Recherche quantitative originale – Discrimination dans le système de soins de santé parmi les adultes au poids plus élevé : données issues d’une enquête transversale nationale canadienne

Neeru Gupta, Ph. D.Note de rattachement des auteurs 1; Andrea Bombak, Ph. D.Note de rattachement des auteurs 1; Ismael Foroughi, Ph. D.Note de rattachement des auteurs 1; Natalie Riediger, Ph. D.Note de rattachement des auteurs 2

https://doi.org/10.24095/hpcdp.40.11/12.01f

Cet article a fait l’objet d’une évaluation par les pairs.

Correspondance : Neeru Gupta, Département de sociologie, Université du Nouveau-Brunswick C.P. 4400, Fredericton (Nouveau-Brunswick)  E3B 5A3; tél. : 506-453-5177; courriel : ngupta@unb.ca.

Résumé

Introduction. La stigmatisation sociale liée au poids est corrélée à des résultats négatifs pour la santé. Les systèmes de soins de santé ne sont pas exempts de stigmatisation liée au poids, que ce soit des stéréotypes, des préjugés ou de la discrimination. Cette étude vise à examiner l’association entre la catégorie d’indice de masse corporelle (IMC) et le fait de subir ou non une discrimination dans un contexte de soins de santé.

Méthodologie. Nous avons utilisé les données de l’Enquête sur la santé dans les collectivités canadiennes de 2013, qui intègre pour la première fois à l’échelle nationale des mesures de la discrimination. Une analyse de régression logistique a été utilisée pour évaluer le risque de discrimination autodéclarée en matière de soins de santé chez les adultes (18 ans et plus) en fonction de différentes catégories de poids : non obèse (IMC inférieur à 30 kg/m2), obèse de classe I (IMC entre 30 et moins de 35 kg/m2) et obèse de classe II ou III (IMC de 35 kg/m2 ou plus).

Résultats. Un adulte sur 15 (6,4 %; intervalle de confiance [IC] à 95 % : 5,7 à 7,0 %) a déclaré avoir subi de la discrimination dans un établissement de soins de santé (cabinet de médecin, clinique, hôpital ou autre établissement). Par rapport aux personnes non obèses, le risque de discrimination dans des soins de santé était un peu plus élevé chez les personnes obèses de classe I (rapport de cotes [RC] = 1,20; IC à 95 % : 1,00 à 1,44) et significativement plus élevé parmi celles de classe II ou III (RC = 1,52; IC à 95 % : 1,21 à 1,91), après ajustement pour le sexe, l’âge et diverses caractéristiques socioéconomiques.

Conclusion. Les expériences quantifiées de discrimination liée au poids soulignent la nécessité de changer les attitudes et les pratiques des praticiens, ainsi que les politiques et les procédures des systèmes de soins de santé. Il est nécessaire d’approfondir la recherche sur les répercussions sociales et économiques de la stigmatisation liée au poids afin de guider des investissements ciblés visant à réduire la discrimination dans les systèmes de soins de santé, qui constituent des microcosmes de la société qu’ils reflètent.

Mots-clés : poids, obésité, stigmatisation sociale, discrimination sociale, déterminants sociaux de la santé, enquêtes de santé, attitude du personnel de santé

Points saillants

  • La stigmatisation liée au poids est corrélée à des résultats négatifs sur le plan de la santé physique et mentale.
  • D’après les données de la première enquête nationale représentative sur la discrimination quotidienne et médicale, 6,4 % des adultes canadiens ont été victimes de discrimination dans un établissement de soins de santé.
  • Les personnes au poids plus élevé étaient significativement plus nombreuses à signaler une discrimination en matière de soins de santé – après ajustement pour le sexe, le groupe de revenu et d’autres caractéristiques sociales et démographiques – que celles dont l’indice de masse corporelle se situait dans la catégorie des personnes non obèses.
  • D’autres recherches sont nécessaires pour éclairer les interventions visant à réduire la stigmatisation liée au poids dans les systèmes de soins de santé.

