à l'agence. Les chercheurs avaient donné une formation d'une demi-journée sur la manière de remplir ce formulaire et étaient disponibles pour répondre aux questions pendant toute la période de collecte des données.

Mesures

Le choix des variables a été guidé par les travaux de Cross et collab.Note de bas de page 17 ainsi que par les hypothèses relatives aux facteurs susceptibles d'accroître la probabilité d'une enquête conjointe (tableau 1)Note de bas de page 29. Les catégories de maltraitance étaient l'exposition à la violence conjugale, la violence psychologique, la négligence, la violence physique et l'abus sexuel. Dans l'ECI, jusqu'à trois formes de maltraitance ont été consignées par enfant.

Tableau 1  Description des variables utilisées dans l'Étude canadienne sur l'incidence des signalements de cas de violence et de négligence envers les enfants 2008
Variablea Description
Enquête conjointe Étendue de l'intervention policière dans l'enquête : enquête seule, accusations envisagées, accusations portées.
Abus sexuel L'enfant a été agressé ou exploité sexuellement. L'abus peut prendre les formes suivantes : pénétration; tentative de pénétration; relations sexuelles orales; attouchements; conversations ou images à caractère sexuel; voyeurisme; exhibitionnisme; exploitation; « autre abus sexuel ».
Violence physique L'enfant a subi ou aurait pu subir des sévices physiques. Codes utilisés : secouer, pousser, attraper, projeter, frapper avec la main, donner un coup de poing, donner un coup de pied, mordre, frapper avec un objet, étrangler, empoisonner, poignarder, « autre abus physique ».
Négligence L'enfant a subi des sévices, ou sa sécurité et son développement ont été compromis parce que son pourvoyeur de soins n'a pas subvenu à ses besoins ou ne l'a pas protégé adéquatement. Codes utilisés : défaut de superviser menant ou pouvant mener à des sévices; défaut de superviser menant ou pouvant mener à des abus sexuels; attitude permissive à l'égard d'un comportement criminel; négligence physique; négligence médicale (incluant la négligence de soins dentaires); défaut de soins pour un traitement psychologique; abandon; négligence éducative.
Violence psychologique L'enfant a subi ou risquait fortement de subir des sévices psychologiques causés par son pourvoyeur de soins. Les codes suivants étaient utilisés : terreur, menace de violence, violence verbale, dépréciation, isolement, confinement, soutien ou affection insuffisants, exploitation, comportements corrupteurs, exposition à la violence autre que celle du partenaire.
Exposition à la violence conjugale L'enfant a été le témoin direct de violence entre conjoints; l'enfant a été exposé indirectement à la violence (l'enfant a entendu mais rien vu, a vu certaines conséquences immédiates de la violence comme des blessures, ou encore quelqu'un lui a parlé de l'agression ou il a entendu une conversation à ce sujet); l'enfant a été exposé à la violence psychologique entre conjoints.
Type multiple Tout type d'abus sexuel survenant simultanément à une autre forme de maltraitance.
Présence de problèmes de toxicomanie (alcool ou drogues) chez le principal pourvoyeur de soins de l'enfant Un diagnostic a été posé par le travailleur des services de protection de l'enfance ou par un autre professionnel, ou encore des observations, des mentions, des notes au dossier ou un avis formulé au terme de l'enquête donnent à penser qu'il est probable que le principal pourvoyeur de soins de l'enfant a un problème de toxicomanie ou d'alcoolisme.
Violence conjugale confirmée/soupçonnée Si le travailleur des services de protection de l'enfance a soupçonné ou confirmé que le principal pourvoyeur ou le deuxième pourvoyeur de soins de l'enfant était victime ou auteur de violence conjugale.
Sexe de l'enfant Masculin/féminin.
Âge de l'auteur présumé 40 ans ou moins/41 ans ou plus.
Sexe de l'auteur présumé Masculin/féminin.
Auteur présumé Principal pourvoyeur de soins de l'enfant, deuxième pourvoyeur de soins de l'enfant ou « autre personne »a.
Mauvais traitements corroborés L'enquête menée par un travailleur des services de protection de l'enfance a permis de confirmer les mauvais traitements à l'endroit de l'enfant.
Sévices Sévices physiques ou psychologiques.
Gravité L'enfant a dû suivre une thérapie en raison des sévices mentaux ou psychologiques subis, ou bien a dû recevoir des soins médicaux, ou bien sa santé et sa sécurité ont été gravement compromises.
Orientation Au moins une orientation pour un membre de la famille vers des services.

