La violence sexuelle envers les enfants est-elle en baisse au Canada? Résultats d'enquêtes rétrospectives représentatives à l'échelle nationale - PSPMC: Volume 36-11, novembre 2016

Volume 36 · numéro 11 · novembre 2016

La violence sexuelle envers les enfants est-elle en baisse au Canada? Résultats d'enquêtes rétrospectives représentatives à l'échelle nationale

M. Shields; L. Tonmyr, Ph. D.; W. Hovdestad, Ph. D.

https://doi.org/10.24095/hpcdp.36.11.03f

Cet article a fait l'objet d'une évaluation par les pairs.

Rattachement des auteurs :

Agence de la santé publique du Canada, Ottawa (Ontario), Canada

Correspondance :

Lil Tonmyr, Agence de la santé publique du Canada, 785, avenue Carling, IA 6807B, Ottawa (Ontario)  K1A 0K9; tél. : 613-240-6334; téléc. : 613-960-0944; courriel : Lil.Tonmyr@phac-aspc.gc.ca

Résumé

Introduction : Selon de nombreuses sources de données, la violence sexuelle envers les enfants (VSE) est en baisse aux États-Unis depuis le début des années 1990. Il semble par ailleurs qu'elle ait connu une hausse après la Seconde Guerre mondiale. Cette étude a pour but de faire l'examen des estimations de prévalence des cas de violence sexuelle durant l'enfance (VSdE) signalés rétrospectivement dans le cadre de deux enquêtes nationales représentatives menées auprès de la population canadienne.

Méthodologie : Les données proviennent de 13 931 répondants de 18 à 76 ans interrogés dans le cadre de l'enquête GENACIS (Gender, Alcohol and Culture: An International Study) – Canada de 2004-2005 et de 22 169 résidents âgés de 18 ans et plus ayant participé à l'Enquête sur la santé dans les collectivités canadiennes – Santé mentale (ESCC – Santé mentale) de 2012. Nous présentons des comparaisons de la prévalence de la VSdE par sexe et par groupe d'âge à la fois entre ces deux enquêtes et au sein de chacune.

Résultats : Les résultats des deux enquêtes indiquent une baisse de la VSE depuis 1993, qui va de pair avec la baisse observée aux États-Unis. Il ressort également des résultats que le risque de VSE était plus élevé entre 1946 et 1992 qu'avant 1946. Les données sont plus solides pour les femmes.

Conclusion : Constater une baisse de la VSE au Canada depuis le début des années 1990 est encourageant, étant donné les effets débilitants à long terme qui sont associés à la VSE. Une surveillance continue est essentielle. Ces effets négatifs à long terme sont la preuve de l'importance de poursuivre sur cette lancée, pour passer d'un risque faible à un risque nul.

Mots-clés : violence envers les enfants, mauvais traitements à l'égard des enfants, violence sexuelle durant l'enfance, prévalence, enfance, année-personne, temps de passage, cohorte

Points saillants
  • Les données de deux enquêtes représentatives de la population canadienne à l'échelle nationale font état d'une baisse de la violence envers les enfants (VSE) depuis 1993, qui va de pair avec la baisse observée aux États-Unis.
  • Il ressort également des résultats que le risque de VSE était plus élevé entre 1946 et 1992 qu'avant 1946.
  • Les données sont plus solides pour les femmes.
  • Malgré leur caractère rétrospectif, les enquêtes basées sur une population peuvent – si elles sont méthodologiquement cohérentes – dégager les tendances de la VSE, ce qui permet de dresser un portrait plus complet des données contemporaines provenant d'enquêtes sur les enfants.
  • Les effets négatifs à long terme qui sont associés à la VSE démontrent l'importance de poursuivre sur cette lancée pour l'éliminer complètement. Assurer une surveillance continue est indispensable – aucun laisser-aller n'est tolérable.

Introduction

L'incidence de la violence sexuelle envers les enfants (VSE), responsable de troubles corollaires invalidants tout au long de la vie, est sans équivoque Note de bas de page 1Note de bas de page 2. Son ampleur et l'évolution de sa prévalence au fil du temps sont moins évidentes. Une grande partie de l'information accessible sur l'incidence de la VSE provient de données recueillies par les professionnels de la protection de l'enfance. Aux États-Unis, les données provenant des professionnels et des organismes de protection de l'enfance qui œuvrent auprès d'enfants dans les écoles, les établissements hospitaliers et les garderies font état d'une hausse du nombre de cas de VSE entre le milieu des années 1970 et le début des années 1990 Notes de bas de page 3-5. D'aucuns estiment que la hausse observée dans les données compilées par ces organismes pendant les années 1970 et 1980 traduit, en réalité, la hausse de la sensibilisation du public et les modifications apportées aux mécanismes d'identification et de signalement de la VSE plutôt qu'une réelle croissance de son incidence Note de bas de page 3. En parallèle, les données provenant du National Child Abuse and Neglect Data System des États-Unis indiquent qu'entre 1992 et 2013, la VSE a diminué de 64 %, à l'instar du viol par contrainte, qui enregistre également une baisse dans les données statistiques du Federal Bureau of Investigation (FBI) Note de bas de page 6. Cette baisse est d'ailleurs mieux étayée que la hausse précédente, car elle ne survient pas à la suite de l'adoption de nouvelles procédures administratives Note de bas de page 7. Elle coïncide avec des améliorations dans d'autres sphères du bien-être de l'enfant aux États-Unis au cours de cette période et avec une baisse des grossesses chez les adolescentes, du suicide chez les adolescents et de la prévalence de la pauvreté infantile Notes de bas de page 8-10.

L'un des grands obstacles à l'étude des tendances de l'incidence réelle de la VSE à partir de données provenant des organismes de protection de l'enfance et des autorités policières est que les estimations tirées de ces sources ne constituent que la pointe de l'iceberg. En effet, les cas de violence sexuelle ne sont généralement pas signalés à ces autorités Note de bas de page 11Note de bas de page 12. À défaut d'enquêtes directes auprès des enfants et des adolescents, les enquêtes rétrospectives sur la population, dans le cadre desquelles les chercheurs interrogent les adultes et les adolescents sur leurs expériences dans l'enfance, offrent une autre source d'information permettant d'obtenir des estimations plus précises sur la VSE Note de bas de page 3. Nous employons l'expression « violence sexuelle durant l'enfance  » (VSdE) pour désigner les agressions sexuelles survenues au cours de l'enfance et mentionnées lors de ces études.

