Recherche par méthodes mixtes originale – Développement d’un programme d’accompagnement prénatal pour les adultes ayant été victimes d’abus ou de négligence au cours de leur enfance : étude de consensus par la méthode Delphi

Nicolas Berthelot, Ph. D. Rattachement de l'auteur 1,Rattachement de l'auteur 2; Roxanne Lemieux, Ph. D. Rattachement de l'auteur 1,Rattachement de l'auteur 2; Carl Lacharité, Ph. D. Rattachement de l'auteur 1,Rattachement de l'auteur 2

https://doi.org/10.24095/hpcdp.38.11.01f

Cet article a fait l’objet d’une évaluation par les pairs.

Correspondance : Nicolas Berthelot, Département des sciences infirmières, Université du Québec à Trois-Rivières, C.P. 500, Trois‑Rivières (Québec) G9A 5H7; tél. : 819 376‑5011, poste 3487; courriel : nicolas.berthelot@uqtr.ca

Résumé

Introduction. La grossesse et la naissance d’un enfant posent des défis particuliers aux adultes ayant été victimes d’abus ou de négligence durant leur enfance. Il existe cependant peu d’interventions prénatales adaptées aux besoins spécifiques de ces personnes. Cette recherche vise à identifier une liste d’actions à mettre en œuvre dans le cadre d'interventions de groupe destinées aux futurs parents ayant subi des traumatismes relationnels durant leur enfance.

Méthodologie. Quinze intervenants représentant neuf organismes communautaires et de soins de santé du Québec travaillant auprès des familles ou des victimes de traumatismes ont participé à un processus de consultation Delphi à deux volets. Dans le premier volet, les trois chercheurs responsables du projet ont élaboré, en se fondant sur la littérature clinique et empirique, 36 actions pertinentes pour les futurs parents ayant subi des traumatismes durant leur enfance. Des intervenants ont ensuite participé à un sondage en ligne anonyme au cours duquel ils avaient à coder l’importance qu’ils accordaient à ces actions ainsi que la similitude entre ces dernières et les interventions pratiquées dans leur milieu clinique. Les intervenants ont ensuite pris part à une journée de consultation en personne, au cours de laquelle ils ont discuté de la pertinence des actions présentées, proposé de nouvelles actions et revu toutes les actions. Un second sondage anonyme a ensuite permis d’en arriver à un consensus sur une liste finale de 22 actions classées en fonction de leur pertinence.

Résultats. Le processus de consultation a abouti à deux séries d’actions : une série visant à favoriser la mentalisation à propos de soi et de son rôle de parent et une série visant à favoriser la mentalisation à propos des traumas.

Conclusion. Le processus Delphi a aidé à définir les bases de ce que devrait être, du point de vue des professionnels qui assureraient la prestation d’un tel programme, une intervention prénatale ciblant les adultes ayant subi des traumatismes durant leur enfance.

Mots‑clés : adultes ayant vécu des expériences traumatiques durant l’enfance, maltraitance des enfants, parentalité, intervention, mentalisation, processus Delphi

Points saillants

  • L’abus et la négligence durant l’enfance ont des conséquences à long terme qui persistent à l’âge adulte et affectent la transition vers la parentalité.
  • Peu d’interventions ont été conçues pour les nombreux futurs parents ayant été victimes d’abus ou de négligence durant leur enfance.
  • Ces interventions sont extrêmement importantes en matière de santé publique, car elles sont susceptibles de favoriser la santé physique et mentale des adultes ayant subi des traumatismes durant leur enfance, de soutenir le développement psychosocial de leur enfant et d’interrompre les cycles intergénérationnels de maltraitance.
  • Les intervenants consultés dans la perspective d'offrir un tel programme jugent que les interventions devraient avant tout viser à favoriser la mentalisation à propos de soi et du rôle de parent ainsi qu'à propos des traumas.

Introduction

La grossesse et la première année après la naissance constituent une période de transition cruciale qui comporte un grand nombre de défis comme d'opportunités. En raison du degré d’adaptation nécessaire à la grossesse et au fait d'avoir un enfant, il s'agit d'une période critique en ce qui concerne la santé mentale des femmesNote de bas de page 1. Cette transition de vie importante, qui constitue déjà un défi pour les adultes sans vulnérabilité biologique, psychologique, conjugale ou socioéconomique apparente, peut s'avérer particulièrement complexe pour les adultes ayant subi des expériences traumatiques durant leur enfance, en particulier de l’abus ou de la négligence.

De nombreuses données confirment en effet que l’abus et la négligence durant l’enfance ont des conséquences sur les plans psychologiqueNote de bas de page 2,Note de bas de page 3 et physiqueNote de bas de page 4,Note de bas de page 5 à l’âge adulte. Les traumatismes subis durant l’enfance sont notamment associés, à l’âge adulte, à la dépression majeure, aux troubles anxieux, aux troubles des conduites, au trouble de stress post‑traumatique, à la toxicomanie, ainsi qu’à plusieurs problèmes de santé physique tels que l’obésité, l’arthrite, l’hypertension, les migraines, le cancer et les accidents vasculaires cérébraux. La grossesse et la naissance d’un enfant peuvent contribuer à déclencher ou exacerber ces troublesNote de bas de page 6.