Remarque : Le choix des variables a été guidé par les travaux de Cross et collab.Note de bas de page 17, ainsi que par les hypothèses formulées au sujet des facteurs susceptibles d'augmenter la probabilité des enquêtes conjointes.

a Nous avons mentionné la relation existant seulement dans les enquêtes où l'abus sexuel était l'unique catégorie de maltraitance.

Analyse statistique

Notre analyse portait uniquement sur les enquêtes pour maltraitance envers un enfant. Les enquêtes relatives au « risque de mauvais traitements futurs » ont été exclues, de même que celles portant sur des jeunes de plus de 15 ans, car 15 ans est l'âge maximal pour bénéficier des services de protection de l'enfance dans certaines régions. Notre analyse est surtout exploratoire, étant donné que l'on sait peu de choses sur les caractéristiques des enquêtes sur les abus sexuels auxquelles participe la police. Les pourcentages, les moyennes et les écarts-types (ET) ont été définis pour toutes les variables d'intérêt. La colinéarité entre variables indépendantes a été vérifiée au moyen du test du chi carré ou des corrélations. Les associations bivariées entre chacune des variables et le fait qu'il y ait eu une enquête conjointe ont été testées par régression logistique. Étant donnée la grande taille de l'échantillon, le critère définissant la signification était le suivant : la hausse de puissance prédictive entre le modèle à une seule constante et le modèle à une seule variable devait être égale ou supérieure à un de Cox et Snell de 0,01. Les variables indépendantes pour lesquelles nous avons observé une relation bivariée significative avec la participation des services de police ont été incluses dans le modèle. Nous avons testé différents modèles afin de déterminer celui le plus à même d'expliquer de manière concise la plus grande proportion de variance touchant la participation des services de police. Dans tous les modèles, les variables ont été entrées en une étape. Les analyses ont été réalisées au moyen du logiciel SUDAAN (SUDAAN pour Windows, version 7.5.3, Research Triangle Institute, Caroline du Nord, États-Unis), qui effectue des rajustements de la variance pour les données corrélées issues de la conception de l'étude. Les variables de strate étaient l'agence et la famille.

Résultats

La sélection des enquêtes pour maltraitance envers des enfants de moins 16 ans a fourni un échantillon de 11 807 enquêtes. Le tableau 2 englobe la totalité de l'échantillon pour montrer le degré de participation des services de police aux enquêtes sur les cinq types de maltraitance. Comparativement aux enquêtes sur l'exposition à la violence conjugale (référence), une intervention policière dans l'enquête était 1,4 fois plus probable en présence de violence psychologique (IC à 95 % : 1,1 à 1,9), 2 fois plus probable en présence de négligence (rapport de cotes [RC] = 1,9; IC à 95 % : 1,5 à 2,2), 4,5 fois plus probable dans les cas de violence physique (IC à 95 % : 3,8 à 5,4) et 21 fois plus probable en présence d'abus sexuels (RC = 20,9; IC à 95 % : 16,8 à 26,9). Environ 55 % des enquêtes sur des abus sexuels ont été menées conjointement (tableau 2).