Introduction

Des publications, en nombre restreint mais en augmentation, semblent indiquer que la stigmatisation liée au poids est directement associée à des résultats physiologiques et psychologiques négatifsNote de bas de page 1. La stigmatisation et la discrimination ont un éventail d’effets qui peuvent entraîner des résultats négatifs pour la santé en créant et en renforçant les inégalités socialesNote de bas de page 2. Ces inégalités, à leur tour, limitent l’accès à diverses ressources et opportunitésNote de bas de page 2.

La stigmatisation dans le domaine des soins de santé nuit au diagnostic, au traitement et à l’atteinte d’une santé optimaleNote de bas de page 3. Les conséquences de la stigmatisation liée au poids peuvent se manifester sous forme d’évitement des soins médicaux, de méfiance à l’égard des prestataires de soins, de non-observance du traitement, de perturbation des comportements alimentaires, d’inactivité physique et d’une moins bonne santé mentaleNote de bas de page 4Note de bas de page 5Note de bas de page 6Note de bas de page 7Note de bas de page 8Note de bas de page 9. La stigmatisation liée au poids a été associée à de nombreux troubles cardiométaboliques, notamment l’athérosclérose, les maladies cardiovasculaires, le diabète et le stress biologiqueNote de bas de page 10Note de bas de page 11Note de bas de page 12Note de bas de page 13.

Une évaluation longitudinale réalisée aux États-Unis a associé la discrimination liée au poids à un risque accru de mortalité, après ajustement pour diverses affections et comportements fréquemment associésNote de bas de page 14. L’Organisation mondiale de la santé affirme que de nombreux individus et groupes sont victimes de discrimination dans les établissements de soins de santé en raison de leur sexe, de leur âge, de leur appartenance ethnique, de leur identité sexuelle, de leur vulnérabilité à la maladie ou d’autres caractéristiques, et que cette discrimination n’est pas le fait d’un milieu isoléNote de bas de page 15. Il est donc nécessaire de disposer d’une meilleure base de données probantes pour soutenir la responsabilisation et l’élaboration de politiques dans ce domaineNote de bas de page 15.

Les conséquences de la stigmatisation et de la discrimination sur la santé de la population et sur les inégalités en santé sont de plus en plus reconnues, au Canada comme ailleursNote de bas de page 16Note de bas de page 17Note de bas de page 18. Les données d’une enquête nationale auprès des ménages indiquent que la discrimination quotidienne persiste envers plusieurs groupes sociaux au CanadaNote de bas de page 19Note de bas de page 20. La discrimination est souvent reliée au sexe et à certaines caractéristiques physiques comme le poids, bien que les modèles empiriques intergroupes de mauvais traitements subtils chroniques ne suivent pas nécessairement la trajectoire de base de la théorie de la socialisationNote de bas de page 19Note de bas de page 20.

Plus spécifiquement, l’expression « stigmatisation liée au poids » est couramment utilisée dans la littératureNote de bas de page 21. Elle réfère aux « attitudes et croyances négatives liées au poids qui se manifestent par des stéréotypes, un rejet et des préjugés à l’égard des personnes en surpoids ou obèses » [traduction]Note de bas de page 22. Certaines études ont révélé qu’une proportion importante de cliniciens ont des préjugés sur les patients ayant un poids élevé, notamment qu’ils sont moins motivés, qu’ils ne se conforment pas aux consignes, qu’ils sont maladroits et qu’ils manquent de volontéNote de bas de page 23Note de bas de page 24Note de bas de page 25. Dans un échantillon de 400 médecins de famille exerçant au Canada, les réponses d’une proportion importante de répondants évoquent un biais lié au poids : 49 % étaient d’accord avec l’énoncé selon lequel « les personnes obèses augmentent la demande à l’égard du système de soins de santé public », 33 % ont déclaré qu’ils « se sentent souvent frustrés par les patients obèses », 28 % que « souvent les patients obèses ne respectent pas les recommandations de traitement », 19 % qu’ils « ressentent du dégoût lorsqu’ils traitent un patient obèse » et 17 % ont indiqué qu’ils « pensent parfois que les personnes obèses sont malhonnêtes »Note de bas de page 26.

Au Canada, la prévalence de la stigmatisation fondée sur le poids dans différents milieux est sous-explorée, malgré les effets pernicieux qu’elle génèreNote de bas de page 27. Notre étude vise à combler cette lacune dans les connaissances en évaluant l’association entre un poids plus élevé et la discrimination autodéclarée dans les soins de santé chez les femmes et les hommes au Canada.

