Recherche quantitative originale – Changements observés au Canada dans la consommation de cannabis à des fins médicales pendant la pandémie de COVID-19
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Publié par : L'Agence de la santé publique du Canada
Date de publication : mars 2023
ISSN: 2368-7398
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Stephanie Lake, Ph. D.Note de rattachement des auteurs 1Note de rattachement des auteurs 2; Ziva D. Cooper, Ph. D.Note de rattachement des auteurs 1Note de rattachement des auteurs 2Note de rattachement des auteurs 3; Kaye Ong, B. Sc.Note de rattachement des auteurs 4; Philippe Lucas, Ph. D.Note de rattachement des auteurs 4Note de rattachement des auteurs 5
https://doi.org/10.24095/hpcdp.43.3.02f
Cet article a fait l’objet d’une évaluation par les pairs.
Rattachement des auteurs
Correspondance
Stephanie Lake, UCLA Center for Cannabis and Cannabinoids, 760 Westwood Plaza, Suite 38-418, Los Angeles (California) 90095, États-Unis; tél. : 310-206-2104; courriel : slake@mednet.ucla.edu
Citation proposée
Lake S, Cooper ZD, Ong K, Lucas P. Changements observés au Canada dans la consommation de cannabis à des fins médicales pendant la pandémie de COVID-19. Promotion de la santé et prévention des maladies chroniques au Canada. 2023;43(3):128-139. https://doi.org/10.24095/hpcdp.43.3.02f
Résumé
Introduction. La pandémie de COVID‑19 a eu des effets négatifs généralisés sur la santé, notamment une perte de sécurité matérielle et une exacerbation des maladies mentales chez les populations à risque. Bien que l’on ait observé une augmentation des cas d’usage non médical de certaines substances, dont le cannabis, dans des échantillons de la population canadienne, aucune étude n’a porté sur les changements dans la consommation de cannabis à des fins médicales au Canada pendant la pandémie de COVID.
Méthodologie. Les données ont été tirées de l’Enquête canadienne sur le cannabis de 2021, une enquête en ligne réalisée en mai 2021 auprès de personnes autorisées à utiliser du cannabis à des fins médicales et qui ont été recrutées par le biais de l’un des deux producteurs de cannabis à usage médical autorisés au Canada. Nous avons eu recours à des tests de McNemar pour comparer la fréquence de consommation de cannabis à des fins médicales au cours des trois mois ayant précédé la pandémie et la fréquence de consommation de cannabis à des fins médicales pendant la pandémie. Nous avons exploré les corrélats d’une augmentation de fréquence de consommation de cannabis depuis le début de la pandémie dans des modèles logistiques à deux variables et à variables multiples.
Résultats. Au total, 2 697 répondants (49,1 % de femmes) ont répondu à l’enquête. La consommation quotidienne de cannabis à des fins médicales a augmenté légèrement, mais de façon statistiquement significative, entre la période prépandémique (83,2 %) et la période pandémique (90,3 % au moment de l’enquête; p < 0,001). Les facteurs associés de manière statistiquement significative à l’augmentation de la fréquence de consommation de cannabis à des fins médicales sont notamment le genre féminin, un âge plus jeune, une perte d’emploi liée à la pandémie, la consommation de cannabis principalement pour la gestion de sa santé mentale, l’usage de médicaments sur ordonnance et la consommation de cannabis à des fins non médicales (p < 0,05).
Conclusion. Depuis le début de la pandémie de COVID‑19, il y a eu une tendance légèrement à la hausse de la fréquence de consommation de cannabis à des fins médicales. Comme on ignore quels sont les effets à court et à long terme de la consommation de cannabis sur la détresse mentale en lien avec une pandémie, les cliniciens dont des patients utilisent du cannabis à des fins médicales devraient être à l’affût d’éventuels changements d’habitudes de consommation durant la pandémie.
Mots-clés : COVID‑19, cannabis, cannabis à usage médical, Canada, enquête
Points saillants
- Nous avons mené une enquête auprès de Canadiens autorisés à utiliser du cannabis à des fins médicales pour vérifier si leur consommation a changé pendant la pandémie de COVID‑19 et si oui, comment.
- La consommation quotidienne de cannabis à des fins médicales a augmenté légèrement et de façon statistiquement significative au début de la pandémie.
- L’augmentation de la consommation de cannabis à des fins médicales a été plus fréquente chez les femmes, les jeunes, les personnes ayant perdu leur emploi pendant la pandémie et les personnes utilisant du cannabis pour gérer leur santé mentale.
Introduction
La pandémie de COVID‑19 et les politiques mises en œuvre en réponse à celle-ci ont eu des répercussions directes et indirectes généralisées, durables et cumulatives sur la santé et la qualité de vie des populations du monde entier. Dans de nombreux endroits, on a reporté les interventions médicales non urgentes afin que les ressources en soins de santé puissent être consacrées à la réponse à la COVID‑19 et on a mis en place des mesures de santé publique telles que des restrictions sur les rassemblements, les déplacements et les services non essentiels afin de freiner la transmission communautaire du virus. Bien qu’ils aient été essentiels pour réduire le nombre de cas, ces changements brusques ont entraîné une augmentation du sentiment de solitude, d’ennui et d’isolementNote de bas de page 1, ainsi qu’une augmentation de l’insécurité matérielle et financièreNote de bas de page 2.
Les perturbations de la vie quotidienne, associées à la crainte de contracter ou de transmettre le SRAS-CoV-2, sont devenues une source de stress importante pour de nombreuses personnesNote de bas de page 3Note de bas de page 4Note de bas de page 5Note de bas de page 6Note de bas de page 7. En effet, des études menées au début de la pandémie ont révélé une détérioration marquée de la santé mentale dans les populations du monde entier, ainsi qu’une exacerbation des symptômes d’anxiété, de détresse, de dépression, d’insomnie et de stress post-traumatiqueNote de bas de page 8Note de bas de page 9Note de bas de page 10Note de bas de page 11Note de bas de page 12.
Ces changements de nature sociale, économique et psychologique provoqués par la pandémie ont eu pour corollaire une modification des contextes, des motivations et des habitudes associés à la consommation de substances. Par exemple, dans un échantillon représentatif de la population américaine, environ 1 adulte sur 8 a déclaré avoir commencé à consommer une substance ou avoir augmenté sa consommation d’une substance pour surmonter les émotions négatives liées à la pandémie et des taux élevés d’anxiété ou de dépression (31 %) et de symptômes liés à un traumatisme ou au stress (26 %) ont également été déclarésNote de bas de page 13. Des études menées en Australie, au Canada et aux États-Unis ont révélé une augmentation de la consommation d’alcool chez les personnes souffrant d’un stress important, d’anxiété et de dépressionNote de bas de page 14Note de bas de page 15Note de bas de page 16Note de bas de page 17Note de bas de page 18Note de bas de page 19.
