Recherche qualitative originale – Quelles sont les mesures de réduction des méfaits à cibler selon les personnes ayant vécu ou vivant une expérience concrète de consommation de méthamphétamine et une admission à l’hôpital?

Revue PSPMC

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Cheryl Forchuk, Ph. D.Note de rattachement des auteurs 1,Note de rattachement des auteurs 2; Jonathan Serrato, M. Sc.Note de rattachement des auteurs 1; Leanne Scott, B. Sc. inf.Note de rattachement des auteurs 1,Note de rattachement des auteurs 2

https://doi.org/10.24095/hpcdp.43.7.04f

Cet article a fait l'objet d'une évaluation par les pairs.

Rattachement des auteurs
Correspondance

Jonathan Serrato, Mental Health Nursing Research Alliance (MHNRA) – C.P. 5777, succursale B, 550, route Wellington, bureau B3 110, London (Ontario) N6C 0A7; tél. : 519-685-8500, poste 75802; courriel : jonathan.serrato@lhsc.on.ca

Citation proposée

Forchuk C, Serrato J, Scott L. Quelles sont les mesures de réduction des méfaits à cibler selon les personnes ayant vécu ou vivant une expérience concrète de consommation de méthamphétamine et une admission à l'hôpital? Promotion de la santé et prévention des maladies chroniques au Canada. 2023;43(7):375-386. https://doi.org/10.24095/hpcdp.43.7.04f

Résumé

Introduction. Les personnes consommant des substances sont susceptibles d'avoir recours à des services hospitaliers pour le traitement d'infections et de blessures, pour des troubles liés à la consommation de substances, pour des problèmes de santé mentale ou pour toute autre raison. Notre objectif consistait à rendre compte des expériences, des problèmes et des recommandations des personnes consommant de la méthamphétamine et ayant eu recours à des services hospitaliers.

Méthodologie. Sur les 114 personnes ayant vécu ou vivant une expérience concrète de consommation de méthamphétamine qui ont été recrutées pour une étude fondée sur des méthodes mixtes menée dans le sud-ouest de l'Ontario (Canada), 104 ont réalisé le volet qualitatif. Les entrevues ont été effectuées entre octobre 2020 et avril 2021. On a posé aux participants des questions ouvertes puis leurs réponses ont été analysées au moyen d'une approche ethnographique thématique.

Résultats. Les interactions négatives entre les patients et le personnel reposent sur la stigmatisation et un manque de compréhension de la dépendance et de la consommation de méthamphétamine, menant à la méfiance, à l'évitement des soins hospitaliers ainsi qu'à une diminution de la recherche d'aide et de la participation aux soins de santé. Cela peut avoir comme conséquences des infections, une utilisation non sécuritaire d'aiguilles, un départ de l'hôpital contre l'avis du médecin et des symptômes associés au sevrage. Presque tous les participants étaient en faveur de l'utilisation de stratégies de réduction des méfaits en milieu hospitalier, notamment des services de consommation supervisée, la fourniture de matériel stérile et de contenants pour objets pointus et tranchants ainsi qu'un soutien au sevrage. Les répercussions sur le plan clinique sont l'éducation pour réduire les lacunes en matière de connaissances sur la consommation de méthamphétamine et la dépendance et pour lutter contre la stigmatisation, ce qui faciliterait l'introduction de stratégies de réduction des méfaits.

Conclusion. Même si les stratégies cernées par les participants favorisent un milieu de soin plus sécuritaire, l'amélioration des relations thérapeutiques grâce à l'éducation des fournisseurs de soins de santé et du personnel des hôpitaux constitue un préalable essentiel. Il est nécessaire d'envisager l'ajout de stratégies de réduction des méfaits en milieu hospitalier, cette approche demeurant rare dans les hôpitaux au Canada.

