Recherche quantitative originale – Établissement d’une base de référence : description des intoxications au cannabis dans un hôpital pédiatrique canadien avant la légalisation de la consommation de cannabis à des fins récréatives

Phoebe Cheng, B. Sc.Note de rattachement des auteurs 1; Atousa Zargaran, B. Sc.Note de rattachement des auteurs 1; Fahra Rajabali, M. Sc.Note de rattachement des auteurs 2; Kate Turcotte, M. Sc.Note de rattachement des auteurs 2; Shelina Babul, Ph. D.Note de rattachement des auteurs 1Note de rattachement des auteurs 2Note de rattachement des auteurs 3Note de rattachement des auteurs 4

https://doi.org/10.24095/hpcdp.40.5/6.08f

Cet article a fait l’objet d’une évaluation par les pairs.

Correspondance : Atousa Zargaran, F508, 4480, rue Oak, Vancouver (C.-B.) V6H 3V4; tél. : 604 875-3044; courriel : atousa.zargaran@cw.bc.ca

Résumé

Introduction. Cette étude décrit les événements et les circonstances à l’origine des admissions de jeunes de 16 ans et moins au service des urgences d’un hôpital pédiatrique canadien pour une intoxication au cannabis.

Méthodologie. Nous avons extrait de la base de données du Système canadien hospitalier d’information et de recherche en prévention des traumatismes (SCHIRPT) les cas d’intoxication au cannabis ayant été traités au service des urgences de l’Hôpital pour enfants de la Colombie-Britannique (HECB) entre le 1er janvier 2016 et le 31 décembre 2018. Nous avons examiné le système électronique d’information sur la santé de l’hôpital ainsi que le dossier médical des patients pour obtenir plus de renseignements sur le contexte des cas, notamment les caractéristiques spatiales et temporelles.

Résultats. Des 911 cas d’intoxication traités à l’HECB, 114 étaient liés à la consommation intentionnelle de cannabis (12,5 %). Moins de 10 concernaient des enfants ayant ingéré du cannabis par inadvertance, avec un âge médian pour ces cas de 3 ans. Toutes les ingestions accidentelles sont survenues à la maison et, dans tous les cas, le cannabis appartenait à un membre de la famille du patient. La vaste majorité des intoxications étaient dues à une consommation intentionnelle soit de cannabis seul (28,9 %) soit de cannabis avec d’autres substances psychoactives (co-ingestion, 71,1 %). L’âge médian des patients était de 15 ans. La plupart des patients ont déclaré avoir consommé le cannabis par inhalation et en groupe. Les intoxications au cannabis seul et au cannabis co-ingéré avec d’autres substances étaient plus fréquentes les jours de semaine que les fins de semaine. Dans la plupart des cas d’intoxication au cannabis, le cannabis avait été consommé dans une résidence privée. La majorité des victimes d’intoxication au cannabis ont obtenu des soins médicaux par elles-mêmes ou ont été aidées par leur famille.

Conclusion. Les caractéristiques des cas d’intoxication pédiatrique au cannabis portent sur les trois ans précédant la légalisation de la consommation de cannabis à des fins récréatives au Canada, de manière à établir une base de référence pour des comparaisons futures. Nous abordons aussi la question de l’amélioration des initiatives et des politiques de prévention à la lumière de ces résultats.

Mots-clés : cannabis, marijuana, consommation de substances, intoxication, enfant, adolescent, prévention des méfaits

Points saillants

  • Peu d’intoxications pédiatriques étaient dues à une ingestion accidentelle de cannabis et, dans ces cas, le patient avait consommé du cannabis trouvé à la maison.
  • La vaste majorité des intoxications pédiatriques au cannabis sont survenues à la suite d’une consommation intentionnelle. Dans ces cas, l’intoxication découlait plus souvent d’une co-ingestion de cannabis et d’alcool que d’une consommation de cannabis seul.
  • Le cannabis était généralement consommé intentionnellement en groupe et dans une résidence privée.
  • Les intoxications au cannabis seul et au cannabis co-ingéré avec d’autres substances étaient plus nombreuses les jours de semaine que les fins de semaine.
  • La majorité des patients victimes d’intoxication au cannabis ont consulté un médecin d’eux-mêmes ou avec l’aide de leur famille plutôt que de demander l’aide d’un témoin.

