Commentaire – Le handicap, angle mort de l’équité en santé à mettre au cœur de la reprise postpandémie au Canada

Revue PSPMC

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Matthew B. Downer, M. Sc.Note de rattachement des auteurs 1; Sara Rotenberg, B. Sc.Note de rattachement des auteurs 2Note de rattachement des auteurs *

https://doi.org/10.24095/hpcdp.43.7.05f

Cet article a fait l’objet d’une évaluation par les pairs.

Rattachement des auteurs
Correspondance

Matthew Downer, Brasenose College, University of Oxford, Oxford OX1 4AJ, Royaume-Uni; tél. : +44-7367-990222; courriel : matthew.downer@bnc.ox.ac.uk

Citation proposée

Downer MB, Rotenberg S. Le handicap, angle mort de l’équité en santé à mettre au cœur de la reprise postpandémie au Canada. Promotion de la santé et prévention des maladies chroniques au Canada. 2023;43(7):387-391. https://doi.org/10.24095/hpcdp.43.7.05f

Mots-clés : handicap, COVID-19, reprise postpandémie, équité en santé

Points saillants

  • Au Canada, la COVID-19 a engendré des risques accrus pour les personnes vivant avec un handicap, tant sur le plan des infections que sur celui des décès. Or les politiques adoptées lors de la pandémie n’ont pas soutenu adéquatement ces personnes.
  • La reprise postpandémie dans les domaines des soins de santé et de la santé publique au Canada doit impliquer et inclure les personnes vivant avec un handicap.
  • La reprise postpandémie doit pouvoir améliorer l’accès aux soins, agir sur les principaux déterminants sociaux de la santé des personnes vivant avec un handicap (en particulier le logement et l’emploi), accroître la représentation de ces dernières dans les domaines des soins de santé et de la santé publique et prioriser la prise en compte du handicap dans la préparation de prochaines pandémies.

Introduction

Au moment où le Canada commence à se remettre et à tirer des leçons de la pandémie de COVID-19, l’équité en santé et les politiques de santé publique doivent être au cœur des réformes menées. Des recommandations en vue d’une reprise équitable commencent à paraître au Canada et mettent en lumière plusieurs groupes qui méritent une attention particulière dans les politiques de repriseNote de bas de page 1. Or bon nombre de ces lignes directrices, comme en fait la plupart des initiatives visant l’équité en santé, négligent une population clé : les personnes vivant avec un handicap.

Les personnes vivant avec un handicap forment environ 22 % de la population canadienneNote de bas de page 2. Globalement, le handicap s’est révélé être un facteur de risque d’infection et de décès attribuables au SARS-CoV-2Note de bas de page 3,Note de bas de page 4. Selon une récente étude de cohorte rétrospective sur 1297 admissions à l’hôpital en raison de la COVID-19 en Ontario (Canada), 22,3 % des patients admis avaient un handicap et cette caractéristique a été associée à des durées d’hospitalisation et à des taux de réadmission supérieursNote de bas de page 5. De même, une étude pancanadienne sur 35 519 hospitalisations liées à la COVID-19 a révélé que plusieurs maladies chroniques et handicaps étaient associés à un risque accru de décès attribuable à la COVID-19 : la probabilité de mourir de la COVID-19 a été notamment multipliée par 8,5 chez les personnes de plus de 50 ans atteintes du syndrome de DownNote de bas de page 6.

Au-delà des conséquences sur la santé, les politiques canadiennes en matière de pandémie ont négligé l’accessibilité des messages de santé publique, des lieux de dépistage et de vaccination, la perte de services critiques et d’emploi et les effets de l’isolement prolongéNote de bas de page 7. Par ailleurs, si certaines études ont porté sur les effets de la COVID-19 pendant la pandémie chez les Canadiens vivant avec un handicap, peu de recherche en matière de reprise postpandémie a porté sur cette population.

Les données probantes indiquant que les Canadiens vivant avec un handicap courent un plus grand risque d’effets graves sur la santé s’ils contractent la COVID-19 et devant les lacunes systémiques en matière d’accessibilité et d’inclusion que présentent les politiques et pratiques canadiennes de santé publique, il semble impératif d’articuler la reprise postpandémie autour des besoins des personnes vivant avec un handicap pour que cette reprise soit équitable. L’adoption d’une perspective intersectionnelle et axée sur l’accessibilité peut servir de base à la recherche et à l’amélioration d’une reprise postpandémie équitable au Canada ainsi qu’à une plus grande préparation en vue des urgences futures.

