Recherche qualitative originale – Enquêtes sur les signalements de grappes de cancer au Canada : étude qualitative des pratiques de communication et des procédures d’enquête en santé publique

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Catherine E. Slavik, Ph. D.Note de rattachement des auteurs 1Note de rattachement des auteurs 2; Niko Yiannakoulias, Ph. D.Note de rattachement des auteurs 1

https://doi.org/10.24095/hpcdp.42.11/12.04f

Cet article a fait l’objet d’une évaluation par les pairs.

Rattachement des auteurs
Correspondance

Catherine E. Slavik, École de la terre, de l’environnement et de la société, General Sciences Building, Université McMaster, 1280 rue Main Ouest, Hamilton (Ontario)  L8S 4K1; tél. : 905-525-9140, poste 28611; courriel : ca.slavik@gmail.com

Citation proposée

Slavik CE, Yiannakoulias N. Enquêtes sur les signalements de grappes de cancer au Canada : étude qualitative des pratiques de communication et des procédures d’enquête en santé publique. Promotion de la santé et prévention des maladies chroniques au Canada. 2022;42(11/12):553-566. https://doi.org/10.24095/hpcdp.42.11/12.04f

Résumé

Introduction. Les responsables de la santé publique offrent un service public important en répondant aux préoccupations du public relativement au cancer et sont souvent appelés à mener des enquêtes sur les tendances des taux d’incidence du cancer et à en communiquer les résultats aux citoyens. Dans le cadre de cette étude, nous avons déterminé les procédures suivies par les responsables de la santé publique au Canada lorsqu’ils enquêtent sur les signalements de grappes de cancer et avons analysé les défis auxquels ils font face pour communiquer les risques aux collectivités.

Méthodologie. Nous avons mené treize entrevues par téléphone auprès de 15 responsables de différentes administrations canadiennes puis nous en avons effectué une analyse thématique. Nous avons également analysé le contenu de documents procéduraux provenant de cinq provinces.

Résultats. Un tiers des provinces et territoires visés par l’étude n’utilisent pas de lignes directrices uniformes pour enquêter sur les signalements de grappes de cancer, un tiers utilisent leurs propres lignes directrices et un tiers les lignes directrices d’autres pays. Chaque administration canadienne a nommé des organismes ou des personnes responsables différents pour enquêter sur les signalements de grappes. Dans la plupart des entrevues, les responsables ont déclaré que l’éducation du public était le principal objectif de la communication des risques pendant une enquête. Dans seulement 4 des 13 entrevues les responsables ont fait état de réactions positives du public après des enquêtes sur des signalements de grappes de cancer.

Conclusion. Cette étude a mis en lumière des différences dans les pratiques des responsables de la santé publique pour enquêter sur les grappes de cancer présumées. L’établissement de lignes directrices pancanadiennes sur les grappes de cancer pourrait améliorer l’uniformité des procédures entre administrations et offrir de meilleures possibilités de comparaison des réponses aux grappes aux fins d’évaluation. Un système de rapport permettant de suivre les grappes signalées pourrait améliorer le partage de l’information entre les différents chercheurs fédéraux, provinciaux/territoriaux et locaux. Au cours des enquêtes officielles, des approches de communication participative en personne devraient être envisagées pour améliorer la participation des citoyens et gérer les préoccupations des collectivités.

Mots clés : grappe spatio-temporelle, néoplasmes, techniques d’enquête, respect de lignes directrices, communication sur la santé, Canada

Points saillants

  • Il s’agit de la première étude sur les pratiques d’enquête sur les grappes de maladies non transmissibles menée par des organismes et des responsables en santé publique au Canada.
  • L’analyse de documents stratégiques a révélé des procédures d’enquête sur les grappes non uniformes dans certaines administrations et un manque de lignes directrices et de protocoles officiels dans d’autres.
  • Les entrevues avec les responsables de la santé ont révélé un besoin de formation plus approfondie sur la communication des risques en personne dans le but de pouvoir gérer les préoccupations des citoyens relatives au cancer et d’améliorer la confiance du public lors des enquêtes à grande échelle.
  • L’établissement de lignes directrices pancanadiennes sur les grappes de cancer pourrait normaliser les procédures d’enquête, améliorer la comparabilité des administrations canadiennes et conduire à l’adoption à grande échelle de pratiques exemplaires pour répondre aux grappes.

Introduction

Les responsables de la santé publique jouent un rôle essentiel dans les enquêtes sur les signalements de grappes spatio-temporelles de cas de maladie effectués par les collectivités et dans la réponse à ces signalements. Même si des grappes de divers résultats sur la santé ont été signalées dans de nombreuses collectivités canadiennes au cours des dernières années, en particulier des déficiences congénitalesNote de bas de page 1, des maladies neurologiques comme la sclérose en plaquesNote de bas de page 2 et des cancersNote de bas de page 3, il se trouve que les grappes de cancer suscitent une crainte élevée dans le public et un intérêt considérable de la part des médias, et ce, pour différentes raisons. Premièrement, on parle de grappes de cancer lorsque les cas de cancer sont plus élevés que le nombre attendu dans un groupe de personnes dans une zone donnée et pendant une période donnéeNote de bas de page 4 et, malgré le fait que le terme « cancer » englobe une multitude de maladies ayant de nombreuses causes, les grappes de cancer reposent sur une crainte usuelle, celle que les expositions industrielles toxiques ou les polluants environnementaux dans une zone géographique soient à blâmerNote de bas de page 5. Deuxièmement, la longue latence du cancer fait qu’il est particulièrement difficile d’enquêter sur des expositions susceptibles de ne plus exister et de rassurer les membres de la collectivité sur le fait que leurs préoccupations seront prises en chargeNote de bas de page 6.

Les responsables de la santé publique doivent donc communiquer et dialoguer avec un public craintif et méfiantNote de bas de page 7 et ces difficultés sont aggravées par le défi statistique auquel les enquêteurs font face lorsqu’ils travaillent sur un petit nombre de cas à l’aide d’analyses de faible puissance statistiqueNote de bas de page 8. Par conséquent, dans la très grande majorité des grappes de cancer présumées, le rôle du hasard ne peut être exclu pour expliquer une augmentation des cas de cancer observés par rapport aux chiffres attendus, et il existe très peu de cas où un lien avec une cause précise peut être établi par l’enquêteNote de bas de page 9.

Néanmoins, la réponse aux signalements de grappes de cancer et les enquêtes sur ces signalements demeurent une pratique importante pour les responsables de la santé publique, qui considèrent souvent que les enquêtes sont un moyen de répondre aux préoccupations des collectivités relatives à l’incidence du cancerNote de bas de page 10 sans qu’il soit nécessaire de lancer des études épidémiologiques en étiologie de la maladie à grande échelle exigeantes en ressources. Les enquêtes sur les signalements de grappes de cancer sont également perçues comme un moyen d’éduquer les citoyens sur les facteurs de risque de cancer et les expositions aux agents cancérogènes connusNote de bas de page 11. Par conséquent, les enquêtes continuent de constituer un service public régulièrement entrepris par les organismes et les responsables en santé publique au Canada et ailleurs dans le mondeNote de bas de page 12.

