Recherche quantitative originale – Les caractéristiques démographiques et socioéconomiques sous-tendent-elles les différences d’initiation à l’usage du tabac chez les jeunes entre les provinces canadiennes? Données probantes tirées de l’Enquête sur la santé dans les collectivités canadiennes (2015-2018)

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Table des matières |

Thierry Gagné, Ph. D.Note de rattachement des auteurs 1Note de rattachement des auteurs 2; Annie Pelekanakis, M. Sc.Note de rattachement des auteurs 3Note de rattachement des auteurs 4; Jennifer L. O’Loughlin, Ph. D.Note de rattachement des auteurs 3Note de rattachement des auteurs 4

https://doi.org/10.24095/hpcdp.42.11/12.01f

Cet article a fait l’objet d’une évaluation par les pairs.

Rattachement des auteurs
Correspondance

Jennifer O’Loughlin, Département de médecine sociale et préventive, Université de Montréal, 7101, avenue du Parc, Montréal (Québec)  H3N 1X9; tél. : 514-890-8000 poste 15858; courriel : jennifer.oloughlin@umontreal.ca.

Citation proposée

Gagné T, Pelekanakis A, O’Loughlin JL. Les caractéristiques démographiques et socioéconomiques sous-tendent-elles les différences d’initiation à l’usage du tabac chez les jeunes entre les provinces canadiennes? Données probantes tirées de l’Enquête sur la santé dans les collectivités canadiennes (2015-2018). Promotion de la santé et prévention des maladies chroniques au Canada. 2022;42(11/12):515-524. https://doi.org/10.24095/hpcdp.42.11/12.01f

Résumé

Introduction. L’initiation à l’usage du tabac chez les jeunes peut créer des différences de prévalence du tabagisme entre les provinces canadiennes. On sait que les différences provinciales en matière d’initiation sont liées aux stratégies de lutte contre le tabagisme et au financement de la santé publique, mais elles ont également été attribuées aux caractéristiques de la population. Nous mettons cette hypothèse à l’épreuve en évaluant dans quelle mesure sept caractéristiques (immigration, langue, structure familiale, niveau d’études, revenu, accession à la propriété et statut d’étudiant) expliquent les différences d’initiation entre les provinces.

Méthodologie. Nous avons utilisé les données de 16 897 jeunes de 12 à 17 ans recueillies de 2015 à 2018 dans le cadre de l’Enquête sur la santé dans les collectivités canadiennes. Pour évaluer la proportion des différences provinciales expliquées par les caractéristiques de la population, nous avons comparé les effets marginaux moyens (EMM) partiellement et entièrement ajustés à partir de régressions du statut « avoir déjà été initié à l’usage du tabac » selon la province et d’autres caractéristiques. Nous avons également testé les interactions pour évaluer les différences dans l’association entre les caractéristiques de la population et l’initiation entre les provinces.

Résultats. La prévalence du statut d’initiation variait entre 4 % en Colombie-Britannique et 10 % au Québec. Les facteurs suivants ont été associés à l’initiation : le fait d’être né au Canada, de parler français, de ne pas vivre dans un ménage biparental, de se trouver dans le quintile de revenu du ménage le plus bas, d’avoir des parents sans études postsecondaires, de vivre dans un logement loué et de ne pas fréquenter l’école. Compte tenu de ces résultats, l’EMM de la résidence dans une autre province par rapport au Québec a été atténué de 3 % à 9 %. La structure familiale et le revenu du ménage étaient plus fortement associés à l’initiation dans la région de l’Atlantique et au Manitoba, mais pas au Québec.

Conclusion. Il est peu probable que les différences d’initiation entre le Québec et les autres provinces s’expliquent majoritairement par la composition démographique ou socioéconomique. La redéfinition des priorités en matière de lutte contre le tabagisme et de financement de la santé publique sera probablement essentielle pour atteindre l’objectif ultime de cessation du tabac dans toutes les provinces.

Mots-clés : Canada, jeunesse, initiation à l’usage du tabac, facteurs socioéconomiques, Enquête sur la santé dans les collectivités canadiennes

Points saillants

  • Les taux d’initiation à l’usage du tabac varient considérablement d’une province canadienne à l’autre et sont plus élevés au Québec.
  • L’initiation est fortement associée aux caractéristiques démographiques (comme l’immigration) et socioéconomiques (comme le revenu du ménage).
  • Toutefois, les différences entre ces caractéristiques expliquent moins de 10 % des différences entre le Québec et les autres provinces en matière d’initiation.
  • L’absence d’explication fondée sur la composition démographique et socioéconomique souligne la nécessité d’une stratégie nationale coordonnée.

Introduction

Dans la plupart des pays, le tabagisme est fortement réparti spatialement, avec des différences potentiellement attribuables au contexte (législation antitabac et son application) et à la composition (caractéristiques des habitants). Au Canada, le Québec a toujours affiché l’un des taux les plus élevés de tabagisme au sein des 10 provinces canadiennes. Entre 2001 et 2019, la prévalence est passée de 30 % à 17 % au Québec, tout en demeurant plus élevée que dans la plupart des autres provinces canadiennes (Colombie-Britannique : 21 % à 11 %; Ontario : 25 % à 14 %)Note de bas de page 1. Davantage de Canadiens s’initiant à la cigarette le font après l’âge de 18 ansNote de bas de page 2. Cependant, une étude portant sur les taux d’initiation et de renoncement au sein de différents groupes d’âge depuis le milieu des années 2000 indique que la prévalence plus élevée au Québec serait attribuable en partie à un taux d’initiation plus élevé chez les jeunes de 12 à 17 ans. Bien que le pourcentage de jeunes ayant fumé une première cigarette dans ce groupe d’âge ait diminué à un rythme semblable dans les provinces au cours de la dernière décennie, il est demeuré constamment plus élevé au Québec (par exemple, pour l’initiation pendant la dernière année : 5 % au Québec comparativement à 3 % dans le reste du Canada en 2017-2018)Note de bas de page 3.