Au Canada, où le cannabis est légal et réglementé depuis 2018, la prévalence de consommation (au cours de la semaine précédant l’enquête) de cannabis à des fins non médicales dans l’ensemble de la population ne semble pas avoir changé de façon notable pendant la pandémie de COVID‑19Note de bas de page 20. Toutefois, entre 30 % et 50 % des personnes qui consommaient du cannabis à des fins non médicales avant la pandémie ont augmenté pendant la pandémie leur fréquence de consommationNote de bas de page 3Note de bas de page 20Note de bas de page 21Note de bas de page 22. Cette estimation est encore plus élevée en présence de dépression, d’anxiété ou d’idéations suicidairesNote de bas de page 3.
Selon diverses enquêtes, entre 30 % et 40 % des personnes qui consomment du cannabis le font à la fois à des fins médicales et non médicalesNote de bas de page 23Note de bas de page 24. Au Canada, les cliniciens peuvent autoriser la consommation de cannabis à des fins médicales pour un large éventail d’affections ou de symptômes, notamment la douleur, l’anxiété, la dépression, l’état de stress post-traumatique (ESPT) et les troubles du sommeilNote de bas de page 25Note de bas de page 26. Environ 22 % des personnes qui consomment du cannabis à des fins médicales au Canada sont autorisées à le faire par un professionnel de la santéNote de bas de page 27.
Bien que l’on ait constaté, pendant la pandémie de COVID‑19, une aggravation de nombreux symptômes et états qui se chevauchent et qui sont couramment gérés par la consommation de cannabis à des fins médicales (douleur chronique, anxiété, dépression, ESPT, insomnie, etc.)Note de bas de page 28Note de bas de page 29, il n’y a pas d’études sur l’évolution de la consommation de cannabis à des fins médicales chez les Canadiens qui sont autorisés à en faire usage. Les données annuelles de l’Enquête canadienne sur le cannabis laissent entendre que la prévalence de consommation autodéclarée (c’est-à-dire pas nécessairement autorisée) de cannabis à des fins médicales est restée stable en 2019, 2020 et 2021Note de bas de page 27Note de bas de page 30. Nous n’avons connaissance d’aucune étude qui porte sur l’évolution de la fréquence de consommation de cannabis à des fins médicales au cours de cette période et dans un même échantillon de personnes consommant du cannabis à de telles fins.
À l’aide de données recueillies auprès d’un vaste échantillon de résidents canadiens autorisés à consommer du cannabis à des fins médicales, nous avons cherché 1) à documenter les changements de fréquence de consommation de cannabis à des fins médicales, 2) à explorer les changements concomitants dans la consommation d’alcool et de tabac et dans l’utilisation de médicaments sur ordonnance et de drogues non réglementées et 3) à identifier les corrélats indépendants de l’augmentation de la consommation de cannabis à des fins médicales pendant la pandémie de COVID‑19.
Méthodologie
Échantillon de l’étude
Les données utilisées pour cette étude sont tirées de l’Enquête canadienne sur le cannabis de 2021. Cette enquête a été élaborée en consultation avec des partenaires universitaires du Canada et des États-Unis et a été menée par Tilray, un producteur canadien autorisé de cannabis à usage médical.
Toutes les personnes autorisées à utiliser du cannabis à des fins médicales inscrites auprès de Tilray ou du producteur agréé Aphria ont reçu par courriel un lien protégé par un mot de passe leur permettant de répondre à l’enquête. L’enquête fut accessible du 7 au 14 mai 2021 sur REDCap, un système de saisie électronique de données conforme au Health Insurance Portability and Accountability Act (HIPAA) des États-Unis et à la Loi sur la protection des renseignements personnels et les documents électroniques (LPRPDE) du Canada. Les personnes interrogées ont donné leur consentement éclairé avant de participer à l’étude et ont répondu à des questions portant sur certaines caractéristiques sociodémographiques, sur les raisons pour lesquelles elles utilisent du cannabis à des fins médicales et sur leurs habitudes en matière de consommation de cannabis et d’autres substances. Les répondants ayant fourni un numéro de patient valide délivré par Tilray ou Aphria ont pu participer au tirage au sort de trois crédits de 1 000 $ CA pour l’achat de cannabis à des fins médicales auprès de leur fournisseur agréé.
L’approbation éthique de cette enquête a été accordée par Advarra, un comité d’examen institutionnel indépendant (numéro d’approbation : Pro00050772).
Mesures
Fréquence de consommation de cannabis à des fins médicales
Afin d’explorer les habitudes de consommation de cannabis à des fins médicales pendant la pandémie de COVID‑19, nous avons ajouté un bloc de questions liées à la pandémie dans l’Enquête canadienne sur le cannabis de 2021.
Tout d’abord, nous avons demandé aux répondants d’indiquer leur fréquence moyenne de consommation de cannabis à des fins médicales pendant trois périodes, que nous avons définies en fonction du début de la pandémie mondiale : la période « pré-COVID » correspond à la période d’approximativement 3 mois ayant précédé la déclaration de la pandémie de COVID‑19 (environ du 1er janvier 2020 au 15 mars 2020), la « vague 1 » correspond à la période ayant immédiatement suivi la déclaration de la pandémie, au cours de laquelle les nouveaux cas ont augmenté régulièrement, puis ont diminué et sont restés relativement stables (environ du 15 mars 2020 au 30 août 2020) et la « vague 2 » correspond à la période caractérisée par une hausse beaucoup plus rapide et importante du nombre de nouveaux cas (environ du 1er octobre 2020 au moment de la collecte des données).
Pour chacune de ces périodes, les participants ont été interrogés sur leur fréquence de consommation de cannabis à des fins médicales. Comme dans le test de dépistage de l’alcoolisme, du tabagisme et des toxicomanies (ASSIST)Note de bas de page 31, les catégories de réponse étaient les suivantes : « jamais », « une ou deux fois », « à une fréquence mensuelle », « à une fréquence hebdomadaire » et « à une fréquence quotidienne ou presque ». En prévision de taux élevés d’usage quotidien dans cet échantillon d’utilisateurs de cannabis à des fins médicalesNote de bas de page 24, les répondants autorisés à consommer du cannabis à des fins médicales à une fréquence quotidienne ont été invités à préciser le nombre approximatif de fois où ils consommaient du cannabis par jour : 1 à 2 fois, 3 à 5 fois, 6 à 10 fois ou plus de 10 fois.
