Santé publique 2016 : Le temps d'un tournant culturel en santé publique - PSPMC: Volume 36-11, novembre 2016

Volume 36 · numéro 11 · novembre 2016

Rapport d'étape
Santé publique 2016 : Le temps d'un tournant culturel en santé publique

E. R. M. Mallach, M. Sc.Note de bas de page 1. ; T. Ferrao, M. Sc.Note de bas de page 1. ; R. MacLean, M. Santé publique Note de bas de page 1. ; S. F. L. Kirk, Ph. D.Note de bas de page 2. 

https://doi.org/10.24095/hpcdp.36.11.04f

Rattachement des auteurs :

Correspondance :

Emma R. M. Mallach, Association canadienne de santé publique, 404-1525, avenue Carling, Ottawa (Ontario) K1Z 8R9; tél. : 613-725-3769, poste 160; téléc. : 613-725-9826; courriel : emallach@cpha.ca

Santé publique 2016, le congrès annuel de l'Association canadienne de santé publique qui s'est tenu du 13 au 16 juin 2016 à Toronto (Canada), a porté sur un large éventail de questions en santé publique, ce qui a suscité de nombreuses discussions, lors du congrès comme dans les médias sociaux

Note de bas de page 1,Note de bas de page 2. Les quatre séances plénières, portant sur des sujets pourtant fort éloignés les uns des autres, à savoir la technologie, la prévention de la violence, le racisme et la réduction des blessures, ont toutes révélé la nécessité d'un changement radical de culture en santé publique, tournant qui reconnaisse l'existence des grandes inégalités ayant une influence sur la santé et sur le bien-être des populations et qui lutte contre elles. Ont été également relevés au cours de ces séances certains défis majeurs auxquels est confrontée notre société dans l'atteinte des objectifs des Nations Unies en matière de développement durable publiés en 2015Note de bas de page 3.

Si l'impact des déterminants sociaux de la santé est largement reconnu en santé publique, beaucoup reste à faire pour tenir compte de ces facteurs sociaux, économiques et environnementaux dans les changements de politique et dans les interventions. De plus, bien que le discours dominant en matière de santé publique reconnaisse le rôle du revenu, de l'emploi et de l'éducation, il ignore souvent certaines inégalités sociales de plus large ampleur, comme le racisme et la violence structurelle, contribuant ainsi à perpétuer les disparités en santé que l'on tente d'atténuer.

La cérémonie d'ouverture de Santé publique 2016 a commencé avec l'allocution de Camara Jones, présidente de l'American Public Health Association, qui a parlé avec conviction des conséquences des disparités raciales, des privilèges et du pouvoir en lien avec les inégalités en matière de santé. Mme Jones a utilisé une allégorie puissante, celle d'une enseigne à double face affichée sur la vitrine d'un restaurant peu après la fermeture : les personnes mangeant leur repas à l'intérieur du restaurant voient l'inscription « ouvert », alors que les personnes qui ont faim et qui passent devant le restaurant voient l'inscription « fermé ». Cette allégorie illustre très efficacement la manière dont les inégalités sociales, en particulier le racisme, créent une double réalité, où les individus situés de chaque côté de l'enseigne « ouvert-fermé » ne bénéficient pas du même accès, ce qui, à terme, maintient les inégalités en santé au sein de la population.

David Buckeridge a animé la séance plénière d'ouverture sur la technologie et la santé publique. Il a structuré sa présentation autour de trois points : les mégadonnées, l'adoption de la mobilité et les pensées à rapporter chez soi. M. Buckeridge a discuté des possibilités d'exploitation de la technologie et de la surveillance de la santé de la population en tenant compte des grandes quantités de données disponibles. Divers exemples lui ont permis de dévoiler le potentiel de la technologie mobile afin de promouvoir la santé, et il a souligné les avantages de la technologie, notamment sa grande portée à faible coût, des besoins de contact direct réduits et son efficacité à communiquer l'information sur la santé. Les interventions mentionnées par M. Buckeridge étaient axées sur les changements de comportement individuel plutôt que sur les déterminants sociaux de la santé. Or, malgré certains signes prometteurs au niveau individuel, peu d'éléments probants laissent penser que la technologie puisse améliorer l'équité en santé au sein de la population. Cela constitue une lacune importante dans la littérature, et une voie digne d'être explorée en santé publique.