Introduction

Après l’alcool, le cannabis est une des substances psychoactives illicites les plus couramment consommées par les enfantsNote de bas de page 1Note de bas de page 2. Malgré l’existence de lois et de règlements qui limitent l’accès au cannabis aux adultes âgés de 18 ans et plus, environ un élève sur cinq de la 7e à la 12e année au Canada a déclaré avoir déjà consommé du cannabis, d’après une enquête menée en 2015Note de bas de page 3. L’âge moyen du début de consommation de cannabis se situait autour de 14 ans et la plupart des élèves ont déclaré être confiants en leurs moyens à se procurer du cannabisNote de bas de page 3Note de bas de page 4.

Consommé avec modération, le cannabis peut procurer un sentiment d’euphorieNote de bas de page 5, mais chez un utilisateur non expérimenté, il peut avoir des conséquences fâcheuses. Les enfants sont spécialement vulnérables à une intoxication au cannabis en raison de leur métabolisme et de leur faible poidsNote de bas de page 6Note de bas de page 7. Les autres facteurs pouvant contribuer à une intoxication au cannabis sont une inexpérience en matière d’usage de substances psychoactivesNote de bas de page 8, des substances provenant de sources non autoriséesNote de bas de page 9, une co-ingestion avec des stimulants, des opioïdes ou des hallucinogènesNote de bas de page 10Note de bas de page 11 et une méconnaissance des comportements permettant de réduire les méfaitsNote de bas de page 12. Les signes les plus courants d’une intoxication au cannabis sont les vomissements, les étourdissements, les difficultés d’élocution et l’altération de l’état de conscienceNote de bas de page 13Note de bas de page 14Note de bas de page 15. En général, ces symptômes peuvent être traités au service des urgences et leur danger à long terme est faible ou nulNote de bas de page 13.

Selon l’Institut canadien d’information sur la santé, environ 40 % des 23 580 Canadiens âgés de 10 à 24 ans hospitalisés à cause de méfaits liés à la consommation de substances en 2017-2018 l’ont été après avoir consommé du cannabis, ce qui équivaut à 25 jeunes hospitalisés par jour en raison d’une consommation de cannabisNote de bas de page 16. Les individus intoxiqués au cannabis se répartissent en deux groupes : ceux relevant d’une ingestion accidentelle et ceux relevant d’une consommation intentionnelle. Les ingestions accidentelles touchent principalement de jeunes enfants, qui sont exposés au cannabis par inadvertance à la maisonNote de bas de page 17Note de bas de page 18Note de bas de page 19. Les victimes d’intoxication découlant d’une consommation intentionnelle de cannabis sont quant à elles généralement plus âgées, et principalement de sexe masculinNote de bas de page 20. La recherche sur les répercussions des intoxications au cannabis sur la santé continue à porter principalement sur les adultes. On en sait comparativement moins sur les méfaits de l’exposition au cannabis chez les enfants, sans compter que la plupart des études s’intéressant aux enfants portent sur les ingestions accidentellesNote de bas de page 21Note de bas de page 22Note de bas de page 23. Les méfaits liés au cannabis chez les enfants et les jeunes qui consomment intentionnellement du cannabis sont extrêmement difficiles à définir en raison de l’interdiction liée au caractère illicite de cette consommation chez les mineursNote de bas de page 24. C’est pourquoi peu de recherches ont pu être menées sur les intoxications dues à la consommation intentionnelle de cannabis chez les enfants. On ne connaît donc pas les conditions dans lesquelles les enfants qui consomment intentionnellement du cannabis courent le plus grand risque d’intoxication (comment, où, quand, avec quelle substance).

Notre étude, menée dans le contexte de la légalisation imminente de la consommation de cannabis à des fins récréatives au Canada en octobre 2018Note de bas de page 24, visait à examiner les circonstances des intoxications au cannabis chez les enfants de 16 ans et moins ayant nécessité une visite à un service des urgences, de manière à établir un ensemble de données de référence pour de futures comparaisons. Ces données portent sur les caractéristiques spatiales et temporelles de la consommation de cannabis à l’origine de l’intoxication ainsi que sur les personnes responsables d’aider les victimes d’intoxication à obtenir des soins médicaux. L’échantillon était constitué d’enfants traités au service des urgences d’un hôpital pédiatrique en Colombie-Britannique entre le 1er janvier 2016 et le 31 décembre 2018. L’approbation éthique pour cette étude a été obtenue auprès de l’Université de la Colombie-Britannique (UBC), du Children’s & Women’s Health Centre of British Columbia et du Comité d’éthique de la recherche (numéro de certificat H18-03680).