Pour obtenir une mesure correspondant au changement et au sens du changement de la fréquence de consommation de cannabis à des fins médicales pendant la pandémie de COVID‑19, nous avons reporté les catégories de fréquence initiales sur une échelle de 0 à 7 (de jamais [0] à plus de 10 fois par jour [7]) et nous avons calculé le changement par rapport à la valeur de référence (le score « pré-COVID ») séparément pour la vague 1 et la vague 2, en soustrayant la fréquence pré-COVID de la fréquence observée lors de chaque vague. Les scores de changement de 1 ou plus, de −1 ou moins et de 0 en ce qui concerne la fréquence de consommation de cannabis à des fins médicales pendant la période en question correspondent respectivement à une augmentation, à une diminution et à une absence de changement. Un score de changement de 1 ou plus dans l’une des périodes a été considéré comme une augmentation par rapport à la valeur de référence, et un score de changement de −1 ou moins dans l’une des périodes a été considéré comme une diminution par rapport à la valeur de référence.
Raisons de la modification de la consommation de cannabis à des fins médicales
Nous avons demandé aux répondants s’ils jugeaient que leur consommation de cannabis à des fins médicales avait changé pendant la pandémie. Ceux ayant répondu « oui » ont été invités à expliquer la ou les raison(s) de ce changement. Les catégories de réponses étaient les suivantes : adaptation à l’autorisation d’utiliser du cannabis à des fins médicales; changement quant à l’accessibilité ou à la disponibilité du cannabis; coût; consignes relatives à la distanciation physique; temps passé à la maison; anxiété; troubles du sommeil; isolement; sentiment de solitude; risque lié à la COVID‑19; gravité des symptômes de COVID‑19; autres (boîte de texte permettant de recueillir les autres réponses).
Changements dans la consommation d’autres substances
Nous avons demandé aux répondants d’indiquer comment leur consommation d’autres substances (alcool, tabac, médicaments sur ordonnance [opioïdes et non opioïdes], drogues non réglementées [cocaïne ou crack, méthamphétamine, opioïdes non réglementés]) avait évolué pendant la pandémie (c’est-à-dire après le 15 mars 2020). Pour chacune de ces substances, les répondants pouvaient indiquer que leur consommation avait augmenté, avait diminué ou n’avait pas changé, ou alors indiquer qu’ils n’en avaient jamais consommé.
Analyse statistique
Nous avons tout d’abord calculé le nombre et la proportion de répondants ayant déclaré consommer du cannabis à des fins médicales à une fréquence inférieure à hebdomadaire, à une fréquence hebdomadaire et à une fréquence quotidienne au cours de chaque période d’évaluation. Nous avons utilisé un test de McNemar-Bowker pour évaluer les changements globaux de fréquence de consommation au sein de chaque groupe, et des tests de McNemar avec correction de Bonferoni pour évaluer les changements de fréquence par paire entre les périodes d’évaluation (par exemple d’une fréquence inférieure à hebdomadaire à une fréquence hebdomadaire de la période pré-COVID à la première vague, d’une fréquence inférieure à hebdomadaire à une fréquence hebdomadaire de la première à la deuxième vague, etc.). Nous avons ensuite étudié de façon descriptive les raisons fournies pour expliquer l’augmentation ou la diminution de la fréquence de consommation depuis la période d’évaluation pré-COVID.
Ensuite, nous avons utilisé des tests du chi carré (ou des tests exacts de Fisher, selon le cas) pour évaluer les changements dans la consommation d’autres substances pendant la pandémie (stabilité, diminution ou augmentation de la fréquence), avec une stratification en fonction de l’augmentation de la consommation de cannabis à des fins médicales pendant la pandémie (oui ou non). Si les résultats étaient statistiquement significatifs (p < 0,05), nous réalisions des tests du chi carré avec analyse post hoc par paires et correction de Bonferroni.
Enfin, nous avons construit des modèles de régression logistique exploratoires à deux variables et à variables multiples pour étudier les corrélats liés aux caractéristiques sociodémographiques, à la consommation de substances et à la santé qui étaient associés à l’augmentation de la consommation de cannabis à des fins médicales pendant la pandémie de COVID‑19. L’échantillon analytique utilisé pour le modèle a été limité aux répondants qui étaient autorisés à augmenter la fréquence de leur consommation de cannabis à des fins médicales (c’est-à-dire ceux qui consommaient du cannabis à des fins médicales moins de 10 fois par jour pendant la période pré-COVID).
Nous avons étudié les covariables suivantes : genre (femme ou homme), âge (par tranche de 5 ans), revenu annuel du ménage (< 40 000 $ CA, 40 000 à 99 999 $ CA, 100 000 à 159 999 $ CA, ≥ 160 000 $ CA), activité professionnelle (temps partiel/plein, chômage/invalidité, retraite), perte d’emploi pendant la pandémie (oui ou non), milieu de vie (zone urbaine/suburbaine ou zone rurale), consommation de cannabis à des fins non médicales (oui ou non), consommation d’alcool (oui ou non), consommation de tabac (oui ou non), consommation de cocaïne/crack, d’opioïdes illicites (par exemple héroïne) ou de méthamphétamine (regroupés dans une catégorie « drogues non réglementées »; oui ou non), opioïdes sur ordonnance et médicaments non opioïdes sur ordonnance (regroupés dans une catégorie « médicaments sur ordonnance »; oui ou non) et principaux symptômes traités avec du cannabis à usage médical. Cette information sur les principaux symptômes traités avec du cannabis à usage médical a été tirée d’une liste de catégories de symptômes, à laquelle il était également possible d’ajouter d’autres symptômes.
Nous avons construit les regroupements binaires (oui ou non) suivants à partir des symptômes prédéterminés et autodéclarés : 1) douleur, inflammation, lésions nerveuses; 2) troubles du sommeil; 3) anxiété, stress, hypersensibilité; 4) dépression, moral bas; 5) dépendance, sevrage; 6) déficit d’attention, perte de mémoire; 7) nausée, perte d’appétit ou problèmes gastro-intestinaux; 8) convulsions, spasmes musculaires, tremblements et 9) autres (réponses qui ne peuvent être raisonnablement classées dans aucun des groupes ci-dessus).
Nous avons adopté une approche prudente pour la construction du modèle à variables multiples, selon laquelle toutes les covariables susmentionnées qui présentaient un niveau de signification statistique dans le modèle bivarié (p < 0,20) ont été incluses dans les analyses multivariées.
Puisque certains participants pourraient avoir accru leur consommation de cannabis à des fins médicales après avoir reçu l’autorisation médicale de le faire, nous avons effectué une analyse de sensibilité. La valeur de 0 a été utilisée pour ce paramètre dans le cas des participants dont la consommation accrue de cannabis à des fins médicales était uniquement attribuable à l’autorisation reçue.