La deuxième séance plénière était un panel sur la prévention de la violence comprenant un point de vue international, un point de vue régional et le point de vue des Autochtones. Arguant de la prévalence élevée de la violence au Canada, les experts invités ont incité de façon claire et convaincante le secteur de la santé publique à combattre la violence et ses conséquences dévastatrices, lesquelles sont clairement liées aux déterminants sociaux de la santé. Ils ont convenu que la violence est un problème systémique qui touche de façon disproportionnée certaines sous-populations. Alessandra Guedes, de l'Organisation panaméricaine de la santé, a affirmé qu'une femme sur trois est victime au cours de sa vie d'un partenaire violent ou de violence sexuelle commise par une personne n'étant pas son partenaireNote de bas de page 4. Sylvia Maracle, de la Fédération ontarienne des centres d'amitié autochtones, est allée plus loin en affirmant qu'une femme autochtone au Canada a 7 ou 8 chances sur 10 d'être victime d'une quelconque forme de violence. Les femmes sont davantage susceptibles de subir, outre les conséquences immédiates de ces actes de violence comme une hausse de la probabilité de blessures ou de décès, des conséquences psychologiques et des conséquences pour leur santé sexuelle et génésique.

En raison du problème généralisé de la violence au sein de la société, il est nécessaire d'agir afin d'accroître l'accès à des services sécuritaires et de soutien pour les personnes victimes de violence et d'éviter la violence interpersonnelle comme structurelle. Première étape du combat contre la violence, le secteur de la santé publique doit jouer un rôle moteur dans la reconnaissance de la violence comme enjeu de santé publique nécessitant une réaction immédiate. Etienne Krug, de l'Organisation mondiale de la santé, a signalé que le secteur de la santé publique a beaucoup à apporter, étant donné que la violence est en grande partie évitable grâce à des interventions adéquates. De plus, en se penchant sur des enjeux comme le développement des jeunes enfants, l'abus d'alcool, l'abus de médicaments et le recours à une législation adéquate à l'égard des armes à feu, la communauté en santé publique peut contribuer à la prévention de la violence au Canada. Quand la violence se manifeste de façon concrète, les services adéquats doivent être en mesure d'aider les personnes dans le besoin : ainsi, les conférenciers des séances plénières ont fait valoir que même si les femmes ayant été souvent victimes de violence utilisent en général plus fréquemment les services de santé, elles ne racontent pas toujours leur expérience de violence à leur fournisseur de services. Il est donc impératif d'améliorer la formation des fournisseurs de services de santé et de services sociaux afin qu'ils soient prêts à répondre aux besoins des individus tout en ne contribuant pas davantage au traumatisme, domaine où la santé publique a déjà fait preuve d'un leadership considérable.

La troisième séance plénière était axée sur l'équité en santé, la justice sociale et la racialisation de la société canadienne. Tirant parti des nombreuses idées soumises pendant la séance plénière sur la prévention de la violence, un comité diversifié d'experts a discuté de la façon dont le racisme est structurellement intégré aux pratiques, aux politiques et aux programmes canadiens et est propagé par ces pratiques, politiques et programmes. Les conférenciers ont défini la racialisation comme une construction sociale où les individus ont des opportunités différentes en fonction de leur sentiment d'appartenance à une communauté raciale. Ainsi en est-il de la Loi sur les Indiens du Canada, qui a été promulguée par le gouvernement fédéral en 1876 en vue de régir les relations avec les peuples des Premières Nations : elle a créé les conditions permettant d'exercer un contrôle durable sur les populations des Premières Nations et de maintenir les inégalitésNote de bas de page 5. Les panélistes ont établi un lien clair entre le racisme et la santé. Desmond Cole, journaliste indépendant, a défini le racisme comme un élément de stress légal ayant des conséquences pour la santé, ce qu'il a relié à son expérience personnelle de victime de violence en raison de la couleur de sa peau. Ingrid Waldron, de l'Université Dalhousie, a souligné que la race définit la manière dont les personnes sont diagnostiquées et traitées, insistant par exemple sur le nombre disproportionné d'hommes noirs recevant un diagnostic de schizophrénie.