Tableau 2 Répartition des principales formes de maltraitance visées par les enquêtes conjointes des services de protection de l'enfance et des services de police
Principale forme de maltraitance Enquêtes conjointes
Non Oui
N % N %
Exposition à la violence conjugale 2562 94,4 153 5,6
Violence psychologique 1001 92,2 85 7,8
Négligence 3915 90,0 436 10,0
Violence physique 2340 79,0 621 21,0
Abus sexuel 308 44,4 386 55,6

Dans 842 des 11 807 enquêtes, l'abus sexuel était l'une des trois catégories de maltraitance citées. Le tableau 3 montre que plus des deux tiers des cas concernaient des abus sexuels sans autre forme maltraitance (68,1 %), l'abus sexuel et la négligence arrivant au deuxième rang (15,2 %). Les formes d'abus sexuel le plus souvent recensées étaient les attouchements (32,3 %) et les « autres abus sexuels » (27,2 %), suivies par la pénétration (8,3 %), les conversations ou les images à caractère sexuel (3,7 %), les relations sexuelles orales (3,3 %), l'exhibitionnisme (2,7 %) et les tentatives de pénétration (2,0 %). Le voyeurisme a été relaté dans moins de 1 % des cas inclus dans l'échantillon. Aucune précision n'était disponible quant à la nature des actes considérés comme « autres abus sexuels ».

Tableau 3 Catégories de maltraitance visées par les enquêtes conjointes des services de protection de l'enfance et des services de police sur des abus sexuels
Distribution des catégories de maltraitance N %
Abus sexuel seulement 573 68,1
Abus sexuel et négligence 128 15,2
Abus sexuel et violence physique 43 5,1
Abus sexuel et violence psychologique 23 2,7
Abus sexuel et exposition à la violence conjugale 23 2,7
Abus sexuel, négligence et violence psychologique 13 1,5
Abus sexuel, négligence et exposition à la violence conjugale 13 1,5
Abus sexuel, violence physique et violence psychologique 8 1,0
Abus sexuel, violence physique et exposition à la violence conjugale 8 1,0
Abus sexuel, violence physique et négligence 7 0,8
Abus sexuel, violence psychologique et exposition à la violence conjugale

— Effectifs inférieurs à 5.

Les enquêtes concernant des victimes de sexe féminin incluaient deux fois plus souvent la participation des services de police (RC = 2,1; IC à 95 % : 1,6 à 2,9) (tableau 4). La présence de plusieurs formes d'abus sexuel (RC = 2,2; IC à 95 % : 1,3 à 3,6), de mauvais traitements graves (RC = 2,9; IC à 95 % : 1,8 à 4,5) ou de sévices physiques et séquelles psychologiques (RC = 3,5; IC à 95 % : 2,3 à 5,3) augmentait la probabilité d'une intervention policière (tableau 5). Les services de police ont participé plus souvent à l'enquête lorsque l'auteur présumé était une « autre personne » (que le principal pourvoyeur de soins de l'enfant ou le deuxième; RC = 1,8; IC à 95 % : 1,2 à 2,6; catégorie de référence : principal pourvoyeur de soins de l'enfant) ou lorsque l'auteur présumé était de sexe masculin (RC = 1,9; IC à 95 % : 1,3 à 2,8).

Tableau 4 Caractéristiques de l'enfant et du principal pourvoyeur de soins de l'enfant dans les enquêtes conjointes des services de protection de l'enfance et des services de police
  Enquêtes conjointes
Oui Non Total
N % N % N %
Sexe de l'enfant
Masculin 120 27,4 179 44,3 299 35,5
Féminin 318 72,6 225 55,7 543 64,5
Total 438 100,0 404 100,0 842 100,0
Problèmes de toxicomanie chez la principale personne s'occupant de l'enfant
Soupçonnés/confirmés 16 3,7 12 3,0 28 3,3
Non 422 96,3 392 97,0 814 96,7
Total 438 100,0 404 100,0 842 100,0
Âge moyen (ans) de l'enfant (ET) 9,1 (4,2) 8,4 (4,0) 8,8 (4,1)

Abréviation : ET, écart-type.