Les données tirées de nombreuses enquêtes sur la victimisation aux États-Unis font état d'une diminution du nombre de cas de VSE depuis les années 1990, ce que reflètent les tendances observées à la lumière des données provenant des organismes de protection de l'enfance Note de bas de page 13. D'autres données d'enquête indiquent une hausse de la VSE après la Seconde Guerre mondialeNote de bas de page 3Notes de bas de page 14-16. Certains chercheurs Note de bas de page 17Note de bas de page 18 estiment que ce sont plutôt les lois, le climat social, les écarts dans les taux de réponse et les différentes définitions de la VSdE qui expliquent cette augmentation apparente.

Deux études récemment menées au Canada auprès de la population adulte générale ont comporté des questions sur la VSdE, soit l'Enquête sur la santé dans les collectivités canadiennes – Santé mentale (ESCC – Santé mentale) de 201219 et l'enquête Gender, Alcohol and Culture: An International Study (GENACIS) – Canada menée en 2004-2005 Note de bas de page 20Note de bas de page 21. Nous avons comparé les estimations sur la prévalence de la VSdE (par groupe d'âge) entre ces deux enquêtes et au sein de chacune d'elles. Nous avons évalué la cohérence des données du Canada par rapport aux baisses de la VSE rapportées par Finkelhor et ses collaborateurs6 et par rapport aux hausses signalées après la Seconde Guerre mondiale. Nous avons étudié les données provenant des enquêtes canadiennes afin d'y déceler plus spécifiquement des correspondances avec les hypothèses selon lesquelles la VSE était relativement faible avant la fin de la Seconde Guerre mondiale, relativement élevée après la Seconde Guerre mondiale puis relativement faible à partir des années 1990.

Méthodologie

Sources de données

Nous nous sommes servis des données de l'enquête GENACIS pour le Canada pour obtenir des estimations sur la VSdE pour 2004-2005. Cette enquête s'inscrivait dans une vaste collaboration internationale et multidisciplinaire sur un éventail de sujets touchant les problèmes liés au genre, à la culture et à l'alcool. Pour le volet canadien de l'enquête GENACIS, les chercheurs ont sélectionné leur échantillon par enquête téléphonique à composition aléatoire afin d'obtenir une portion représentative de la population canadienne âgée de 18 à 76 ans vivant à domicile dans les 10 provinces en 2004-2005 Note de bas de page 20. Les entrevues ont eu lieu par téléphone au moyen de la technique d'interview téléphonique assistée par ordinateur. L'enquête excluait les ménages n'ayant pas de ligne téléphonique résidentielle, les personnes ne parlant ni l'anglais ni le français et les personnes vivant en établissement Note de bas de page 21. Le taux de réponse s'est élevé à 52,8 % (le nombre de participants ayant répondu au sondage divisé par le nombre total estimatif de ménages admissibles)Note de bas de page 20, soit un échantillon de 14 063 répondants (6 009 hommes et 8 054 femmes). Notre étude exclut les participants n'ayant pas répondu aux questions sur la VSE (51 hommes et 81 femmes), ce qui réduit la taille de notre échantillon à 13 931 répondants (5 958 hommes et 7 973 femmes).

Nous avons puisé les estimations sur la prévalence de la VSE pour 2012 dans les données de l'ESCC – Santé mentale. Pour effectuer cette enquête, Statistique Canada a fait appel à une méthode d'échantillonnage en grappes stratifiée à plusieurs degrés Note de bas de page 19. L'ESCC – Santé mentale ciblait les résidents âgés de 15 ans et plus dans les 10 provinces canadiennes, et la majorité (87 %) des entrevues ont été menées en personne. L'ESCC – Santé mentale excluait les personnes habitant sur les réserves et dans les autres lieux de peuplement autochtone, les membres à temps plein des Forces canadiennes et les personnes en établissement, soit environ 3 % de la population cible. Le taux de réponse a été de 68,9 % Note de bas de page 19, soit 25 113 personnes âgées de 15 ans et plus. Les responsables de l'ESCC – Santé mentale ont demandé aux répondants la permission de transmettre les réponses aux partenaires de Statistique Canada, dont l'Agence de la santé publique du Canada, et la plupart des répondants (n = 23 709; 94 %) leur ont accordé cette permission. Notre étude repose donc sur les données provenant de ces fichiers dits « partagés ». Les questions sur la VSE ont été posées uniquement aux répondants âgés de 18 ans et plus (n = 22 486). Les répondants ayant refusé de répondre (159 hommes et 158 femmes) ont été exclus de l'étude, ce qui porte notre échantillon final à 22 169 répondants (9 910 hommes et 12 259 femmes).

Mesures

Nous avons placé dans la catégorie des personnes ayant connu de la VSdE les répondants à l'enquête GENACIS ayant répondu par l'affirmative aux questions suivantes :

  • « Avant que vous ayez atteint l'âge de 16 ans, est-ce qu'un membre de VOTRE FAMILLE a essayé de vous faire faire ou de vous faire regarder des actes sexuels alors que vous n'étiez PAS consentant? » [traduction]
  • « Avant que vous ayez atteint l'âge de 16 ans, est-ce qu'une personne AUTRE QU'UN MEMBRE DE VOTRE FAMILLE a essayé de vous faire faire ou de vous faire regarder des actes sexuels alors que vous n'étiez PAS consentant? » [traduction]

Les répondants de l'ESCC – Santé mentale ont été interrogés à propos de ce qui a pu leur arriver à l'école, dans leur quartier ou dans leur famille avant l'âge de 16 ans :

  • « Combien de fois un adulte vous a-t-il forcé, ou essayé de vous forcer, à avoir une activité sexuelle non désirée en vous menaçant, en vous immobilisant ou en vous faisant mal d'une autre façon? »
  • « Combien de fois un adulte vous a-t-il touché contre votre volonté d'une manière sexuelle? Par cela je veux dire tout ce qui va d'un attouchement non désiré à un baiser ou des caresses. »

Les participants de l'ESCC – Santé mentale qui ont répondu avoir vécu ce genre d'expérience au moins une fois ont été classés comme ayant connu de la VSdE.