Nous avons utilisé les renseignements provenant d’une collecte de données nationales sur la stigmatisation et la discrimination en tant que problème émergent de santé de la population afin de soutenir une promotion de la santé fondée sur des données probantes dans un contexte de couverture publique universelle des soins de santé. L’objectif est d’éclairer les actions stratégiques visant à renforcer la responsabilité et à réduire la stigmatisation dans le système de soins de santé en tant que microcosme de la société qu’il reflète.

Méthodologie

Plan d’étude

Nous avons analysé les données de l’Enquête sur la santé dans les collectivités canadiennes (ESCC) de 2013 et, plus précisément, de son module de réponse rapide sur la discrimination dans la vie de tous les jours. L’ESCC est une enquête transversale annuelle, administrée par Statistique Canada, qui recueille des renseignements sur les déterminants de la santé, l’état de santé et les soins de santé auprès d’un échantillon national représentatif de la population de 12 ans et plus résidant dans la collectivité. L’ESCC de 2013 intégrait un module spécifique permettant de saisir des données pour mesurer la discrimination, ce type de données n’ayant jamais été collecté auparavant à l’échelle nationaleNote de bas de page 28. L’échantillon initial du module « discrimination dans la vie de tous les jours » de l’ESCC était composé de 19 876 répondantsNote de bas de page 29 mais nous avons limité cet échantillon aux adultes âgés de 18 ans et plus ayant fourni des réponses valides à toutes les variables d’intérêt (n = 16 340).

Discrimination dans le domaine des soins de santé

Les répondants ont été interrogés sur leur perception en matière de discrimination dans leur vie de tous les jours et dans leurs expériences en lien avec les services de soins de santé. Des études antérieures ont montré que les mesures détaillées de discrimination perçue avaient une validité prédictive stableNote de bas de page 30. La variable de résultat pour cette analyse était fondée sur les réponses valides à la question « Avez-vous été moins bien servi que d’autres dans l’une ou l’autre des situations suivantes? » Les types d’établissements étaient les cabinets de médecin, les centres de santé communautaire, les cliniques sans rendez-vous, les services d’urgence d’hôpital et les autres services de soins de santéNote de bas de page 31. Nous avons mesuré nos résultats de manière dichotomique, c’est-à-dire selon si la personne interrogée avait déclaré ou non avoir reçu un service de moindre qualité dans un établissement de soins de santé physique.

Catégorie de poids

Notre variable indépendante principale est fondée sur la taille et le poids autodéclarés. Nous avons défini les catégories de poids à partir de l’indice de masse corporelle (IMC) calculé selon le cadre normalisé de Santé Canada pour la classification du poids : non obèse (IMC de moins de 30 kg/m2), obèse de classe I (IMC de 30 à moins de 35 kg/m2) et obèse de classe II ou III (IMC de 35 kg/m2 et plus). Les femmes qui étaient enceintes au moment de l’enquête ont été exclues.

Analyse statistique

Nous avons effectué une analyse de régression logistique multiple pour évaluer l’association indépendante entre catégorie de poids et stigmatisation dans les soins de santé, en ajustant les données pour tenir compte d’autres caractéristiques socio-économiques : le sexe (homme ou femme), le groupe d’âge (18-29 ans, 30-44 ans, 45-64 ans ou 65 ans et plus), l’état matrimonial (fait d’être marié ou en union de fait ou non), le niveau de scolarité (présence dans le ménage d’un membre ayant atteint un niveau d’études postsecondaires ou non) et le groupe de revenu. Nous avons dichotomisé la catégorie de revenu des individus en nous fondant sur le revenu annuel total du ménage toutes sources confondues : 0 à 29 999 $ pour la catégorie de revenu inférieur et 30 000 $ et plus pour la catégorie de revenu supérieurNote de bas de page 32.