Les femmes enceintes ayant subi des traumatismes durant leur enfance présentent un risque accru de vivre des difficultés, de souffrir de douleurs et de présenter un haut degré de détresse au cours de la grossesse. Elles sont aussi particulièrement nombreuses à avoir un accès limité à des facteurs de protection personnels et sociaux. Le fait d’être enceinte peut faire ressurgir chez ces femmes leurs traumatismes d’attachement non résolusNote de bas de page 7 et ces traumatismes non mentalisés (c.‑à‑d. non reconnus, décrits de façon incohérente ou pour lesquels la victime se blâme) sont associés à des sentiments négatifs à l’égard du bébé et de la maternité et à des difficultés dans la relation avec le partenaireNote de bas de page 8. Comparativement à l’ensemble des femmes enceintes, les femmes ayant subi des traumatismes durant leur enfance formulent plus fréquemment des plaintes habituelles liées à la grossesseNote de bas de page 9 et elles sont plus nombreuses à avoir une grossesse à risque élevéNote de bas de page 10,Note de bas de page 11. Elles présentent aussi un risque accru de violence conjugaleNote de bas de page 12,Note de bas de page 13. Enfin, elles sont plus nombreuses à présenter des symptômes liés à un traumatisme (p. ex. dissociation), des symptômes de stress post‑traumatiqueNote de bas de page 14 ainsi que d'autres symptômes non spécifiques à un traumatisme (p. ex. anxiété ou dépression)Note de bas de page 15,Note de bas de page 16.

Les stratégies généralement employées par les adultes ayant vécu des traumatismes pour réguler les émotions négatives intenses (p. ex. dissociation, évitement, consommation de médicaments psychotropes, d’alcool ou de drogues) peuvent entraver leur rôle de parent et affecter le fœtus et, éventuellement, l’enfant. Les femmes ayant été maltraitées durant leur enfance sont plus nombreuses à être isolées durant leur grossesseNote de bas de page 17 et les années suivant la naissance de leur enfantNote de bas de page 18 et à se dire insatisfaites du soutien social qu’elles reçoiventNote de bas de page 19.

Bien qu’il existe peu d'études sur les futurs pères ayant subi des traumatismes durant leur enfance, il semble que ces derniers soient confrontés à des défis similaires à ceux soulevés chez les futures mères, étant donné que 10 % des hommes de la population générale vivent une détresse psychologique notable après la naissance de leur enfantNote de bas de page 20. De plus, la maltraitance durant l’enfance est associée à d’importantes conséquences à long terme tant chez les hommes que chez les femmesNote de bas de page 21.

Les trajectoires de risque associées à l’abus et à la négligence durant l’enfance peuvent être transmises d’une génération à l’autre. En effet, tôt dans leur développement, la majorité des enfants nés d’une mère ayant été victime d’abus ou de négligence présentent un style d’attachement insécurisé (82 % contre 38 % de la population générale) et jusqu’à 44 % (contre 15 % de la population générale) présentent un style d’attachement désorganiséNote de bas de page 22. L’attachement désorganisé est un précurseur important de problèmes sociaux, intellectuels, cognitifs, affectifs et comportementaux au cours de l’enfanceNote de bas de page 23,Note de bas de page 24. Les enfants nés d’une mère ayant subi des traumatismes présentent aussi un risque accru de problèmes développementaux tels que des anomalies biologiques dans les mécanismes de régulation du stressNote de bas de page 25,Note de bas de page 26,Note de bas de page 27, des troubles neurodéveloppementauxNote de bas de page 10 et des problèmes émotionnels et comportementauxNote de bas de page 18,Note de bas de page 28,Note de bas de page 29,Note de bas de page 30. De plus, des données empiriques confirment l’existence de cycles intergénérationnels de maltraitanceNote de bas de page 31,Note de bas de page 32,Note de bas de page 33.

La prévalence élevée (32 %) de maltraitance envers les enfants retrouvée au CanadaNote de bas de page 21 signifie qu’un nombre considérable de futurs parents ont été victimes d’abus ou de négligence. Compte tenu 1) des nombreux défis auxquels les futurs parents sont confrontés durant la transition vers la parentalité, 2) des données empiriques indiquant une transmission intergénérationnelle du risque associé aux traumatismes subis durant l’enfance et 3) du fait que les interventions, même lorsqu’elles sont offertes précocement après la naissance, pourraient être trop tardives, étant donné que certaines conséquences intergénérationnelles de traumatismes parentaux sont observables immédiatement à la naissanceNote de bas de page 25, l'utilité d'interventions prénatales ciblant les victimes de traumatismes durant l’enfance ne fait aucun doute. Ces interventions auraient comme objectif de favoriser la santé physique et mentale des futurs parents ayant subi des traumatismes durant leur enfance, de soutenir le développement psychosocial de leur enfant et d’interrompre les cycles intergénérationnels d’abus et de négligence.

Des programmes sont offerts dans divers pays pour aider les parents considérés comme « à risque élevé », dont Nurse-Family PartnershipNote de bas de page 34, Circle of SecurityNote de bas de page 35, Early StartNote de bas de page 36 et Minding the BabyNote de bas de page 37. Le programme qui s’est révélé jusqu'à présent le plus efficace pour prévenir la maltraitance des enfants est Nurse-Family PartnershipNote de bas de page 38. Ces programmes intègrent généralement des visites à domicile, et ils ciblent principalement les parents ayant des difficultés à répondre aux besoins de leur nourrisson ou présentant des facteurs de risque généraux (p. ex. maternité à l’adolescence, pauvreté, consommation de drogues). Ils ne sont cependant pas spécifiquement conçus pour les défis particuliers découlant des traumatismes durant l’enfance, ou bien leur efficacité n’a pas été évaluée auprès des victimes d’abus ou de négligenceNote de bas de page 39.