Analyses

Nous avons employé deux méthodes pour examiner l'évolution de la prévalence de la VSE au fil du temps. Dans un premier temps, nous avons comparé les estimations de prévalence de la VSdE au sein des mêmes groupes d'âge dans l'enquête GENACIS et dans l'ESCC – Santé mentale. Dans un second temps, nous avons comparé la prévalence de la VSdE entre les différents groupes d'âge au sein de chaque enquête. La comparaison des estimations de prévalence par groupe d'âge est une approche couramment utilisée dans le cadre d'enquêtes rétrospectives chez les adultes afin d'examiner les variables en matière de VSdE en fonction des générations Note de bas de page 3Note de bas de page 22. Cette approche réduit les risques que les différences visibles dans la prévalence de la VSdE découlent de différences méthodologiques.

Notre hypothèse était que la prévalence serait relativement plus élevée chez les personnes ayant vécu leur enfance (ayant entre 0 et 15 ans) entre 1946 et 1992 et, à l'inverse, qu'elle serait relativement faible chez les personnes ayant vécu leur enfance avant la fin de la Seconde Guerre mondiale (avant 1946) ou après le début des années 1990 (à partir de 1993). Nous avons utilisé une version modifiée de l'approche conventionnelle de l'année-personne pour créer l'unité d'analyse « année-enfant ». Il s'agit d'une unité de temps individuelle qui désigne l'époque à laquelle la population à l'étude, alors âgée de 0 à 15 ans, a été potentiellement exposée à de la VSE. Nous avons calculé le pourcentage d'années d'enfance que les répondants de chaque groupe d'âge ont vécu au cours des périodes de risque accru et de risque moindre. Le tableau 1 présente le nombre et le pourcentage d'années-enfants (c.-à-d. de 0 à 15 ans) que chaque groupe d'âge (au moment de l'étude) a vécus au cours des trois grandes périodes. La figure 1 est une représentation graphique de la manière dont nous nous y sommes pris pour calculer les pourcentages d'années-enfants pour la période dite à risque accru.

Le tableau 1 illustre les calculs des années-enfants. Penchons-nous sur le groupe d'âge de 18 à 24 ans sur la première ligne du tableau 1. Ces répondants cumulent un total de 112 années-enfants (les 16 années d'enfance vécues de 0 à 15 ans multipliées par les 7 âges du groupe de 18 à 24 ans, en supposant que les 7 âges y soient également représentés). Dans ce groupe d'âge, les répondants de l'enquête GENACIS ont vécu 70 années-enfants entre 1946 et 1992, la période à risque accru. Les répondants âgés de 18 ans (nés en 1986) ont vécu 7 années-enfants au cours de cette période (de 1986 à 1992), ceux de 19 ans, 8 années-enfants, ceux de 20 ans, 9, et ainsi de suite jusqu'au dernier groupe, 24 ans, dont les répondants ont vécu 13 années pendant la période de risque accru, ce qui nous conduit à notre total de 70 (7 + 8 + 9 + 10 + 11 + 12 + 13).

Tableau 1
Nombre et pourcentage d'années-enfants (0 à 15 ans) vécues au cours de diverses périodes de risque de VSE (1993 à aujourd'hui, 1946 à 1992, avant 1945) parmi les répondants de l'enquête GENACIS et de l'ESCC–Santé mentale, par groupe d'âge au moment des enquêtes

(partie 1 du tableau 1)
Enquête GENACIS de 2004
Nombre et pourcentage (%) d'années-enfants (de 0 à 15 ans)
Groupe d'âge (ans) Total des années enfantsNote a
(0 à 15 ans)
Année de naissance de 1993 à aujourd'hui de 1946 à 1992 avant 1945
Nombre % Nombre % Nombre %
18 à 24 112 1980‒1986 42 38 70 63 0 0
25 à 34 160 1970‒1979 3 2 157 98 0 0
35 à 49 240 1955‒1969 0 0 240 100 0 0
50 à 64 240 1940‒1954 0 0 219 91 21 9
65 à 76 192 1928‒1939 0 0 45 23 147 77
77
et plus Note b
368              
(partie 2 du tableau 1)
ESCC–Santé mentale de 2012
Nombre et pourcentage (%) d'années-enfants (0 à 15 ans)
Groupe d'âge (ans) Total des années enfantsNote a
(0 à 15 ans)
Année de naissance de 1993 à aujourd'hui de 1946 à 1992 avant 1945
Nombre % Nombre % Nombre %
18 à 24 112 1988‒1994 97 87 15 13 0 0
25 à 34 160 1978‒1987 55 34 105 66 0 0
35 à 49 240 1963‒1977 0 0 240 100 0 0
50 à 64 240 1948‒1962 0 0 240 100 0 0
65 à 76 192 1936‒1947 0 0 137 71 55 29
77
et plus Note b
368 1935 ou avant 0 0 15 4 353 96

Abréviations : ESCC–Santé mentale, Enquête sur la santé dans les collectivités canadiennes – Santé mentale; GENACIS, Gender, Alcohol, and Culture: An International Study; VSE, violence sexuelle envers les enfants.

Remarque : Nous indiquons l'année 2004 pour l'enquête GENACIS, puisque la majorité (93 %) des entrevues auprès des répondants ont été réalisées en 2004.

Note a

Total des années-enfants = (nombre d'années de naissance dans une cohorte) × 16.

Retour à la référence de la note de bas de page a

Nous supposons que l'âge maximal de cette cohorte est de 99 ans.

Retour à la référence de la note de bas de page b

Ainsi, les répondants du groupe d'âge le plus jeune de l'enquête GENACIS ont vécu 70 de leurs 112 années-enfants (63 %) au cours de la période que nous supposons à risque accru et les autres années (38 %) au cours de la période que nous supposons à risque moindre (à partir de 1993). Dans la figure 1, chaque case ombrée représente une année-enfant vécue pendant la période à risque accru. Chez les répondants de l'enquête GENACIS âgés de 18 à 24 ans, on compte donc 70 cases ombrées (risque accru) sur un total de 112 années-enfants. Les 42 cases restantes supposées apparaître à la droite de la période à risque moindre (à partir de 1993) ne sont pas représentées dans la figure. Les répondants âgés de 35 à 49 ans ont passé l'ensemble de leur 240 années-enfants dans la période à risque accru (de 1946 à 1992) et les répondants des groupes de 25 à 34 ans et de 50 à 64 ans ont passé presque toutes leurs années-enfants pendant cette période (respectivement 98 % et 91 %). Les répondants du groupe le plus âgé (de 65 à 76 ans) ont vécu la plupart de leurs années-enfants avant la fin de la Seconde Guerre mondiale (147/192 = 77 %), une période à risque moindre selon nos hypothèses. Sur ce point, notons que, sur la figure 1, seules 45 cases ombrées apparaissent dans la période à risque accru pour ce groupe d'âge, les 147 années-enfants restantes de ce groupe étant censées apparaître à gauche, dans la période à faible risque (avant 1946). Ces années-enfants font bien partie des analyses (pour la période à risque moindre) mais elles n'ont pas été intégrées à la figure.