Des poids d’enquête pondérés en utilisant la méthode bootstrap ont été appliqués aux statistiques descriptives pour assurer la représentativité de la population tout en tenant compte du plan d’échantillonnage complexe de l’ESCC. Des algorithmes d’arrondi ont été appliqués à certains effectifs pour respecter les protocoles de confidentialité des données. Pour faciliter l’interprétation des résultats du modèle logistique, les coefficients ont été convertis en rapports de cotes (RC) avec des intervalles de confiance (IC) à 95 % (a = 0,05) à l’aide du logiciel statistique STATA version 15 (StataCorp LP, College Station, Texas, États-Unis).

Nous avons accédé aux microdonnées confidentielles de l’enquête utilisées dans cette analyse par le biais de l’environnement sécurisé du Centre de données de recherche (CDR) de Statistique Canada à l’Université du Nouveau-Brunswick à Fredericton (Canada). L’étude est conforme aux principes du comité d’éthique de la recherche de l’Université du Nouveau-Brunswick, qui n’exige pas d’examen interne pour les projets de recherche utilisant des données accessibles par l’intermédiaire du CDR, conformément à l’Énoncé de politique des trois conseils : Éthique de la recherche avec des êtres humainsNote de bas de page 33.

Résultats

D’après les données de l’ESCC, 32,7 % (IC à 95 % : 31,0 à 34,5 %) des adultes ont déclaré avoir été victimes de discrimination dans leur vie de tous les jours et 6,4 % (IC à 95 % : 5,7 à 7,0 %) ont déclaré avoir été victimes de discrimination dans un établissement de soins de santé. Le nombre de personnes ayant signalé une discrimination en contexte de soins de santé est représentatif de 1 616 700 (IC à 95 % : 1 453 400 à 1 780 000) Canadiens. Parmi ces personnes, 29 % (IC à 95 % : 24 à 33 %) ont fait état d’un service de santé de moindre qualité, sans pour autant déclarer une discrimination dans la vie de tous les jours au cours de l’année précédente.

Un adulte sur cinq (19,4 %) a été classé comme obèse : 13,5 % (IC à 95 % : 12,6 à 14,4 %) dans la classe I d’obésité et 5,9 % (5,4 à 6,5 %) dans la classe II ou III (tableau 1 ). Reflet du vieillissement de la population, l’échantillon comptait davantage d’adultes de 45 ans et plus (54,8 %; IC à 95 % : 54,2 à 55,4 %) que d’adultes de 18 à 44 ans (45,2 %; IC à 95 % : 44,3 à 46,0 %). Quinze pour cent des répondants (15,7 %; IC à 95 % : 14,8 à 16,6 %) relevaient de la fourchette des revenus des ménages les plus faibles (moins de 30 000 $ par an).

Tableau 1. Répartition en pourcentage de la population de 18 ans et plus selon certaines caractéristiques

Tableau  1. Répartition en pourcentage de la population de 18 ans et plus selon certaines caractéristiques
Caractéristique Répartition (%) IC à 95 %
Expérience de discrimination dans un milieu de soins de santé.
Oui 6,4 5,7 à 7,0
Non 93,6 92,7 à 94,6
Catégorie de poids
Non obèse 80,6 79,5 à 81,7
Obésité de classe I 13,5 12,6 à 14,4
Obésité de classe II ou III 5,9 5,4 à 6,5
Sexe
Homme 50,2 49,8 à 50,7
Femme 49,8 49,2 à 50,3
Groupe d’âge (ans)
18 à 29 19,7 19,2 à 20,1
30 à 44 25,5 25,1 à 25,9
45 à 64 36,0 35,6 à 36,4
65 et plus 18,8 18,6 à 19,0
Niveau de scolarité le plus élevé du ménage
Diplôme d’études secondaires ou moins 18,8 17,9 à 19,8
Études postsecondaires 81,2 80,0 à 82,3
État matrimonial
Pas actuellement marié ou en union de fait 36,7 35,5 à 37,9
Marié ou en union de fait 63,3 62,0 à 64,6
Groupe de revenu du ménage ($)
0 à 29 999 15,7 14,8 à 16,6
30 000 et plus 84,3 83,2 à 85,5

Les résultats de la régression logistique multiple ont montré que, par rapport aux personnes considérées comme non obèses d’après leur IMC, la probabilité de déclarer une discrimination dans un établissement de soins de santé était un peu plus élevée chez les personnes présentant une obésité de classe I (RC = 1,20, IC à 95 % : 1,00 à 1,44, p = 0,05) et significativement plus élevée chez les personnes présentant une obésité de classe II ou III (RC = 1,52, IC à 95 % : 1,21 à 1,91, p < 0,05), après ajustement pour certaines caractéristiques sociodémographiques (tableau 2 ).