Méthodologie

Collecte et extraction des données

Nous avons extrait de la base de données du Système canadien hospitalier d’information et de recherche en prévention des traumatismes (SCHIRPT) les données concernant les visites au service des urgences de l’Hôpital pour enfants de la Colombie-Britannique (HECB) pour une intoxication au cannabis. Le SCHIRPT est un système de surveillance des services des urgences qui compile des renseignements sur toutes les blessures, dont les intoxications, par l’entremise de formulaires distribués par les commis du bureau d’enregistrement des services des urgences aux patients ou aux soignants . Dans les cas où ni le patient ni le soignant n’a été en mesure de remplir le formulaire du SCHIRPT, le coordonnateur du SCHIRPT remplit le formulaire avec les renseignements figurant dans le système électronique d’information sur la santé de l’hôpital et dans le dossier médical du patient. Dans ce but, il passe en revue quotidiennement ou quasi quotidiennement toutes les visites aux services des urgences pour s’assurer que toutes les blessures sont décrites de façon détaillée et exacte.

À partir des données enregistrées dans la base de données du SCHIRPT, nous avons sélectionné les cas d’intoxication correspondant aux critères suivants : patient âgé de 16 ans ou moins; blessure ayant reçu le code 50NI (intoxication ou effet toxique) ou 900BP (partie du corps non requise); visite au service des urgences à l’HECB entre le 1er janvier 2016 et le 31 décembre 2018 et enfin description de l’événement à l’origine de la blessure comportant un ou plusieurs des termes suivants : « cannabis », « hash », « CBD », « marijuana », « weed » [herbe], « THC », « bong » [pipe à eau] et « edible » [comestible]. Pour nous assurer que tous les cas d’intoxication au cannabis avaient été saisis, nous avons revu toutes les descriptions d’événements rattachés à une intoxication pour les dossiers qui n’avaient pas déjà été saisis. Nous avons ainsi extrait de la base de données du SCHIRPT l’âge et le sexe du patient, la description de l’événement à l’origine de l’intoxication, le moment et le lieu de l’intoxication, les substances consommées et l’état du patient. Nous avons obtenu à partir du dossier médical des patients et du système électronique d’information sur la santé de l’hôpital les variables suivantes : intoxication due à une ingestion accidentelle ou à une consommation intentionnelle; lieu de consommation de la substance ou des substances; présence ou non d’autres personnes au moment de la consommation de la substance ou des substances (consommation de substances en groupe); consommation concomitante ou non d’alcool, de drogues illicites (incluant le fentanyl et ses dérivés, l’héroïne, la cocaïne, la méthamphétamine, la méthylènedioxyméthamphétamine, la psilocybine et le LSD/acide) ou de médicaments (dont des médicaments d’ordonnance ou en vente libre utilisés à des fins autres que leurs fins médicales prévues) avec le cannabis; personne principale ayant demandé des soins médicaux pour le patient et enfin mode d’arrivée à l’hôpital. Le mode de consommation de cannabis a été défini comme « inhalé » ou « ingéré ».

Fiabilité inter-évaluateurs

Nous avons calculé la fiabilité inter-évaluateurs en appliquant le test du kappa de Cohen aux variables concernant la consommation de substances en groupe et la personne ayant demandé des soins médicaux, car ces renseignements n’étaient pas mentionnés dans tous les cas. En ce qui concerne la consommation de substances en groupe, nous avons demandé à deux codeurs d’attribuer le code « oui » aux personnes ayant consommé du cannabis en compagnie d’une ou plusieurs personnes avant leur intoxication et « non » aux personnes qui avaient consommé la substance seules. Pour ce qui est de la personne ayant demandé des soins médicaux, les codeurs avaient pour instruction d’attribuer à chaque cas un des codes suivants : « témoin », « patient » ou « membre de la famille ou ami ». Un témoin était défini comme une personne qui n’avait pas participé à la consommation de la substance avec le patient et qui n’était pas un membre de la famille ou un ami. La définition de membre de la famille englobait toute personne appartenant à la famille nucléaire ou élargie du patient. Le quart des cas d’intoxication dont les variables étaient codées ont été sélectionnés aléatoirement en vue d’une comparaison. La fiabilité inter-évaluateurs était κ = 0,796 (erreur type = 0,090, p < 0,001) pour la consommation de substances en groupe et κ = 0,755 (erreur type = 0,088, p < 0,001) pour la personne ayant demandé des soins médicaux.