Mots-clés : réduction des méfaits, méthamphétamine, hôpitaux, troubles liés à la consommation de substances, drogues illicites, stigmatisation

Points saillants

  • À l'aide de questions ouvertes, nous avons interviewé 104 personnes ayant vécu une expérience concrète de consommation de méthamphétamine.
  • Les personnes interviewées ont fait état de stigmatisation et d'un manque de connaissances des fournisseurs de soins de santé et des autres membres du personnel des hôpitaux sur la dépendance et la consommation de substances.
  • La stigmatisation et le manque de confiance peuvent avoir comme conséquences un évitement des hôpitaux, une diminution de la recherche d'aide et de la participation aux soins de santé, voire des infections, un départ contre l'avis du médecin et des symptômes de sevrage.
  • Des services de consommation supervisée, la fourniture de matériel stérile et de contenants pour objets pointus et tranchants ainsi qu'un soutien au sevrage figurent parmi les stratégies de réduction des méfaits recommandées.
  • Sur le plan clinique, cela implique une sensibilisation accrue des fournisseurs de soins de santé en vue d'améliorer les relations thérapeutiques, ce qui faciliterait l'introduction de stratégies de réduction des méfaits dans les hôpitaux.

Introduction

La consommation de méthamphétamine est associée à divers effets négatifs sur la santé qui ont des répercussions sur les maladies chroniques : de la déshydratation et de la malnutritionNote de bas de page 1, des maladies transmissibles par le sangNote de bas de page 2, des maladies respiratoires et une augmentation des hospitalisationsNote de bas de page 3, des problèmes dentairesNote de bas de page 4, des convulsionsNote de bas de page 5, une insuffisance cardiaqueNote de bas de page 6, des surdoses et des décèsNote de bas de page 7.

On réclame de plus en plus que des services de réduction des méfaits soient offerts dans les hôpitaux, d'autant plus que ces derniers constituent le premier point d'accès à des soins pour de nombreuses personnesNote de bas de page 8 Note de bas de page 9 Note de bas de page 10. Or les hôpitaux exigent généralement que les patients fassent preuve d'abstinenceNote de bas de page 11, ce qui crée une situation de conflit d'intérêts lors de la prestation de soins à des personnes consommant des substances. La sécurité de cette population de patients particulière, ainsi que celle des personnes qui les entourent, peut être mise en péril si l'on ne répond pas à leurs besoins. Parmi les problèmes de sécurité, on compte le départ contre l'avis du médecin, l'élimination inadéquate du matériel utilisé pour la consommation de substances, la douleur et les symptômes de sevrageNote de bas de page 8 Note de bas de page 11.

Les services qui s'acquittent du mandat d'assurer la sécurité du personnel et des patients de l'hôpital peuvent constituer un obstacle supplémentaire en raison de la fréquence élevée des interactions et des fouilles des biens personnels effectuées, ce qui risque d'accentuer la méfiance et la stigmatisationNote de bas de page 8. Les personnes consommant des substances mentionnent souvent avoir vécu des expériences négatives avec les services d'application de la loi ou les services de sécurité, tant à l'intérieur qu'à l'extérieur de l'hôpitalNote de bas de page 12. Ces expériences négatives vont de la criminalisation en raison de la consommation de substances au fait d'être invité à quitter l'hôpital malgré des besoins médicauxNote de bas de page 12.

On a constaté que les personnes hospitalisées pour des problèmes de consommation de substances risquaient davantage de quitter l'hôpital contre l'avis du médecin au CanadaNote de bas de page 12 Note de bas de page 13 Note de bas de page 14 et aux États-UnisNote de bas de page 13 Note de bas de page 15 Note de bas de page 16, en particulier en l'absence d'interventions et de services liés à la consommation de substancesNote de bas de page 17. Dans une étude canadienne, un peu plus de la moitié des participants ayant fait état d'une consommation quotidienne de méthamphétamine ont quitté l'hôpital contre l'avis du médecinNote de bas de page 13. Les personnes aux prises avec des troubles concomitants de consommation de substances et de maladie mentale sont plus susceptibles d'avoir des séjours plus courts à l'hôpital au CanadaNote de bas de page 18, aux États-UnisNote de bas de page 19 et au Royaume-UniNote de bas de page 20 comparativement à la population générale de patients. En revanche, au CanadaNote de bas de page 21 et en AustralieNote de bas de page 22, les personnes dirigées vers des services psychiatriques ont effectué des séjours plus longs. Une étude en Suisse a révélé que la durée du séjour diminuait à mesure que le nombre d'hospitalisations augmentait, ce qui révèle des difficultés en ce qui concerne la transition vers des services de consultation externeNote de bas de page 23.