Tableau 2. Rapports de cotes ajustés (avec intervalles de confiance à 95 %) de la régression logistique multiple pour le risque de discrimination perçue par l’individu en contexte de soins de santé

Tableau 2. Rapports de cotes ajustés (avec intervalles de confiance à 95 %) de la régression logistique multiple pour le risque de discrimination perçue par l’individu en contexte de soins de santé
Caractéristique Rapport de cotes IC à 95 % Valeur p
Catégorie de poids
Non obèse (réf.) 1,00
Obésité de classe I 1,20 1,00 à 1,44 0,05
Obésité de classe II ou III 1,52Note * de tableau 2 1,21 à 1,91 < 0,001
Sexe
Homme (réf.) 1,00
Femme 1,48Note * de tableau 2 1,29 à 1,70 < 0,001
Groupe d’âge (ans)
18 à 29 (réf.) 1,00
30 à 44 0,97 0,79 à 1,20 0,83
45 à 64 0,72Note * de tableau 2 0,59 à 0,88 0,001
65 et plus 0,48Note * de tableau 2 0,38 à 0,59 < 0,001
Niveau de scolarité le plus élevé du ménage
Diplôme d’études secondaires ou moins 0,79Note * de tableau 2 0,67 à 0,93 0,007
Études postsecondaires (réf.) 1,00
État matrimonial
Pas actuellement marié ou en union de fait 1,18Note * de tableau 2 1,03 à 1,38 0,02
Marié ou en union de fait (réf.) 1,00
Groupe de revenu du ménage ($)
0 à 29 999 1,69Note * de tableau 2 1,44 à 2,00 < 0,001
30 000 et plus (réf.) 1,00

Toutes choses étant égales par ailleurs, les femmes avaient une probabilité significativement plus élevée que les hommes de signaler une discrimination dans les soins de santé (RC = 1,48, IC à 95 % : 1,29 à 1,70, p < 0,05). Les personnes non mariées ou ne vivant pas en union de fait avaient plus de chances de signaler une discrimination dans le contexte des soins de santé que celles qui étaient mariées (RC = 1,18, IC à 95 % : 1,03 à 1,38, p < 0,05). La probabilité de déclarer avoir subi une discrimination était plus forte chez les personnes appartenant au groupe des ménages aux revenus les plus faibles que chez celles aux revenus plus élevés (RC = 1,69, IC à 95 % : 1,44 à 2,00, p < 0,05). Les personnes de 45 ans et plus étaient moins susceptibles de signaler une discrimination dans les soins de santé que celles de 18 à 29 ans. La probabilité de signalement d’une discrimination était plus élevée chez les personnes vivant dans un ménage où le plus haut niveau de scolarité était un diplôme d’études secondaires ou moins que chez celles vivant dans un ménage où le niveau de scolarité était supérieur.

Analyse

La nécessité de prêter attention aux conséquences des biais systémiques liés au poids figure de plus en plus parmi les recommandations stratégiques et les pratiques formulées sous l’angle de la promotion, de l’équité et des déterminants sociaux en santéNote de bas de page 34.

Notre étude est, à notre connaissance, la première enquête nationale visant à quantifier les expériences de discrimination en matière de soins de santé parmi les personnes de poids plus élevé en utilisant des données représentatives de la population canadienne. Une proportion non négligeable (6,4 %) d’adultes ont déclaré avoir subi de la discrimination dans un établissement de soins de santé. Par rapport aux personnes non obèses, le risque de discrimination dans les soins de santé approchait de la signification statistique chez les personnes obèses de classe I (RC = 1,20, IC à 95 % : 1,00 à 1,44, p = 0,05) et était significativement plus élevé chez les personnes obèses de classe II ou III (RC = 1,52, IC à 95 % : 1,21 à 1,91, p < 0,05), après ajustement pour certaines caractéristiques sociodémographiques.