Analyses de données

Les données ont été analysées à l’aide des logiciels SPSS Statistics d’IBM (version 25.0; IBM Corp, Armonk, NY, É.-U.) et RStudio (version 1.2.1335; R Development Core Team, Vienne, Autriche). Nous avons analysé séparément les données concernant les cas d’ingestion accidentelle et celles concernant les cas de consommation intentionnelle. L’ensemble des cas d’intoxication découlant d’une ingestion accidentelle de cannabis ont été regroupés en raison de leur faible nombre. Les intoxications dues à une consommation intentionnelle ont été analysées séparément selon si elles impliquaient du cannabis seul ou également d’autres substances. Dans les cas de co-ingestion, le patient avait consommé du cannabis avec de l’alcool, des drogues illicites ou des médicaments. Nous avons produit des statistiques descriptives et réalisé des tests du χ2 à l’aide du logiciel SPSS, et nous avons réalisé les analyses post-hoc en appliquant des corrections en fonction du taux de fausses découvertes à l’aide du progiciel R Companion de RStudio (Mangiafico S, R Companion, version 2.3.21)Note de bas de page 25; les résultats ont été jugés significatifs avec p < 0,05.

Résultats

Entre le 1er janvier 2016 et le 31 décembre 2018, 114 visites au service des urgences ont eu lieu pour une intoxication au cannabis, soit 12,5 % des 911 visites au service des urgences de l’HECB pour une intoxication. Moins de 10 patients ont déclaré une ingestion accidentelle de cannabis.

Ingestions accidentelles de cannabis ayant provoqué une intoxication

Bien que les patients traités pour une intoxication découlant d’une ingestion accidentelle de cannabis aient été peu nombreux, ils avaient en commun un certain nombre de circonstances et d’événements ayant mené à leur visite au service des urgences de l’HECB. Cet échantillon était principalement constitué de garçons de 1 à 11 ans. L’âge médian était de 3 ans (écart interquartile [EI] = 1 à 7,5 ans). La plupart des ingestions accidentelles étaient survenues durant la fin de semaine (samedi ou dimanche) alors que le patient était à la maison. Les produits ingérés par inadvertance étaient des produits comestibles, des produits topiques et des cigarettes de cannabis non jetées. Tous les produits en cause appartenaient à un parent, à un frère ou à une sœur du patient. Les patients ont été transportés à l’HECB par leurs parents ou par les services de santé d’urgence. Dans la plupart des cas, les symptômes d’intoxication ont pu être traités au service des urgences sans que le patient doive être hospitalisé.

Caractéristiques des victimes d’intoxication au cannabis à la suite d’une utilisation intentionnelle

Des 114 patients à avoir déclaré une utilisation intentionnelle, 28,9 % avaient consommé uniquement du cannabis et 71,1 % avaient aussi ingéré de l’alcool, des drogues illicites ou des médicaments (tableau 1). L’âge médian des patients était de 15 ans (EI : 14 à 15 ans dans les cas de consommation de cannabis seul, 14 à 16 ans dans les cas de co-ingestion) et la plage des valeurs variait entre 12 et 16. Le sexe du patient ne variait pas de façon significative d’un groupe à l’autre (p = 0,293). Le nombre de cas d’intoxication au cannabis seul était sensiblement équivalent chez les deux sexes, alors que les cas de co-ingestion étaient légèrement plus nombreux chez les garçons que chez les filles. La majorité des intoxications ont été décrites comme accidentelles, et ne constituaient donc pas des automutilations. La plupart des patients ont obtenu leur congé directement du service des urgences.