Toutes les analyses ont été effectuées avec la version 1.4.1106 du logiciel R de Rstudio (R Foundation for Statistical Computing, Vienne, Autriche). Les valeurs p sont toutes bilatérales.
Résultats
Sur les 27 431 personnes inscrites auprès de Tilray ou d’Aphria (ou des deux) ayant reçu un lien vers l’enquête, 2 697 (9,8 %) ont fourni des réponses complètes. Parmi elles, 1 325 (49,1 %) étaient des femmes (âge moyen : 54,3 ans [écart-type : 14,0]). La plupart des répondants (91,3 %) étaient d’origine blanche et vivaient dans le centre du Canada ou les Prairies (tableau 1).
Caractéristique | n | % |
---|---|---|
Âge moyen (ÉT), en années | 54,3 (14,0) | s.o. |
Genre | ||
Homme | 1 352 | 50,1 |
Femme | 1 325 | 49,1 |
AutreNote de bas de page a | 10 | 0,4 |
Non déclaré | 10 | 0,4 |
Race/origine ethniqueNote de bas de page b | ||
Blanche | 2 463 | 91,3 |
Noire | 36 | 1,3 |
Hispanique | 27 | 1,0 |
Asiatique | 60 | 2,2 |
Autochtone | 67 | 2,5 |
Métisse | 64 | 2,4 |
Autre | 70 | 2,6 |
Région | ||
Canada atlantique | 251 | 9,3 |
Centre du Canada | 1 276 | 47,3 |
Prairies | 930 | 34,5 |
Côte Ouest | 235 | 8,7 |
Territoires du Nord | 5 | 0,2 |
Milieu de vie | ||
Zone urbaine | 2 077 | 77,0 |
Zone rurale | 620 | 23,0 |
Revenu annuel du ménage (en $ CA) | ||
< 40 000 | 607 | 22,5 |
40 000 à 99 999 | 1 281 | 47,5 |
100 000 à 159 999 | 599 | 22,2 |
≥ 160 000 | 210 | 7,8 |
Activité professionnelle | ||
Temps plein ou temps partiel | 1 202 | 44,6 |
Chômage | 608 | 22,5 |
Retraite | 887 | 32,9 |
Consommation de cannabis à des fins non médicales | ||
Oui | 923 | 34,2 |
Non | 1 764 | 65,4 |
La prévalence de la consommation quotidienne de cannabis à des fins médicales dans l’échantillon était de 83,2 % (n = 2 245) durant la période pré-COVID, de 85,9 % (n = 2 317) durant la vague 1 et de 90,3 % (n = 2 422) durant la vague 2 (voir le tableau 2). Un test de McNemar-Bowker a confirmé des changements statistiquement significatifs dans la fréquence de consommation de cannabis à des fins médicales pendant la pandémie (p < 0,001) : les tests post hoc par paires ont montré une augmentation statistiquement significative d’une fréquence de consommation inférieure à hebdomadaire à une fréquence hebdomadaire ou quotidienne entre la période pré-COVID et la première vague (p < 0,001 dans les deux cas, après ajustement), et une augmentation statistiquement significative d’une fréquence de consommation inférieure à hebdomadaire à une fréquence quotidienne entre la première et la deuxième vague (p < 0,001 après ajustement) (tableau 2).
Fréquence | n (%) | ||
---|---|---|---|
Pré-COVIDNote de bas de page a | Vague 1Note de bas de page b | Vague 2Note de bas de page c | |
Inférieure à hebdomadaire | 294 (10,9) | 243 (9,0) | 135 (5,0) |
Hebdomadaire | 158 (5,9) | 137 (5,1) | 125 (4,7) |
Quotidienne | 2 245 (83,2) | 2 317 (85,9) | 2 422 (90,3) |
Environ 546 répondants (18,4 %) ont augmenté leur fréquence de consommation de cannabis à des fins médicales depuis la période pré-COVID. Les raisons le plus souvent invoquées pour justifier cette hausse étaient l’anxiété (n = 280 [51,3 %]); les troubles du sommeil (n = 206 [37,7 %]); les consignes relatives à la distanciation physique ou le fait de passer davantage de temps à la maison (n = 194 [35,5 %]); l’isolement ou la solitude (n = 149 [27,3 %]) et la modification de l’autorisation de consommer du cannabis à des fins médicales (n = 91 [16,7 %]) (tableau 3).
Par ailleurs, 123 autres répondants (18,4 %) ont réduit leur fréquence de consommation de cannabis. Les principales raisons invoquées pour justifier cette baisse étaient l’anxiété et les troubles du sommeil, signalés respectivement par 18,7 % (n = 23) et 21,1 % (n = 26) du groupe.
Au total, 50 répondants (9,2 %) ayant augmenté leur consommation et 6 répondants (4,9 %) ayant réduit leur consommation ont mentionné le risque lié à la COVID‑19 ou la gravité des symptômes pour justifier la modification de leur fréquence de consommation de cannabis (voir le tableau 3 sur les raisons expliquant la modification de la fréquence de consommation de cannabis à des fins médicales pendant la pandémie de COVID‑19).
Raison de la modification par rapport à la période pré-COVID | n (%) | |
---|---|---|
Augmentation (n = 546; 18,4 %) |
Diminution (n = 123; 4,6 %) |
|
Modification de l’autorisation de consommer du cannabis à des fins médicales | 91 (16,7) | 5 (4,1) |
Changement quant à l’accessibilité ou à la disponibilité | 33 (6,0) | 5 (4,1) |
Coût | 45 (8,2) | 19 (15,4) |
Consignes relatives à la distanciation physique / temps passé à la maison | 194 (35,5) | 19 (15,4) |
Anxiété | 280 (51,3) | 23 (18,7) |
Troubles du sommeil | 206 (37,7) | 26 (21,1) |
Isolement/solitude | 149 (27,3) | 10 (8,1) |
Risque lié à la COVID‑19 ou gravité des symptômes | 50 (9,2) | 6 (4,9) |
Autre | ||
Changement des besoins médicaux | 15 (2,7) | 2 (1,6) |
Stress | 3 (0,6) | 0 |
Début d’un autre traitement | 0 | 4 (3,3) |
Expérimentation autoguidée | 3 (0,5) | 5 (4,1) |
Effet escompté non obtenu | 0 | 3 (1,6) |
Effets indésirables | 0 | 5 (4,1) |
Autre, non catégorisée | 2 (0,7)Note de bas de page a | 3 (3,3)Note de bas de page b |
Non déclaréNote de bas de page c | 155 (28,4) | 49 (39,8) |
Les répondants ayant augmenté leur fréquence de consommation de cannabis à des fins médicales pendant la pandémie ont été significativement plus nombreux à signaler une augmentation de leur consommation d’alcool, tandis que les répondants n’ayant pas augmenté leur fréquence de consommation de cannabis à des fins médicales ont été significativement plus nombreux à n’avoir signalé aucun changement dans leur consommation d’alcool (p < 0,001 dans les deux cas). Les deux groupes n’étaient pas différents sur le plan de la réduction perçue de la consommation d’alcool. Des différences similaires entre groupes ont été observées en ce qui concerne le changement perçu de consommation de tabac (tableau 4). Les groupes n’étaient pas différents en matière de changements signalés dans la consommation de médicaments opioïdes sur ordonnance, d’opioïdes non réglementés, de médicaments non opioïdes sur ordonnance, de crack/cocaïne et de méthamphétamine pendant la pandémie.