Étant donné que l'ESCC – Santé mentale s'est déroulée 8 ans après l'enquête GENACIS, les répondants dans les groupes d'âge utilisés pour classer les répondants GENACIS auraient vécu des années différentes de leur enfance dans des périodes à risque élevé ou faible. Les quatre groupes d'âge intermédiaires de l'ESCC – Santé mentale (25 à 34, 35 à 49, 50 à 65 et 65 à 76 ans) ont vécu la majorité de leurs années-enfants au cours de la période dite à risque accru. Les répondants des groupes d'âge de 35 à 49 ans et de 50 à 64 ans ont vécu toutes leurs années-enfants au cours de cette période. Pour ce qui est du groupe d'âge le plus jeune (18 à 24 ans) et du groupe d'âge le plus avancé (77 ans et plus), les répondants ont vécu la majorité de leurs années-enfants au cours des périodes dites à moindre risque : les répondants du groupe d'âge le plus jeune ont vécu 87 % de leurs années-enfants après 1993, et ceux du groupe d'âge le plus avancé ont vécu 96 % de leurs années-enfants avant la fin de la Seconde Guerre mondiale.

Figure 1
Nombre et pourcentage d'années-enfants (de 0 à 15 ans) vécues durant la période de risque accru de VSE (1946 à 1992) parmi les répondants de l'enquête GENACIS et de l'ESCC–Santé mentale, par cohorte d'âge

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figure 1

Abréviations: ESCC–Santé mentale, Enquête sur la santé dans les collectivités canadiennes – Santé mentale; GENACIS, Gender, Alcohol, and Culture: An International Study; VSE, violence sexuelle envers les enfants. Remarque : Chaque case ombrée représente une année-enfant.

a Le nombre d'années de naissance de chaque cohorte représente le nombre d'âges distincts au sein d'un groupe d'âge. Par exemple, le groupe d'âge 18 à 24 ans contient 7 années de naissances différentes, chacune correspondant à l'un des âges du groupe (18, 19, 20, 21, 22, 23 et 24 ans).

b Total des années-enfants = (nbre d'années de naissance dans une cohorte) × 16.

Équivalent textuel - Figure 1

La figure 1 est une représentation graphique de la manière dont nous nous y sommes pris pour calculer les pourcentages d’années-enfants pour la période dite à risque accru. Dans la figure 1, chaque case ombrée représente une année-enfant vécue pendant la période à risque accru. Chez les répondants de l’enquête GENACIS âgés de 18 à 24 ans, on compte donc 70 cases ombrées (risque accru) sur un total de 112 années-enfants. Les 42 cases restantes supposées apparaître à la droite de la période à risque moindre (à partir de 1993) ne sont pas représentées dans la figure. Les répondants âgés de 35 à 49 ans ont passé l’ensemble de leur 240 années-enfants dans la période à risque accru (de 1946 à 1992) et les répondants des groupes de 25 à 34 ans et de 50 à 64 ans ont passé presque toutes leurs années-enfants pendant cette période (respectivement 98 % et 91 %). Les répondants du groupe le plus âgé (de 65 à 76 ans) ont vécu la plupart de leurs années-enfants avant la fin de la Seconde Guerre mondiale (147/192 = 77 %), une période à risque moindre selon nos hypothèses. Sur ce point, notons que, sur la figure 1, seules 45 cases ombrées apparaissent dans la période à risque accru pour ce groupe d’âge, les 147 années-enfants restantes de ce groupe étant censées apparaître à gauche, dans la période à faible risque (avant 1946). Ces années-enfants font bien partie des analyses (pour la période à risque moindre) mais elles n’ont pas été intégrées à la figure.

Si on se fie aux estimations de prévalence de la VSdE entre l'enquête GENACIS et l'ESCC – Santé mentale, la notion de VSE semble la même dans les deux enquêtes. Les estimations peuvent néanmoins varier en fonction soit des différences méthodologiques entre les enquêtes soit d'une évolution dans la volonté des participants de dévoiler la VSdE vécue. Pour évaluer les différences méthodologiques susceptibles de jouer sur les estimations, nous avons jumelé les cohortes ayant la même année de naissance dans les deux enquêtes afin de comparer les estimations. Compte tenu de l'intervalle de 8 ans entre les deux enquêtes, nous avons présumé que la prévalence de la VSE serait sensiblement dans les mêmes proportions statistiques entre, par exemple, les répondants de l'enquête GENACIS âgés de 18 à 24 ans et les répondants de l'ESCC – Santé mentale âgés de 26 à 32 ans (tous nés entre 1980 et 1986), ce qui constitue une manière d'exclure les différences découlant des autres facteurs.

Nous avons effectué nos analyses à l'aide de la version 5.1 de SAS Enterprise Guide (SAS Institute Inc, Cary, Caroline du Nord, États-Unis). Toutes les estimations reposent sur des données pondérées. La vérification des écarts importants entre l'enquête GENACIS et l'ESCC – Santé mentale a été réalisée à l'aide de tests t totalisés. Pour ce qui est des estimations provenant de l'ESCC – Santé mentale, la méthode bootstrap a servi à calculer la variance et les intervalles de confiance (IC) à 95 % pour bien tenir compte du plan d'enquête complexe de l'ESCC – Santé mentale Note de bas de page 19. Quant aux estimations de l'enquête GENACIS, la variance et les IC à 95 % ont été calculés en suivant l'hypothèse d'un échantillonnage aléatoire simple.

Résultats

Les estimations de prévalence de la VSdE tirées de l'enquête GENACIS et de l'ESCC – Santé mentale se sont révélées similaires chez les 18 à 76 ans, soit 9,8 % d'après l'enquête GENACIS de 2004-2005 et 10,5 % d'après l'ESCC – Santé mentale de 2012 (tableau 2). Nous constatons néanmoins certaines différences entre les deux périodes selon les sexes et les groupes d'âge.