Tableau 5 Caractéristiques des mauvais traitements envers les enfants et variables associées dans les enquêtes des services de protection de l'enfance et des services de police
  Enquêtes conjointes
Oui Non Total
N % N % N %
Abus sexuel seulement / abus sexuel et autres mauvais traitements
Type multiple 125 28,5 144 35,6 269 31,9
Abus sexuel seulement 313 71,5 260 64,4 573 68,1
Total 438 100,0 404 100,0 842 100,0
Nombre de formes d'abus sexuel
Une 357 81,5 366 90,6 723 85,9
Plusieurs 81 18,5 38 9,4 119 14,1
Total 438 100,0 404 100,0 842 100,0
Violence conjugale
Oui 39 8,9 41 10,1 80 9,5
Non 399 91,1 363 89,9 762 90,5
Total 438 100,0 404 100,0 842 100,0
Gravité
Graves 112 25,6 43 10,6 155 18,4
Non graves 326 74,4 361 89,4 687 81,6
Total 438 100,0 404 100,0 842 100,0
Sévices
Oui 131 29,9 44 10,9 175 20,8
Non 307 70,1 360 89,1 667 79,2
Total 438 100,0 404 100,0 842 100,0
Auteur présumé
Principal pourvoyeur de soins de l'enfant 95 21,7 120 29,7 215 25,6
Deuxième pourvoyeur de soins de l'enfant 60 13,7 76 18,8 136 16,2
Autre personnea 282 64,5 208 51,5 490 58,3
Total 437 100,0 404 100,0 841 100,0
Sexe de l'auteur présumé
Masculin 345 80,6 268 72,6 613 76,9
Féminin 83 19,4 101 27,4 184 23,1
Total 428 100,0 369 100,0 797 100,0
Âge de l'auteur présumé (ans)
Moins de 16 11 2,7 21 6,0 32 4,2
16-18 50 12,3 31 8,8 81 10,7
19-21 49 12,1 20 5,7 69 9,1
22-30 68 16,7 58 16,5 126 16,6
31-40 126 31,0 122 34,8 248 32,8
41 ou plus 102 25,0 99 28,1 201 26,5
Total 406 100,0 351 100,0 757 100,0

a Qui n'est ni premier ni deuxième pourvoyeur de soins de l'enfant.

Les « autres personnes » les plus souvent visées par les enquêtes conjointes, lorsque l'abus sexuel était l'unique forme de mauvais traitements, étaient des membres de la famille et des pairs (tableau 6).

Tableau 6 Répartition des « autres personnes » a considérées comme auteur présumé dans les enquêtes conjointes des services de protection de l'enfance et des services de police, lorsque l'abus sexuel est l'unique catégorie de maltraitance
  Enquêtes conjointes
Oui Non Total
N % N % N %
Père/mère biologique, beau-père/belle-mère, conjoint de fait du parent ou parent adoptif/d'accueila 41 20,7 30 21,1 71 20,9
Grand-père/grand-mère, oncle/tante ou membre de la parenté 48 24,2 14 9,9 62 18,2
Frère/sœur biologique ou d'accueil, cousin/cousine, petit ami/petite amie, ami/amie ou pair de l'enfant 59 29,8 47 33,1 106 31,2
Ami/amie de la famille, gardien/gardienne d'enfants ou membre de sa famille, voisin/voisine ou pensionnaire 25 12,6 17 12,0 42 12,4
Membre du personnel des loisirs, de l'entretien ou du service de garde, entraîneur, enseignant ou autre professionnel 7 3,5 0 0 7 2,1
Étranger, inconnu ou autre personne 18 9,1 34 23,9 52 15,3
Total 198 100,0 142 100,0 340 100,0

a Qui n'est ni premier ni deuxième pourvoyeur de soins de l'enfant.