Autres substancesNote de bas de page a | Augmentation de la consommation de cannabis à des fins médicalesNote de bas de page b n (%) |
Valeur p | |
---|---|---|---|
Oui | Non | ||
Médicaments opioïdes sur ordonnance (n = 364) | 79 (21,7) | 285 (78,3) | 0,199 |
Aucun changement | 53 (67,1) | 203 (71,2) | |
Diminution | 14 (17,7) | 58 (20,4) | |
Augmentation | 12 (15,2) | 24 (8,4) | |
Opioïdes non réglementés (n = 49) | 13 (26,5) | 36 (73,5) | 0,086Note de bas de page c |
Aucun changement | 8 (61,5) | 29 (80,6) | |
Diminution | 2 (15,4) | 0 (0,0) | |
Augmentation | 3 (23,1) | 7 (19,4) | |
Médicaments non opioïdes sur ordonnance (n = 1 017) | 223 (21,9) | 794 (78,1) | 0,119 |
Aucun changement | 174 (78,0) | 666 (83,8) | |
Diminution | 29 (13,0) | 71 (8,9) | |
Augmentation | 20 (9,0) | 57 (7,2) | |
Crack ou cocaïne (n = 46) | 15 (32,6) | 31 (67,4) | 1,000Note de bas de page c |
Aucun changement | 9 (60,0) | 20 (64,5) | |
Diminution | 3 (20,0) | 5 (16,1) | |
Augmentation | 3 (20,0) | 6 (19,4) | |
Méthamphétamine (n = 42) | 10 (23,8) | 32 (76,2) | 0,391 |
Aucun changement | 8 (80,0) | 24 (75,0) | |
Diminution | 1 (10,0) | 1 (3,1) | |
Augmentation | 1 (10,0) | 7 (21,9) | |
Alcool (n = 1 538) | 339 (22,0) | 1 199 (78,0) | < 0,001 |
Aucun changement | 182 (53,7) | 853 (71,1) | < 0,001 |
Diminution | 77 (22,7) | 208 (17,3) | 0,149 |
Augmentation | 80 (23,6) | 138 (11,5) | < 0,001 |
Tabac (n = 471) | 116 (24,6) | 355 (75,4) | < 0,001 |
Aucun changement | 55 (47,4) | 246 (69,3) | < 0,001 |
Diminution | 29 (25,0) | 65 (18,3) | 0,705 |
Augmentation | 32 (27,6) | 44 (12,4) | < 0,001 |
La probabilité d’augmentation de la consommation de cannabis à des fins médicales pendant la pandémie de COVID‑19 s’est révélée considérablement élevée chez les femmes (rapport de cotes ajusté [RCa] = 1,67; intervalle de confiance [IC] à 95 % : 1,36 à 2,05), chez les répondants ayant perdu leur emploi pendant la pandémie (RCa = 1,38; IC à 95 % : 1,06 à 1,80), chez ceux qui consommaient du cannabis à des fins non médicales (RCa = 1,35; IC à 95 % : 1,09 à 1,68), chez ceux qui consommaient des médicaments sur ordonnance (RCa = 1,24; IC à 95 % : 1,00 à 1,54) et chez ceux ayant déclaré que l’anxiété/le stress (RCa = 1,43; IC à 95 % : 1,12 à 1,81) ou la dépression/le moral bas (RCa = 1,36; IC à 95 % : 1,05 à 1,76) étaient les principaux symptômes traités par le cannabis à usage médical (tableau 5).
Pour chaque augmentation de 5 ans en âge, la probabilité d’augmentation de la consommation de cannabis à des fins médicales diminuait d’environ 11 % (RCa = 0,89; IC à 95 % : 0,85 à 0,94) (tableau 5). Tous les résultats statistiquement significatifs sont demeurés les mêmes après le recodage des résultats pour les 42 répondants ayant déclaré consommer davantage de cannabis à des fins médicales uniquement en raison du changement de leur autorisation médicale (données non présentées).