On a constaté que le fait d’être un homme protège de manière indépendante du risque de subir une discrimination dans un cadre de soins de santé. Des études antérieures ont montré que la discrimination perçue en matière de poids, y compris en contexte de soins de santé, était plus répandue chez les femmes que chez les hommesNote de bas de page 35Note de bas de page 36. Le fait d’appartenir au groupe des ménages aux revenus supérieurs était associé à un risque significativement plus faible de discrimination en contexte de soins de santé, tandis que le fait d’appartenir à un ménage ayant un niveau de scolarité plus élevé était associé à un risque significativement plus élevé. Ces modèles potentiellement contradictoires d’expériences discriminatoires autodéclarées en fonction de la mesure du statut socio-économique examinée peuvent refléter, d’une part, une sous-déclaration due à un biais de minimisation (manque de sensibilisation) et, d’autre part, une surdéclaration due à un biais de vigilance (attention accrue portée au statut d’identité sociale)Note de bas de page 19.

Ces résultats soulignent la nécessité de changer les attitudes et les pratiques des praticiens susceptibles d’être préjudiciables à la santé. Un adulte canadien sur 15 déclare avoir subi de la discrimination dans un établissement de soins de santé, un indicateur qui suggère des formes plus manifestes de discrimination que les mesures globales de discriminationNote de bas de page 20. Pourtant, le biais lié au poids est un problème négligé dans l’éducation et la formation des professionnels de la santéNote de bas de page 37. Malgré l’importance cruciale d’une relation prestataire-patient efficace pour obtenir des résultats positifs, on dispose de peu de données empiriques sur les façons de valoriser la confiance et de gérer le déséquilibre des pouvoirsNote de bas de page 38.

Des recherches supplémentaires sont nécessaires pour lutter contre les attitudes négatives que les professionnels de la santé peuvent avoir à l’égard des patients présentant un poids élevé et contre les causes sous-jacentes de la stigmatisation liée au poids, car peu de stratégies d’intervention se sont avérées particulièrement efficaces à ce jourNote de bas de page 39Note de bas de page 40. Une étude qualitative des interventions visant à réduire la stigmatisation privilégiait une meilleure éducation concernant l’étiologie de l’ampleur du corps, la difficulté à perdre du poids et la fausseté des stéréotypes courants basés sur le poidsNote de bas de page 22. Les interventions appropriées doivent aller au-delà des questions de contrôlabilité du poids et doivent s’attaquer à la valeur négative associée à l’embonpoint, comme les présupposés et les jugements injustifiés concernant l’état de santé ou l’attrait des personnes au poids élevéNote de bas de page 37Note de bas de page 40. Au fur et à mesure que la science de l’intervention contre la stigmatisation liée au poids se développe, pour garantir des effets durables et perceptibles, les stratégies d’éducation contre la stigmatisation doivent être renforcées par une législation contre la discrimination liée au poids, par des politiques de lutte contre l’intimidation et par un changement de cultureNote de bas de page 41. Dans cette optique, la promotion de termes neutres tels que « poids plus élevé » dans la promotion de la santé, la recherche et la communication entre le prestataire de soins et le patient compte parmi les stratégies fondées sur des données probantes favorisant un dialogue sûr et respectueux, en vue d’éliminer les attitudes et les pratiques stigmatisantes à l’égard du poids dans les soins de santéNote de bas de page 42Note de bas de page 43Note de bas de page 44.

Forces et limites

La nature représentative des données à l’échelle nationale constitue un des points forts de notre étude. Quoiqu’il soit impossible de déterminer l’ampleur « réelle » de la discrimination, celle-ci pouvant être sous-déclarée dans une enquête, les données enregistrées font état de différences entre les membres de la société canadienne dans leurs jugements portés sur les traitements disparatesNote de bas de page 20.