Plusieurs mécanismes pourraient étayer ces différences persistantes entre provinces en matière d’initiation. Les politiques de lutte contre le tabagisme, en particulier l’âge minimum pour l’accès légal, les taux de taxation du tabac et l’application adéquate de la loi, sont probablement déterminantes. Selon la réglementation fédérale, l’âge légal minimal pour acheter du tabac au Canada (y compris au Québec) est de 18 ans, bien que l’Ontario, la Colombie-Britannique et plusieurs provinces de l’Atlantique aient porté l’âge minimal à 19 ans et que l’Île-du-Prince-Édouard l’ait porté à 21 ans en 2020Note de bas de page 4. Ces chiffres sont pertinents pour l’initiation chez les jeunes, car le fait de porter l’âge minimum à plus de 18 ans limite le nombre de jeunes adultes auprès desquels les mineurs peuvent avoir accès aux cigarettesNote de bas de page 5. Les taux de taxation du tabac sont à leur plus bas au Québec depuis des décennies, en partie parce qu’ils ont été réduits dans les années 1990 en réponse au lobbying contre la taxation et à cause de craintes concernant l’augmentation des activités de contrebandeNote de bas de page 6. Bien que les hausses de taxes aient été relativement faibles dans les provinces au cours des 15 dernières années, des différences persistantes à cet égard pourraient accroître les taux d’initiation, car les cigarettes moins chères sont plus accessibles aux jeunesNote de bas de page 7Note de bas de page 8Note de bas de page 9. En ce qui concerne l’application de la loi, bien qu’il soit interdit de vendre ou de fournir des cigarettes à des mineurs partout au Canada, la proportion d’adolescents qui achètent des cigarettes en magasin est plus élevée au Québec que dans les autres provinces. En 2010-2011, 36 % des élèves du secondaire qui fumaient ont déclaré avoir acheté des cigarettes dans des magasins au Québec, comparativement à 16 % en Colombie-Britannique et à 20 % en OntarioNote de bas de page 10. Les politiques sans fumée dans les espaces publics et privés, la réglementation des cigarettes électroniques et les dépenses de santé publique en général sont d’autres différences pertinentes. En 2019, le Québec se classait à l’avant-dernier rang pour ce qui est de la proportion des dépenses de santé consacrées à la santé publique parmi l’ensemble des provincesNote de bas de page 11.

Les différences dans les taux d’initiation entre provinces peuvent également être liées aux caractéristiques sous-jacentes de la population. En 1997, Wharry a fait allusion aux différences de langue et de culture, soulignant l’échec de la santé publique à adapter ses efforts de lutte contre le tabagisme aux francophones majoritaires de la provinceNote de bas de page 12. La mesure dans laquelle ces explications sont pertinentes au cours des dernières années n’est pas claire. Dans une étude utilisant les données de 2016, on a constaté que les fumeurs adultes au Québec appuyaient davantage les mesures législatives antitabac que dans les autres provincesNote de bas de page 13.

Une deuxième explication historique tient compte des facteurs socioéconomiques. En 1998, Aubin et Caouette ont établi que la prévalence plus élevée du tabagisme au Québec était liée à ses niveaux de revenu inférieurs par rapport aux autres provincesNote de bas de page 14. Comme dans de nombreux pays occidentaux, des inégalités relatives au tabagisme ont été relevées chez les Canadiens en fonction du niveau de scolarité, de la profession et du revenuNote de bas de page 15Note de bas de page 16Note de bas de page 17. À l’appui des inégalités en matière d’initiation, une étude a révélé qu’entre 1999 et 2011, l’initiation antérieure à l’usage du tabac chez les 20 à 24 ans était systématiquement plus fréquente chez celles qui n’avaient pas de diplôme d’études secondairesNote de bas de page 17. Parmi les données récentes qui appuient cette hypothèse, le Québec a affiché le deuxième revenu médian des ménages le plus faible parmi les provinces et le plus haut taux de décrochage au secondaire chez les hommesNote de bas de page 18Note de bas de page 19.

Au-delà des différences dans les politiques de lutte contre le tabagisme, les facteurs de risque qui expliqueraient les différences d’initiation entre les provinces peuvent donc inclure des facteurs culturels (immigration, langue, etc.), la situation des parents (famille biparentale, emploi parental, etc.) et le cheminement scolaire des adolescentsNote de bas de page 20.