Améliorer la reprise postpandémie de manière équitable au Canada

Toute reprise postpandémie devrait suivre quatre grands principes dans les systèmes de santé et les services de santé publique au Canada :

  • accroître et améliorer l’accessibilité des soins de santé pour les Canadiens vivant avec un handicap;
  • améliorer les déterminants sociaux de la santé pour les Canadiens vivant avec un handicap;
  • améliorer la représentation des personnes vivant avec un handicap à la fois dans les systèmes de santé et dans le domaine de la santé publique;
  • inclure le handicap dans la liste des priorités essentielles des politiques en matière de préparation en cas de pandémie.

Accroître et améliorer l’accessibilité des soins de santé pour les Canadiens vivant avec un handicap

Plusieurs obstacles entravent l’accès des personnes vivant avec un handicap à des soins de qualité, rapides, équitables et abordables au sein du système de santé universel du CanadaNote de bas de page 8. Le renforcement des systèmes de santé après la pandémie doit être axé sur les droits des personnes vivant avec un handicap afin de corriger ces inégalités de longue date. Parmi les leçons tirées de la pandémie de COVID-19, plusieurs peuvent faciliter l’atteinte de cet objectif. Par exemple, les messages relatifs au rationnement des soins et au risque de décès ont révélé des préjugés problématiques profondément ancrés quant à la valeur de la vie des personnes vivant avec un handicap à l’échelle mondialeNote de bas de page 9 – des préjugés qui nuisent souvent à la santé des personnes vivant avec un handicap et à la qualité des soins qu’elles reçoivent. Ces idées préconçues sont modifiables par l’inclusion d’une meilleure formation sur les handicaps dans les programmes d’études des travailleurs de la santéNote de bas de page 10.

Les cadres de travail visant à rendre accessibles la vaccination et le dépistage fournissent des pistes fondamentales en vue d’une meilleure accessibilité des soins de santé en généralNote de bas de page 7. On peut ainsi envisager des améliorations à grande échelle sur le plan de l’accessibilité des communications, de la prise des rendez-vous, de l’accessibilité physique des lieux et des milieux, de la collecte des données, des cliniques spécialisées et d’autres aspects.

Les investissements consacrés aux nouvelles technologies et à la surveillance des données sont également susceptibles de contribuer à une meilleure accessibilité des soins. Par exemple, le programme LIVE (Long-Term In-Home Ventilator Engagement) a élargi les possibilités de surveillance virtuelle à domicile pendant la pandémieNote de bas de page 11. Les initiatives de ce type sont susceptibles d’être particulièrement pertinentes dans des systèmes de santé qui manquent de ressources et qui ont de longues listes d’attente, car elles permettent d’offrir certains soins virtuellement aux populations vulnérables tout en contribuant à diminuer la pression sur ces systèmes.

Il est vital que toutes les avancées technologiques soient pleinement accessibles à l’ensemble des utilisateurs du système de santé, qu’il s’agisse du personnel soignant ou des patients. L’accès à des soins virtuels s’est révélé une adaptation essentielle pour de nombreuses personnes ayant une déficience intellectuelle ou développementale, lesquelles ont toujours eu un piètre accès aux soins de santéNote de bas de page 12, et également pour d’autres personnes ayant des difficultés à obtenir des soins en personne. La possibilité de soins virtuels doit continuer à être offerte et accessible aux Canadiens vivant avec un handicap.

Les personnes vivant avec un handicap assument d’importantes dépenses directes en lien avec leur santé, que ce soit les technologies d’assistance ou les médicaments sur ordonnanceNote de bas de page 13. L’investissement dans un meilleur accès aux médicaments essentiels par l’entremise d’un programme national d’assurance-médicaments, un accès accru aux médicaments pour les maladies rares et l’élargissement des programmes d’instruments médicaux sont autant de façons d’améliorer l’équité des systèmes de santé pour les Canadiens vivant avec un handicap.

Ensemble, les systèmes de santé de l’ensemble du Canada qui, à l’issue de la pandémie de COVID-19, souhaitent en tirer des leçons doivent privilégier l’accessibilité et éliminer activement les nombreux obstacles que rencontrent les personnes vivant avec un handicap à tous les échelons dans leurs interactions avec les systèmes de santé.

Améliorer les déterminants sociaux de la santé pour les Canadiens vivant avec un handicap

Parallèlement à l’amélioration des systèmes de santé, il faut répondre aux besoins des personnes vivant avec un handicap par des interventions sociales, sur le plan notamment du logement, du soutien au revenu et de l’emploi.