La stigmatisation continue à décourager les personnes consommant des substances de demander des soins. Le jugement perçu ou les attitudes négativesNote de bas de page 24 et le manque d'attentionNote de bas de page 25 ont été cités et témoignent de stigmatisation. La stigmatisation peut également perpétuer le désir de consommer des substances secrètement ou d'éviter de recourir à des services de santéNote de bas de page 26 Note de bas de page 27 ou entraîner un départ de l'hôpital contre l'avis du médecin, ce qui peut se traduire par une piètre qualité des soins et du suiviNote de bas de page 10. La stigmatisation peut également créer des obstacles à l'accès aux soins, et nuire à la recherche d'aide et à l'autodéclaration de la consommation de substances, en particulier chez les femmesNote de bas de page 28 Note de bas de page 29 Note de bas de page 30 et les personnes transgenresNote de bas de page 31. Des femmes et des femmes enceintes et ont également déclaré que certains obstacles à l'accès aux soins découlaient d'une peur accrue d'avoir des démêlés avec les services de protection de la jeunesseNote de bas de page 30 Note de bas de page 32.

Contrairement à la situation en milieu hospitalier, la réduction des méfaits est une stratégie bien ancrée au sein d'organismes communautaires comme les sites de consommation supervisée. Lorsqu'il n'est pas possible d'avoir accès à des approches de réduction des méfaits, les personnes peuvent réutiliser ou partager des aiguillesNote de bas de page 33 ou réutiliser des pipesNote de bas de page 34. La réduction des méfaits à l'hôpital est nécessaire pour fournir des options d'accès plus sûres : selon une étude importante menée à London (Ontario), les personnes qui s'injectent des substances présentent une incidence significativement plus élevée de nouvelles bactériémies lorsqu'elles reçoivent un traitement en milieu hospitalier comparativement à celles qui reçoivent un traitement en consultation externeNote de bas de page 35. Tan et al.Note de bas de page 35 ont également souligné que les personnes recevant un traitement en consultation externe étaient plus susceptibles de présenter des comportements ou des affections concomitantes à faible risque, même si un tel constat pourrait s'expliquer par l'absence de mesures de réduction des méfaits en milieu hospitalier alors que ces mesures sont présentes en milieu communautaire. De plus, le risque de surdose dans les centres de prévention des surdoses en milieu hospitalier s'est révélé significativement plus élevé chez les personnes hospitalisées que chez les clients des organismes communautairesNote de bas de page 36.

Les pratiques de réduction des méfaits visent à réduire les risques et les méfaits associés à la consommation de substances grâce à la fourniture d'outils et de servicesNote de bas de page 37. Les sites de consommation supervisée qui offrent des espaces spécifiques où il est possible de consommer des substances sous la supervision d'un personnel qualifié sont associés à une diminution du partage de matérielNote de bas de page 38 Note de bas de page 39, de l'utilisation publiqueNote de bas de page 38 et du nombre de seringues jetées dans des lieux publicsNote de bas de page 39. On a fait état d'une diminution des seringues jetées dans des lieux publics dans les villes où il existe des programmes d'échange de seringues fournissant du matériel stérile en échange de la remise de seringues usagéesNote de bas de page 40.