Il est important de mettre au point des interventions adaptées à cette population, car la manière dont les adultes ayant été victimes d’abus ou de négligence perçoivent leurs expériences joue un rôle clé dans leur adaptation à la parentalité et dans la relation d’attachement qu’ils développeront avec leur enfantNote de bas de page 8,Note de bas de page 22. Une récente revue de la littérature a confirmé qu’il existe très peu d’interventions périnatales destinées aux parents ayant vécu des traumatismes et qu’aucune intervention n’a été évaluée chez les pèresNote de bas de page 39. La plupart des programmes mentionnés ci‑dessus sont conçus pour intervenir principalement durant la période postnatale. Seuls deux programmes spécifiquement conçus pour les adultes ayant vécu des traumatismes s’offrent principalement durant la grossesse : Survivor Moms Companion,un manuel de développement personnelNote de bas de page 40, et Perinatal Child-Parent PsychotherapyNote de bas de page 41, une forme de psychothérapie individuelle. Les interventions prénatales sont pourtant indispensables, pour diverses raisons. D'abord, les parents sont psychologiquement et physiquement plus disponibles durant cette période qu’après la naissance de l’enfant. De plus, la grossesse active inévitablement des représentations d’attachementNote de bas de page 42, ce qui en ferait la période idéale pour les interventions cliniques visant à retravailler les relations d’objet intérioriséesNote de bas de page 43. Enfin, sur le plan pratique, les parents risquent de ne pas être disponibles pour participer à des interventions après la naissance de l’enfant, car ils seront alors aux prises avec de nombreuses obligations et responsabilités. Globalement, les interventions périnatales destinées aux parents ayant subi des traumatismes interpersonnels durant leur enfance se sont révélées sûres et acceptables pour les parents, même si des recherches approfondies sont encore nécessaires.

Afin qu’un parent se montre sensible dans ses interactions avec son enfant, il semble important que ce parent ait préalablement fait l’expérience de relations sensibles. En ce sens, les interventions prénatales fournissent une occasion intéressante de s’intéresser aux parents et d’accompagner en douceur la personne dans le développement de son identité comme parent, alors que les interventions postnatales portent quant à elles principalement sur l’enfant et sur la relation parent-enfant. Dans le même ordre d'idée, on peut considérer que les interventions dans la période postnatale, quelle que soit leur proximité avec la naissance, sont davantage thérapeutiques que préventives, comme certaines conséquences intergénérationnelles des mauvais traitements subis durant l’enfance sont observables peu après la naissanceNote de bas de page 25 et des problèmes importants dans la relation d’attachement mère-enfant peuvent déjà être présents au moment de la consultationNote de bas de page 22. L'intégration d'interventions prénatales aux programmes postnatals déjà en place permettrait donc de prévenir l’émergence de difficultés dans la relation parent-enfant et contribuerait à interrompre la transmission intergénérationnelle du risque associé à la maltraitance envers les enfants.

Devant le constat de l’absence d’interventions prénatales destinées aux adultes ayant été victimes de maltraitance durant leur enfance, nous avons voulu consulter les fournisseurs de soins de santé et les organismes communautaires au sujet des actions à mettre en œuvre dans le cadre d’une intervention prénatale de groupe conçue pour aider les futurs parents ayant subi des traumatismes durant leur enfance.

Méthodologie

Méthode de consensus Delphi

Nous avons utilisé la méthode de consensus Delphi pour élaborer les principales actions à mettre en œuvre auprès des futurs parents ayant été victimes d’abus ou de négligence durant leur enfance. Cette méthode est couramment employée par les professionnels de la santé pour créer des ensembles de priorités dans la pratique clinique et la rechercheNote de bas de page 44,Note de bas de page 45 et elle a déjà servi à établir des lignes directrices sur les formes de soutien à offrir aux personnes ayant vécu des traumatismesNote de bas de page 46.

La méthode Delphi a pour but de rassembler des avis d’experts sur un sujet précis. Un consensus est dégagé à l’aide d’une ronde de deux ou de plusieurs questionnaires soumis à des experts. Après obtention des réponses à un premier questionnaire, les résultats sont résumés et les experts sont invités à discuter entre eux de leurs réponses. Un questionnaire révisé est ensuite présenté aux participants, ces derniers étant invités à réévaluer leurs réponses à la lumière des discussions. Ce processus finit par aboutir à une diminution des variations dans le poids attribué par les experts aux diverses priorités dans un domaine ainsi qu'à l’atteinte d’un consensus sur un certain nombre de priorités.

Soutenir la transition et l’engagement dans la parentalité (STEP)

STEP est un programme de recherche clinique réalisé à l’Université du Québec à Trois‑Rivières et financé par l’Agence de la santé publique du Canada. Ce programme vise à concevoir, à mettre en œuvre et à évaluer un programme d’accompagnement novateur destiné aux adultes en attente d’un enfant et ayant subi des traumatismes interpersonnels durant leur enfance. Il a pour but de 1) favoriser la santé physique et mentale des adultes ayant subi des traumatismes durant leur enfance, 2) soutenir le développement psychosocial de leur enfant et 3) interrompre les cycles intergénérationnels de maltraitance.

Cette étude décrit les premières étapes de l’élaboration du programme (voir figure 1), qui est destiné aux adultes ayant été victimes d’abus ou de négligence, et ce, que ces derniers présentent ou non des difficultés psychosociales. Il vise essentiellement à complémenter les interventions et les services actuellement offerts aux futurs parents et à accroître la participation des parents ayant vécu des traumatismes à ces services.

Figure 1. Cadre général d’élaboration et d’évaluation du programme d’accompagnement STEP
Figure 1

Remarque : Cet article porte sur les étapes 1 à 3.