Dans la mesure où les responsables de la santé ne sont généralement pas en mesure d’établir la présence réelle d’une grappe de cancer, soit parce que les cas excédentaires n’ont pas été confirmés, soit parce qu’un lien étiologique avec une exposition n’est pas possible, très peu d’enquêtes sur les signalements de grappes par les collectivités déclenchent une étude épidémiologique à grande échelle. Néanmoins, le processus d’enquête sur les signalements de cancer est susceptible de rassurer les citoyens et offre une occasion d’éduquer le public, si certaines pratiques exemplaires sont adoptées par les responsables de la santé publique pour répondre aux demandes d’enquêtes sur le cancer provenant des collectivités. En effet, Trumbo fait remarquer que même si un très petit nombre de signalements de grappes de cancer sur les milliers qui sont déposés aux États-Unis aboutissent à des enquêtes importantes, les interactions avec les membres de la collectivité qui ont lieu pendant le processus de réponse initiale offrent une occasion d’éduquer le public sur le cancerNote de bas de page 12.

Les pratiques exemplaires pour répondre aux signalements de grappes, en particulier l’intégration d’une activité de communication des risques efficace à toutes les étapes et la prestation de renseignements adéquats aux citoyens concernés, sont considérées comme essentielles pour favoriser une perception exacte des risquesNote de bas de page 13. De plus, il a été démontré que la transparence et une communication ouverte sur les procédures d’enquête sur les grappes de cancer sont importantes pour promouvoir la confiance dans l’équité procédurale, confiance qui accroît la satisfaction des citoyens à l’égard des résultats des enquêtes à grande échelle et confiance envers les autoritésNote de bas de page 14. De plus, la confusion qui entoure les méthodes utilisées pour enquêter sur les grappes signalées et les lacunes perçues dans la procédure d’enquête peuvent avoir une influence sur la confiance en la compétence et la crédibilité des expertsNote de bas de page 15. C’est la raison pour laquelle les États-Unis et d’autres pays ont élaboré des lignes directrices pour enquêter sur les grappes de cancer afin de fournir aux responsables de la santé publique une méthode systématique pour leur analyse et pour orienter leur réponse aux préoccupations des citoyensNote de bas de page 16Note de bas de page 17Note de bas de page 18.

Les chercheurs ont étudié l’état des enquêtes sur les grappes de cancer aux États-Unis à deux périodes : dans les années 1990Note de bas de page 19 et plus récemment, il y a dix ansNote de bas de page 9. Les deux fois, ils ont recommandé des changements dans les approches et les priorités d’enquête. En l’absence de lignes directrices nationales pour enquêter sur les signalements de grappes de cancer au Canada, nous ne savons pas actuellement quelles procédures d’enquête sont utilisées par les responsables de la santé publique dans les différentes administrations canadiennes.

Dans le cadre de cette recherche, nous avons voulu étudier les expériences des responsables de la santé publique qui ont enquêté sur des grappes de cancer présumées, en particulier leurs approches pour répondre aux demandes d’enquête et communiquer les résultats des enquêtes et le risque de cancer. Bien que les administrations provinciales et territoriales soient responsables de la prestation de la plupart des services liés à la santé, il existe d’importantes divergences dans l’administration et l’organisation des politiques et des pratiques de santé publique entre provinces et territoires canadiens en fonction de leur population locale et de leurs caractéristiques géographiques. Certaines administrations ont recours à une approche régionalisée pour offrir les programmes et les services de santé publique, tandis que d’autres ont opté pour une approche descendante et centraliséeNote de bas de page 20. Nous avons donc émis l’hypothèse que les principaux organismes et personnes responsables d’enquêter sur les signalements de grappes de cancer variaient considérablement à l’échelle du Canada.

Méthodologie

Approbation éthique

Cette recherche a obtenu l’approbation éthique du Comité d’éthique de la recherche de l’Université McMaster (McMaster Research Ethics Board) en été 2019 (MREB no 1763).

Entrevues

Les participants sélectionnés pour les entrevues du projet de recherche étaient des responsables de la santé publique provenant de différentes administrations canadiennes et ayant déjà enquêté sur des signalements de grappes de cancer dans une collectivité ou chargés d’enquêter en cas de demande d’enquête sur une grappe de cancer. Entre l’automne 2019 et l’été 2020, 13 entrevues téléphoniques ont été menées et enregistrées auprès de 15 responsables de la santé publique au Canada (deux entrevues ont réuni deux participants). Les entrevues ont duré en moyenne 45 minutes (entre 30 et 65 minutes).

Les informateurs clés interrogés dans le cadre du projet ont été sélectionnés au moyen de deux approches dans le but d’obtenir une représentation de la plupart des provinces canadiennes et d’un territoire. Dans les administrations où les auteurs n’avaient pas de liens préalables ou n’avaient pas entendu parler d’enquêtes sur des grappes de cancers présumées, un courriel a été envoyé au ministère de la Santé (ou à l’organisme de santé publique) de la province par l’entremise de sa page Web générale pour obtenir des coordonnées de responsables de la santé publique chargés des enquêtes. Dans les autres administrations où des grappes de cancer présumées documentées ou connues avaient fait l’objet d’enquêtes, les auteurs ont communiqué directement avec le responsable de la santé publique principal chargé d’enquêter sur la grappe selon les rapports ou les articles de presse publiés.

Les entrevues, de type semi-structurées, ont été menées par un chercheur (CS). Les personnes interrogées ont reçu les questions avant l’entrevue. Ces questions portaient sur quatre grands thèmes : les méthodes d’enquête sur les grappes de cancer dans l’administration de la personne interrogée, les résultats des enquêtes, les défis rencontrés par les responsables de la santé publique pour communiquer les risques ainsi que les approches et les objectifs de communication. Cette recherche s’est inscrite dans un cadre constructiviste dans lequel les données recueillies pendant les entrevues sont considérées comme des connaissances personnellement et socialement construites qui reflètent les contextes individuels des participants, tandis que l’interprétation de ces données par les chercheurs est simplement une tentative d’élucider les réalités particulières des participantsNote de bas de page 21.

Analyse

Analyse thématique

Les entrevues ont été transcrites à l’aide d’Otter, un logiciel de transcription parole-texte (Otter.ai, Los Altos, Californie, États-Unis) puis un chercheur (CS) a apporté des corrections manuelles aux mots transcrits dans les cas d’erreurs dans le processus de transcription automatique. Les transcriptions ont été lues plusieurs fois et une analyse thématique des transcriptions des entrevues a été effectuée à l’aide de NVivo 12 (QSR International [Americas] Inc., Burlington, Massachusetts, États-Unis). Les analyses thématiques constituent une méthode d’analyse qualitative courante qui aide à discerner les thèmes au sein d’un vaste ensemble de données textuelles.