Tableau 2
Prévalence de la VSdE par sexe et par groupe d'âge au moment des enquêtes menées auprès de la population canadienne à domicile âgée de 18 ans et plus, 2004-2005 et 2012

(partie 1 du tableau 2)
2004/2005 (GENACIS)
  Année de naissance % (IC 95 %)
Total (18 à 76 ans) 1928–1986 9,8 (9,2 à 10,3)
Par sexe (18 à 76 ans)
Hommes (réf.) 1928–1986 5,4 (4,8 à 6,0)
Femmes 1928–1986 14,0 (13,2 à 14,9)Note a
Par groupe d’âge (ans)
18 à 24 1980–1986 6,0 (4,6 à 7,4)Note a
25 à 34 1970–1979 9,5 (8,3 à 10,8)Note a
35 à 49 (réf.) 1955–1969 12,0 (11,0 à 13,0)
50 à 64 1940–1954 10,4 (9,3 à 11,4)Note a
65 à 76 1928–1939 6,2 (4,9 à 7,6)Note a
77 ans et plus      
Groupe d’âge - hommes (ans)
18 à 24 1980–1986 2,2 (1,0 à 3,5)Note a
25 à 34 1970–1979 4,3 (2,9 à 5,6)Note a
35 à 49 (réf.) 1955–1969 6,4 (5,2 à 7,5)
50 à 64 1940–1954 6,4 (5,1 à 7,8)
65 à 76 1928–1939 6,3 (4,2 à 8,4)
77 ans et plus      
Groupe d’âge - femmes (ans)
18 à 24 1980–1986 10,0 (7,6 à 12,5)a
25 à 34 1970–1979 15,0 (12,9 à 17,0)
35 à 49 (réf.) 1955–1969 17,6 (16,0 à 19,1)
50 à 64 1940–1954 14,2 (12,6 à 15,8)a
65 à 76 1928–1939 6,2 (4,5 à 7,9)a
77 ans et plus      
(partie 2 du tableau 2)
2012 (ESCC–Santé mentale)
  Année de naissance % (IC 95 %) 2012 vs
2004/2005
Total ( 18 à 76 ans) 1936–1994 10,5 (9,9 à 11,2)  
Par sexe (18 à 76 ans)
Hommes (réf.) 1936–1994 5,9 (5,2 à 6,7)  
Femmes 1936–1994 15,0 (14,0 à 16,1)a  
Par groupe d’âge (ans)
18 à 24 1988–1994 4,3 (3,3 à 5,4)a  
25 à 34 1978–1987 7,6 (6,2 à 9,1)a  
35 à 49 (réf.) 1963–1977 11,5 (10,1 à 12,9)  
50 à 64 1948–1962 13,5 (12,1 à 14,8)a b
65 à 76 1936–1947 11,7 (10,1 à 13,3) b
77 ans et plus 1935 ou avant 6,2 (4,8 à 7,7)a  
Groupe d’âge - hommes (ans)
18 à 24 1988–1994 2,3 (1,1 à 3,4)a  
25 à 34 1978–1987 3,4 (2,1 à 4,7)a  
35 à 49 (réf.) 1963–1977 6,0 (4,5 à 7,5)  
50 à 64 1948–1962 7,3 (5,6 à 9,0)  
65 à 76 1936–1947 10,0 (7,5 à 12,6)a b
77 ans et plus 1935 ou avant 4,7 (2,7 à 6,7)  
Groupe d’âge - femmes (ans)
18 à 24 1988–1994 6,4 (4,8 à 8,1)a b
25 à 34 1978–1987 12,1 (9,6 à 14,6)a  
35 à 49 (réf.) 1963–1977 16,6 (14,2 à 18,9)  
50 à 64 1948–1962 19,8 (17,7 à 22,0) b
65 à 76 1936–1947 13,2 (11,2 à 15,2)a b
77 ans et plus 1935 ou avant 7,4 (5,2 à 9,5)a b

Sources : GENACIS, enquête canadienne de 2004-2005; Statistique Canada, ESCC-SM, 2012 (fichier partagé).

Abréviations : ESCC–SM, Enquête sur la santé dans les collectivités canadiennes – Santé mentale; GENACIS, Gender, Alcohol, and Culture: An International Study; IC, intervalle de confiance; réf., groupe de référence; VSdE, violence sexuelle durant l’enfance.

Remarque : Les estimations issues de l’enquête GENACIS reposent sur 239 enregistrements ayant des valeurs manquantes sur les âges (données exclues des estimations en fonction des groupes d’âge).

Note a

Écart notable par rapport au groupe de référence.

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Écart notable par rapport aux données de 2004-2005.

Retour à la référence de la note de bas de page b

Chez les femmes du groupe d'âge le plus jeune (de 18 à 24 ans), la prévalence est passée de 10,0 % en 2004-2005 à 6,4 % en 2012. Chez les femmes de 25 à 34 ans, la prévalence était de 15,0 % en 2004-2005 et de 12,1 % en 2012, mais cette baisse n'a pas atteint tout à fait le seuil de signification statistique (p = 0,08). Les femmes se trouvant dans ces deux groupes d'âge au moment de l'ESCC – Santé mentale auraient ainsi vécu une plus grande portion de leur enfance après 1993 (période à risque moindre) que celles se trouvant dans ces mêmes groupes d'âge au moment de l'enquête GENACIS.

Inversement, chez les femmes faisant partie des deux derniers groupes d'âge, la prévalence augmente entre les deux périodes : elle passe de 14,2 % à 19,8 % chez les 50 à 64 ans et de 6,2 % à 13,2 % chez les 65 à 76 ans. Les femmes présentes dans ces groupes d'âge au moment de l'ESCC – Santé mentale ont passé une plus grande portion de leur enfance entre 1946 et 1992 (période à risque accru), que les femmes de ces groupes d'âge au moment de l'enquête GENACIS.