La participation des services de police à l'enquête était associée à une probabilité supérieure que le cas soit corroboré (RC = 4,5; IC à 95 % : 3,1 à 6,6), qu'un placement de l'enfant soit effectué ou envisagé pendant l'enquête (RC = 2,8; IC à 95 % : 1,4 à 5,6), qu'un membre de la famille soit orienté vers des services (RC = 1,6; IC à 95 % : 1,1 à 2,9) et que le tribunal de la jeunesse soit appelé à intervenir (RC = 3,2; IC à 95 % : 1,7 à 5,9) (tableau 7).

Tableau 7 Caractéristiques relatives à l'enquête dans les enquêtes conjointes des services de protection de l'enfance et des services de police sur des abus sexuels
Caractéristiques relatives à l'enquête Enquêtes conjointes
Oui Non Total
N % N % N %
Abus sexuel corroboré
Non 260 59,4 351 86,9 611 72,6
Oui 178 40,6 53 13,1 231 27,4
Total 438 100,0 404 100,0 842 100,0
Dossier ouvert auparavant sur un membre de la famille
Oui 211 49,4 225 56,7 436 52,9
Non 216 50,6 172 43,3 388 47,1
Total 427 100,0 397 100,0 824 100,0
Placement
Envisagé/effectué 40 9,3 14 3,5 54 6,5
Aucun 392 90,7 389 96,5 781 93,5
Total 432 100,0 403 100,0 835 100,0
Orientation d'un membre de la famille
Oui 255 58,2 190 47,0 445 52,9
Non 183 41,8 214 53,0 397 47,1
Total 438 100,0 404 100,0 842 100,0
Tribunal de la jeunesse
Intervention effectuée 45 10,3 14 3,5 59 7,0
Aucune intervention 393 89,7 390 96,5 783 93,0
Total 438 100,0 404 100,0 842 100,0
Intervention policière dans une enquête pour violence conjugale entre adultes
Intervention effectuée 24 5,7 16 4,0 40 4,9
Aucune intervention 399 94,3 384 96,0 783 95,1
Total 423 100,0 400 100,0 823 100,0

En examinant la colinéarité entre les variables qui présentaient des associations significatives avec la participation des services de police, nous avons constaté que 36 des 66 paires de variables indépendantes étaient liées de façon significative au seuil α = 0,05. Les associations les plus notables étaient entre le type d'auteur présumé - principal ou deuxième pourvoyeur de soins de l'enfant ou une autre personne - et son sexe, ainsi que celle entre sévices et gravité. Le type d'auteur expliquait 59 % de la variance relative au sexe de l'auteur, tandis que la gravité expliquait 47 % de la variance relative aux sévices. En raison de la forte colinéarité entre ces variables, nous avons testé des modèles incluant le type d'auteur présumé ou son sexe, et les sévices ou la gravité, modèles choisis en fonction de la qualité de l'ajustement. Le modèle le plus concis est présenté dans le tableau 8 : une victime de sexe féminin, un auteur présumé de sexe masculin, la présence de sévices et la corroboration du cas ont été associés de façon significative à la participation des policiers.

Tableau 8 Modèle de régression complet pour les enquêtes conjointes des services de protection de l'enfance et des services de police sur des abus sexuels
Contraste Degrés de liberté Critère de Wald Valeur de p RC (IC à 95 %)
Modèle global 5 18,90 < 0,0001  
Modèle sans ordonnée à l'origine 4 18,69 < 0,0001  
Intercept 0,41 (0,27 à 0,63)
Cas corroboré (oui) 1 26,68 < 0,0001 2,85 (1,92 à 4,25)
Sexe de l'auteur présumé (masculin) 1 8,10 0,0046 1,83 (1,21 à 2,78)
Sévices (oui) 1 8,39 0,0039 2,01 (1,25 à 3,22)
Sexe de l'enfant (féminin) 1 9,37 0,0023 1,65 (1,20 à 2,27)

Abréviations : IC, intervalle de confiance; RC, rapport de cotes.

Remarque : R² de Cox-Snell = 0,16.