Les chercheurs ont utilisé une approche sémantique pour analyser les réponses des participants, ce qui fait que ces réponses ont été analysées comme elles ont été enregistrées pendant les entrevuesNote de bas de page 22. Un chercheur (CS) a codé des segments de texte dans chaque transcription d’entrevue et a regroupé les codes en fonction de thèmes communs ressortis pour chaque question posée aux participants, afin de pouvoir comparer les entrevues. Ces codes ont été revus avec le second chercheur (NY) afin d’évaluer dans quelle mesure les thèmes déterminés étaient reliés aux questions de recherche de l’étude et quelle relation ils avaient avec l’ensemble de données. Le processus de codage a été réalisé en suivant une approche inductiveNote de bas de page 23 dans laquelle les thèmes dominants des données sont utilisés pour résumer les similitudes et les différences générales dans les pratiques d’enquête entre les administrations canadiennes.

Analyse du contenu

Outre les données recueillies dans les entrevues, certains responsables ont partagé des documents résumant les lignes directrices ou les pratiques utilisées dans leur administration pour enquêter sur les grappes de cancer. Une analyse du contenu de ces documents a été effectuée à l’aide du même cadre de codage que celui utilisé avec les transcriptions des entrevues afin d’ajouter l’information qui n’avait pas été saisie dans les entrevues. Les thèmes codés dégagés de l’analyse thématique des transcriptions des entrevues et l’analyse du contenu des documents procéduraux ont été organisés et présentés dans une feuille de calcul électronique.

Résultats

Treize entrevues ont été menées auprès de 15 responsables de la santé publique dont l’expertise en matière d’enquête sur les signalements de grappes de cancer couvrait sept des dix provinces canadiennes et un territoire canadien sur trois. De plus, une entrevue a été menée avec un responsable de la santé publique qui avait enquêté sur une grappe de cancer confirmée dans un territoire canadien alors qu’il travaillait pour le programme d’épidémiologie de terrain de l’Agence de la santé publique du Canada, qui déploie à l’occasion des épidémiologistes pour enquêter sur les grappes de cancer lorsqu’un gouvernement provincial ou territorial demande de l’aide. Quatre entrevues ont été réalisées auprès de participants ayant enquêté sur des signalements de grappes de cancer en Ontario, deux au Manitoba et une dans chacune des provinces et le territoire suivants : Alberta, Colombie-Britannique, Saskatchewan, Québec, Nouveau-Brunswick et Territoires du Nord-Ouest, ainsi que sur l’ensemble du Canada par des responsables fédéraux.

Les titres d’emploi des participants interrogés dans le cadre de cette recherche étaient les suivants : cinq occupaient un poste d’épidémiologiste principal dans un ministère ou un organisme de santé publique; cinq étaient médecin-hygiéniste ou médecin chef au niveau municipal, régional, provincial ou territorial; quatre occupaient des fonctions de cadre supérieur dans des services d’analyse des données sur le cancer dans un organisme de santé publique et enfin un participant était spécialiste de la santé environnementale dans un service local de santé publique. Les conclusions de cette étude sont résumées sous trois grands thèmes : procédures d’enquête, caractéristiques des enquêtes et méthodes de communication.

Procédures d’enquête pour répondre aux signalements de grappes de cancer

Les procédures d’enquête sur les grappes de cancer présumées par province ou territoire canadien sont résumées dans le tableau 1. Trois administrations sur neuf (Nouveau-Brunswick, Territoires du Nord-Ouest et Canada) n’ont pas suivi de protocole de manière stricte et n’ont pas conçu leurs propres lignes directrices pour enquêter sur les signalements de grappes de cancer. Trois autres administrations sur neuf (Colombie-Britannique, Alberta et Manitoba) ont chacune produit leurs propres lignes directrices procédurales à utiliser pour enquêter sur les signalements de grappes de cancer. Dans deux administrations, Ontario et Québec, les responsables ont utilisé les lignes directrices d’autres pays (Centers for Disease Control and Prevention [CDC] aux États-Unis et Santé publique France) pour enquêter sur les grappes de cancer présumées. En Saskatchewan, un document procédural rédigé par l’organisme d’enquête principal n’a pas été communiqué aux chercheurs et n’a pas pu être analysé dans le cadre de cette étude; toutefois, le responsable interrogé a décrit des lignes directrices axées en grande partie sur celles rédigées par les CDC aux États-Unis.

Tableau 1. Caractéristiques des procédures d’enquête sur les grappes de cancer présumées par province ou territoire (n = 9)
Administration Principal organisme d’enquête Autres organismes et acteurs pouvant participer à l’enquête Type de document consulté Année de production Organisme auteur de la procédure Autres lignes directrices mentionnées dans les procédures Étapes définies dans le cadre de la procédure Communication des risques incluse dans la procédure
Ontario Service de santé publique local Organisme de santé publique provincial; organisme de lutte contre le cancer provincial; ministère de l’Environnement provincial; ministère du Travail provincial Lignes directrices 2013 CDC aux États-Unis Aucune
  1. Contact initial et réponse
  2. Évaluation
  3. Détermination de la faisabilité d’une étude épidémiologique
  4. Réalisation d’une enquête épidémiologique
Oui – à chaque étape
Colombie-Britannique Service de recherche sur le cancer de l’organisme provincial de lutte contre le cancer Médecin-hygiéniste local; ministère de la Santé provincial; autorité sanitaire des Premières Nations régionale Lignes directrices 1998 British Columbia Cancer Agency Aucune
  1. Contact initial et réponse
  2. Évaluation et évaluation des cas
  3. Détermination de la faisabilité d’une étude épidémiologique
  4. Enquête étiologique
Non
Alberta Non défini — les lignes directrices indiquent que l’entité responsable peut être l’organisme initialement contacté, le médecin-hygiéniste régional, le service de surveillance du cancer de Alberta Health Services ou l’unité de surveillance du ministère de la Santé de l’Alberta. Autorité provinciale de prestation des services de santé; ministère de la Santé provincial; médecin-hygiéniste régional; ministère de la Santé fédéral (pour les enquêtes dans les réserves) Lignes directrices 2011 Ministère de la Santé de l’Alberta; Alberta Health Services CDC aux États-Unis; Nouvelle-Zélande; Europe
  1. Évaluation primaire et collecte de données auprès du demandeur
  2. Évaluation secondaire et évaluation des cas en vue d’autres mesures
  3. Évaluation tertiaire comportant une surveillance continue ou une enquête étiologique
Oui – à chaque étape
Québec Organisme de santé publique régional Organisme de santé publique provincial; professionnels de la santé ou de la santé publique locaux; registre du cancer provincial; comité consultatif d’experts formé de professionnels de la médecine et de la santé publique et de toxicologues; ministère de l’Environnement provincial; ministère du Travail provincial Lignes directrices 2005 Institut de veille sanitaire (France), qui fait maintenant partie de l’Agence nationale de santé publique Université Laval; CDC aux États-Unis; Pays-Bas; Nouvelle-Zélande
  1. Évaluation des cas signalés
  2. Validation des cas et de l’exposition environnementale
  3. Étude descriptive approfondie
  4. Travaux épidémiologiques supplémentaires
Oui – à chaque étape
Manitoba Médecin-hygiéniste de l’autorité sanitaire régionale Organisme de lutte contre le cancer provincial; registre du cancer provincial; ministère de la Santé provincial; ministère du Travail provincial Lignes directrices 2015 Autorité sanitaire régionale CDC aux États-Unis; lignes directrices de l’Alberta
  1. Évaluation primaire et réception de l’information
  2. Évaluation primaire et évaluation de l’information
  3. Évaluation secondaire et analyse des données
  4. Détermination de la faisabilité d’une étude épidémiologique
  5. Réalisation d’une étude épidémiologique
Oui — à certaines étapes
Saskatchewan Organisme de lutte contre le cancer provincial Médecin-hygiéniste régional; autorité sanitaire provinciale; ministère de la Santé provincial; ministère du Travail provincial Inconnu Début des années 2000 Saskatchewan Cancer Agency CDC aux États-Unis ND ND
Nouveau-Brunswick Service du cancer du ministère de la Santé provincial ou Bureau du médecin-hygiéniste en chef Service de l’environnement provincial; direction des communications du service de santé provincial; direction de l’analyse du service de santé provincial; médecin-hygiéniste régional Pas de protocole ou de lignes directrices officiels suivis de manière stricte ND ND CDC aux États-Unis ND ND
Territoires du Nord‑Ouest Ministère de la santé et des services sociaux du territoire Chercheurs universitaires ou experts scientifiques d’autres provinces; épidémiologiste de terrain de l’ASPC; clinicien local Pas de protocole ou de lignes directrices officiels suivis de manière stricte ND ND CDC aux États-Unis; lignes directrices de l’Alberta ND ND
Canada Programme canadien d’épidémiologie de terrain de l’ASPC Ministère de la Santé provincial ou territorial; médecin-hygiéniste en chef provincial ou territorial; autorité sanitaire provinciale, territoriale, régionale ou locale Pas de protocole ou de lignes directrices officiels suivis de manière stricte ND ND CDC aux États-Unis ND ND