Logement

Plus de 400 000 adultes ayant un handicap majeur n’ont pas accès à un logement adéquat, abordable ou de qualité au CanadaNote de bas de page 14. Il s’agit d’un problème de santé publique de longue date, qui contribue aux taux élevés d’itinérance au sein de cette population au Canada. De plus, de nombreuses personnes vivant avec des handicaps divers ont besoin de soutien pour vivre de façon autonome à domicile, mais l’abordabilité et l’accessibilité prévalent parfois sur la sécurité, si bien que certaines s’exposent à un risque de maltraitance ou de préjudices. Les investissements liés au logement abordable doivent garantir la conformité des immeubles aux normes d’accessibilité et fournir des options offrant une sécurité et un soutien accrus pour contrer la crise du logement qui touche cette population.

Soutien au revenu et emploi

Intrinsèquement liés à un logement pérenne, les frais supérieurs à débourser au quotidien – pour les médicaments, les appareils d’assistance et le transport, en plus du logement – contribuent à la relation bien connue entre handicap et pauvreté au Canada. Le soutien actuel aux personnes vivant avec un handicap ne suffit pas à couvrir les nombreux frais qu’elles doivent assumer, et un grand nombre d’entre elles ont signalé avoir subi une réduction de leurs heures de travail, une mise au chômage partiel ou un congédiement pendant la pandémieNote de bas de page 15. Statistique Canada a indiqué que, sur environ 13 000 Canadiens interrogés ayant une incapacité ou un problème de santé de longue durée, environ le tiers avait subi une perte d’emploi temporaire ou permanente pendant la première année de la pandémie de COVID-19, et environ la moitié avait eu des difficulté à respecter au moins une obligation financière ou à satisfaire au moins un besoin essentielNote de bas de page 15. Par ailleurs, les médias ont relaté que les critères d’admissibilité à la Prestation canadienne d’urgence (PCU) et à la Prestation canadienne de la relance économique (PCRE) étaient discriminatoires envers les personnes vivant avec un handicapNote de bas de page 16.

À l’avenir, il faudra s’assurer que les programmes d’emploi soient accessibles aux personnes vivant avec un handicap et qu’ils soutiennent ces dernières, notamment par un élargissement des mesures d’adaptation et des possibilités de télétravail ou de travail virtuel.

Enfin, le financement des médicaments et des autres frais de santé liés à un handicap doit être accordé quelle que soit la situation professionnelle, afin que les personnes vivant avec un handicap puissent travailler sans craindre de perdre une aide vitale en lien avec leur handicap.

Améliorer la représentation des personnes vivant avec un handicap à la fois dans les systèmes de santé et dans le domaine de la santé publique

Le principe « rien sur nous sans nous » a servi d’appel à l’inclusion des personnes vivant avec un handicap. Toutefois, l’inclusion véritable – par laquelle elles peuvent se faire entendre au même titre que les autres et sont représentées dans la recherche et aux comités de décision – fait toujours défaut. Aujourd’hui, même si le Canada assume l’administration de la série primaire de vaccins et des doses de rappel subséquentes, les lieux de vaccination accessibles restent limités, et le Comité consultatif national de l’immunisation (CCNI) n’a pas reconnu de manière adéquate l’existence de risques accrus chez les personnes vivant avec un handicap, sauf pour les personnes âgées vivant dans des lieux d’hébergement collectif, et ce, bien que ces risques soient prouvésNote de bas de page 17. Sans une perspective intersectionnelle, réunissant les points de vue d’un éventail de personnes qui expriment les préoccupations spécifiques à leurs réalités, il subsistera une lacune dans les politiques d’inclusion des personnes vivant avec un handicap. Il serait utile, pour pallier cette lacune critique, d’accorder la priorité aux voix des personnes vivant avec un handicap qui font figure de chefs de file en médecine et en santé publiqueNote de bas de page 18.

Préparation en cas de pandémie

Les répercussions de la pandémie de COVID-19 sur les personnes vivant avec un handicap ont mis en lumière la nécessité de mieux tenir compte de cette population dans les activités de préparation en cas de pandémie. Alors que nous sortons de la pandémie, d’importants travaux de révision vont devoir être réalisés en vue d’améliorer la façon dont le Canada va pouvoir réagir aux prochaines urgences sanitaires. Faire des personnes vivant avec un handicap des acteurs clés de cette démarche aidera à corriger certaines des inégalités évitables que la pandémie actuelle a entraînées. Par exemple, lorsque la capacité du système de santé a été poussée à sa limite, les médias ont révélé que le rationnement des soins médicaux avait des effets néfastes sur les personnes vivant avec un handicapNote de bas de page 19 Note de bas de page 20.

Un rapport de Healthwatch England  –sans équivalent comparable au Canada – a signalé qu’à plusieurs égards, les communications déployées rapidement pendant la pandémie ne répondaient pas aux besoins des personnes vivant avec un handicap au Royaume-UniNote de bas de page 21. Entre autres, peu d’information facile à lire a été offerte aux personnes ayant des déficiences intellectuelles ou développementales, le port généralisé du masque a empêché de lire sur les lèvres et les premières séances d’information du gouvernement n’incluaient pas d’interprétation en langue des signesNote de bas de page 21.