Figure 1 - Description textuel

Cette figure illustre le cadre général d’élaboration et d’évaluation du programme d’accompagnement STEP :

  1. Revue de la littérature sur les interventions existantes
  2. Repérage des actions pertinentes
  3. Consultation d’experts avec la méthode de consensus Delphi
  4. Consultations individuelles auprès de parents ayant subi des traumatismes
  5. Élaboration du programme et rédaction du manuel correspondant
  6. Consultation d’experts sur la première version du manuel
  7. Présentation du programme et du manuel aux parents ayant subi des traumatismes
  8. Intervention pilote
  9. Étude d’évaluation du programme

Participants

Les trois chercheurs-cliniciens responsables de ce projet de recherche clinique sont psychologues et chercheurs en santé mentale, en développement de l’enfant et en parentalité. Le projet a aussi bénéficié de la contribution de 18 partenaires, relevant de 10 organismes indépendants offrant des services aux futurs parents, aux familles et aux adultes ayant subi des traumatismes durant leur enfance. Trois des 18 partenaires ont considéré être plus ou moins qualifiés pour participer au processus de consensus Delphi, et l'une de ces partenaires a dû se retirer en raison d’un congé de maternité. Quinze professionnels, représentant neuf organismes, ont donc finalement participé à la première vague de consultations et aux discussions en personne qui ont suivi, et 14 d’entre eux ont pris part à la seconde vague de consultations. Tous les participants étaient francophones et travaillaient au Québec. Ils ont été choisis par les responsables du projet pour leurs connaissances spécialisées dans les domaines suivants : traumatismes de l’enfance; agression sexuelle durant l’enfance; négligence parentale; violence conjugale; grossesse, naissance et accouchement; parentalité dans un contexte de vulnérabilité; relations parent-enfant; paternité; prévention de l’abus et de la négligence envers les enfants; protection des enfants; collectivités autochtones; psychothérapie individuelle pour les survivants de traumatismes; intervention de groupe; gestion des soins de santé; services communautaires; soins de santé et enfin évaluation de programmes. Le tableau 1 offre une description plus détaillée de ces participants.

Tableau 1. Participants au processus de consensus Delphi sur la mise au point du programme STEP
Milieu de travail Formation Emploi principal
Université Psychologie clinique Recherche
Université Psychologie clinique Recherche
Université Psychologie clinique Recherche
Université Psychologie clinique Services à la population
Université Soins infirmiers pédiatriques Recherche
Université Soins infirmiers pédiatriques Recherche
Organisme gouvernemental Travail social Services à la population
Organisme gouvernemental Soins infirmiers Coordination des services
Organisme gouvernemental Travail social et gestion Coordination des services
Organisme gouvernemental Psychoéducation Coordination des services
Organisation non gouvernementale Travail social Coordination des services
Organisation non gouvernementale Psychoéducation Coordination des services
Organisation non gouvernementale Travail social Coordination des services
Organisation non gouvernementale Droit Coordination des services
Organisation non gouvernementale Psychoéducation Services à la population
Organisation non gouvernementale Psychologie Services à la population
Organisation non gouvernementale Animation et formation Services à la population
Organisation non gouvernementale Animation et administration Services à la population
Organisation non gouvernementale Sage‑femme Services à la population
Abréviation : STEP, Soutenir la transition et l’engagement dans la parentalité.

Déroulement

Après avoir examiné la littérature clinique et empirique à propos des interventions auprès des parents et auprès des victimes de traumatismes, les trois responsables du projet ont dressé une liste préliminaire des actions à mettre en œuvre lors d'une intervention prénatale de groupe auprès d’adultes ayant subi des traumatismes durant leur enfance. Les actions en question devaient être spécifiquement pertinentes pour les adultes ayant subi des traumatismes interpersonnels et suffisamment adaptées et sûres pour être réalisées pendant la grossesse. À la suite de discussions en équipe, les chefs de projet ont retenu six thèmes de base jugés importants pour les futurs parents ayant subi des traumatismes : les relations d’attachement, la mentalisation (capacité d’envisager les comportements comme le reflet d’états mentaux sous‑jacents, tels que les émotions, les motivations et les croyances), la transition vers la parentalité, la régulation des émotions, les traumas et le soutien social. Une liste initiale de 36 actions potentielles concernant ces thèmes de base a ainsi été élaborée (tableau 2).