Bien que des études antérieures aient examiné le rôle des caractéristiques de la population afin d’expliquer les différences dans le tabagisme chez les adultes entre les administrations au Canada et dans d’autres pays, aucune étude à ce jour ne l’a fait au sujet de l’initiation chez des jeunes dans les provinces canadiennes. Chahine et ses collaborateurs, explorant la variation du tabagisme chez les adultes à différentes échelles géographiques aux États-Unis, ont constaté que neuf caractéristiques (l’âge, le sexe, le niveau d’études, le revenu du ménage, l’emploi et la profession, l’immigration, l’origine ethnique, l’état matrimonial et la taille du ménage) expliquent 41 % de la variation du tabagisme au niveau des ÉtatsNote de bas de page 21. À l’aide d’une méthode similaire, Corsi et ses collaborateurs ont constaté qu’un ensemble semblable de caractéristiques expliquait 21 % de la variation du tabagisme entre les provinces canadiennesNote de bas de page 22. Beard et ses collaborateurs ont analysé la contribution de l’âge, du sexe, de l’origine ethnique et du statut socioéconomique aux différences sur le plan du tabagisme dans les régions administratives du gouvernement en Angleterre et ont constaté que l’ampleur des différences expliquées par ces facteurs variait entre les paires de comparaison : les différences entre les régions du « Sud-Ouest » et les trois régions les plus au nord (Nord-Ouest, Nord-Est et Yorkshire et Humber) ont été complètement atténuées lorsqu’on tenait compte de ces caractéristiques, tandis que les différences entre le Sud-Ouest et la région du Grand Londres n’ont pas du tout été atténuéesNote de bas de page 23. Ils ont également constaté que le lien entre ces caractéristiques et le tabagisme variait considérablement d’une région à l’autre (les inégalités socioéconomiques liées au tabagisme étaient par exemple plus importantes dans le nord de l’Angleterre que dans le reste du pays). Cela suggère que les différences concernant la prévalence des caractéristiques de la population et la force de leur association avec le tabagisme devraient être toutes deux prises en compte dans l’analyse des différences entre provinces.

Objectifs

Le but de cette étude était de quantifier la contribution des caractéristiques de la population aux différences dans l’initiation à l’usage du tabac chez les jeunes entre la province canadienne ayant la plus forte prévalence d’initiation (le Québec) et les autres provinces, en utilisant les données d’un ensemble de données national représentatif des jeunes de 12 à 17 ans, recueillies entre 2015 et 2018. Les objectifs précis étaient de 1) décrire la répartition des caractéristiques de la population (immigration, langue, famille biparentale, revenu du ménage, niveau d’études du ménage, accession à la propriété et statut d’étudiant) associées à l’initiation dans l’ensemble des provinces, 2) déterminer dans quelle mesure les différences d’initiation entre le Québec et les autres provinces varient en fonction des différences de fréquence de ces caractéristiques et 3) vérifier si les associations entre les caractéristiques de la population et l’initiation varient entre le Québec et les autres provinces (évaluer si la modification des effets dans ces associations contribue à expliquer les différences en matière d’initiation).

Méthodologie

Données

Nous avons utilisé les données de quatre cycles annuels (2015-2018) des fichiers de microdonnées à grande diffusion (FMGD) de l’Enquête sur la santé dans les collectivités canadiennes (ESCC). L’ESCC est la plus importante enquête transversale répétée sur la santé au Canada. Elle recueille chaque année des données sur l’état de santé, l’utilisation des soins de santé et les déterminants de la santé de la population canadienne. Elle comprend un vaste échantillon conçu pour rassembler 10 000 jeunes de 12 à 17 ans chaque année et a été conçue pour permettre des estimations fiables au niveau de la région sociosanitaire (unités géographiques au sein des provinces) tous les deux ans. La proportion de réponses sur deux ans à l’échelle nationale était de 60 % en 2015-2016 et de 61 % en 2017-2018. Au total, 16 897 jeunes de 12 à 17 ans ont été recrutés dans les 10 provinces entre 2015 et 2018.

Statistique Canada diffuse des poids d’enquête et des poids bootstrap pour garantir des estimations représentatives de la population canadienne qui tiennent compte du plan d’échantillonnage de l’ESCC. Une description détaillée de la méthodologie d’échantillonnage est disponible ailleursNote de bas de page 24.

Conformément à l’Énoncé de politique des trois conseils canadiens de 2014, cette étude n’a pas nécessité d’examen éthique puisque les données sont légalement accessibles au public et sont adéquatement protégées par la loi.

Variables

Nous avons utilisé le fait d’« avoir déjà fumé une cigarette entière » (oui, non) comme indicateur de l’initiation. La définition a été construite ainsi : 1) auto-identification comme fumeur à la question « Actuellement, fumez-vous des cigarettes tous les jours, à l’occasion ou jamais? », 2) si la réponse était « jamais », avoir répondu par l’affirmative à la question « Avez-vous fumé plus de 100 cigarettes (environ quatre paquets) au cours de votre vie? » (oui, non) et 3) si ce n’était pas le cas, avoir répondu par l’affirmative à la question « Avez-vous déjà fumé une cigarette entière? » (oui, non).

Les caractéristiques de la population ont été définies selon sept variables, soit 1) l’immigration, 2) la langue, 3) la structure familiale, 4) le revenu du ménage, 5) le niveau d’études du ménage, 6) l’accession à la propriété et 7) le statut d’étudiant. Statistique Canada a codé le « statut vis-à-vis de l’immigration » en fonction du pays de naissance (né au Canada, pas né au Canada). La « langue » a été codée en fonction de la langue parlée le plus souvent à la maison (anglais, français, autre). Afin d’augmenter la taille des cellules dans l’ensemble des provinces, nous avons inclus dans la catégorie du français les répondants qui ont déclaré parler français et anglais à la maison. La « structure familiale » était fondée sur des données décrivant la nature de la relation entre les répondants et les autres membres du ménage d’après un questionnaire de schématisation du ménage (vit avec les deux parents, vit avec un parent, autre). La grande majorité (88 %) des jeunes de la catégorie « autre » correspondait à des jeunes vivant avec un ou deux parents et d’autres personnes qui ne sont pas leurs frères et sœurs. Il peut s’agir de grands-parents et d’autres membres de la famille, de personnes ne faisant pas partie de la famille, de partenaires ou d’enfants des participants.