Les panélistes ont fait diverses suggestions pour aller plus loin, en particulier un tournant culturel majeur au sein de la communauté consistant à reconnaître le racisme comme déterminant social de la santé et à lutter contre lui. Les responsables en santé publique auront ainsi l'occasion de faire preuve de leadership dans la réponse que requiert la lutte contre le racisme au Canada. David McKeown, du Bureau de la santé publique de Toronto, a affirmé que les privilèges accordés aux groupes non racialisés au Canada et à l'échelle mondiale ne sont souvent pas évidents pour ceux qui en bénéficient, mais que la communauté de la santé publique a un rôle important à jouer pour faire la lumière sur les structures qui maintiennent ces privilèges et le pouvoir des groupes non racialisés. M. Waldron a proposé que la communauté de la santé publique collabore avec les personnes de l'extérieur du système de santé afin que soient apportés à la discussion des points de vue variés. Comme l'a souligné Charlotte Loppie, du Centre for Indigenous Research and Community-Led Engagement de l'Université de Victoria, même s'il reste beaucoup de progrès à faire, nous avons parcouru beaucoup de chemin par rapport à il y a trois ou cinq ans, le racisme ne faisant alors pas du tout partie du discours dominant en santé publique au Canada.

Gregory Taylor, administrateur en chef de la santé publique du Canada, a animé la réunion plénière finale, qui a porté sur la réduction des blessures, la perception du risque et l'alcool. Réduire les blessures implique en quelque sorte que les risques eux-mêmes ne peuvent pas être complètement éliminés, mais que l'on a à réduire les préjudices associés aux comportements à risque. M. Taylor a rappelé que la santé publique est fondée sur une philosophie de réduction des blessures. Alors que la réduction des blessures a, à certains moments, été inadéquatement jugée discutable, en particulier en ce qui a trait à la consommation de substances, il est évident qu'elle sauve des vies. Il existe des liens importants entre la réduction des blessures et d'autres secteurs de la santé publique, en particulier la prévention de la violence, les lois relatives à la ceinture de sécurité, les conseils aux voyageurs et les lignes directrices sur l'activité physique. En 2012, il y a eu plus de 3,3 millions de décès liés à l'alcool à l'échelle mondialeNote de bas de page 6, ce qui confirme que la santé publique a un rôle important à exercer dans ce domaine. M. Taylor a souligné que si la santé publique veut conserver sa pertinence et sa crédibilité, elle doit examiner soigneusement comment son message et ses stratégies de sensibilisation agissent sur le risque et la tolérance au risque du point de vue du public. Des conseils de santé publique confus, contradictoires et paternalistes vont éroder la confiance du public à long terme et vont inciter la population à « ignorer » les messages de santé publique, rendant au final plus difficile l'atteinte des objectifs de réduction des blessures.

Les séances plénières de Santé publique 2016 ont révélé la nécessité d'un tournant culturel en santé publique, où l'on prenne en compte les inégalités sociales plus vastes qui sous-tendent la santé, notamment le racisme et la violence, et où l'on lutte contre les pratiques, programmes et politiques intégrés à la société canadienne maintenant le pouvoir et les privilèges, qui favorisent les inégalités en santé. En reconnaissant que le racisme et la violence doivent être combattus par la communauté de la santé publique, nous prenons une position claire. Nous reconnaissons que nous faisons tous partie d'une société qui perpétue les inégalités en santé, mais que nous pouvons aussi travailler à trouver des solutions durables pour contrer ce problème. Les discussions qui ont eu lieu à Santé publique 2016 en ont constitué une étape, et il reste maintenant à agir plus adéquatement. Le secteur de la santé publique doit construire des ponts afin d'accroître la collaboration avec les autres secteurs et, à terme, contribuer à l'équité en santé. La santé publique a un rôle à jouer pour faciliter le changement dont nous avons désespérément besoin et que nous voulons désespérément et, 30 ans après la publication de la Charte d'Ottawa pour la promotion de la santé, la santé publique au Canada est apte à montrer la voie à suivre.

Remerciements

Nous aimerions remercier Ian Culbert pour sa revue de l'ébauche de ce manuscrit.

Références

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