Tableau 1. Caractéristiques des patients traités au service des urgences de l’Hôpital pour enfants de la Colombie-Britannique pour une intoxication découlant de l’ingestion intentionnelle de cannabis ou de la co-ingestion de cannabis et d’autres substances, SCHIRPT, janvier 2016 à décembre 2018

Tableau 1. Caractéristiques des patients traités au service des urgences de l’Hôpital pour enfants de la Colombie-Britannique pour une intoxication découlant de l’ingestion intentionnelle de cannabis ou de la co-ingestion de cannabis et d’autres substances, SCHIRPT, janvier 2016 à décembre 2018
Variables descriptives Substance consommée χ2 ddl valeur p
Cannabis seul Co-ingestion
n % n %
33 28,9 81 71,1
Âge médian en années (EI) 15 (14 à 15) 15 (14 à 16)
Sexe
Masculin 16 48,5 48 59,3 1,11 1 0,293
Féminin 17 51,5 33 40,7
Intention d’intoxication
Accidentelle 45 97,8 59 86,8
Automutilation intentionnelle * * 6 8,8
Autre intention * * * *
Mesures prises
Aucun traitement (conseils seulement, tests diagnostiques, aiguillage vers un omnipraticien) 7 21,2 19 23,5
Traitement, avec ou sans suivi 7 21,2 27 33,3
Observation, avec ou sans suivi 16 48,5 26 32,1
Admission à l’hôpital en vue d’un traitement * * 8 9,9
Autre traitement * * * *

Répartition temporelle des consommations intentionnelles de cannabis à l’origine d’une intoxication

À échelle de temps réduite, les visites au service des urgences liées à une intoxication étaient particulièrement fréquentes à certaines heures (p = 0,003) et certains jours de la semaine (p = 0,014) (tableau 2). Les analyses post-hoc indiquent que la fréquence des intoxications au cannabis seul et au cannabis co-ingéré avec d’autres substances était la même en soirée et le matin (p = 0,535), mais que les intoxications au cannabis ont été déclarées en plus grand nombre l’après-midi que le matin (p = 0,013) alors que les cas d’intoxication au cannabis co-ingéré avec d’autres substances ont pour leur part été déclarés plus souvent en soirée que l’après-midi (p = 0,013) (données non présentées). Tant les intoxications au cannabis seul que les intoxications au cannabis co-ingéré avec d’autres substances étaient plus nombreuses les jours de semaine que les fins de semaine (respectivement 90,9 % et 69,1 %).

Tableau 2. Répartition temporelle des cas d’intoxication au cannabis ou au cannabis co-ingéré avec d’autres substances traités au service des urgences de l’Hôpital pour enfants de la Colombie-Britannique, SCHIRPT, janvier 2016 à décembre 2018

Tableau 2. Répartition temporelle des cas d’intoxication au cannabis ou au cannabis co-ingéré avec d’autres substances traités au service des urgences de l’Hôpital pour enfants de la Colombie-Britannique, SCHIRPT, janvier 2016 à décembre 2018
Variables descriptives Substance consommée χ2 ddl valeur p
Cannabis seul Co-ingestion
n % n %
33 28,9 81 71,1
Moment de la journée
Matin * * 19 23,5 11,86 2 0,003
Après-midi 15 45,5 13 16,0
Soirée 14 42,4 47 58,0
Non précisé * * * *
Moment de la semaine
Jour de semaine 30 90,9 56 69,1 6,00 1 0,014
Fin de semaine * 9,1 25 30,9
Saison
Printemps 5 15,2 23 28,4 7,76 3 0,051
Été 10 30,3 18 22,2
Automne 8 24,2 30 37,0
Hiver 10 30,3 10 12,3
Année
2016 8 24,2 27 33,3 1,20 2 0,549
2017 10 30,3 25 30,9
2018 15 45,5 29 35,8

Caractéristiques des cas de consommation intentionnelle de cannabis ayant provoqué une intoxication

Les caractéristiques communes à la consommation de cannabis ayant provoqué une intoxication sont présentées dans le tableau 3. La plupart des victimes d’intoxication au cannabis seul ou au cannabis co-ingéré avec d’autres substances ont déclaré avoir utilisé des accessoires d’inhalation (feuilles d’enveloppe, bong [pipe à eau], joint, pipe ou vaporisateur) pour consommer leur cannabis. Moins de 15 patients ont déclaré avoir utilisé des produits comestibles (ingestion de brownies, de biscuits, de chocolats ou de bonbons gélifiés) et moins de 10 ont déclaré avoir eu recours à plusieurs modes de consommation. L’alcool a été la substance la plus souvent consommée (59,3 %) par les patients qui ont déclaré avoir co-ingéré d’autres substances avec le cannabis, suivi de l’alcool en concomitance avec des drogues illicites (12,3 %) puis des drogues illicites (11,1 %) (données non présentées). Moins de 5 patients ont déclaré avoir consommé du cannabis avec des médicaments, ou du cannabis avec des drogues illicites et des médicaments. Indépendamment du mode de consommation de cannabis, plus de la moitié des victimes d’intoxication au cannabis ou au cannabis co-ingéré avec d’autres substances ont déclaré avoir consommé ces substances en groupe (respectivement 54,5 % et 60,5 %).