Analyse

Notre étude vient enrichir le peu de connaissances dont on dispose sur les caractéristiques des enquêtes conjointes réalisées par les agences de protection de l'enfance et les services de police. Nous avons constaté que les abus sexuels sont la catégorie de maltraitance qui fait le plus souvent (dans 55 % des cas) l'objet d'enquêtes conjointes par les services de protection de l'enfance et la police, ce qui est conforme aux protocoles en vigueur. Viennent ensuite la violence physique, la négligence et la violence psychologique. Ces constatations rejoignent les constatations faites aux États-Unis et au Royaume-UniNote de bas de page 14Note de bas de page 16Note de bas de page 17Note de bas de page 30.

Le fait d'être une fille (pour les victimes) et le fait d'être un homme (pour les auteurs) sont des facteurs de risque connus d'abus sexuels sur les enfantsNote de bas de page 31 et sont associés à la participation des services de police. La plupart des recherches indiquent que les filles risquent davantage de subir des abus sexuels que les garçonsNote de bas de page 31. Cependant, selon d'autres sources, les abus sexuels à l'endroit de victimes de sexe masculin sont sous-déclarésNote de bas de page 32.

Nous n'avons observé aucune différence en fonction de l'âge des victimes dans la participation des services de police aux enquêtes sur les abus sexuels. Les enquêtes ont concerné principalement des préadolescents, que les services de police y aient participé ou non. Il se pourrait qu'il soit plus facile de recueillir des renseignements auprès de ces enfants et que les renseignements qu'ils fournissent soient considérés comme plus fiablesNote de bas de page 33. De plus, les abus sexuels sur des préadolescents sont peut-être perçus comme plus graves, et ceux à l'endroit d'adolescents sont peut-être moins souvent signalés.

Que, dans la plupart des enquêtes sur les abus sexuels commis par une « autre personne », l'auteur soit un membre de la famille ou un pair concorde avec le résultat d'autres recherches qui montrent que, dans la plupart des cas, la victime connaît l'agresseur. Par exemple, au cours d'une enquête représentative menée aux États-Unis, Finkelhor et collab.Note de bas de page 34 ont constaté que 91 % des abus sexuels étaient perpétrés par une connaissance, contre 7 % par des étrangers et 2 % par des membres de la famille. Ces observations ne sont toutefois pas directement comparables à nos résultats, car l'étude mentionnée ci-dessus est une étude basée sur la population tandis que la nôtre ne porte que sur les enfants connus des services de protection de l'enfance.

Plusieurs variables relatives aux services ont été associées de façon significative aux enquêtes conjointes. Tout comme Cross et collab.Note de bas de page 17, nous avons constaté que la corroboration des mauvais traitements, les mauvais traitements graves, le placement, l'intervention des tribunaux de la jeunesse et l'orientation d'un membre de la famille vers des services spécialisés étaient plus fréquents quand les enquêtes étaient menées conjointement. Cependant, étant donné la nature des données, nous ne pouvons qu'avancer des hypothèses. Nous savons simplement que les enquêtes conjointes visent à garantir la sécurité et la protection des enfants. Ces enquêtes peuvent inclure la présentation d'éléments de preuve au tribunal en vue du retrait et du placement de l'enfant ou de l'imposition d'une peine à l'auteurNote de bas de page 18, mais elles peuvent aussi englober la prestation de services destinés à améliorer les capacités parentales, que ce soit des services de counselling sur les drogues et l'alcool, une aide financière ou des services axés sur l'enfant. Selon Cross et collab.Note de bas de page 17, les services supplémentaires offerts lors des enquêtes conjointes pourraient signifier que la participation des services de police n'entrave pas la relation avec les familles visées par les enquêtes et qu'elle ne détourne pas les agences de protection de l'enfance de leur l'objectif premier, soit l'aide aux enfants et aux familles. En fait, ce serait le reflet de la proximité accrue entre les policiers et la population depuis l'adoption d'une approche communautaire par les services de policeNote de bas de page 35.