Tableau 2. Liste d’actions potentielles pour une intervention de groupe prénatale, première étape de la méthode Delphi
Actions potentielles pour une intervention de groupe prénatale ImportanceTableau 2 - Note a DisponibilitéTableau 2 - Note b
Moyenne Écart-type Moyenne Écart-type
Thème : Relations d’attachement 4,40 0,85 3,10 1,02
Discuter des besoins affectifs des enfants 4,53 0,74 3,29 1,07
Fournir de l’information sur l’importance de la relation d’attachement parent-enfant (par exemple : pour le développement d’un sentiment de sécurité chez l’enfant) 4,33 0,98 2,93 1,00
Aborder des stratégies aptes à favoriser l’établissement d’une relation d’attachement sécurisante entre le parent et son enfant (par exemple : être sensible aux besoins de l’enfant) 4,33 0,82 3,07 1,00
Thème : Mentalisation 4,12 0,80 2,51 1,16
Aider la personne à repérer ses forces en tant que parent 4,60 0,63 2,86 1,35
Favoriser l'identification de modèles parentaux positifs dans l'histoire personnelle du parent et de comportements à reproduire comme parent 4,47 0,64 2,36 1,08
Soutenir la réflexion de la personne à propos de ses valeurs comme parent 4,33 0,62 2,79 1,25
Aider la personne à repérer ses vulnérabilités en tant que parent 4,33 0,72 2,64 1,22
Soutenir la réflexion de la personne à propos des défis qu'elle risque de rencontrer dans son rôle de parent (par exemple : réfléchir aux implications d'avoir un enfant) 4,33 0,82 2,86 1,29
Prévoir les moments où les besoins de l'enfant vont potentiellement entrer en compétition avec ceux du parent et en discuter (par exemple : l'enfant a besoin de réconfort la nuit alors que le parent est fatigué) 4,27 0,88 2,79 1,19
Discuter du fait qu'il est important que le parent réfléchisse à ce qui se passe dans la tête de son enfant (par exemple : tenter d'identifier les émotions, les désirs et les intentions derrière les comportements de l'enfant) 4,27 0,96 2,43 1,34
Aider la personne à établir une vision réaliste de ce que signifie être parent (par exemple : comprendre qu'il n'est pas possible d'être parfait) 4,13 0,74 2,86 1,10
Expliquer qu'il est possible d'exercer un contrôle sur ses actions et que cette faculté se développe 4,00 0,65 2,36 1,01
Discuter du fait qu'il est important que le parent réfléchisse à ses réactions lorsqu'il interagit avec son enfant (par exemple : qu'il tente d'identifier ses propres pensées et émotions) 3,80 1,08 2,43 1,28
Insister sur le fait que nos pensées ne déterminent pas qui nous sommes et qu'il est possible d'avoir des pensées qu'on ne met pas en action (par exemple : penser un court moment à frapper son enfant ne fait pas du parent un agresseur) 3,73 0,80 1,93 0,83
Expliquer en quoi consiste la mentalisation 3,71 0,73 2,07 1,00
Favoriser le repérage de modèles parentaux négatifs dans l'histoire personnelle du parent et les comportements à ne pas reproduire en tant que parent 3,53 1,13 2,29 1,14
Thème : Transition vers la parentalité 4,07 0,85 2,83 1,10
Permettre à la personne d'exprimer ses réactions à la grossesse et ses émotions lors de la grossesse 4,47 0,64 3,21 1,19
Accompagner la personne dans le repérage des émotions/réactions provoquées par la transition vers la parentalité (par exemple : émotions positives, émotions négatives et émotions mixtes) 4,20 0,77 2,86 1,10
Nommer des émotions ou réactions déstabilisantes que certains parents vivent lors de l'attente d'un enfant (par exemple : avoir l'impression qu'ils ne s'attacheront pas à l'enfant) 3,53 1,13 2,43 1,02
Thème : Régulation des émotions 3,87 0,85 3,07 0,95
Définir une stratégie à mettre en place lorsque le parent se sentira dépassé en tant que parent 4,53 0,74 3,29 0,99
Amener à une meilleure reconnaissance des signes précurseurs de détresse émotionnelle/psychologique 3,80 0,94 3,43 0,85
Enseigner des stratégies de régulation des émotions dans le contexte de la parentalité (par exemple : des techniques de relaxation) 3,27 0,88 2,50 1,02
Thème : Traumatisme 4,07 0,87 2,49 1,28
Discuter avec la personne de l'importance de se protéger afin d'être en sécurité et que l'enfant soit en sécurité (par exemple : aider la personne à mieux identifier les contextes potentiellement à risque pour sa sécurité et celle de son enfant) 4,40 0,74 2,79 1,19
Discuter de la façon dont les besoins non comblés et les frustrations de l'adulte victime de maltraitance lorsqu'il était enfant sont susceptibles de se manifester aujourd'hui dans sa vie d'adulte/de parent (par exemple : besoin de se sentir à la hauteur, de se sentir en contrôle) 4,40 0,74 2,43 1,02
Discuter avec le parent des impacts potentiels de ses traumatismes sur lui-même et sur sa façon de réfléchir en tant que parent (par exemple : continuer à se voir comme une victime, interpréter les comportements de son enfant comme si ce dernier était mal intentionné) 4,27 0,80 2,50 1,09
Aider la personne à identifier les besoins normaux d'un enfant qui n'ont pas été comblés dans son histoire personnelle 4,27 0,88 2,36 1,34
Fournir de l'information sur les impacts potentiels des traumatismes dans le contexte de la parentalité (par exemple : crainte de répéter les traumatismes vécus, ne pas être vigilant devant les situations à risque) 4,20 0,86 2,43 1,40
Discuter des stratégies d'adaptation souvent adoptées par les victimes de maltraitance pour se protéger des sentiments et des souvenirs associés au traumatisme (par exemple : comportements d'évitement) 3,93 0,96 2,43 1,50
Fournir de l'information sur les impacts d'un traumatisme (par exemple : impacts biologiques, émotions intenses, perceptions négatives de soi et des autres, sentiment d'insécurité) 3,80 0,94 2,57 1,45
Discuter des effets potentiellement dommageables sur le parent et sur le bébé des comportements et habitudes généralement adoptés afin d'amoindrir la détresse associée à un traumatisme (par exemple : consommation/abus de drogues et d'alcool, dissociation, évitement) et offrir des pistes de solutions alternatives 3,73 0,96 2,50 1,22
Définir les situations susceptibles de causer un traumatisme 3,60 0,99 2,43 1,34
Thème : Soutien social 4,23 0,73 3,43 0,91
Créer l'opportunité d'aller chercher du soutien dans le milieu communautaire 4,40 0,63 3,64 1,01
Proposer des stratégies aptes à renforcer le réseau social du parent 4,27 0,59 3,64 0,74
Créer l'opportunité d'obtenir un soutien professionnel 4,27 0,70 3,64 0,93
Discuter de l'importance de ses deux parents pour un enfant, même lorsque l'un d'eux est moins impliqué 4,13 0,83 3,36 0,93
Offrir des stratégies de renforcement du couple parental ou discuter des façons de composer avec les défis de la monoparentalité 4,07 0,88 2,86 0,95

Dans un premier temps, les participants au processus de consultation ont eu à évaluer, à l’aide d’un sondage en ligne anonyme, l’importance des actions proposées. Une échelle de Likert à cinq points a été utilisée (1 = pas important; 2 = un peu important; 3 = important; 4 = très important; 5 = essentiel). Les participants avaient aussi à proposer d’autres actions et à indiquer comment chaque action était mise en œuvre dans leur milieu clinique, également à l’aide d’une échelle de Likert à cinq points (1 = différent des services que nous offrons, 2 = sensiblement différent des services que nous offrons; 3 = je ne sais pas si ce service est offert dans mon milieu de pratique, 4 = similaire aux services que nous offrons, 5 = identique aux services que nous offrons).