Tableau 3. Caractéristiques des intoxications au cannabis et au cannabis co-ingéré avec d’autres substances découlant d’une ingestion intentionnelle, dossier médical des patients et système électronique d’information sur la santé de l’Hôpital pour enfants de la Colombie-Britannique, janvier 2016 à décembre 2018

Tableau 3. Caractéristiques des intoxications au cannabis et au cannabis co-ingéré avec d’autres substances découlant d’une ingestion intentionnelle, dossier médical des patients et système électronique d’information sur la santé de l’Hôpital pour enfants de la Colombie-Britannique, janvier 2016 à décembre 2018
Caractéristiques Substance consommée χ 2 ddl valeur p
Cannabis seul Co-ingestion
n % n %
33 28,9 81 71,1
Mode de consommation du cannabis
Inhalation 23 69,7 65 80,2
Ingestion 10 30,3 * *
Multiples * * * *
Non précisé * * 12 14,8
Consommation en groupe
Non 11 33,3 13 16,0 2,93 1 0,087
Oui 18 54,5 49 60,5
Non précisée * * 19 23,5
Lieu de la consommation
Résidence privée 11 33,3 20 24,7 3,29 2 0,193
Autre lieu privé 6 18,2 * *
Espace public * * 12 14,8
Non précisé 12 36,4 45 55,6
Lieu de l’intoxication
Résidence privée 13 39,4 31 38,3 9,91 2 0,007
Autre lieu privé 9 15,2 7 8,6
Espace public 5 15,2 31 38,3
Non précisé 6 18,2 12 14,8
Personne à la recherche de soins
Témoin * * 32 39,5 9,14 2 0,010
Patient 8 24,2 9 11,1
Membre de la famille ou ami 15 45,4 28 34,5
Non précisée 6 18,2 9 14,8
Mode d’arrivée au service des urgences
Système de santé d’urgence 23 69,7 72 88,9
Membre de la famille 7 21,2 5 6,2
Autre mode d’arrivée * * * *
Non précisé * * * *

Si le tiers des intoxications au cannabis seul et au cannabis co-ingéré avec d’autres substances sont survenues dans des résidences privées, comme le domicile du patient, il demeure que plus du tiers des victimes d’intoxication au cannabis et de la moitié des victimes d’intoxication au cannabis co-ingéré avec d’autres substances n’ont pas indiqué le lieu de consommation. À l’instar de la consommation de cannabis elle-même, les intoxications sont généralement survenues dans des résidences privées (cannabis seul : 39,4 %; cannabis co-ingéré avec d’autres substances : 38,3 %) et, dans le cas des victimes d’intoxication au cannabis co-ingéré avec d’autres substances, dans des espaces publics (38,3 %). Cinq victimes d’intoxication au cannabis ont déclaré que l’intoxication était survenue dans un espace public.

Près de la moitié (45,4 %) des intoxications au cannabis seul ont été signalées par un membre de la famille ou un ami du patient, alors que les intoxications au cannabis co-ingéré avec d’autres substances ont été le plus souvent signalées par un témoin (39,5 %) ainsi que par un membre de la famille ou un ami du patient (34,5 %). Les services de santé d’urgence, que ce soit les services d’ambulance terrestre ou aérienne, ont constitué le principal mode de transport au service des urgences pour tous les cas d’intoxication (cannabis seul : 69,7 %, cannabis co-ingéré avec d’autres substances : 88,9 %).