Le « niveau d’études du ménage » repose sur le plus haut niveau de scolarité atteint chez les membres du ménage (études secondaires ou moins, études postsecondaires terminées). Les systèmes d’éducation varient d’une province à l’autre, et le Québec a un grade postsecondaire unique entre l’école secondaire et l’université (collège d’enseignement général et professionnel ou cégep). L’ESCC ne diffuse pas de données sur le niveau de scolarité des autres membres du ménage, ce qui nous empêche de faire la distinction entre les parents qui ont un grade universitaire ou un diplôme d’études postsecondaires inférieur. Statistique Canada a codé le « revenu du ménage » en utilisant des données sur le revenu, la taille du ménage et la taille de la collectivité dans un classement par décile qui représente une mesure relative du revenu du ménage par rapport aux autres ménages à l’échelle nationale (vivre dans un ménage du quintile de revenu le plus bas, ne pas vivre dans un ménage du quintile de revenu le plus bas). « L’accession à la propriété » a été mesuré en demandant si le logement appartenait à un membre du ménage (même si ce dernier le paye encore) ou s’il était loué (même si aucun loyer en espèces n’était payé) (propriétaire, locataire).

Le « statut d’étudiant » était fondé sur les éléments suivants : « Au cours de la semaine dernière, est-ce que votre activité principale était de travailler à un emploi rémunéré ou à votre propre compte, de chercher un emploi rémunéré, d’étudier, de vous occuper des enfants, d’effectuer des travaux ménagers, d’être à la retraite ou autre chose ? » et « Fréquentez-vous actuellement une école, un collège, un cégep ou une université? » (fréquente l’école, ne fréquente pas l’école). Les fichiers à grande diffusion de l’ESCC codent tous les répondants de 12 à 14 ans en tant qu’élèves fréquentant l’école, à titre de mesure de contrôle de la divulgation. La nature des variables est détaillée dans la documentation supplémentaire.

Les modèles ont également pris en compte le groupe d’âge (12 à 14 ans, 15 à 17 ans), le sexe (garçon, fille) et le cycle (2015-2016, 2017-2018).

Analyse statistique

Pour vérifier dans quelle mesure l’initiation et les caractéristiques de la population variaient chez les jeunes de 12 à 17 ans entre les provinces, nous avons d’abord décrit les estimations de prévalence dans l’échantillon complet et dans les provinces. Pour assurer une taille de cellule suffisante, nous avons regroupé les quatre provinces du Nouveau-Brunswick, de la Nouvelle-Écosse, de l’Île-du-Prince-Édouard et de Terre-Neuve-et-Labrador en une seule catégorie « Atlantique » (voir les tailles des échantillons dans la documentation supplémentaire).

Pour vérifier dans quelle mesure les caractéristiques de la population étaient liées à l’initiation, nous avons rendu compte de l’initiation en fonction des diverses catégories de caractéristiques de la population et des ratios de prévalence (RP) non ajustés en utilisant la régression de Poisson dans l’échantillon completNote de bas de page 25. Pour vérifier dans quelle mesure les caractéristiques de la population associées à l’initiation pourraient expliquer les différences en matière d’initiation entre les provinces, nous avons ensuite produit deux modèles, soit un premier modèle « de base » de l’initiation par régression selon la province de résidence en tenant compte du cycle d’enquête seulement, et un deuxième modèle « entièrement ajusté » comprenant de plus l’âge, le sexe et les sept caractéristiques de la population. Nous avons indiqué le ratio de prévalence et l’effet marginal moyen (EMM) dans ces modèles (soit la différence absolue entre les probabilités marginales moyennes estimées à partir de ces modèles)Note de bas de page 26Note de bas de page 27.

Étant donné que les estimations de régression des modèles logistiques peuvent varier d’un modèle à l’autre, même lorsque les covariables ajoutées ne sont pas associées au prédicteur d’intérêt (ici la province de résidence), nous avons comparé les RP et les EMM entre les modèles partiellement et entièrement ajustés afin de calculer la proportion des différences en matière d’initiation entre les provinces potentiellement attribuables aux différences des caractéristiques de la populationNote de bas de page 28Note de bas de page 29.

Enfin, pour tester les différences dans l’association des caractéristiques de la population avec le statut d’initiation entre les provinces, nous avons ajouté des termes d’interaction pour chaque caractéristique de la population après le modèle entièrement ajusté (voir les résultats dans la documentation supplémentaire). Nous n’avons pas testé l’interaction pour la variable de la langue parce que trop peu de jeunes parlaient le français à la maison dans certaines provinces pour l’analyser de façon fiable. Afin de pouvoir mieux interpréter les modèles ayant des interactions significatives, nous présentons des probabilités marginales moyennes d’initiation selon les catégories de caractéristiques de la population dans chaque province.

Nous avons effectué des analyses de régression dans l’échantillon complet de 15 252 participants (90,3 % de l’échantillon complet). Toutes les estimations ont été systématiquement ajustées en fonction du poids de l’ESCC et de 1 000 poids bootstrap fournis par Statistique Canada. Toutes les estimations ont été produites dans Stata 16.Note de bas de page 30 Tous les fichiers supplémentaires ont été déposés dans l’Open Science Framework.