Caractéristiques | Modèle à deux variables RC (IC à 95 %) |
Valeur p | Modèle à variables multiples RCa (IC à 95 %) |
Valeur p |
---|---|---|---|---|
Caractéristiques sociodémographiques | ||||
GenreNote de bas de page b | ||||
Homme | 1,00 (référence) | s.o. | 1,00 (référence) | s.o. |
Femme | 1,54 (1,27 à 1,85) | < 0,001 | 1,67 (1,36 à 2,05) | < 0,001 |
Âge | ||||
Pour chaque tranche de 5 ans | 0,85 (0,82 à 0,88) | < 0,001 | 0,89 (0,85 à 0,94) | < 0,001 |
Revenu du ménage, $ CA | ||||
< 40 000 | 1,20 (0,91 à 1,60) | 0,189 | s.o. | s.o. |
40 000 à 99 999 | 1,06 (0,84 à 1,36) | 0,604 | s.o. | s.o. |
100 000 à 159 999 | 1,00 (référence) | s.o. | s.o. | s.o. |
≥ 160 000 | 0,94 (0,63 à 1,42) | 0,785 | s.o. | s.o. |
Activité professionnelle | ||||
Temps plein/partiel | 1,00 (référence) | s.o. | 1,00 (référence) | s.o. |
Chômage | 1,15 (0,91 à 1,45) | 0,235 | 1,13 (0,87 à 1,45) | 0,361 |
Retraite | 0,54 (0,43 à 0,68) | < 0,001 | 1,10 (0,80 à 1,51) | 0,553 |
Emploi perdu pendant la pandémie | ||||
Non | 1,00 (référence) | s.o. | 1,00 (référence) | s.o. |
Oui | 1,64 (1,28 à 2,11) | < 0,001 | 1,38 (1,06 à 1,80) | 0,017 |
Milieu de vie | ||||
Zone urbaine ou suburbaine | 1,00 (référence) | s.o. | 1,00 (référence) | s.o. |
Zone rurale | 0,80 (0,63 à 1,01) | 0,052 | 0,81 (0,63 à 1,03) | 0,086 |
Consommation de substances | ||||
Consommation de cannabis à des fins non médicalesNote de bas de page c | ||||
Non | 1,00 (référence) | s.o. | 1,00 (référence) | s.o. |
Oui | 1,76 (1,45 à 2,14) | < 0,001 | 1,35 (1,09 à 1,68) | 0,007 |
Consommation d’alcool | ||||
Non | 1,00 (référence) | s.o. | 1,00 (référence) | s.o. |
Oui | 1,26 (1,04 à 1,53) | 0,016 | 1,22 (0,99 à 1,49) | 0,061 |
Tabagisme | ||||
Non | 1,00 (référence) | s.o. | 1,00 (référence) | s.o. |
Oui | 1,43 (1,13 à 1,81) | 0,004 | 1,24 (0,96 à 1,59) | 0,105 |
Consommation de drogues non réglementées | ||||
Non | 1,00 (référence) | s.o. | s.o. | s.o. |
Oui | 1,19 (0,66 – 2,15) | 0,561 | s.o. | s.o. |
Usage de médicaments sur ordonnance | ||||
Non | 1,00 (référence) | s.o. | 1,00 (référence) | s.o. |
Oui | 1,21 (1,10 à 1,47) | 0,048 | 1,24 (1,00 à 1,54) | 0,047 |
Principaux symptômes traités avec du cannabis médicinal (oui ou non) | ||||
Douleur, inflammation, lésions nerveuses | 0,75 (0,61 à 0,92) | 0,007 | 0,88 (0,70 à 1,10) | 0,254 |
Troubles du sommeil | 1,41 (1,17 à 1,72) | < 0,001 | 0,94 (0,75 à 1,17) | 0,553 |
Anxiété, stress, hypersensibilité | 2,20 (1,82 à 2,66) | < 0,001 | 1,43 (1,12 à 1,81) | 0,004 |
Dépression, moral bas | 2,18 (1,77 à 2,69) | < 0,001 | 1,36 (1,05 à 1,76) | 0,020 |
Dépendance, sevrage | 1,74 (0,82 à 3,70) | 0,043 | 0,83 (0,36 à 1,92) | 0,662 |
Déficit d’attention, perte de mémoire | 1,85 (1,29 à 2,64) | 0,001 | 1,09 (0,73 à 1,64) | 0,678 |
Nausée, perte d’appétit, problèmes gastro-intestinaux | 1,88 (1,49 à 2,38) | < 0,001 | 1,18 (0,89 à 1,54) | 0,246 |
Convulsions, spasmes musculaires, tremblements | 1,21 (0,87 à 1,68) | 0,265 | s.o. | s.o. |
Autres symptômes | 1,20 (0,48 à 3,03) | 0,700 | s.o. | s.o. |
Analyse
Dans cette étude sur les résidents canadiens autorisés à consommer du cannabis à des fins médicales, nous avons cherché à cerner les changements dans la fréquence de consommation de cannabis à des fins médicales et à identifier les corrélats d’une augmentation de la consommation pendant les deux premières vagues de la pandémie de COVID‑19. Bien que d’autres enquêtes canadiennes aient fait état d’une augmentation de la consommation de cannabis à des fins non médicales pendant la pandémieNote de bas de page 3Note de bas de page 19Note de bas de page 20Note de bas de page 21Note de bas de page 22, il s’agit, à notre connaissance, de la première étude canadienne à étudier les changements concernant la consommation autorisée de cannabis à des fins médicales.
La consommation quotidienne de cannabis à des fins médicales a augmenté de 7 points de pourcentage, passant de 83,2 % avant la pandémie à 90,3 % pendant la vague 2. Étant donné que la prévalence de la consommation quotidienne de cannabis était déjà relativement élevée avant la pandémie, l’augmentation modeste observée pourrait être attribuable à un effet plafond. L’ampleur de ce changement est semblable à ce que nous avons récemment constaté dans un échantillon en ligne de personnes utilisant du cannabis à des fins médicales aux États-Unis, au sein duquel la consommation quotidienne de cannabis est passée de 16,2 % avant la pandémie à 20,7 % au cours des premiers mois de la pandémieNote de bas de page 32. L’échantillon de notre étude précédente comprenait des personnes qui disaient consommer du cannabis à des fins thérapeutiquesNote de bas de page 32. Nous soupçonnons que, si nous avons observé une fréquence nettement plus élevée de consommation quotidienne de cannabis à des fins médicales dans l’étude actuelle, cela tient au fait que l’échantillon était composé uniquement de personnes autorisées à consommer du cannabis à des fins médicales.
Nous avons également posé des questions sur les changements perçus dans la consommation d’autres substances prescrites et non prescrites pendant la pandémie et nous avons observé quelques différences qui concordaient avec les changements de fréquence de consommation de cannabis à des fins médicales. Nous avons constaté que beaucoup plus de répondants dont la consommation de cannabis à des fins médicales avait augmenté ont déclaré aussi consommer davantage d’alcool et de tabac depuis le début de la pandémie. Les études explorant les conséquences de la pandémie de COVID‑19 sur la consommation d’alcool donnent à penser que l’ennui, la solitude, la dépression, le stress et l’anxiété joueraient un rôle particulièrement important dans la hausse de la consommation à l’échelle individuelleNote de bas de page 16Note de bas de page 17Note de bas de page 18Note de bas de page 33Note de bas de page 34. Bien que nous n’ayons pas évalué les motifs pour lesquels les répondants consommaient de l’alcool ou du tabac, les raisons qu’ils ont invoquées pour expliquer leur consommation accrue de cannabis à des fins médicales sont révélatrices de certaines situations, comme l’anxiété, l’isolement/la solitude et l’ennui (le temps passé à la maison), qui pourraient mener à la consommation de substances en guise de stratégie d’adaptation. En revanche, on a observé une diminution de la consommation d’alcool et de tabac chez environ 20 % des répondants, indépendamment de la fréquence de consommation de cannabis à des fins médicales, ce qui pourrait être attribuable à un motif commun expliquant la baisse de consommation d’alcool et de tabac à la fois chez les personnes dont la consommation de cannabis à des fins médicales a augmenté, celles dont la consommation est restée stable et celles dont la consommation a diminué. Il s’agit d’un domaine important à surveiller dans les évaluations qui porteront sur les effets à long terme de la pandémie sur la santé mentale des populations vulnérables. Par ailleurs, nous n’avons observé aucune différence quant à la consommation de médicaments opioïdes sur ordonnance, d’opioïdes non réglementés, de médicaments non opioïdes sur ordonnance, de crack/cocaïne ou de méthamphétamine. Il convient toutefois de préciser que les effectifs étaient peu élevés dans le cas des opioïdes non réglementés, du crack/de la cocaïne et de la méthamphétamine, de sorte qu’il était plus difficile de déceler un changement.