Nous avons constaté chez les femmes une association en forme de « U » entre l'âge et la VSdE. En 2004-2005, la prévalence de la VSdE était plus élevée chez les répondantes de 35 à 49 ans (celles qui ont passé toute leur enfance entre 1946 et 1992, la période à risque accru). En 2012, la prévalence la plus élevée s'observait chez les répondantes âgées de 35 à 49 ans et de 50 à 64 ans (qui ont, elles aussi, vécu toute leur enfance pendant cette période à risque accru). Aux deux dates, nous avons observé les estimations de prévalence les plus faibles dans le groupe d'âge le plus jeune et dans le plus avancé. De fait, les répondantes du groupe d'âge plus jeune ont vécu la majeure partie de leur enfance après 1993, et celles du groupe d'âge le plus avancé l'ont vécue avant la fin de la Seconde Guerre mondiale (deux périodes où le risque était moindre).

Chez les hommes, la seule différence majeure entre les enquêtes touche les répondants de 65 à 76 ans, chez qui la prévalence est passée de 6,3 % en 2004-2005 à 10,0 % en 2012. Les hommes qui étaient âgés de 65 à 76 ans en 2012 ont vécu 71 % de leur enfance entre 1946 et 1992, période où le risque était accru, tandis que cette situation ne touchait que 23 % des hommes de ce groupe d'âge au moment de l'enquête GENACIS.

Chez les hommes en 2012, la prévalence de la VSdE la plus élevée (10,0 %) s'observait chez les hommes âgés de 65 à 76 ans, et la plus faible pour les répondants des groupes d'âge les plus jeunes, qui ont passé la majeure partie de leur enfance après 1993, une période où le risque était moindre.

Les comparaisons entre les deux enquêtes pour les cohortes ayant la même année de naissance (tableau 3) présentent des estimations statistiques semblables pour la majorité des groupes formés selon l'année de naissance (ce qui était à prévoir, hormis les différences méthodologiques entre les deux enquêtes). Nous avons cependant constaté des différences importantes entre les hommes nés entre 1940 et 1954 et les femmes nées entre 1940 et 1954 et entre 1928 et 1939 : la prévalence était plus élevée chez les répondants de l'ESCC – Santé mentale.

Tableau 3
Prévalence de la VSdE par sexe et par cohorte selon l'année de naissance, population à domicile âgée de 18 ans à 76 ans, Canada, 2004-2005 et 2012

(partie 1 du tableau 3)
2004/2005 (GENACIS)
Cohorte
par année de naissance
Groupe d’âge au moment de l’enquête GENACIS (ans) % de VSdE signalée (IC 95 %)
  Hommes    
1980–1986 18 à 24 2,2 (1,0 à 3,5)
1970–1979 25 à 34 4,3 (2,9 à 5,6)
1955–1969 35 à 49 6,4 (5,2 à 7,5)
1940–1954 50 à 64 6,4 (5,1 à 7,8)
1928–1939 65 à 76 6,3 (4,2 à 8,4)
  Femmes    
1980–1986 18 à 24 10,0 (7,6 à 12,5)
1970–1979 25 à 34 15,0 (12,9 à 17,0)
1955–1969 35 à 49 17,6 (16,0 à 19,1)
1940–1954 50 à 64 14,2 (12,6 à 15,8)
1928–1939 65 à 76 6,2 (4,5 à 7,9)
(partie 2 du tableau 3)
2012 (ESCC–Santé mentale)
Cohorte
par année de naissance
Groupe d’âge au moment de l’enquête GENACIS (ans) % de VSdE signalée (IC 95 %)

2012
par rapport à 2004-2005

  Hommes      
1980–1986 26 à 32 2,5 (1,1 à 3,8)  
1970–1979 33 à 42 5,5 (3,8 à 7,1)  
1955–1969 43 à 57 6,9 (5,3 à 8,5)  
1940–1954 58 à 72 9,1 (7,0 à 11,1) a
1928–1939 73 à 84 5,1 (3,4 à 6,9)  
  Femmes      
1980–1986 26 à 32 11,3 (8,9 à 13,6)  
1970–1979 33 à 42 16,1 (13,0 à 19,2)  
1955–1969 43 à 57 18,5 (16,1 à 20,9)  
1940–1954 58 à 72 17,3 (15,4 à 19,1) a
1928–1939 73 à 84 10,0 (7,5 à 12,4) a

Sources : GENACIS, enquête canadienne de 2004-2005; Statistique Canada, ESCC–SM, 2012 (fichier partagé).

Abréviations : ESCC–SM, Enquête sur la santé dans les collectivités canadiennes – Santé mentale; GENACIS, Gender, Alcohol, and Culture: An International Study; IC, Intervalle de confiance; VSdE, violence sexuelle durant l'enfance.

Note a

Écart notable par rapport aux données de 2004-2005.

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Analyse

Notre étude des estimations de la prévalence de la VSdE, fondée sur deux grandes études représentatives de la population adulte canadienne, corrobore notre hypothèse que la période à compter de 1993 est à risque de VSdE moindre, que la période 1946-1992 était à risque accru et que la période antérieure à 1946 était également une période à risque moindre. Les preuves sont substantielles pour les femmes. La baisse des estimations de prévalence chez les jeunes hommes ayant répondu à l'ESCC – Santé mentale ne témoigne que faiblement de la présence éventuelle d'un léger fléchissement depuis le début des années 1990. Une surveillance accrue est nécessaire pour confirmer cette baisse de la VSE chez les hommes canadiens.

Données probantes et facteurs de baisse

Nos constatations d'une baisse (ou fléchissement du risque) de la VSE depuis le début des années 1990 concordent avec celles de Finkelhor et ses collaborateurs, lesquelles reposent sur de nombreuses sources de données des États-UnisNote de bas de page 6Note de bas de page 13, de même qu'avec les résultats d'une étude représentative menée à l'échelle nationale en AustralieNote de bas de page 22. L'examen de données recueillies auprès d'étudiants témoigne également d'une baisse au cours de cette période. À titre d'exemple, à Aotearoa (Nouvelle-Zélande), les signalements de VSE ont connu une baisse entre 2001 et 2007, dont une baisse plus importante chez les hommesNote de bas de page 23. En Colombie-Britannique (Canada), on a constaté un recul entre 1992 et 2003 Note de bas de page 24. Les données recueillies auprès des autorités de protection de l'enfance dans le cadre de l'Étude canadienne sur l'incidence des signalements de cas de violence et de négligence envers les enfants (ECI) laissent aussi supposer une baisseNote de bas de page 25Note de bas de page 26. En dépit des inquiétudes soulevées à propos de la représentativité nationale des estimations issues des données pondérées de l'ECI27, ces estimations font état d'une baisse du nombre d'enquêtes sur les cas de violence sexuelle corroborés pour 1 000 enfants âgés de 0 à 15 ans, qui est passé de 86 en 1998 à 43 en 2008Note de bas de page 25Note de bas de page 26. De même, le taux de signalement des agressions sexuelles à la police a culminé en 1993, pour ensuite diminuer progressivement de la fin des années 1990 jusqu'aux années 2000Note de bas de page 12.