Résultats

Caractéristiques de l’échantillon

Le tableau 1 présente la répartition de l’initiation et des caractéristiques sélectionnées dans l’échantillon complet et entre les provinces canadiennes. Le pourcentage de jeunes ayant fumé une première cigarette était en moyenne de 6,9 % (IC à 95 % : 6,3 à 7,5) et variait considérablement entre les provinces : le plus élevé était au Québec (10,2 %; IC à 95 % : 8,8 à 11,6) et le plus faible en Colombie-Britannique (4,2 %; IC à 95 % : 3,2 à 5,2). Les caractéristiques de la population variaient également entre provinces, sauf pour ce qui est du statut d’étudiant (p = 0,130). La proportion d’immigrants était la plus élevée en Alberta (17 %) et la plus faible dans la région de l’Atlantique (3 %). La fréquence du français comme langue la plus parlée à la maison variait entre 86 % au Québec et 2 % en Alberta, tandis que la fréquence de la catégorie « autre » variait entre 11 % au Manitoba et 2 % dans la région de l’Atlantique. La proportion de répondants vivant avec deux parents variait entre 73 % en Alberta et 67 % en Ontario et en Colombie-Britannique. La proportion de répondants dont les parents avaient terminé des études postsecondaires variait entre 87 % au Québec et 78 % au Manitoba. La proportion de jeunes dans le quintile de revenu du ménage le plus bas variait entre 38 % en Ontario et 17 % en Saskatchewan. La proportion de jeunes non scolarisés était en moyenne de 4 % dans toutes les provinces. Bien que le test global des différences relatives au statut d’étudiant n’ait pas été significatif, le pourcentage mesuré en Ontario (2,9 %) était plus faible qu’au Québec (4,5 %) dans les tests post-hoc (p = 0,007).

Tableau 1. Caractéristiques de l’échantillon de l’étude, Canadiens de 12 à 17 ans, 2015 à 2018, FMGD de l’ESCC (n = 16 897)
Caractéristiques Échantillon entier Colombie-Britannique Alberta Saskatchewan Manitoba Ontario Québec AtlantiqueNote de bas de page a
%PNote de bas de page b %PNote de bas de page b %PNote de bas de page b %PNote de bas de page b %PNote de bas de page b %PNote de bas de page b %PNote de bas de page b %PNote de bas de page b
Taille de l’échantillon 16 897 2 275 2 055 814 911 5 117 3 470 2 255
Consommation d’une première cigarette
Oui 6,9 4,2 6,9 9,9 6,6 5,7 10,2 7,5
Jamais 93,1 95,8 93,1 90,1 93,4 94,3 89,8 92,5
Âge (ans)
12 à 14 50,6 50,8 50,4 51,2 49,0 51,0 50,2 50,4
15 à 17 49,4 49,2 49,6 48,8 51,0 49,0 49,8 49,6
Sexe
Garçon 51,3 51,4 51,3 51,6 51,5 51,3 51,2 51,4
Fille 48,7 48,6 48,7 48,4 48,5 48,7 48,8 48,6
Statut vis-à-vis de l’immigration
Pas né au Canada 13,4 14,6 16,8 10,4 20,9 14,7 10,5 2,9
Né au Canada 86,6 85,4 83,2 89,6 79,1 85,3 89,5 97,1
Langue la plus parlée à la maison
Anglais 70,6 86,9 88,2 91,4 86,3 86,0 9,5 87,6
Français 21,3 2,6 1,9 2,4 2,7 4,8 85,5 10,7
Autre 8,0 10,6 9,9 6,2 11,0 9,1 5,0 1,7
Structure familiale
Vit avec les deux parents 69,1 67,0 72,5 72,3 70,1 67,3 70,6 70,6
Vit avec un parent 20,4 20,5 17,8 20,0 18,8 20,5 22,0 20,5
Autres modalités 10,5 12,5 9,6 7,7 11,1 12,1 7,4 8,8
Niveau d’études du ménage
Études postsecondaires non terminées 15,5 15,6 18,6 19,7 22,4 15,2 12,6 14,1
Études postsecondaires terminées 84,5 84,4 81,4 80,3 77,6 84,8 87,4 85,9
Revenu du ménage
Dans le quintile le plus bas 25,0 24,4 17,4 16,6 22,6 38,1 27,6 18,0
Pas dans le quintile le plus bas 75,0 75,6 82,6 83,4 77,4 71,9 72,4 82,0
Accession à la propriété
Propriétaire 79,1 76,6 82,2 80,4 83,9 79,6 74,7 86,6
Locataire 20,9 23,4 17,8 19,6 16,1 20,4 25,3 13,4
Statut d’étudiant
Aux études 96,4 96,5 96,0 95,3 95,9 97,1 95,5 96,1
Pas aux études 3,6 3,5 4,0 4,7 4,1 2,9 4,5 3,9

Explication des différences dans l’initiation chez les jeunes entre les provinces canadiennes

Le tableau 2 présente la prévalence de l’initiation et les RP non ajustés selon les caractéristiques de la population dans l’échantillon complet. Le fait d’être né au Canada était associé à un risque d’initiation de 126 % plus élevé. Comparativement à l’anglais, le fait de parler français à la maison était associé à un risque d’initiation de 48 % plus élevé, tandis que le fait de parler une autre langue à la maison était associé à un risque d’initiation de 51 % plus faible. Comparativement au fait de vivre avec les deux parents, le fait de vivre avec un parent était associé à un risque d’initiation de 76 % plus élevé. Le fait d’avoir des parents qui n’avaient pas terminé leurs études postsecondaires était associé à un risque d’initiation de 54 % plus élevé. Le fait de vivre dans un ménage du quintile de revenu le plus bas était associé à un risque d’initiation de 28 % plus élevé et le fait de vivre dans un logement loué était associé à un risque plus élevé de 54 %. Enfin, le fait de ne pas fréquenter l’école était associé à un risque d’initiation de 266 % plus élevé.