Analyse

Notre étude décrit les événements et les circonstances qui ont précédé le traitement d’enfants et de jeunes âgés de 16 ans et moins dans le service des urgences d’un hôpital pédiatrique canadien. Ce faisant, elle établit des données de référence sur les intoxications pédiatriques au cannabis traitées au service des urgences, qu’elles soient dues à l’ingestion accidentelle de cannabis ou à la consommation intentionnelle de cannabis, et ce, avant la légalisation de la consommation de cannabis à des fins récréatives au Canada. Malgré la petite taille de notre échantillon, l’inclusion des enfants intoxiqués après avoir ingéré du cannabis par inadvertance se révèle essentielle pour brosser le portrait complet des cas d’intoxication au cannabis traités au service des urgences. À la suite de recherches précédentes, notre étude montre que tous les produits de cannabis ingérés par inadvertance par des enfants, que ce soit des produits comestibles ou des produits d’inhalation, appartenaient à un membre de la famille et que les intoxications étaient principalement survenues durant la fin de semaine au domicile du patientNote de bas de page 17Note de bas de page 18. On sait que les produits comestibles constituent une forme de cannabis particulièrement dangereuse pour les enfants en raison de leur aspect attrayant de bonbons et de friandisesNote de bas de page 23, mais notre étude a fait ressortir l’importance de bien entreposer l’ensemble des produits de cannabis dans un lieu sûr hors de la portée des jeunes enfants. Il est extrêmement important de continuer à surveiller les ingestions accidentelles de cannabis chez les enfants afin de pouvoir orienter les mesures de promotion de la santé, les politiques et les efforts de prévention à la suite de la légalisation des produits comestibles, des produits topiques et des extraits de cannabis au Canada en octobre 2019Note de bas de page 26.

Outre l’intérêt accordé aux ingestions accidentelles, notre étude a porté sur les patients pédiatriques traités au service des urgences pour une intoxication découlant d’une consommation intentionnelle de cannabis – seul ou avec d’autres substances. La plupart des intoxications sont survenues un jour de semaine et découlaient d’une inhalation de cannabis. Par ailleurs, la plupart des patients ont déclaré avoir consommé ces substances en groupe et dans une résidence privée. Combinées au fait que la plupart de ces intoxications étaient accidentelles et nécessitaient un traitement de courte durée au service des urgences, ces tendances pourraient nous indiquer que la cause en est une connaissance insuffisante des méthodes de réduction des méfaits liés à l’usage du cannabis. Des recherches antérieures ont montré que les enfants et les jeunes canadiens qui consomment du cannabis tendent à minimiser les méfaits liés à son usage comparativement à ceux qui ne consomment pas de cannabisNote de bas de page 3Note de bas de page 4. Lorsque ce manque de connaissance est combiné à l’achat de cannabis de qualité variable sur le marché clandestin, le risque d’effets indésirables s’en trouve grandement accruNote de bas de page 27. Depuis la légalisation de la consommation de cannabis à des fins récréatives, il est plus important que jamais d’éduquer les enfants sur les risques liés au cannabis et sur les comportements permettant d’en réduire les méfaits.

Bien que le manque de connaissance des patients au sujet de leur tolérance au cannabis puisse avoir été à l’origine d’un certain nombre d’intoxications pédiatriques, il importe de souligner que le service des urgences a traité deux fois plus d’intoxications au cannabis co-ingéré avec d’autres substances que d’intoxications au cannabis seul. L’alcool a été la substance la plus souvent consommée dans les cas d’intoxication au cannabis co-ingéré avec d’autres substances. De nombreuses études ont examiné la pratique répandue chez les étudiants consistant à mélanger cannabis et alcool afin d’accélérer et de prolonger le sentiment d’euphorieNote de bas de page 28Note de bas de page 29. Les études in vivo ont confirmé l’impact de l’alcool sur la concentration croissante de THC dans le sangNote de bas de page 30. Notre étude a élargi la portée de ces observations en déterminant la proportion des intoxications au cannabis seul traitées au service des urgences par rapport aux intoxications au cannabis co-ingéré avec d’autres substances. Ces renseignements constituent un point de départ pour les discussions sur les manières dont les politiques gouvernementales peuvent dissuader les enfants de faire usage de cannabis avec d’autres substances.