Parmi les cinq administrations à avoir partagé des documents procéduraux, trois (Ontario, Colombie-Britannique et Québec) suivent une procédure d’enquête en 4 étapes et deux (Alberta et Manitoba) une procédure en respectivement 3 et 5 étapes. Les cinq documents procéduraux décrivent tous une étape d’évaluation primaire au cours de laquelle les enquêteurs recueillent des renseignements auprès des demandeurs sur la concentration de cas de cancer signalée afin d’évaluer la portée de l’enquête requise. Selon les participants que nous avons interrogés, la plupart des demandes relatives aux grappes de cancer par les collectivités ne satisfont pas aux critères de plausibilité établis en fonction de l’information recueillie sur les types et le nombre de cas de cancer signalés, les limites géographiques, le moment des diagnostics et les facteurs de risque communautaires, ce qui fait qu’on n’effectue généralement pas d’évaluation plus poussée (c.-à-d. d’évaluation des cas et d’évaluation de l’incidence à l’aide des données d’un registre du cancer) dans le cadre d’une enquête à grande échelle. Seules quatre administrations suivent des lignes directrices faisant explicitement référence à la communication des risques dans leurs procédures et, parmi elles, trois ont inclus la communication des risques à chacune des étapes de leur enquête.

Les personnes interrogées de chaque administration ont nommé un organisme d’enquête principal ou une personne responsable chargés de répondre aux demandes sur les grappes de cancer. Les organismes responsables peuvent être des services ou organismes de santé publique locaux, régionaux et territoriaux (Ontario, Québec, Territoires du Nord-Ouest) ou des organismes ou services spécialisés dans le cancer (Colombie-Britannique, Saskatchewan et Nouveau-Brunswick). Au Manitoba, toutefois, c’est le médecin-hygiéniste de l’autorité sanitaire de la région dans laquelle est présentée la demande qui assume la responsabilité principale de l’enquête sur la plainte, avec l’appui des organismes provinciaux. Dans les lignes directrices de l’Alberta, aucun organisme d’enquête principal ou aucune personne responsable ne sont précisés. Les procédures albertaines indiquent que l’organisme initial contacté par le citoyen peut continuer à assumer la responsabilité ou à jouer un rôle de liaison pendant l’enquête sur le signalement de grappes, ce qui contraste avec les procédures suivies dans les huit autres administrations, où un organisme principal ou une personne responsable sont désignés.

Caractéristiques des enquêtes sur les grappes de cancer présumées

Les caractéristiques des enquêtes sur les grappes de cancer présumées menées par les responsables de la santé publique interrogés dans le cadre de cette étude sont résumées dans le tableau 2. Presque tous les responsables ont déclaré que la majorité des demandes concernant les grappes de cancer étaient présentées par des citoyens en raison de préoccupations relatives à des cas de cancer locaux. Toutefois, un responsable interrogé dans une province, le Québec, a indiqué que les cliniciens et les employeurs étaient les auteurs les plus fréquents de signalements de grappes de cancer. Toutes les personnes interrogées ont participé à une enquête à grande échelle sur au moins une grappe de cancer présumée dans leur province ou territoire au cours de leur carrière. Dans cinq entrevues, les responsables ont déclaré avoir reçu des demandes d’enquête sur des signalements de grappes de cancer tous les ans, tandis que dans sept entrevues, les responsables ont déclaré avoir reçu des demandes moins fréquemment. Les responsables interrogés dans une province, le Nouveau-Brunswick, n’ont jamais reçu de signalement de grappe de cancer, mais ont souvent répondu à des demandes plus générales sur les taux de cancer de la part du public et d’autres intervenants, qui n’étaient pas nécessairement liées à un lieu ou à un moment précis.