Tableau 2. Consommation d’une première cigarette selon les caractéristiques de l’échantillon, Canadiens de 12 à 17 ans, 2015 à 2018, FMGD de l’ESCC (n = 16 897)
Caractéristiques Consommation d’une
première cigarette
%P
RP non ajusté IC à 95 %
Prévalence nationale 6,9 s.o. s.o.
Statut vis-à-vis de l’immigration
Pas né au Canada (réf.) 3,3 s.o. s.o.
Né au Canada 7,5 2,26 1,50 à 3,41
Langue la plus parlée à la maison
Anglais (réf.) 6,5 s.o. s.o.
Français 9,6 1,48 1,23 à 1,77
Autre 3,2 0,49 0,30 à 0,80
Structure familiale
Vit avec les deux parents (réf.) 5,9 s.o. s.o.
Vit avec un parent 10,3 1,76 1,44 à 2,15
Autres modalités 6,8 1,16 0,89 à 1,51
Niveau d’études du ménage
Études postsecondaires non terminées (réf.) 6,4 s.o. s.o.
Études postsecondaires terminées 9,9 1,54 1,28 à 1,86
Revenu du ménage
Dans le quintile le plus bas (réf.) 6,4 s.o. s.o.
Pas dans le quintile le plus bas 8,2 1,28 1,06 à 1,55
Accession à la propriété
Propriétaire (réf.) 6,2 s.o. s.o.
Locataire 9,6 1,54 1,27 à 1,86
Statut d’étudiant
Aux études (réf.) 6,2 s.o. s.o.
Pas aux études 22,8 3,66 2,76 à 4,84

Le tableau 3 présente les RP de l’association entre la province de résidence et l’initiation dans l’échantillon de cas complet, en utilisant le Québec comme catégorie de référence. Dans le modèle de base, la Saskatchewan était la seule province où le risque d’initiation était relativement faible (RP = 0,92, IC à 95 % : 0,67 à 1,28). Si l’on compare les EMM entre les modèles, les différences absolues selon les provinces correspondent à une augmentation de 2 % pour la région de l’Atlantique (3,44/3,36) et à une diminution de 3 % à 9 % pour l’Ontario, le Manitoba, l’Alberta et la Colombie-Britannique lorsque l’on inclut les caractéristiques de la population. L’augmentation dans la région de l’Atlantique est sans doute attribuable aux différences de caractéristiques démographiques moins courantes dans cette région comparativement au Québec (être né à l’extérieur du Canada, parler une autre langue à la maison). La diminution des différences en ce qui a trait aux autres provinces peut comprendre les différences relatives 1) aux variables démographiques (le Québec comptant relativement moins d’immigrants, plus de jeunes francophones et moins de personnes parlant une autre langue à la maison) et 2) aux variables socioéconomiques (le Québec comptant relativement plus de jeunes vivant dans des ménages à faible revenu et dans des logements loués, et plus de jeunes n’étant pas étudiants).


Tableau 3. Ratios de prévalence de l’initiation à l’usage du tabac chez les jeunes dans les provinces canadiennes, avant et après ajustement pour les caractéristiques de l’échantillon, Canadiens de 12 à 17 ans, 2015 à 2018, FMGD de l’ESCC (n = 15 252)
Variables Modèle 1
Modèle de base
Modèle 2
Modèle entier
Variation relative des EMM
RP IC à 95 % EMM RP IC à 95 % EMM %
Province (réf. : Québec)
Colombie-Britannique 0,39 0,29 à 0,52 −6,48 0,40 0,26 à 0,61 −6,25 3,5
Alberta 0,66 0,51 à 0,85 −3,61 0,68 0,45 à 1,04 −3,28 9,1
Saskatchewan 0,92 0,67 à 1,28 −0,81 0,88 0,56 à 1,39 −1,24 −53,1
Manitoba 0,60 0,40 à 0,88 −4,25 0,62 0,38 à 1,02 −3,98 6,4
Ontario 0,54 0,42 à 0,87 −4,80 0,55 0,38 à 0,80 −4,65 3,1
AtlantiqueNote de bas de page a 0,68 0,54 à 0,87 −3,36 0,67 0,46 à 0,98 −3,44 −2,4

En testant les différences dans l’association des caractéristiques de la population avec l’initiation entre les provinces, nous avons constaté que la force de cette association différait pour deux caractéristiques : la structure familiale (p = 0,022) et le revenu du ménage (p = 0,028). Les figures 1 et 2 indiquent les probabilités marginales moyennes (c.-à-d. ajustées pour d’autres covariables) d’initiation entre les catégories de structure familiale et entre les catégories de revenu des ménages, respectivement. Comparativement au fait de vivre avec deux parents, l’association entre le fait de vivre avec un parent et l’initiation était plus élevée au Manitoba (différence relative = 2,30), en Alberta (1,98) et en Colombie-Britannique (1,68), et l’association entre le fait de vivre selon d’autres modalités et l’initiation était plus élevée dans la région de l’Atlantique (2,53) et au Manitoba (3,90). Comparativement aux quatre quintiles de revenu les plus élevés, l’association entre le fait d’appartenir au quintile de revenu le plus bas et l’initiation était plus élevée dans la région de l’Atlantique (différence relative = 2,19), au Manitoba (2,48) et en Alberta (1,50).