Notre modèle exploratoire à variables multiples a mis en évidence plusieurs marqueurs d’une susceptibilité accrue à accroître sa consommation de cannabis à des fins médicales pendant la pandémie. Tout d’abord, parmi les participants à notre étude, la probabilité d’une augmentation de la consommation de cannabis à des fins médicales était environ 67 % plus élevée chez les femmes que chez les hommes, ce qui concorde avec les observations d’un nombre croissant d’études faisant état des effets disproportionnés de la pandémie sur la santé mentale et la consommation de substances chez les femmesNote de bas de page 6Note de bas de page 9Note de bas de page 10Note de bas de page 11Note de bas de page 14Note de bas de page 29Note de bas de page 35. Les travaux de recherche axés sur les disparités en matière de santé fondées sur le sexe ou le genre ont montré comment le renforcement des rôles liés au genre pendant la pandémie a probablement contribué à accroître le stress chez les femmesNote de bas de page 36Note de bas de page 37, étant donné que les tâches liées au foyer et à la garde des enfants reposent de manière disproportionnée sur les épaules des femmesNote de bas de page 38Note de bas de page 39.
Dans l’analyse de l’échantillon des États-Unis que nous avions effectuée auparavant, la probabilité d’une augmentation de consommation de cannabis à des fins médicales en raison de l’anxiété au début de la pandémie a pratiquement doublé chez les femmesNote de bas de page 32. Cette étude a porté sur la consommation de cannabis à des fins médicales de façon plus globale : bien que l’anxiété ait été la raison la plus fréquemment citée par les personnes ayant accru leur consommation de cannabis (51,3 % dans l’ensemble et 52,3 % chez les femmes), nous ne pouvons attribuer les augmentations observées uniquement à la santé mentale ou au stress. Il faudra mener d’autres travaux de recherche pour mieux mettre en contexte les facteurs sous-jacents des différences observées entre les sexes en ce qui concerne l’évolution de la consommation de substances et de l’état de santé mentale pendant la pandémie.
Dans cette étude, les répondants ayant perdu leur emploi pendant la pandémie étaient davantage susceptibles d’augmenter leur consommation de cannabis à des fins médicales. Il est plausible que ces personnes aient accru la fréquence à laquelle elles consommaient du cannabis par ennui et en raison d’une diminution des responsabilités liées au travail. Cependant, compte tenu des données qui font ressortir l’existence d’un lien entre la perte de revenus ou l’insécurité matérielle et l’augmentation de la consommation d’alcool pendant la pandémieNote de bas de page 7Note de bas de page 11Note de bas de page 14Note de bas de page 40, l’augmentation de la consommation de cannabis à des fins médicales dans ce groupe peut aussi être une réaction d’adaptation au stress, à l’anxiété, à la dépression et à d’autres problèmes de santé exacerbés par l’instabilité financière.
Les participants à l’enquête ayant déclaré consommer du cannabis pour soulager des symptômes d’anxiété et de dépression étaient plus susceptibles d’augmenter leur consommation de cannabis à des fins médicales pendant la pandémie, ce qui concorde avec une association précédemment établie dans un échantillon en ligne de 1 200 utilisateurs de cannabis à des fins médicales s’identifiant comme tels aux États-UnisNote de bas de page 41. Compte tenu des effets bien documentés de la pandémie sur la santé mentale de façon générale, cette observation n’est pas surprenante. Si les enquêtes menées auprès de personnes qui consomment du cannabis à des fins médicales semblent toutes indiquer qu’il s’agit d’un traitement efficace contre l’anxiété et la dépressionNote de bas de page 42, d’autres travaux de recherche expérimentale seront nécessaires pour confirmer le potentiel thérapeutique du cannabis dans ces contextesNote de bas de page 43. Étant donné que notre étude ne prévoyait pas de suivi de la mesure dans laquelle la consommation de cannabis en réponse à des difficultés accrues sur le plan de la santé mentale permettait de soulager les symptômes éprouvés par les sujets, les études à venir devraient viser à déterminer les éventuels effets thérapeutiques et effets indésirables à long terme de l’utilisation de cannabis dans de telles situations.
Les résultats de cette étude devraient rappeler aux fournisseurs de soins de santé la nécessité de vérifier si leurs patients ou clients qui consomment du cannabis ont modifié leur consommation en réponse aux changements et au stress provoqués par la pandémie. Puisque certains répondants ont indiqué qu’ils consommaient du cannabis pour gérer les symptômes associés à d’autres affections que celles pour lesquelles ils avaient obtenu une autorisation médicale, les cliniciens doivent garder à l’esprit la possibilité que la consommation de cannabis ait augmenté chez des personnes qui n’avaient pas initialement été autorisées à consommer du cannabis pour traiter l’anxiété ou la dépression.
Nous avons également observé une association statistiquement significative entre l’augmentation de la consommation de cannabis à des fins médicales et la prise concomitante de médicaments sur ordonnance, ce qui pourrait être le signe d’une morbidité complexe, d’une charge de morbidité accrue ou d’une aggravation de l’état pathologique au fil du temps. Il s’agit donc d’une prédisposition à accroître la consommation de cannabis à des fins médicales. D’autres travaux seront nécessaires pour déterminer si les personnes consommant du cannabis à des fins médicales tout en prenant des médicaments sur ordonnance ont été affectées différemment par la pandémie de COVID‑19 (par exemple à cause de poussées de symptômes, gérées par du cannabis).
Enfin, un âge moins avancé et la consommation de cannabis à des fins non médicales ont été associés de manière statistiquement significative à une augmentation de la consommation de cannabis à des fins médicales pendant la pandémie, ce qui reflète l’important chevauchement qui existe entre la consommation à des fins médicales et la consommation à des fins non médicales, en particulier chez les jeunes et chez les personnes qui consomment du cannabis à des fins médicales pour des raisons de santé mentaleNote de bas de page 24. Bien que notre analyse ait été axée sur les modifications de fréquence de consommation de cannabis à des fins médicales, étant donné qu’un tiers de notre échantillon a déclaré consommer du cannabis à des fins non médicales (voir le tableau 1), il faudra mener d’autres travaux de recherche pour mieux cerner ce chevauchement avec la consommation de cannabis à des fins médicales pendant la pandémie.