Tableau 2. Caractéristiques des enquêtes sur les grappes de cancer présumées par entrevue avec des responsables de la santé publique canadiens (n = 13)
Entrevue Administration Comment les grappes de cancer présumées ont été signalées Fréquence des signalements Risques environnementaux ou professionnels présumés Participation de responsables formés en communication des risques Satisfaction du public perçue à l’égard de la réponse au signalement de grappes Besoin de poursuite des activités d’information ou de surveillance après l’enquête
1 Ontario Signalement d’un citoyen au service de santé publique local Moins d’une fois par an Oui Oui Généralement positive Non
2 Ontario Signalement d’un citoyen au service de santé publique local; signalement d’un employeur au médecin-hygiéniste local Moins d’une fois par an Oui Oui Positive et négative Non
3 Ontario Signalement d’un citoyen au service de santé publique local; signalement d’un employeur au médecin-hygiéniste local Moins d’une fois par an Oui Oui – par l’entremise d’autres organismes ou services gouvernementaux Positive et négative Non
4 Ontario Signalement d’un citoyen au service de santé publique local Moins d’une fois par an Oui Oui – par l’entremise d’autres organismes ou services gouvernementaux Généralement négative Oui
5 Manitoba Signalement d’un professionnel de la santé à l’organisme de lutte contre le cancer provincial; signalement d’un employeur à l’organisme de lutte contre le cancer provincial; signalement d’une communauté de Premières Nations au médecin-hygiéniste régional Annuelle Oui Non ou ne sait pas Généralement positive Non
6 Manitoba Signalement d’un citoyen au médecin-hygiéniste régional Annuelle Oui Non ou ne sait pas Positive et négative Non
7 Alberta Signalement d’un citoyen à l’autorité de prestation de services de santé locale; signalement d’un citoyen au médecin-hygiéniste régional; signalement d’un professionnel de la santé au ministère de la Santé provincial; signalement d’une autorité de prestation de services de santé provinciale au ministère de la Santé provincial; signalement d’un employeur au ministère de la Santé provincial Annuelle Oui Oui – par l’entremise d’autres organismes ou services gouvernementaux Positive et négative Oui
8 Colombie-Britannique Signalement d’un citoyen au moyen d’un formulaire en ligne à l’organisme de lutte contre le cancer provincial; signalement d’un citoyen au ministère de la Santé provincial; signalement d’un citoyen au médecin-hygiéniste régional Annuelle Oui Non ou ne sait pas Positive et négative Non
9 Saskatchewan Signalement d’un citoyen au médecin-hygiéniste régional; signalement d’un citoyen au professionnel de la santé Annuelle Oui Oui – par l’entremise d’autres organismes ou services gouvernementaux Généralement positive Non
10 Québec Signalement d’un professionnel de la santé à l’organisme de santé publique régionale; signalement d’un employeur à l’organisme de santé publique régional Moins d’une fois par an Oui Oui Généralement négative Oui
11 Nouveau-BrunswickNote de bas de page a Information demandée par un citoyen; information demandée par des professionnels de la santé; information demandée par des médias Jamais; réponse à des demandes générales d’information sur le cancer sur une base annuelle Non Non ou ne sait pas ND ND
12 Territoires du Nord‑Ouest Signalement d’un citoyen aux autorités sanitaires locales; signalement d’un clinicien local au ministère de la Santé territorial; grappe découverte dans le cadre de la surveillance régulière des données sur le cancer par le ministère de la Santé territorial Moins d’une fois par an Oui Oui – par l’entremise d’organisations non gouvernementales Positive et négative Oui
13 Canada Signalement d’un responsable provincial, territorial ou régional de l’organisme d’enquête à l’ASPC Annuelle Oui Non ou ne sait pas Généralement positive Oui

Tous les responsables interrogés ont confirmé que des expositions environnementales ou professionnelles ont été présumées et évaluées dans au moins une des grappes de cancer signalées sur lesquels ils avaient enquêté. Dans cinq entrevues, les responsables ont déclaré qu’ils ne disposaient pas de personnel formé en communication des risques ou qu’ils ne connaissaient pas l’existence d’une telle formation. Dans trois entrevues, les responsables ont déclaré qu’ils avaient accès directement à du personnel formé en communication des risques, tandis que dans cinq entrevues, les responsables ont déclaré avoir occasionnellement accès à une telle expertise par l’entremise d’autres organismes gouvernementaux ou organisations non gouvernementales. Dans quatre entrevues, les responsables ont perçu une réponse globale du public positive après avoir répondu à des signalements de grappes de cancer, tandis que dans huit autres entrevues, les responsables ont perçu une réponse principalement négative ou mixte (à la fois positive et négative) du public. Dans cinq entrevues, les responsables ont mentionné la nécessité de poursuivre la communication avec la collectivité après avoir terminé d’enquêter sur une grappe de cancer présumée, soit parce que la collectivité avait demandé une surveillance accrue des taux d’incidence du cancer, soit parce que les responsables de la santé publique avaient à collecter plus de données pour observer les tendances.

Approches de communication

Les principaux thèmes qui sont ressortis de nos entrevues avec les responsables de la santé publique canadiens concernant les approches de communication et les défis rencontrés dans les enquêtes sur les signalements de grappes de cancer sont résumés dans le tableau 3. Dans huit entrevues, les responsables ont déclaré que les principaux messages communiqués pendant et après une enquête sur une grappe de cancer présumée consistaient à expliquer la différence entre les taux d’incidence du cancer observés et les taux attendus ainsi qu’à décrire les différents facteurs de risque associés à l’augmentation des taux de cancer (exposition au soleil, tabagisme, etc.). Dans trois entrevues, les responsables ont également mentionné comme thème principal de la communication aux citoyens les raisons pour lesquelles leur organisme décidait de mener ou non une enquête sur le signalement d’une grappe de cancer.

Tableau 3. Principaux thèmes ressortis des entrevues avec les responsables de la santé publique canadiens concernant les approches de communication et les défis rencontrés lors des enquêtes sur les grappes de cancer (n = 13)
Sujet Thèmes Nombre d’entrevues où le thème était présent (%)
Principaux messages communiqués à la collectivité pendant/après l’enquête Taux d’incidence observés contre taux d’incidence attendus 8 (62 %)
Facteurs de risque du cancer 8 (62 %)
Pour quelles raisons mener ou non une enquête 3 (23 %)
Principaux intervenants pour la communication Citoyens/collectivité 13 (100 %)
Autres ministères ou organismes gouvernementaux 13 (100 %)
Élus locaux 7 (54 %)
Employeurs 3 (23 %)
Médias d’information 3 (23 %)
Organisations non gouvernementales 1 (8 %)
Défis de la communication des risques Complexité de l’information 10 (77 %)
Tenir compte des perceptions du risque par le public 10 (77 %)
Rédaction de messages sur le risque 9 (70 %)
Considérations linguistiques ou culturelles 3 (23 %)
But de la communication des risques Éducation du public 11 (85 %)
Changement de comportement en santé 5 (38 %)
Traiter les préoccupations du public 5 (38 %)
Accroître la transparence 3 (23 %)
Formats de communication utilisés pour partager les résultats ou les conclusions de l’enquête Textes imprimés (rapports, brochures, etc.) 11 (85 %)
En personne 10 (77 %)
Par téléphone ou par courriel 9 (70 %)
Présentations 6 (46 %)
Rôle des médias dans le partage de l’information Rôle positif 6 (46 %)
Rôle négatif 5 (38 %)
Neutre 2 (15 %)

Tous les responsables interrogés ont cité les membres de la collectivité locale et d’autres organismes gouvernementaux comme les intervenants clés avec lesquels communiquer sur l’avancement d’une enquête; en revanche, l’importance de communiquer avec d’autres intervenants a moins fait l’unanimité. Dans un peu plus de la moitié des entrevues, les responsables ont cité les élus locaux (conseillers municipaux, députés, etc.) comme intervenants clés pour la communication alors que les médias d’information, les employeurs et les organisations non gouvernementales ont été moins souvent cités (dans respectivement 23 %, 23 % et 8 % des entrevues).

Dans la plupart des entrevues, les responsables ont déclaré que les plus grands défis rencontrés pour communiquer les risques aux citoyens tenaient à la complexité de l’information en lien avec les statistiques et les taux de cancer (77 %), aux problèmes de la prise en compte des perceptions du risque de cancer du public (77 %) et à la difficulté à rédiger des messages efficaces sur les risques (70 %). Dans trois entrevues, les responsables ont cité un autre défi à la communication efficace des risques : les barrières linguistiques et des considérations culturelles particulières lorsqu’il s’agit de communiquer avec les citoyens ayant une autre langue maternelle que les deux langues officielles du Canada (anglais et français) ou avec les nouveaux immigrants au Canada. Dans la plupart des entrevues, les responsables ont déclaré que le principal objectif de la communication des risques lors d’une enquête sur une grappe de cancer présumée était d’éduquer le public sur le cancer (85 %). Les autres objectifs de la communication des risques qui ont été mentionnés moins fréquemment dans les entrevues ont été : la promotion des changements de comportement en santé (38 %), la réponse aux préoccupations du public (38 %) et l’amélioration de la perception de la transparence du gouvernement par le public (23 %).