Figure 1. Probabilités marginales ajustées d’initiation à l’usage du tabac chez les jeunes selon la structure familiale, Canadiens de 12 à 17 ans, 2015 à 2018, FMGD de l’ESCC (n = 15 252)
Figure 1. La version textuelle suit.
Figure 1 - Équivalent textuel
Figure 1. Probabilités marginales ajustées d’initiation à l’usage du tabac chez les jeunes selon la structure familiale, Canadiens de 12 à 17 ans, 2015 à 2018, FMGD de l’ESCC (n = 15 252)
Provinces Modèle entier
Deux parents % Un parent % Autre %
Québec 9,4 12,3 12,8
Atlantique 5,8 7,0 14,7
Ontario 5,9 6,2 3,9
Manitoba 4,0 9,2 15,6
Saskatchewan 8,8 10,1 9,3
Alberta 5,8 11,5 5,2
Colombie-Britannique 3,6 6,1 3,2

Abréviations : ESCC, Enquête sur la santé dans les collectivités canadiennes; FMGD, fichier de microdonnées à grande diffusion.
a Région de l’Atlantique : Nouveau-Brunswick, Nouvelle-Écosse, Île-du-Prince-Édouard et Terre-Neuve-et-Labrador.

Figure 2. Probabilités marginales ajustées d’initiation à l’usage du tabac chez les jeunes selon le revenu du ménage, Canadiens de 12 à 17 ans, 2015 à 2018, FMGD de l’ESCC (n = 15 252)
Figure 2. La version textuelle suit.
Figure 2 - Équivalent textuel
Figure 2. Probabilités marginales ajustées d’initiation à l’usage du tabac chez les jeunes selon le revenu du ménage, Canadiens de 12 à 17 ans, 2015 à 2018, FMGD de l’ESCC (n = 15 252)
Provinces Modèle entier
Quatre premiers quintiles % Quintile le plus bas %
Québec 10,3 11,0
Atlantique 5,7 12,5
Ontario 5,5 6,4
Manitoba 4,6 11,4
Saskatchewan 8,7 10,6
Alberta 6,4 9,6
Colombie-Britannique 4,6 2,6

Abréviations : ESCC, Enquête sur la santé dans les collectivités canadiennes; FMGD, fichier de microdonnées à grande diffusion.
a Région de l’Atlantique : Nouveau-Brunswick, Nouvelle-Écosse, Île-du-Prince-Édouard et Terre-Neuve-et-Labrador.

Analyse

La prévalence du tabagisme a toujours été plus élevée au Québec que dans le reste du Canada, les différences étant en partie attribuables à des taux d’initiation plus élevés chez les jeunes au QuébecNote de bas de page 3. Dans notre étude, la consommation d’une première cigarette chez les adolescents varie considérablement d’une province canadienne à l’autre, l’estimation du Québec étant de 79 % plus élevée que celle de l’Ontario et de 143 % plus élevée que celle de la Colombie-Britannique. Nous avons vérifié dans quelle mesure les facteurs démographiques et socioéconomiques sous-tendent ces différences et avons observé deux résultats clés.

Premièrement, alors que chaque caractéristique de la population étudiée variait entre provinces, collectivement, ces différences n’expliquaient pas une grande proportion de la variabilité de l’initiation entre le Québec et les autres provinces. Ces résultats contrastent avec les travaux antérieurs sur les populations adultes, ce qui donne à penser qu’une proportion significative des différences régionales de la prévalence du tabagisme s’explique par ces caractéristiquesNote de bas de page 21Note de bas de page 22Note de bas de page 23. Il se peut que le rôle des caractéristiques démographiques et socioéconomiques devienne plus important à l’âge adulte, puisque les inégalités relatives au tabagisme augmentent au fil de la progression vers le tabagisme établiNote de bas de page 31. Au-delà de ce qui est disponible dans l’ESCC, d’autres mesures, comme l’insécurité alimentaire, auraient pu donner un meilleur portrait de la situation socioéconomique des adolescents dans l’ensemble des provincesNote de bas de page 32.

Par ailleurs, une partie de la variabilité de l’initiation chez les jeunes pourrait également s’expliquer par d’autres caractéristiques sociales et culturelles, comme les interdictions de fumer imposées dans le ménage et les normes sociales antitabac, dont ne rendent pas compte les caractéristiques de la population étudiées iciNote de bas de page 21Note de bas de page 22Note de bas de page 33. Ces mécanismes peuvent être évalués en explorant les différences provinciales concernant la permissivité envers le tabagisme et l’exposition à la fumée secondaire à la maison et dans les espaces publics, la stigmatisation perçue et d’autres normes sociales liées au tabagisme, ainsi que les dispositions générales à l’égard des comportements à risque.

Deuxièmement, malgré le fait que nous avons observé des différences dans les associations entre l’initiation et chacune des structures familiales et le revenu du ménage entre les provinces, l’hypothèse de la modification des effets n’a pas non plus contribué à expliquer la prévalence plus élevée de l’initiation à l’usage du tabac au Québec par rapport aux autres provinces. Cependant, nous notons que la taille de notre échantillon nous a empêchés d’analyser de façon fiable les différences liées au rôle de la langue parlée à la maison dans l’initiation entre les provinces, bien qu’il s’agisse d’un facteur potentiellement significatif pour comprendre le taux d’initiation plus élevé au Québec.