Finkelhor et JonesNote de bas de page 9 ont étudié de nombreux facteurs susceptibles d'expliquer la baisse de la VSE observée aux États-Unis, et ils ont conclu que celle-ci s'explique vraisemblablement par un faisceau de facteurs. Ils avancent que la prospérité économique, l'augmentation des services de police et la hausse du nombre d'agents d'intervention sociale – les travailleurs sociaux, les intervenants en protection de l'enfance et les spécialistes en pharmacothérapie pour les troubles psychiatriques, entre autres – constituent l'explication la plus plausible. Ils estiment par ailleurs que l'accessibilité accrue à des moyens de contraception efficaces au cours des années précédant la période de baisse de la VSE et durant cette période a conduit à une diminution du nombre de grossesses non désirées et à de meilleurs chances que les enfants grandissent dans des environnements dotés de ressources socioéconomiques suffisantes pour assurer leur protection. La modification des normes et des pratiques a pu également jouer un rôle en ce sens. De surcroît, l'augmentation des niveaux d'instruction pourrait avoir entraîné une sensibilisation accrue à la VSE et à l'importance d'offrir un environnement sécuritaire aux enfants.

Certains facteurs expliquant la baisse de la VSE aux États-Unis ne sont pas nécessairement pertinents dans le contexte canadien. Une étude comparative des facteurs de la baisse générale du crime observé dans les années 1990 au Canada comme aux États-Unis fait par exemple état d'explications quelque peu différentes pour les deux paysNote de bas de page 28. Au Canada, contrairement aux États-Unis, la taille des services de police et le taux d'incarcération ont peu, voire pas du tout, changé pendant la période de baisse. C'est plutôt l'évolution des données démographiques, des taux d'emploi et des valeurs collectives qui est vraisemblablement à l'origine du phénomène Note de bas de page 28. Par ailleurs, certaines explications avancées par Finkelhor et JonesNote de bas de page 9 sont étayées par des sources de données canadiennes, comme la baisse des grossesses chez les adolescentesNote de bas de page 29, l'augmentation des niveaux d'instructionNote de bas de page 30 et les baisses du taux de chômageNote de bas de page 28. La prise d'antidépresseurs a également augmenté au Canada dès le début des années 1990Note de bas de page 31. Les parents atteints de troubles mentaux qui bénéficient d'un traitement seraient mieux à même de prendre en charge et de protéger leurs enfants que ceux qui ne bénéficient pas du traitement nécessaireNote de bas de page 9. Enfin, les programmes de prévention de la VSE dans les écoles ainsi que les campagnes de sensibilisation au problème pourraient également avoir eu une incidence positiveNote de bas de page 32Note de bas de page 33.

Données probantes et facteurs d'augmentation du risque

Les facteurs expliquant la hausse de la VSE après la Seconde Guerre mondiale sont moins évidents. De fait, la rareté des enquêtes effectuées à cette époque et les méthodologies incohérentes employées pour effectuer ces rares enquêtes réduisent la pertinence des résultats datant de cette époque. Par exemple, toute comparaison directe entre l'enquête GENACIS, l'ESCC – Santé mentale et une enquête canadienne de 1983 s'avère impossible à cause de méthodologies divergentes Note de bas de page 34. Les résultats de cette enquête corroborent néanmoins notre hypothèse d'une augmentation du risque de la VSE après la Seconde Guerre mondiale. Bien que cette étude ne fournisse que des données limitées sur les groupes d'âge, un rapport connexe indique que la prévalence de la VSdE était deux fois plus élevée chez les répondants de moins de 25 ans que chez ceux de 44 ans et plusNote de bas de page 14. Les répondants de moins de 25 ans au moment de cette étude auraient vécu toute leur enfance dans la période dite à risque accru (entre 1946 et 1992) tandis que les répondants de 44 ans et plus auraient passé la majorité de leur enfance durant la période dite à risque moindre (avant 1946). Les résultats issus d'autres enquêtes indiquent également une augmentation de la VSE durant la période qui a suivi la Seconde Guerre mondiale Note de bas de page 3Note de bas de page 15Note de bas de page 16.

Les modifications de la structure familiale survenues après la Seconde Guerre mondiale pourraient avoir contribué à cette hausse de la VSE Note de bas de page 14Note de bas de page 35. Avant la Seconde Guerre mondiale, le divorce était à peu près inexistant au Canada. Il est devenu plus courant après la Seconde Guerre mondiale, et le taux de divorce a culminé dans la foulée des modifications apportées à la Loi sur le divorce à la fin des années 1980Note de bas de page 35. Depuis le début des années 1990, le taux de divorce est demeuré relativement stable. Il ressort de plusieurs études réalisées sur la VSE dans les années 1970 et 1980 que les enfants vivant avec un seul parent ou avec un beau-parent couraient un risque plus élevé de vivre de la VSE que ceux vivant avec leurs deux parents biologiques Notes de bas de page 36-38, ce qui pourrait potentiellement expliquer la hausse de la VSE après la Seconde Guerre mondiale. Les caractéristiques des familles monoparentales et recomposées des années 1990 et ultérieures pourraient différer de celles des familles des années antérieures. Les autres facteurs précités contribuent vraisemblablement la baisse de la VSE au cours de la période de stabilité du taux de divorce, soit au début des années 1990.

Points forts et limites

Notre étude utilise une nouvelle approche (le concept d'« années-enfants ») pour dégager les tendances de la VSE au Canada à partir des données de deux grandes études représentatives de la population canadienne. L'épidémiologie de cette violence étant difficile à mesurer, notre approche des « années-enfants » pourrait faciliter les travaux à venir car elle permet de dégager les tendances de la VSE en fonction de la prévalence de la VSdE chez les répondants adultes et adolescents aux enquêtes rétrospectives.