Concernant les approches précises de diffusion de l’information et de communication des résultats aux intervenants après une enquête sur une grappe de cancer présumée, les responsables ont mentionné les textes imprimés (rapports, brochures, etc.) et les interactions en personne avec les membres de la collectivité (assemblées générales, réunions individuelles, etc.) comme formats d’échange d’information les plus courants (respectivement 85 % et 77 %). Dans les cas de grappes de cancer présumées ayant fait l’objet d’une intervention à un stade précoce du processus sans nécessiter le lancement d’une enquête à grande échelle, les responsables dans la plupart des entrevues ont déclaré qu’une correspondance téléphonique ou par courriel avec la ou les personne(s) ayant signalé la grappe avait été entreprise (70 %). Dans six entrevues, les responsables ont également mentionné la présentation des résultats de type style PowerPoint).

Les responsables interrogés ont eu des expériences mitigées lorsqu’il a fallu utiliser des médias d’information pour diffuser de l’information dans le cadre d’enquêtes sur des signalements de grappes de cancer. Le rôle des médias pour aider à diffuser de l’information pendant l’enquête a été perçu comme positif par les responsables dans six entrevues, certains ayant évoqué une collaboration avec les médias d’information locaux dans le but de rendre compte des résultats de leurs enquêtes. Toutefois, dans sept entrevues, les responsables ont affirmé que les médias avaient joué un rôle négatif ou neutre dans la communication d’information relative aux enquêtes sur les grappes de cancer présumées.

Analyse

Malgré les préoccupations soulevées antérieurement au sujet de la valeur globale des enquêtes dans d’autres administrationsNote de bas de page 6, nous avons constaté que les responsables de la santé publique canadiens entreprennent régulièrement des enquêtes sur les grappes de cancer dans le but d’éduquer le public sur le cancer et de vérifier si les taux d’incidence du cancer observés dans une collectivité sont plus élevés que les taux attendus. Si ces objectifs semblent être uniformes dans l’ensemble du Canada, les procédures d’enquête varient considérablement entre les administrations ayant participé à cette étude. En l’absence de lignes directrices nationales sur les grappes de cancer, chaque administration canadienne a adopté une approche différente pour enquêter sur ces grappes. Certaines ont produit leurs propres lignes directrices et d’autres ont choisi principalement de suivre les procédures des CDC aux États-Unis.

Cette mosaïque d’approches a donné lieu à une faible cohérence procédurale pour réaliser les enquêtes sur les signalements de grappes de cancer dans les collectivités canadiennes, ce qui peut générer de la confusion chez les enquêteurs qui ne savent pas quelles lignes directrices suivre et comment intervenir efficacement. En effet, un participant a expliqué qu’il devait poser des questions par l’intermédiaire d’une liste de diffusion électronique pour savoir quelles lignes directrices étaient couramment utilisées dans sa propre administration et pour obtenir des conseils officieux d’autres épidémiologistes au sujet des pratiques exemplaires en matière d’enquête sur les grappes.

L’établissement de lignes directrices pancanadiennes en collaboration avec l’ensemble des provinces et des territoires canadiens pourrait par conséquent rendre le processus de réponse aux signalements de grappes de cancer plus uniforme entre les administrations canadiennes et au sein de chacune d’elles, et serait particulièrement bénéfique pour les administrations ne disposant pas actuellement de procédures ou de lignes directrices claires. Ces lignes directrices pancanadiennes pourraient également définir les tâches précises des enquêteurs et les compétences et l’expertise qu’ils doivent posséder, ce qui profiterait aux administrations qui n’ont pas d’enquêteurs principaux désignés, en éliminant une partie de l’incertitude actuelle quant aux organismes et aux personnes devant être responsables d’enquêter sur les grappes de cancer présumées dans chaque administration canadienne.

De plus, les approches utilisées par les responsables canadiens pour enquêter sur les grappes de cancer présumées (dans le cas où des lignes directrices sont utilisées) ne semblent pas toujours recourir à des pratiques exemplaires fondées sur des données probantes. Par exemple, bien qu’il soit largement reconnu que l’intérêt du public pour les grappes de cancer dépend fortement de la perception des dangers environnementaux et des expositions nocivesNote de bas de page 9, une seule administration a intégré la validation de l’exposition environnementale comme mesure définie dans son protocole d’enquête. En outre, seulement trois administrations ont explicitement défini dans leurs lignes directrices procédurales une étape pour vérifier la faisabilité d’une étude épidémiologique de la grappe de cancer signalée. Cette situation est surprenante au regard de la réticence croissante des responsables à mener des études épidémiologiques à grande échelle pour la plupart des grappes de cancer présumées — sauf ceux qui répondent à des critères précis justifiant une enquête — par manque de temps et de ressourcesNote de bas de page 24.

Fait intéressant, bien que la plupart des responsables aient mentionné l’information sur les facteurs de risque de cancer comme principal message communiqué au cours d’une enquête, seulement le tiers des administrations canadiennes interrogées ont intégré la communication des risques à chacune des étapes de leurs protocoles d’enquête. Par conséquent, l’établissement de lignes directrices pancanadiennes sur les grappes de cancer pourrait profiter aux responsables de la santé publique ainsi qu’aux membres de la collectivité d’où provient le signalement, en favorisant une adoption plus généralisée de pratiques exemplaires procédurales entourant la communication des risques et d’autres initiatives susceptibles d’améliorer la compréhension du cancer par le public.

Toutefois, les arguments en faveur de lignes directrices pancanadiennes sur les grappes de cancer vont au-delà de l’uniformité des procédures et de l’aide aux administrations qui ne disposent pas de lignes directrices ou ont des lignes directrices lacunaires : des lignes directrices pancanadiennes permettraient aux enquêteurs de dénombrer et de comparer les grappes de cancer signalées dans l’ensemble des administrations du pays, une pratique qui est aujourd’hui entravée par d’importantes divergences dans la manière de documenter les préoccupations relatives aux grappes et de déterminer les demandes d’enquête à transmettre. Par exemple, un participant interrogé a indiqué qu’il ne commençait pas à enquêter sur les signalements de grappes de cancer avant que chaque cas individuel (au sein de la grappe présumée) communique avec l’enquêteur pour confirmer son diagnostic de manière à ce que l’enquêteur puisse déterminer si le critère de définition de cas uniformes était satisfait. Dans d’autres administrations, les signalements de grappes sont validés au moyen d’une évaluation brute des taux observés par rapport aux taux attendus dans le domaine d’intérêt concerné. L’établissement de lignes directrices pancanadiennes offrant une approche uniforme pour valider les signalements de grappes de cancer aiderait à déterminer si les différences dans le nombre de grappes sur lesquelles on enquête entre les administrations canadiennes sont dues à des différences dans le nombre de grappes signalées ou à des différences dans la manière dont les responsables répondent aux signalements de grappes.