Les autres thèmes clés que nous avons examinés étaient l’identité de la personne ayant demandé des soins médicaux pour le patient intoxiqué ainsi que le lieu où se trouvait le patient lorsque l’intoxication a été constatée. Ce cadre, qui a été grandement utilisé pour étudier les interventions face aux surdoses dans le contexte de la crise des opioïdesNote de bas de page 31Note de bas de page 32Note de bas de page 33, a produit des données utiles pour les intervenants d’urgence concernant les lieux et les moments où les surdoses étaient les plus susceptibles de se produire. Dans notre étude, le nombre de victimes d’intoxication au cannabis seul à s’être rendues seules au service des urgences de l’HECB ou à avoir reçu de l’aide d’un membre de la famille ou d’un ami était plus élevé que le nombre de victimes à avoir reçu de l’aide d’un témoin. Cela concorde avec l’observation selon laquelle la consommation de cannabis seul et les intoxications qui en découlent ont généralement lieu dans des résidences privées plutôt que dans des espaces publics. Inversement, les victimes d’intoxication au cannabis co-ingéré avec d’autres substances ont pour la plupart été conduites à l’hôpital par un témoin. Comme ces intoxications surviennent généralement dans les espaces publics, il est possible que les personnes qui en sont victimes se fassent davantage remarquer par des témoins que les personnes intoxiquées dans un lieu isolé comme une résidence privée. D’autres études sont nécessaires pour cerner les facteurs individuels et les décisions qui amènent un témoin, un membre de la famille ou un ami à intervenir en présence d’une personne intoxiquée au cannabis. Nos résultats portent à croire qu’il pourrait être utile d’éduquer le public sur les actions à poser s’ils constatent qu’un enfant est victime d’intoxication, ce qui pourrait conduire les témoins à offrir davantage leur aide en cas de besoin.

Points forts et limites

À ce jour, seuls quelques articles ont fourni un portrait des blessures chez les enfants canadiens victimes d’intoxication à la suite d’une consommation accidentelle ou intentionnelle de cannabis et peu d’études ont tenté d’analyser le dossier médical des patients pour mieux comprendre les circonstances précédant et suivant les intoxications. Notre étude, en s’appuyant sur plusieurs sources de données (à savoir le SCHIRPT, le système électronique d’information sur la santé de l’hôpital et le dossier médical des patients), a permis de décrire une population grandement négligée dans la littérature et de contextualiser les circonstances des intoxications au cannabis chez les enfants canadiens avant la légalisation de la consommation de cannabis à des fins récréatives. La prochaine étape consistera à poursuivre la surveillance des intoxications pédiatriques au cannabis afin de mesurer l’influence de la légalisation sur les intoxications au cannabis à l’origine des visites des enfants aux services des urgences.

La principale limite de cette étude est l’utilisation de données autodéclarées par les patients, les soignants, les services de santé d’urgence et le personnel du service des urgences au sujet des circonstances des intoxications. Les données le plus souvent manquantes étaient celles concernant le lieu de consommation, le lieu d’intoxication et la personne ayant demandé des soins médicaux.

Par ailleurs, aucunes variables socioéconomiques (comme l’origine ethnique, le niveau de scolarité et le revenu du ménage) et aucuns détails sur la consommation de cannabis (notamment la source du cannabis, la souche de cannabis et la fréquence de consommation) n’étaient disponibles. Notre échantillon, limité à un hôpital en Colombie-Britannique, est représentatif d’une faible proportion des enfants canadiens traités, ce qui fait que les résultats ne sont pas généralisables à l’ensemble des patients de 17 ans et plus, aux enfants dont le décès a été constaté sur le lieu de l’intoxication, aux populations rurales ou aux résidents des autres provinces et territoires du Canada.

Conclusion

La vaste majorité des victimes d’intoxication au cannabis examinées au service des urgences étaient des patients âgés de 12 à 16 ans qui avaient consommé intentionnellement du cannabis avec d’autres substances psychoactives. Notre étude, qui fournit des données de référence concernant les intoxications pédiatriques au cannabis traitées au service des urgences, montre la nécessité d’exercer une surveillance après la légalisation pour orienter les futurs efforts de prévention.

Remerciements

Les auteures souhaitent remercier l’Agence de la santé publique du Canada pour le financement nécessaire à la réalisation de cette recherche, les membres de l’équipe du SCHIRPT de l’HECB pour la collecte des données et le BC Injury Research and Prevention Unit pour son appui et ses conseils.

Conflits d’intérêts

Les auteures déclarent n’avoir aucun conflit d’intérêts.

Contributions des auteures et avis

AZ et SB ont conçu le plan et les objectifs de l’étude. AZ et PC ont dirigé la collecte de données. PC a analysé et interprété les résultats et rédigé l’ébauche du manuscrit. FR a aidé à l’analyse et à l’interprétation du manuscrit. KT a appuyé la demande d’approbation éthique. PC, FR, KT et SB ont contribué à l’examen et à la révision du manuscrit. Toutes les auteures ont lu et approuvé la version finale du manuscrit.

Le contenu de l’article et les points de vue qui y sont exprimés n’engagent que les auteures et ne correspondent pas nécessairement à ceux du gouvernement du Canada.

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