Bien que le recours aux enquêtes rétrospectives pour examiner les tendances de la violence sexuelle à l'endroit des enfants permette de combler certaines lacunes attribuables à une sous-déclaration de cette forme de violence dans les données des organismes, il n'en reste pas moins que les données tirées de ces enquêtes ont leurs limites. De fait, si les déclarations faussement positives de VSdE sont plutôt rares dans le cadre d'enquêtes rétrospectivesNote de bas de page 39, le taux de déclarations faussement négatives s'avère considérable (entre 40 % et 50 %)Notes de bas de page 40-42. La sous-déclaration est plus courante chez les répondants de sexe masculinNote de bas de page 42Note de bas de page 43. Même si les éléments utilisés pour mesurer la VSE dans l'ESCC – Santé mentale et dans l'enquête GENACIS n'ont pas été validés, des éléments de même types ont été employés dans le cadre de l'Enquête sociale générale canadienneNote de bas de page 12 et ces éléments, axés sur le comportement, apportent davantage d'exactitude et de fiabilité que les questions générales et subjectivesNote de bas de page 39. Par ailleurs, les deux études excluent les personnes vivant en établissement de même que celles sans domicile fixe, une population au sein de laquelle la VSE est probablement plus répandue.

Les écarts dans les estimations issues de différentes sources de données pourraient découler de méthodologies divergentes plutôt que de véritables différences de prévalence. En effet, les éléments utilisés pour mesurer la VSE ne sont pas les mêmes dans l'enquête GENACIS et dans l'ESCC – Santé mentale, les taux de réponse et les modes d'administration non plus. De plus, les participants à l'ESCC – Santé mentale devaient répondre à quatre autres questions sur d'autres formes de mauvais traitements durant l'enfance avant les deux questions sur la VSE, alors que les participants à l'enquête GENACIS n'avaient pas d'entrée en matière équivalente. Malgré ces différences, les comparaisons entre les cohortes ayant la même année de naissance ont permis de dégager des estimations de prévalence similaires pour les trois cohortes les plus jeunes, ce qui laisse penser que les deux études ont mesuré un phénomène analogue. Nous ignorons cependant dans quelle mesure le taux de réponse – plus particulièrement le faible taux de réponse de l'enquête GENACIS – a eu une incidence sur les estimations de prévalence de la VSdE.

Même si la comparaison de prévalence entre groupes d'âge d'une même enquête permet de passer outre à certaines inconsistances méthodologiques entre enquêtes, des contraintes demeurent. La probabilité que les participants disent la vérité varie en fonction de l'âge. Cela signifie qu'ils ne sont pas nécessairement prêts à divulguer leur expérience de VSdE avant qu'un certain nombre d'années ne se soit écoulé après les actesNote de bas de page 43. Quant à la faible prévalence de la VSdE chez les répondants plus âgés, elle pourrait découler, du moins en partie, de la mortalité prématurée des victimes de VSE Note de bas de page 44Note de bas de page 45. Plus les actes de VSE reculent dans le temps, plus les estimations de prévalence biaisées à la baisse augmentent en raison de la mortalité prématurée : les personnes décédées ne peuvent faire partie de l'échantillon et déclarer la VSdE subie. C'est pourquoi la tendance à la hausse de la VSE avant et après la Seconde Guerre mondiale pourrait être surestimée, et la tendance à la baisse depuis 1993, légèrement sous-estimée.

Les tendances séculaires pourraient également avoir une incidence sur la probabilité de la divulgation de VSdE. Les comparaisons entre cohortes ayant la même année de naissance indiquent une prévalence plus forte chez les répondants de l'ESCC – Santé mentale que chez ceux de l'enquête GENACIS pour les femmes nées entre 1928 et 1954 et pour les hommes nés entre 1940 et 1954. Ces résultats peuvent provenir d'une plus forte propension chez ces groupes à divulguer la VSdE, peut-être en raison de la couverture médiatique de cas notoires46 ou de l'attention que les médias accordent aux cas de violence sexuelle. Il est à noter à ce propos que l'attention fréquente ou intense que les médias accordent à cette question peut amener la population à croire, en dépit des tendances réelles de son incidence, que la VSE est en hausse. Par ailleurs, même si la propension à divulguer de tels actes est susceptible d'augmenter avec l'âge, la faible prévalence observée chez les répondants âgés peut découler de leur réticence persistante à divulguer cette forme de violence car ils sont nés à une époque où le statut de victime sexuelle était susceptible d'être davantage stigmatisé.

Compte tenu de ces contraintes, de la nouveauté du concept d'année-enfant et de la rareté des analyses antérieures des données canadiennes, nous recommandons la duplication de notre étude, au Canada comme à l'étranger, afin d'apporter des preuves supplémentaires d'un déclin réel de la VSE.

Conclusion

Les signes du recul de la VSE au Canada depuis le début des années 1990, qui coïncide avec une baisse semblable aux États-Unis au cours de la même période, sont encourageants. Cependant, en 2012, encore 6 % des femmes et 2 % des hommes de 18 à 24 ans ont indiqué avoir subi de la VSdE, données qui ne reflètent probablement pas la véritable ampleur du problème. Poursuivre les travaux de surveillance continue de la VSE est donc essentiel. Les études rétrospectives de population associées à de solides composantes psychométriques et fondées sur des méthodologies cohérentes constituent un moyen efficace de dégager les tendances de la VSE. Utiliser les sources de données contemporaines issues d'études menées auprès d'élèves et d'étudiants vont permettre de dresser un portrait encore plus exact de la situation. Il est en effet essentiel de réunir des données de grande qualité pour évaluer efficacement les programmes d'intervention visant à éliminer la violence sexuelle envers les enfants canadiens. Les effets préjudiciables à long terme de la VSE montrent bien à quel point il est important de poursuivre sur cette lancée, pour passer d'un risque faible à un risque nul – aucun laisser-aller n'est tolérable.

Remerciements

Les données recueillies dans le cadre de l'enquête Gender, Alcohol and Culture: An International Study (GENACIS) nous ont été offertes par l'Institut de recherche sociale de l'Université York. L'enquête a été réalisée au nom du Centre de toxicomanie et de santé mentale (CAMH). Le volet canadien de l'enquête GENACIS a été financé grâce à une subvention de fonctionnement offerte par les Instituts de recherche en santé du Canada (IRSC). Le CAMH, l'Institut de recherche sociale et les IRSC ne sont aucunement responsables des analyses ni des interprétations présentées dans cet article.

Les auteures souhaitent remercier Kathryn Wilkins de son aide à exprimer le plus clairement possible les constructions complexes utilisées dans ces analyses.

References

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