Enfin, des lignes directrices pancanadiennes sur les grappes de cancer seraient bénéfiques dans deux scénarios importants compte tenu de la compétence fédérale en matière de santé. Le premier scénario concerne les grappes dans les collectivités autochtones où des ambiguïtés entre les compétences provinciales et fédérales subsistent et où le besoin de cadres stratégiques nationaux en matière de santé a déjà été soulevé dans d’autres domaines que les grappes de cancerNote de bas de page 25. Le second scénario concerne les grappes pour lesquelles on présume une exposition environnementale transfrontalière entre deux provinces ou de deux côtés de la frontière canado-américaineNote de bas de page 26 et pour lesquelles le gouvernement fédéral aurait également compétence.

Notre étude a également mis en lumière certaines expériences des enquêteurs sur les grappes de cancer qui ont été partagées entre les administrations canadiennes. Les responsables de la santé publique interrogés se sont largement accordés sur les défis qui se présentent lorsqu’ils communiquent les risques aux intervenants, notamment la communication de renseignements statistiques complexes et la prise en compte des perceptions de risques élevés pour la santé provenant de dangers environnementaux du public. Ces difficultés sont le signe que les responsables de la santé publique bénéficieraient grandement du soutien accru d’employés spécialisés en communication formés sur ces questions. Ces conclusions corroborent en effet celles d’une enquête menée auprès des services de santé publics aux États-Unis chargés d’enquêter sur les grappes de cancer, dans laquelle 75 % des États ont déclaré avoir besoin d’un plus grand nombre de ressources en communication des risquesNote de bas de page 27. Or la plupart des responsables que nous avons interrogés ont déclaré qu’ils ne disposaient pas d’un accès direct à du personnel formé en communication des risques dans leur service. Heureusement, les pratiques exemplaires en communication des risques ont fait l’objet de nombreuses publicationsNote de bas de page 28Note de bas de page 29Note de bas de page 30; cependant, en l’absence d’une base de données pancanadienne sur les signalements de grappes avec des ressources d’enquête facilement accessibles pour les responsables de la santé publique en parallèle avec les lignes directrices procédurales, les enquêteurs pourraient être privés d’un outil utile pour communiquer les risques de façon plus efficace et plus uniforme.

En 2002, le National Center for Environmental Health (NCEH) des CDC aux États-Unis a créé une base de données nationale de signalement des grappes de cancer appelée Cancer Cluster Public Inquiry Triage System, ainsi qu’un serveur de liste de diffusion électronique. Cette base de données a été élaborée pour faire le suivi des préoccupations du public concernant les grappes de cancer et améliorer l’échange d’information entre les organismes de santé publique fédéraux, étatiques et locaux en offrant un mécanisme de partage de l’expertise et des méthodes scientifiquesNote de bas de page 31. Une base de données canadienne de signalement des grappes de cancer similaire pourrait servir à mettre en place une plateforme permettant aux chercheurs fédéraux, provinciaux et locaux d’échanger des connaissances et des pratiques exemplaires dans le domaine de la réponse aux signalements initiaux de grappes. Elle pourrait être particulièrement utile pour les chercheurs moins expérimentés, en leur fournissant un réseau d’experts chevronnés à consulter sur les méthodes d’enquête sur les grappes de cancer si une enquête à grande échelle était justifiée après que les préoccupations initiales aient été validées et que les autres critères établis par les enquêteurs aient été satisfaits.

De plus, ce type de base de données offrirait aux responsables de la santé publique canadiens la possibilité d’analyser les catégories d’expression des préoccupations des citoyens au sujet du cancer et de dangers particuliers. Cette analyse des plaintes pourrait aider les responsables à identifier les collectivités dans lesquelles des campagnes d’éducation sur le cancer et les facteurs de risque de cancer seraient les plus utiles et on pourrait offrir aux citoyens des renseignements précieux sur certains cancers ou dangers locaux. Par exemple, le NCEH aux États-Unis s’est servi de sa base de données pour déterminer quels types de cancers étaient les plus fréquemment cités par les plaignants, afin d’éclairer l’élaboration d’outils éducatifs supplémentairesNote de bas de page 31. Une enquête récente a montré qu’environ la moitié des États américains signalaient régulièrement des demandes de renseignements sur le cancer dans le cadre du programme de suiviNote de bas de page 32. Dans d’autres administrations, les organismes de réglementation ont utilisé des bases de données contenant des données sur les plaintes relatives aux expositions dangereuses pour orienter les efforts vers des études d’évaluation de l’exposition ciblées et améliorer la gestion des risques d’expositionNote de bas de page 33.

Ces travaux ont abouti à une autre conclusion intéressante : les responsables de la santé publique interrogés s’entendent sur le fait que l’objectif principal de la communication des risques est d’informer le public sur les risques de cancer. S’il s’agit d’un objectif important pour tout organisme de santé publique dans le cadre de ses activités courantes, cet objectif risque de ne pas correspondre aux attentes d’un citoyen signalant une grappe de cancer qui cherche à obtenir des réponses à un schéma inexpliqué de diagnostics de cancer. D’autres recherches ont révélé que lorsqu’une enquête sur une grappe ne confirme pas un excès de cas de cancer statistiquement significatif, les citoyens préoccupés persistent souvent à croire que la concentration des cas de cancer ne peut pas relever du hasard, en grande partie à cause du manque de confiance envers les experts en santé publiqueNote de bas de page 34.

Par conséquent, la réponse aux préoccupations du public sur la menace perçue et le maintien de la confiance et de la crédibilité devraient faire partie des objectifs principaux des activités de communication des risques pendant une enquête et pourraient nécessiter une approche de communication différente de celle axée sur l’éducation seulement. De fait, un responsable interrogé a fait remarquer que la transparence envers les citoyens sur les étapes suivies pour prendre la décision d’enquêter ou non sur leurs préoccupations a contribué à une réponse générale positive de la part des membres de la collectivité locale même si l’enquête n’a pas abouti à une étude épidémiologique complète pour déterminer les causes du cancer.

Par conséquent, plutôt que d’essayer de déceler une grappe de cancer sur la base d’un petit nombre de cas en général trop faible pour permettre une analyse statistique instructive, les experts en santé publique devraient plutôt orienter les ressources vers la réponse aux préoccupations du public sur le cancer. En effet, M. Rothman a déclaré que « la réponse aux signalements de grappes perçues visait à apaiser l’anxiété de la collectivité face aux problèmes environnementaux. L’enquête sur les signalements de grappes peut par conséquent poursuivre des fins à la fois sociales et scientifiques et pourrait être considérée de manière plus constructive comme un service social plutôt que comme une activité scientifique »Note de bas de page 35,p.14.