Contrairement à Cross et collab.Note de bas de page 17, nous n'avons pas constaté que la toxicomanie et la violence conjugale relatives au principal pourvoyeur de soins de l'enfant aient été associées à une probabilité supérieure de participation de la police - cependant, leurs constatations n'étaient pas spécifiques aux abus sexuels mais concernaient l'ensemble des formes de maltraitance. Il se pourrait aussi que ce soit d'autres facteurs de risque non inclus dans nos analyses, comme l'âge de la mère, l'état de santé mentale du pourvoyeur de soins de l'enfant ou la présence d'un beau-pèreNote de bas de page 36Note de bas de page 37, qui soient liés à une probabilité accrue que les policiers participent à l'enquête.

Forces et limites

Bien que l'ECI ait plusieurs forces, elle comporte des limites qui influent sur les conclusions que l'ont peut tirer de ses données. En effet, l'ECI :

  • recueille de l'information seulement sur les enfants faisant l'objet de signalement aux agences de protection de l'enfance, ce qui sous-estime la maltraitance;
  • illustre l'avis clinique des travailleurs des services de protection de l'enfance, sans fournir de vérification indépendante;
  • recueille des données sur trois mois à l'automne, ce qui n'est peut-être pas représentatif de l'ensemble de l'année;
  • utilise un modèle transversal, ce qui interdit l'établissement de liens de causalité.

Conclusion

D'après notre analyse, de toutes les formes de maltraitance signalées, les abus sexuels sont celles qui font le plus souvent l'objet d'enquêtes conjointes. Même si une collaboration suivie entre travailleurs des services de protection de l'enfance et policiers est sans doute souhaitable, les avantages de cette approche synergique demandent à être mesurés et évalués. On en sait en effet peu sur son efficacité au Canada. Transposer directement les connaissances à propos des enquêtes conjointes aux États-Unis, qui sont plus poussées, n'est pas souhaitable car le contexte canadien est différent en raison du système juridique et des enjeux de répartition des compétences entre juridictions. De plus, certains auteursNote de bas de page 30 se demandent si les agences de protection de l'enfance n'ont pas accordé une importance excessive au processus d'enquête au détriment des aspects essentiels que sont la prévention et le traitement. Cette question mérite réflexion, bien que d'après notre analyse davantage de services aient été fournis à la suite des enquêtes conjointes. Les rôles des autres professionnels au sein des équipes multidisciplinaires, notamment dans le système de santé, nécessitent également d'être étudiés de manière plus poussée.

D'autres recherches sont nécessaires pour évaluer l'efficacité des enquêtes conjointes. Par exemple, ont-elles effectivement entraîné une diminution du nombre d'entrevues avec l'enfant? L'échange d'information entre policiers et services de protection de l'enfance s'est-il réellement accru? La tenue d'enquêtes conjointes plus fréquentes pour les autres formes de maltraitance aurait-elle des effets positifs sur la santé de l'enfant? La réponse à ces questions est indispensable pour mieux comprendre les caractéristiques des enquêtes faites en collaboration et leurs bénéfices possibles pour les enfants victimes de maltraitance.

L'intervention d'équipes multidisciplinaires dans les cas de mauvais traitements envers des enfants favorisera une réponse intégrée, englobant la prévention primaire et secondaire de la maltraitance envers les enfants et de ses conséquences néfastes sur la santé, la surveillance, la sensibilisation du public et l'élaboration de pratiques exemplaires et de programmes d'évaluation, en particulier si l'on considère que les enfants et leurs familles ont bénéficié de davantage de services lorsque les enquêtes étaient menées conjointement. Il est prometteur de constater que des enquêtes conjointes sont effectuées dans les circonstances visées par les protocoles provinciaux et territoriaux.

Remerciements

Les auteurs tiennent à remercier chaleureusement Jasminka Draca, le Dr David Hubka, Ellen Jamieson, Joanne Lacroix et Caroline Wallace pour leur aide.

Références

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