Parmi les limites, citons la taille relativement faible de l’échantillon du module de réponse rapide de l’ESCC, qui n’a pas été conçu pour produire des estimations de haute qualité à des niveaux détaillésNote de bas de page 29, ce qui nous a empêché de faire des associations entre certains milieux de soins de santé précis (comme un service d’urgence d’un hôpital par rapport à un cabinet de médecin) ou entre provinces. En particulier, nous n’avons pas pu conserver la puissance statistique nécessaire pour étudier de manière exhaustive d’autres caractéristiques individuelles susceptibles de recouper l’identité sociale fondée sur le poids, telles que l’ethnicité, l’identité autochtone, le statut vis à vis de l’immigration, le type d’emploi, la racialisation, la langue, l’identité sexuelle, le handicap physique ou l’état de santé mentale.

En raison de la nature transversale des données, aucune causalité ne peut être établie. Il est possible, par exemple, que les expériences passées de discrimination des individus aient conduit à des changements dans leur poids et leur IMCNote de bas de page 1Note de bas de page 8. S’il a été établi que l’utilisation de données sur le poids autodéclarées fournit une sous-estimation de l’IMC par rapport au poids mesuré, ces déclarations erronées sont statistiquement prévisibles et n’entraînent pas forcément de biais exagéré dans les études visant à estimer les effets de l’IMC sur les résultats liés à la santé (comme, dans le cas présent, sur la stigmatisation liée au poids)Note de bas de page 45. Enfin, si l’IMC est une mesure utile à recueillir dans les enquêtes nationales sur les ménages, il reste un moyen imprécis d’évaluer le risque de morbidité ou de mortalitéNote de bas de page 46Note de bas de page 47.

Conclusion

La quantification des expériences de stigmatisation et de discrimination dans les établissements de soins de santé en rapport avec un poids plus élevé et d’autres caractéristiques individuelles constitue une condition préalable importante à l’élaboration et à la mise en œuvre d’interventions permettant d’améliorer la santé de la population et l’équité du système de soins de santé, plus particulièrement en contexte canadien de couverture publique universelle des soins de santé. La stigmatisation liée au poids est susceptible d’être exacerbée avec la pandémie de COVID-19, les médias et les médias sociaux s’intéressant particulièrement à la prise de poids pendant les périodes de confinementNote de bas de page 48. Les consultations internationales ont mis en évidence les préoccupations des personnes ayant un poids plus élevé quant à l’impact de la surveillance pendant l’alimentation, l’exercice physique et l’achat d’aliments à l’épicerie et quant à la stigmatisation par les professionnels de la santé comme obstacle négatif et durable à l’accès aux soinsNote de bas de page 48.

À la base des investissements consacrés à la réduction de la stigmatisation liée aux soins de santé, il faut des mesures normalisées de la stigmatisation et une évaluation rigoureuseNote de bas de page 3. Les résultats de notre recherche, qui ont révélé la présence structurelle de stigmatisation liée au poids dans la prestation des services de santé, devraient contribuer à soutenir des décisions fondées sur des données probantes ciblant le niveau individuel, afin de changer les attitudes et les pratiques des praticiens, et le niveau structurel, afin de modifier les politiques et les procédures qui guident la prestation des soins dans le contexte de l’ensemble du système de santé.

Remerciements

L’analyse des données pour cette étude a été réalisée au Centre de données de recherche du Nouveau-Brunswick (CDRNB), qui fait partie du Réseau canadien des centres de données de recherche (RCCDR). Les services et activités offerts par le CRDNB sont rendus possibles grâce à l’appui financier ou en nature du Conseil de recherches en sciences humaines, des Instituts de recherche en santé du Canada, de la Fondation canadienne pour l’innovation, de Statistique Canada et de l’Université du Nouveau-Brunswick. Une partie de ces résultats a été présentée lors de la Conférence nationale du RCCDR 2019 (24 et 25 octobre 2019, Halifax, Canada).

Conflits d’intérêts

Les auteurs déclarent n’avoir aucun conflit d’intérêts.

Contribution des auteurs et avis

NG, AB, IF et NR ont contribué à la conception des travaux et à l’interprétation des données. NG a procédé à l’acquisition de données. IF a procédé à l’analyse formelle des données. NG et AB ont préparé la première ébauche du manuscrit. Tous les auteurs ont procédé à un examen critique de la version finale.

Le contenu de cet article et les points de vue qui y sont exprimés n’engagent que les auteures et ne correspondent pas nécessairement à ceux du gouvernement du Canada.

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