L’utilisation d’approches de communication en personne et bilatérale pour présenter les conclusions d’une enquête sur une grappe de cancer présumée s’est également révélée efficace pour réduire les tensions et répondre aux préoccupationsNote de bas de page 36, point de vue qui a été repris par la plupart des responsables interrogés dans le cadre de cette étude. Par conséquent, il conviendrait d’envisager de remplacer les méthodes utilisées avec les intervenants publics par cette méthode de communication, même si celle-ci peut nécessiter des formations supplémentaires ou des ressources axées sur l’engagement vis-à-vis de la population.

Les enquêteurs doivent évaluer le désir de communication en personne chez les plaignants et la faisabilité de l’intégration de telles approchesNote de bas de page 37. Cette faisabilité dépend du temps requis pour adapter les messages aux besoins d’une collectivité et des coûts pour animer les discussions pouvant avoir lieu en personne (comme des assemblées générales) ou de plus en plus souvent sur des plateformes virtuelles (comme des réunions Zoom). Il est intéressant de noter qu’une personne interrogée a constaté des améliorations notables de la confiance du public après la mobilisation d’une organisation non gouvernementale externe pour coordonner des réunions en personne d’échange d’information et de discussion avec les membres de la collectivité pendant une enquête sur une grappe de cancer présumée : de cette manière, les responsables de la santé publique participaient à la discussion avec les membres de la collectivité locale au lieu de diriger la discussion. Ce type d’approche s’inscrit dans la théorie de la communication participative autour des modèles horizontaux de communicationNote de bas de page 38 et devrait continuer à être explorée par les responsables de la santé publique qui travaillent avec les intervenants communautaires comme moyen de renforcer la confiance des membres de la collectivité locale.

Points forts et limites

Il s’agit de la première étude qui explore les pratiques d’enquête sur les grappes de maladies non transmissibles des organismes et des responsables de la santé publique dans l’ensemble du Canada. L’ampleur de la couverture régionale des pratiques procédurales saisies à l’aide à la fois d’une analyse thématique des entrevues menées auprès des experts et d’une analyse du contenu de documents textuels doit être considérée comme une force majeure d’une étude de ce type.

Cette étude comporte cependant des limites importantes. Premièrement, même si nous avons tenté d’obtenir un échantillon diversifié de participants possédant des expériences variées en matière d’enquête sur les grappes de cancer dans l’ensemble du Canada, notre liste de responsables de la santé publique interrogée n’était pas exhaustive. Notre approche de recrutement des participants visait plutôt à recueillir des points de vue détaillés auprès d’un plus petit échantillon d’experts clés. Une autre limite de l’étude tient à la difficulté à comparer les administrations au Canada et à l’étranger, dans la mesure où les organismes et les services de santé publique présentent de grandes différences dans leur organisation, leur administration des tâches et leurs ressources. De futures recherches sur les forces et les faiblesses des approches d’enquête dans une variété d’administrations à l’échelle mondiale pourraient faciliter les comparaisons en offrant davantage de contextes. De plus, les réponses obtenues par d’autres enquêteurs dans chaque province et territoire auraient été sans doute différentes selon l’étendue des connaissances et de l’expérience du responsable de la santé publique interrogé. Toutefois, les expériences des responsables interrogés dans le cadre de cette étude offrent un aperçu des défis communs susceptibles d’être rencontrés par les enquêteurs de nombreuses autres administrations.

Conclusion

En résumé, si cette étude a montré que les lignes directrices sur les grappes de cancer des CDC sont une ressource internationale importante en raison de leur facilité d’utilisation et de leur accessibilité, elle a également montré que l’établissement de lignes directrices pancanadiennes pour enquêter sur les signalements de grappes de cancer offrirait certains avantages. Des lignes directrices pancanadiennes permettraient non seulement d’améliorer l’uniformité des procédures entre les organismes locaux, provinciaux et territoriaux et de corriger d’importants écarts dans les pratiques de santé publique en réponse aux signalements de grappes de cancer présumées au Canada, mais elles seraient également justifiées dans des situations où le gouvernement fédéral a déjà compétence sur les questions de santé environnementale. En outre, une plus grande uniformité dans les approches adoptées par les administrations du pays grâce à l’établissement de lignes directrices pancanadiennes permettrait aux enquêteurs de comparer les réponses aux signalements de grappes de cancer des différentes provinces et territoires et faciliterait l’évaluation des procédures adoptées.

Cette étude a également fait ressortir les avantages à élaborer une base de données canadienne des grappes qui servirait de système de signalement pour suivre les préoccupations des citoyens et de plateforme de partage des ressources pour les responsables de la santé chargés de répondre aux signalements de grappes. Une base de données de ce type aiderait également les organismes locaux, provinciaux et fédéraux à mener des activités éducatives en santé publique pour offrir des renseignements précieux en réponse aux demandes des citoyens sur les grappes de cancer, et pourrait également répondre à certaines préoccupations des citoyens au sujet du cancer sans nécessiter le lancement d’enquêtes sur les grappes qui sont peu susceptibles de donner des réponses définitives sur les causes présumées des cancers. Cependant, l’éducation du public est plus efficace lorsque les responsables de la santé chargés de répondre aux préoccupations des collectivités possèdent les compétences et la formation nécessaires en communication des risques, ce qui semble être un défi majeur pour les responsables que nous avons interrogés.

Par ailleurs, dans les rares cas où les enquêteurs sur les grappes franchissent les étapes initiales de la procédure de réponse et s’orientent vers une enquête plus officielle, nous recommandons, en nous appuyant sur les points de vue exprimés par les responsables de la santé publique interrogés, que les enquêteurs envisagent des approches de communication participative en personne dans la mesure du possible. Le recours à des pratiques de communication participative à cette phase de l’enquête peut améliorer la participation du public au moment de présenter les conclusions de l’enquête et, surtout, aider les responsables à gérer les attentes de la collectivité à l’égard des résultats des enquêtes à l’aide d’un dialogue ouvert et transparent. Dans la mesure où les citoyens qui signalent des grappes de cancer présumées espèrent souvent obtenir des réponses sur la cause de leur diagnostic ou de celui d’un proche, l’impossibilité de la plupart des enquêtes sur les grappes à répondre à de telles attentes devrait être un fait clé communiqué honnêtement aux citoyens concernés dès le début de l’intervention en réponse à un signalement de grappe.

Remerciements

Nous remercions chacune des personnes interrogées pour leur temps et leurs commentaires. Ce projet a été financé par le Conseil de recherches en sciences humaines du Canada (Prix no 767-2019-1269). Nous remercions également les évaluateurs du manuscrit qui ont présenté des commentaires précieux pour améliorer considérablement ce travail.

Conflits d’intérêts

Les auteurs déclarent n’avoir aucun conflit d’intérêts.

Contributions des auteurs et avis

Tous les auteurs ont contribué à la conception de l’étude. CS a dirigé la collecte des données, l’analyse et la préparation du manuscrit. NY a fourni une aide analytique et formulé des commentaires sur l’ensemble des ébauches du manuscrit. Les deux auteurs ont approuvé le manuscrit final pour publication.

Le contenu de l’article et les points de vue qui y sont exprimés n’engagent que les auteurs; ils ne correspondent pas nécessairement à ceux du gouvernement du Canada.

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