La première vague de consultations a été suivie d’une réunion en personne d’une journée, durant laquelle les résultats du premier questionnaire ont été présentés et les participants ont abordé chaque action. Ils ont été invités à faire des commentaires sur leurs réponses, à discuter de la faisabilité des actions et à déterminer à quel point elles correspondaient à des services déjà offerts aux futurs parents dans leur pratique clinique respective. Les discussions ont été enregistrées afin de réviser les actions et de préparer la liste finale. Une semaine après la réunion, les participants ont reçu la liste révisée, par l’entremise d’un second sondage en ligne dans lequel ils avaient à coder une seconde fois l’importance qu’ils attribuaient à chaque action.

L’approbation éthique de l’étude a été obtenue du Comité d’éthique de la recherche avec des êtres humains de l’Université du Québec à Trois‑Rivières (CER15-226-10.04) et du Comité d’éthique de la recherche du Centre intégré universitaire de santé et de services sociaux de la Mauricie‑et‑du‑Centre‑du‑Québec (CER2016‑016‑00).

Résultats

Vague 1 (sondage en ligne)

Quinze intervenants ont participé à la première vague de consultation, dont les résultats sont présentés dans le tableau 2. Dans l’ensemble, chaque dimension a été jugée importante. Le thème dont la cote s'est révélée la plus élevée a été les relations d’attachement, suivi du soutien social, de la mentalisation, des traumas, de la transition vers la parentalité et de la régulation des émotions. Toutes les actions ont obtenu un score moyen supérieur à 3, ce qui traduit leur importance dans le contexte d'interventions auprès de futurs parents ayant subi des traumatismes durant leur enfance. Bien que les relations d’attachement et le soutien social aient été les thèmes les plus importants selon les experts, ils constituaient aussi les thèmes les plus fréquemment offerts dans le cadre des services déjà en place, à la différence des actions visant spécifiquement à aider les personnes à gérer les traumatismes et à améliorer la mentalisation, qui ont semblé plus novatrices.

Réunion en personne

Les quinze intervenants ont participé à la réunion de discussion d’une journée. Ils ont analysé la pertinence, la faisabilité et la mise en œuvre de toutes les actions afin de les améliorer. Le groupe s’est globalement entendu sur plusieurs considérations générales. L’une d’elles a été que toutes les actions où les participants jouaient un rôle passif (enseignement, information, etc.) devaient être redéfinies de manière à ce que ce rôle soit actif et à ce que les professionnels offrant le programme ne se présentent pas comme des experts ayant des solutions toutes prêtes destinées à être adoptées par les parents. Autrement dit, plutôt que de fournir de l’information ou un enseignement, l’intervention devait viser à renforcer le sentiment de compétence et le pouvoir d’agir des participants. Une autre considération a été que les actions ne devaient pas viser des lacunes, mais plutôt être conçues comme des occasions de développement personnel pour tous les futurs parents. Autrement dit, le programme devrait ressembler à un « programme d’accompagnement » plutôt qu'à une « intervention ». Le groupe a également convenu que le programme devrait être à l’écoute des besoins des participants et devrait répondre aux besoins de ces derniers avant de passer à ceux des enfants, autrement dit mettre l’accent d’abord sur les « parents en développement » avant de porter sur les « enfants en développement ». En effet, il fut reconnu qu’on peut difficilement stimuler la sensibilité parentale sans avant tout être sensible au vécu de ces parents, à leur réalité et à leurs conflits internes. Il fut également recommandé que les interventions soient adaptées à chaque sexe (et non rester neutres de ce point de vue) et être présentées différemment aux hommes et aux femmes.

Dans l’ensemble, le groupe a recommandé que le programme soit conçu de manière à ce que les participants prennent conscience de leurs forces et de leurs faiblesses, à ce qu'ils considèrent avec compassion comment leurs expériences antérieures déterminent la manière dont ils se perçoivent comme individu et comme parent et, enfin, à ce que le programme tienne compte des principaux défis rencontrés par les futurs mères et pères. La place accordée à la mentalisation a donc été revue : d’une dimension particulière à aborder avec les futurs participants, elle est devenue le cadre fondamental de l’intervention. Les six thèmes ont été par conséquent répartis en deux catégories plus larges : les interventions visant à stimuler la mentalisation des participants par rapport à eux-mêmes et à leur rôle de parent et celles visant à stimuler la mentalisation par rapport à leurs expériences de vie traumatiques.

Vague 2 (sondage en ligne)

Les responsables du projet ont révisé toutes les actions et ont envoyé aux participants une liste finale de 22 actions (15 concernant la mentalisation par rapport à soi et au rôle de parent et 7 concernant celle par rapport aux traumas) par l’entremise d’un sondage en ligne. Quatorze experts ont participé à cette vague, de façon anonyme. Le tableau 3 en présente les résultats, classés par ordre d’importance. Globalement, toutes les actions ont été jugées importantes.