Plus précisément, d’après nos constatations, les adolescents qui ne vivaient pas avec leurs deux parents ou qui vivaient dans un ménage du quintile de revenu le plus bas avaient une probabilité supérieure de consommer une première cigarette s’ils vivaient dans la région de l’Atlantique et au Manitoba (comparativement au Québec ou à d’autres provinces). En Angleterre, Beard et ses collaborateurs ont constaté que chez les adultes, le lien entre le statut socioéconomique et le tabagisme était plus fort dans les régions défavoriséesNote de bas de page 23. Parmi les explications possibles, les régions défavorisées auraient : 1) moins de services de santé publique, ce qui oblige les fumeurs à utiliser leurs propres ressources pour arrêter de fumer, 2) des normes sociales plus favorables à l’initiation en réponse au comportement des autres fumeurs et 3) une prévalence plus élevée d’autres comportements associés au tabagisme, comme la consommation d’alcool.

À l’appui de cette affirmation au Canada, nous avons constaté que les inégalités étaient plus importantes dans les quatre provinces ayant le produit intérieur brut (PIB) par habitant le plus faible, c’est-à-dire trois provinces de l’Atlantique (l’Île-du-Prince-Édouard, la Nouvelle-Écosse et le Nouveau-Brunswick) et le Manitoba. Comparativement, le Québec est la cinquième province en matière de pauvreté selon cet indicateur. Bien que cela n’explique pas le désavantage du Québec, les résultats laissent entendre que l’association des caractéristiques démographiques et socioéconomiques avec l’initiation varie entre administrations et peut être plus forte dans les régions les plus pauvres. Ces régions pourraient donc bénéficier tout particulièrement d’une réduction prioritaire des inégalités relatives à l’initiation chez les jeunes.

Forces et limites

Cette étude s’appuie sur le vaste échantillon et les forces méthodologiques de l’Enquête sur la santé dans les collectivités canadiennes pour fournir des estimations représentatives de l’initiation chez les jeunes dans les provinces canadiennes. Le devis transversal ne permet pas d’établir la temporalité des associations et empêche la réalisation d’inférences causales. Il est également possible que la mesure de l’initiation à un moment ou un autre de la vie ait saisi des effets de cohorte différant d’une province à l’autre depuis 20 ans. Les fichiers à grande diffusion de Statistique Canada limitent la diffusion de données résidentielles, de sorte que des caractéristiques comme l’urbanisation et la défavorisation du secteur n’ont pas pu pas faire partie de notre analyse. Parmi les autres variables qui n’ont pas pu être analysées se trouvent la consommation d’alcool, la consommation de drogues illicites et la consommation de cigarettes électroniques, puisque les données sur ces variables n’ont pas été recueillies systématiquement auprès de tous les mineurs dans les cycles de l’ESCC de 2015-2016 et de 2017-2018.

Conclusion

Bien que la prévalence du tabagisme ait diminué au fil du temps, des efforts soutenus sont nécessaires pour maintenir cette baisse. Un domaine sous-étudié reste la détermination des facteurs qui sous-tendent la variabilité de la prévalence du tabagisme entre provinces canadiennes, ce qui pourrait mieux orienter les efforts de lutte contre le tabagisme. Nos constatations sont parmi les premières à indiquer que, bien que les jeunes diffèrent d’une province à l’autre sur le plan démographique et socioéconomique, il est peu probable que ces différences soient l’une des principales raisons pour lesquelles les jeunes de la province ayant le plus haut taux d’initiation à l’usage du tabac sont plus susceptibles de consommer une première cigarette que ceux des autres provinces. Parmi les nouveaux axes de recherche possibles se trouvent la reproduction de ces résultats à l’aide d’un plan longitudinal, des travaux visant à vérifier si les prédicteurs de l’initiation dans les provinces prédisent également la transition de l’initiation à l’utilisation soutenue des cigarettes, et l’étude des facteurs contextuels qui sont à l’origine de ces différences provinciales à l’aide de techniques comme la modélisation multi-niveaux. Bien que nos résultats ne puissent mener directement à une intervention, ils offrent une orientation claire pour la recherche future (c.-à-d. confirmer les avantages des nouvelles stratégies de lutte contre le tabagisme à mettre en œuvre) et les mesures de lutte contre le tabagisme (c.-à-d. coordonner la promotion des stratégies de lutte contre le tabagisme efficaces) dans les provinces où le taux d’initiation à l’usage du tabac est élevé, du moins dans le contexte canadien.

Remerciements

TG est boursier postdoctoral Banting et a été financé par des bourses de recherche des Instituts de recherche en santé du Canada (IRSC) et du Fonds de recherche du Québec—Santé (FRQS) au cours de ce projet. JOL est titulaire d’une chaire de recherche du Canada sur les déterminants précoces de la maladie chronique à l’âge adulte.

Conflits d’intérêts

Nous déclarons n’avoir aucun conflit d’intérêts.

Contributions des auteurs et avis

TG a conçu l’étude, préparé les données, effectué les analyses, interprété les résultats, rédigé la première version du manuscrit et contribué à la version finale. AP et JOL ont chacune contribué à la première version et à la version finale du manuscrit. Tous les auteurs ont largement contribué à la rédaction du manuscrit et ont approuvé sa soumission.

Le contenu et les points de vue exprimés dans cet article sont ceux des auteurs et ne reflètent pas nécessairement ceux du gouvernement du Canada.

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