Points forts et limites
Si l’inclusion de près de 3 000 personnes autorisées à utiliser du cannabis réglementé à des fins médicales est l’un des principaux points forts de l’étude, il convient néanmoins d’interpréter nos résultats en tenant compte de certaines limites. Premièrement, les répondants forment un groupe autosélectionné de personnes autorisées à utiliser du cannabis à des fins médicales et inscrites auprès de l’un des deux producteurs de cannabis à usage médical autorisés. Même si les répondants vivaient tous au Canada, la généralisabilité est limitée dans la mesure où l’échantillon n’est pas représentatif de toutes les personnes autorisées à utiliser du cannabis à des fins médicales à l’échelle de l’ensemble des provinces et des territoires.
Deuxièmement, si la pandémie a été une expérience vécue par l’ensemble de l’échantillon, les répondants pouvaient indiquer s’ils jugeaient ou non qu’elle avait eu une incidence sur leur consommation de cannabis à des fins médicales et nous ne pouvons pas exclure la possibilité que des changements similaires dans la fréquence de consommation aient pu être observables en dehors de la pandémie. Il convient de noter que les études longitudinales antérieures ayant porté sur la consommation de cannabis à des fins médicales montrent une stabilité relative de la fréquence et des doses sur des périodes de 6 à 12 moisNote de bas de page 44Note de bas de page 45Note de bas de page 46.
Troisièmement, l’étude était fondée sur des fréquences de consommation autodéclarées, de sorte qu’un biais de rappel est possible, en particulier dans le cas de la période prépandémique et de la vague 1. Ensuite, la fréquence de consommation de cannabis à des fins médicales au cours de chaque période a été reportée sur une échelle catégorielle. Étant donné que les catégories ne sont pas linéairement équidistantes, nous avons créé un paramètre binaire qui correspond à une augmentation quelconque de la fréquence, une approche qui ne reflète pas l’ampleur de l’augmentation. Par ailleurs, il n’a pas été possible de mesurer les augmentations incrémentielles dans chaque catégorie du test ASSIST (par exemple une augmentation de 2 fois à 4 fois par semaine).
Il est possible que nous ayons omis des facteurs importants en ayant eu recours à un ensemble prédéterminé de raisons pour expliquer les changements de fréquence de consommation de cannabis à des fins médicales pendant la pandémie de COVID‑19, notamment l’utilisation possible de sources non médicales pour des raisons de facilité d’accès. Cependant, nous avons tenté de réduire ce type de lacunes en ajoutant une boîte de texte où les participants pouvaient inscrire plus d’information s’ils jugeaient que les catégories prédéterminées ne correspondaient pas suffisamment bien à leurs raisons. Par ailleurs, ce ne sont pas tous les répondants chez qui nous avons observé un changement de fréquence de consommation de cannabis à des fins médicales pendant la pandémie qui avaient perçu eux-mêmes un changement. En effet, 28 % (n = 155) des personnes ayant augmenté la fréquence de leur consommation de cannabis à des fins médicales et 40 % (n = 49) des personnes l’ayant réduite n’ont pas fourni de raison pour expliquer un changement (tableau 3). Les raisons fournies, qui sont exprimées en fonction de la proportion de répondants ayant augmenté ou réduit leur fréquence de consommation de cannabis à des fins médicales, peuvent être sous-estimées et ne visent qu’à permettre la formulation d’hypothèses et non à confirmer des liens sous-jacents. La consommation de cannabis à des fins non médicales ne figurait pas dans la question visant à évaluer les changements relatifs aux autres substances depuis le début de la pandémie. Elle mérite d’être étudiée en détail dans d’autres travaux de recherche sur les tendances concomitantes à la pandémie au sein de cette population.
Enfin, les observations que nous avons réalisées concernent des changements signalés par les participants eux-mêmes et qui sont survenus au début de la pandémie. Il faudra mener d’autres travaux de recherche pour caractériser les changements concernant la consommation de cannabis à des fins médicales plus tard au cours de la pandémie et pour caractériser les répercussions qui en découlent à long terme.
Conclusion
Nous avons observé des hausses modestes mais persistantes et statistiquement significatives de la fréquence de consommation de cannabis à des fins médicales au début de la pandémie de COVID‑19 dans notre échantillon de personnes autorisées à utiliser du cannabis à des fins médicales au Canada. Les personnes ayant augmenté leur fréquence d’utilisation de cannabis à des fins médicales ont consommé aussi davantage d’alcool et de tabac. Les femmes, les jeunes, les personnes ayant perdu leur emploi pendant la pandémie, les personnes consommant des médicaments sur ordonnance ainsi que du cannabis à des fins non médicales et enfin les personnes consommant du cannabis à des fins médicales pour gérer une dépression ou de l’anxiété étaient plus susceptibles de consommer davantage de cannabis à des fins médicales durant la pandémie.
Nos résultats mettent en lumière un sous-ensemble de personnes autorisées à utiliser du cannabis à des fins médicales qui pourraient être particulièrement susceptibles d’augmenter leur consommation de substances et d’avoir des résultats défavorables sur le plan de la santé mentale durant la pandémie, ce qui souligne la nécessité pour les cliniciens de vérifier l’état de leurs patients consommant du cannabis à des fins médicales.
Remerciements
Les auteurs tiennent à remercier les répondants, qui ont donné de leur temps et partagé leurs expériences dans le cadre de l’Enquête canadienne sur le cannabis, la société Tilray, qui a fourni le financement principal de l’étude et Broadstreet Health Economics & Outcomes Research, qui a effectué le nettoyage, le codage et l’analyse initiaux des données.
Des portions de notre étude ont été financées par la subvention DA047296 du National Institute on Drug Abuse et par la Semel Charitable Foundation.
Conflits d’intérêts
L’Enquête canadienne sur le cannabis a été parrainée par Tilray, un producteur autorisé de cannabis à usage médical. Au moment de la collecte des données, KO était gestionnaire en recherche clinique et PL était vice-président en recherche et accès pour les patients chez Tilray. ZDC déclare avoir reçu des honoraires de la Canopy Growth Corporation au cours des 12 derniers mois.
Contributions des auteurs et avis
SL : conception, enquête, méthodologie, analyse formelle, gestion des données, rédaction (première ébauche). ZDC : méthodologie, rédaction (relecture et révision). KO : logiciels, ressources, administration de projet, rédaction (relecture et révision). PL : conception, enquête, méthodologie, administration, rédaction (relecture et révision).
Le contenu de l’article et les points de vue qui y sont exprimés n’engagent que les auteurs; ils ne correspondent pas nécessairement à ceux du gouvernement du Canada.
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