Tableau 3. Liste finale des actions à l'issue de la méthode Delphi
Rang Actions retenues pour le programme d’accompagnement prénatal MoyenneTableau 3 - Note a Écart-type
Thème 1 – Mentalisation par rapport à soi et au rôle de parent
1 Discuter avec la personne des situations où ses besoins risquent d'entrer en compétition avec ceux de son enfant (par exemple : l'enfant a besoin de réconfort la nuit alors que le parent est fatigué) 4,50 0,65
3 Aider la personne à élaborer une vision réaliste de ce qu'est être parent (par exemple : comprendre qu'il n'est pas possible d'être parfait) 4,46 0,66
4 Soutenir la réflexion de la personne sur les signes d’une détresse émotionnelle et discuter avec elle des formes possibles de soutien (affectif, aide matérielle, guidage, assistance physique ou socialisation) les plus adaptées à ses besoins spécifiques 4,43 0,85
5 Aider la personne à repérer les émotions et réactions engendrées par la parentalité en général et spécifiquement présentes chez elle, et lui permettre de s'exprimer à propos de celles-ci (émotions positives, négatives et mixtes) 4,36 0,63
6 Accompagner la réflexion de la personne à propos de ses forces et de ses vulnérabilités en tant que parent 4,36 0,50
8 Faire état des besoins affectifs des enfants et être attentif ce qu'ils évoquent chez la personne en matière d'émotions, de pensées et de comportements 4,29 0,61
9 Accompagner la réflexion de la personne à propos des défis rencontrés par les parents en général et l'aider à repérer ceux qu'elle risque personnellement de rencontrer en tant que parent 4,29 0,83
11 Aider la personne à repérer les modèles parentaux positifs comme négatifs présents dans son histoire personnelle et réfléchir avec elle à leur influence sur sa perception de la parentalité et sur la relation qu’elle aura avec son enfant 4,21 0,97
12 Favoriser la réflexion de la personne sur les intentions et les motivations guidant les comportements de l'enfant et discuter avec elle des contextes susceptibles d’influencer son interprétation des comportements de son enfant 4,21 0,70
13 Favoriser la réflexion de la personne à propos de ses valeurs en tant que parent 4,14 0,77
14 Favoriser la réflexion de la personne à propos des stratégies affectives, cognitives et comportementales qu'elle envisage d'utiliser lorsqu'elle se sentira déstabilisée une fois l’enfant arrivé 4,14 0,86
17 Favoriser la réflexion du parent sur son réseau social 4,00 0,68
18 Favoriser la réflexion de la personne sur l'importance des deux parents pour un enfant, même lorsque l'un d'eux est moins impliqué 3,93 0,83
19 Favoriser la réflexion sur la relation entre les parents en tant que parents et sur l'expérience de la monoparentalité 3,79 0,80
22 Discuter avec la personne du fonctionnement psychologique et en illustrer concrètement les principes (par exemple : on peut exercer un contrôle sur ses actions et cette faculté se développe; nos pensées ne nous définissent pas; on peut avoir des pensées qu'on ne mettra pas en action) 3,57 1,09
Thème 2 – Mentalisation par rapport au traumatisme
2 Discuter des impacts potentiels des traumatismes dans le contexte de la parentalité (par exemple : crainte de répéter les traumatismes vécus) 4,50 0,65
7 Stimuler la motivation de la personne à demander de l'aide et à obtenir du soutien des services communautaires 4,36 0,74
10 Discuter des stratégies d'adaptation souvent adoptées par les personnes victimes de maltraitance pour se protéger des sentiments et souvenirs associés au traumatisme (par exemple : comportements d'évitement) et identifier comment les défis normaux associés à la parentalité sont susceptibles d'exacerber le recours à ces stratégies ou d'interférer avec elles 4,29 0,91
15 Favoriser la réflexion à propos des contextes potentiellement à risque pour la sécurité du parent et celle de son enfant 4,14 0,77
16 Favoriser la réflexion de la personne sur les besoins normaux d'un enfant qui n'ont pas été comblés dans son histoire personnelle et discuter de la façon dont ces besoins non comblés se manifestent aujourd'hui à travers les défis ordinaires de la parentalité (par exemple : difficulté à tolérer la dépendance de l’enfant ou, éventuellement, les moments où il se distancie du parent) 4,07 0,83
20 Identifier les différentes situations susceptibles de causer un traumatisme 3,79 1,12
21 Alimenter une discussion sur les impacts d'un traumatisme dans différentes sphères de fonctionnement (par exemple : impacts biologiques, émotions intenses, perceptions négatives de soi et des autres, sentiment d'insécurité) 3,79 1,12

Analyse

Notre étude avait pour but de consulter les fournisseurs de soins de santé et les organismes communautaires au sujet des actions à mettre en œuvre dans le cadre d’un programme prénatal de groupe conçu pour aider les adultes ayant subi des traumatismes durant leur enfance.

Ce projet de recherche a abouti à trois constatations principales. D’abord, nous avons recensé très peu d’interventions prénatales spécifiquement conçues pour les femmes et les hommes en attente d’un enfant et ayant été victimes d’abus et de négligence durant leur enfance, en dépit des conséquences intergénérationnelles à long terme associées à ces expériences traumatiquesNote de bas de page 39. Ensuite, nos résultats ont confirmé que les fournisseurs de soins de santé et les organismes communautaires sont d’avis que ce type d'intervention constituerait un complément important et utile aux services actuellement offerts aux victimes de maltraitance et aux futurs parents. Enfin, il s'avère indispensable de tenir compte du paradigme de la mentalisation lors de l’élaboration d’un tel programme d’accompagnement, en soutenant chez les participants à la fois la mentalisation par rapport à l’expérience de la parentalité et la mentalisation par rapport aux expériences traumatiques de l’enfance.