Un rapport de 2021 de la Société royale du Canada a proposé plusieurs recommandations en vue de rendre la société canadienne plus accessible et plus inclusive pour les personnes ayant des déficiences intellectuelles ou développementales lors de la pandémie de COVID-19 et au-delàNote de bas de page 22. Toutefois, il existe peu de lignes directrices au sujet des autres formes de handicap, ce qui empêche de connaître les mesures qui amélioreraient la préparation, les interventions et la reprise pour l’ensemble de la population canadienne. Au Canada, une meilleure préparation du système de santé, combinée à des politiques strictes en matière de protection des droits des personnes vivant avec un handicap au cours d’urgences sanitaires, aurait pu garantir une protection supérieure du droit à la santé des personnes vivant avec un handicap. Lorsque, dans les années à venir, on se penchera sur la préparation en cas d’urgence au Canada, les révisions apportées aux politiques devront permettre aux personnes vivant avec un handicap de jouir d’une plus grande équité sur le plan de la santé.

Au-delà de la pandémie, il faut aussi revoir notre définition de l’équité en santé au Canada afin qu’elle englobe d’emblée les personnes vivant avec un handicap. Le capacitisme étant un problème de longue date en médecine, des recherches ont montré de façon récurrente l’existence d’inégalités liées à la qualité des soins, au traitement et aux résultats chez les Canadiens ayant un handicapNote de bas de page 23, sans compter les problèmes d’accessibilité, dont le plus récent concerne les campagnes de santé publique durant la pandémie de COVID-19Note de bas de page 7. Au moment où les organismes canadiens de soins de santé et de santé publique arrivent au terme de la phase de réponse à la pandémie, la reprise doit se fonder sur des initiatives qui améliorent l’accessibilité, la disponibilité, l’acceptabilité et la qualité des soins pour les personnes vivant avec un handicap. Nous devons faire du handicap un élément commun à tous nos travaux liés à l’équité en santé : seuls des efforts concertés en vue de l’inclusion des personnes vivant avec un handicap pourront mettre fin aux inégalités.

Conclusion

Les personnes vivant avec un handicap ont présenté des taux accrus d’infection et de mortalité en raison de la COVID-19, mais ces inégalités et le manque de soutien liés aux politiques n’ont pas été pris en compte et corrigés adéquatement durant la pandémie. En conséquence, toute reprise postpandémie dans les systèmes de santé et les services de santé publique au Canada devrait s’articuler autour des quatre grands principes suivants. Premièrement, nous devons accroître et améliorer l’accessibilité des soins de santé pour tous les Canadiens vivant avec un handicap et éliminer les obstacles en matière de soins de santé et de santé publique, certains d’entre eux ayant émergé et ayant été exacerbés durant la pandémie de COVID-19.

Deuxièmement, la reprise axée sur la santé doit inclure les principaux déterminants sociaux de la santé des personnes vivant avec un handicap, et plus particulièrement le logement, le soutien au revenu et l’emploi. Troisièmement,il faut augmenter la représentation des personnes vivant avec un handicap dans les services de santé publique et les systèmes de santé au Canada. L’attribution d’une place centrale aux points de vue des personnes vivant avec un handicap est également liée au dernier principe, à savoir que les prochaines politiques sur la préparation en cas de pandémie doivent inclure le handicap sur la liste des priorités essentielles.

Remerciements

Aucun financement n’a été accordé à ce projet de recherche.

Conflits d’intérêts

MBD reçoit du financement pour la poursuite d’études doctorales de l’organisation Rhodes Trust, du Clarendon Fund de l’Université d’Oxford et des Instituts de recherche en santé du Canada (DFD-175796) et reçoit une rétribution pour son travail au National Institute on Ageing de l’Université métropolitaine de Toronto. SR reçoit du financement pour la poursuite d’études doctorales de l’organisation Rhodes Trust et des honoraires de consultation de l’organisation Clinton Health Access Initiative. Les bailleurs de fonds n’ont joué aucun rôle dans la conception ou la rédaction de ce texte ni dans la décision de le soumettre pour publication.

Contribution des auteurs et avis

Les deux auteurs ont contribué également à l’élaboration conceptuelle du manuscrit, ainsi qu’à la rédaction et à la révision du texte.

Le contenu de l’article et les points de vue qui y sont exprimés n’engagent que les auteurs; ils ne correspondent pas nécessairement à ceux du gouvernement du Canada.

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