L’accent mis sur la mentalisation va dans le sens de la littérature clinique et empirique récente. Les interventions fondées sur la mentalisation incorporent diverses théories psychodynamiques, cognitives et neurodéveloppementalesNote de bas de page 47,Note de bas de page 48. Ces approches visent à renforcer la capacité des participants à envisager leurs comportements et ceux des autres (par exemple, de leur bébé) comme le reflet d’états mentaux. Bien que des preuves empiriques aient confirmé l’efficacité de ces interventions chez les adultes atteints de troubles psychologiques sévèresNote de bas de page 49 ainsi que chez les parents de jeunes enfantsNote de bas de page 50, elles n’ont pas encore été spécifiquement adaptées aux futurs parents ayant subi des traumatismes durant leur enfance. Pourtant, favoriser la mentalisation pourrait grandement contribuer à l’adaptation des parents ayant subi des traumatismes durant leur enfance, car on sait que, chez les femmes enceintes ayant été victimes d’abus durant leur enfance, la capacité à mentaliser est corrélée à l’engagement envers la parentalité et à la qualité de la relation conjugale durant la grossesseNote de bas de page 8 et permet de prédire la qualité de la relation d’attachement qui sera formée avec le bébé dans les années suivant sa naissanceNote de bas de page 22. Il demeure que soutenir l’essor de la mentalisation chez des parents n’ayant pas acquis cette habileté en raison de circonstances de vie traumatiques est complexe et nécessite des adaptations spécialesNote de bas de page 51.

Notre étude vient enrichir la littérature sur la création d’un cadre fondé sur des données empiriques et cliniques pour la prestation d’un programme d’accompagnement prénatal destiné aux futurs parents ayant été victimes d’abus ou de négligence durant leur enfance. Les actions retenues par les intervenants lors du processus Delphi diffèrent des interventions psychosociales prénatales actuellement offertes au Québec : la majorité des programmes offerts à la population générale ont pour but principal de fournir de l’information sur la grossesse, le développement de l’enfant et les soins de l’enfant. Ces programmes, qui reposent principalement sur diverses théories de l’apprentissage social, visent à accroître les connaissances, les compétences et la confiance des parents par des modèles de rôle, des exercices pratiques et de la rétroactionNote de bas de page 52.Plusieurs programmes prénataux ont été conçus pour les parents à risque, et bon nombre d’entre eux ont permis d’améliorer considérablement le fonctionnement parental et d’obtenir des résultats positifs chez les enfantsNote de bas de page 39,Note de bas de page 52,Note de bas de page 53,Note de bas de page 54.

Toutefois, à notre connaissance, rares sont les interventions qui ciblent les besoins particuliers des parents ayant subi des traumatismes, ou qui ont pour cadre conceptuel une théorie du traumatisme. Même les interventions auprès des parents visant à prévenir la maltraitance des enfants reposent rarement sur des théories des traumatismesNote de bas de page 55. Autrement dit, ces programmes ne prennent pas en considération les difficultés que les individus ayant grandi dans un milieu où leurs besoins ou leurs vulnérabilités ont été ignorés ou non respectés éprouvent lorsqu’ils deviennent parents ou prennent part à des interventions psychosociales.

Les services publics et communautaires offerts aux parents et aux enfants forment un espace institutionnel où plusieurs approches et points de vue coexistent, ce qui peut conduire à des contradictions dans les services offerts aux familles. La mise en place d’un nouveau modèle de services pour les futurs parents ayant subi des traumatismes doit tenir compte de ce facteur de complexité institutionnelle.

Limites

Notre étude a comporté certaines limites. D’abord, les priorités présentées correspondent aux points de vue des intervenants du secteur des soins de santé et des organismes communautaires et ne traduisent pas nécessairement ceux des adultes qui bénéficieront de ces programmes psychosociaux. C'est pour cela que notre équipe s’intéresse dans un deuxième temps aux points de vue des adultes ayant subi des traumatismes durant leur enfance et à leurs besoins spécifiques sur le plan des interventions prénatales. Ensuite, le panel de professionnels recrutés correspond à l'éventail de services actuellement offerts aux victimes d’abus et de négligence et aux personnes en attente d’un enfant dans la région où l’étude a été menée, ce qui fait qu’un panel recruté ailleurs aurait peut-être cerné d’autres priorités. Enfin, bien que la participation de 15 professionnels à ce processus constitue un succès considérable, ce nombre demeure relativement peu élevé.

Conclusion

À notre connaissance, cet article est le premier à énoncer un ensemble de priorités pour un programme d’accompagnement destiné à soutenir les futurs parents ayant subi des traumatismes durant leur enfance. Cet ensemble de priorités va constituer le cadre de référence de STEP, un programme d’intervention prénatale de groupe en cours de développement qui, une fois évalué et mis en œuvre, sera offert aux femmes et aux hommes ayant été victimes d’abus et de négligence durant leur enfance. Ce programme est susceptible de contribuer à favoriser la santé physique et mentale d'adultes ayant subi des traumatismes durant leur enfance et engagés dans la transition vers le rôle de parent, à soutenir le développement psychosocial des enfants et à interrompre les cycles intergénérationnels de maltraitance.

Remerciements

L’Agence de la santé publique du Canada a contribué financièrement à cette recherche.

Les auteurs souhaitent remercier tous les intervenants qui ont participé à la recherche, ainsi que Christine Drouin-Maziade (responsable du projet), Sylvie Moisan (coordonnatrice de la recherche), Aurélie Baker‑Lacharité (étudiante à la maîtrise) et Vanessa Bergeron (étudiante au doctorat) pour leur aide dans l’organisation de cette activité.

Conflits d’intérêts

Les auteurs déclarent n'avoir aucun conflit d’intérêts.

Contributions des auteurs et avis

NB a contribué à la planification et la conceptualisation de l’étude, à l’acquisition, l’analyse et l’interprétation des données et à la rédaction du manuscrit. RL a contribué à la planification et la conceptualisation de l’étude, à l’acquisition, l’analyse et l’interprétation des données et à la révision du manuscrit. CL a contribué à la planification et la conceptualisation de l’étude, à l’acquisition des données et à la révision du manuscrit.

Le contenu de cet article et les points de vue qui y sont exprimés n’engagent que les auteurs et ne correspondent pas nécessairement à ceux du gouvernement du Canada.

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