Il est également important que les personnes consommant des substances acceptent les services de réduction des méfaits et qu'elles soient disposées à les utiliser. Selon certaines études, les stratégies de réduction des méfaits ont amélioré la compréhension des pratiques sécuritaires et ont été perçues de façon positive par les personnes consommant des substancesNote de bas de page 9 Note de bas de page 41. De plus, à l'exception de TorontoNote de bas de page 42, d'EdmontonNote de bas de page 43 et de VancouverNote de bas de page 36 Note de bas de page 44, les services de réduction des méfaits au Canada sont utilisés et évalués en milieu communautaire plutôt qu'en milieu hospitalier. L'ÉcosseNote de bas de page 45 et l'AustralieNote de bas de page 46 autorisent la fourniture de services de réduction des méfaits (comme les programmes d'échange de seringues) en milieu hospitalier, mais il ne s'agit pas d'une pratique courante à l'échelle internationale. Lorsque des services de consommation supervisée sont mis en œuvre avec succès en milieu hospitalier, les patients sont supervisés par du personnel qualifié (souvent du personnel ayant vécu ce type d'expérience) dans une cabine d'injection personnelle et ils se voient offrir du matériel stérile et de l'information sur une utilisation sécuritaireNote de bas de page 36 Note de bas de page 42 Note de bas de page 43 Note de bas de page 44.

La littérature existante sur la réduction des méfaits dans les hôpitaux est limitée. Un des objectifs clés du projet est de comprendre ce qui est nécessaire et les enjeux dont on doit s'occuper afin de combler cette lacune dans la littérature. Cette étude vise à consigner les expériences de personnes consommant de la méthamphétamine et à découvrir ce qui peut être fait pour améliorer les soins qui leur sont offerts à l'hôpital, quelles sont les stratégies de réduction des méfaits propres à la méthamphétamine qui sont proposées par ces personnes pour les hôpitaux et quels autres problèmes doivent être résolus. Dans cet article, nous ciblons les constatations issues du volet qualitatif d'une étude fondée sur des méthodes mixtes.

Méthodologie

Plan d'étude

Cette étude a été réalisée dans une grande ville du sud-ouest de l'Ontario (Canada). Les entrevues ont commencé en octobre 2020 et se sont terminées en avril 2021. Le volet qualitatif se composait de questions ouvertes.

Des données ont été recueillies en une fois à partir d'un échantillon choisi à dessein composé de personnes ayant vécu ou vivant une expérience concrète de consommation de méthamphétamine et de l'utilisation des services hospitaliers. On a eu recours à la méthode d'échantillonnage dirigé pour constituer la base de sondage afin d'optimiser la diversité selon l'âge, le genre et les organismes de service fréquentés. Ces organismes étaient des hôpitaux, des organismes offrant des services aux personnes en situation d'itinérance, des organismes de services de soins de santé primaires et des organismes de services communautaires de santé mentale et de traitement des dépendances.

Nous avons utilisé une base d'échantillonnage pour recruter un nombre similaire de participants ayant fréquenté les divers organismes ainsi qu'un nombre similaire de répondants s'identifiant comme hommes et de répondants s'identifiant comme femmes. Les répondants s'identifiant comme non binaires ou d'un autre genre pouvaient également participer. Des groupes d'âge ont été créés (16 à 19 ans, 20 à 29 ans, 30 à 39 ans, 40 à 49 ans, 50 à 59 ans, 60 à 69 ans, 70 à 79 ans et 80 à 85 ans) pour faire le suivi en fonction de l'âge des participants et assurer un recrutement adéquat tout au long de l'étude (au moins un participant dans chaque groupe d'âge). La priorité a été accordée aux participants s'identifiant comme membres d'un groupe marginalisé afin qu'ils puissent participer et être représentés dans l'échantillon. Les populations marginalisées ciblées étaient les peuples autochtones ainsi que les personnes aux deux esprits, lesbiennes, gaies, bisexuelles, trans, queers, intersexes et autres (2ELGBTQI+) et les membres de groupes ethniques minoritaires.

Comme cette étude qualitative fait partie d'une étude fondée sur des méthodes mixtes, notre objectif était de recruter au moins 104 participants (et au maximum 180) ayant vécu ou vivant une expérience concrète de consommation de méthamphétamine, incluant des personnes en cours de rétablissement. Ce minimum est conforme au calcul de la taille de l'échantillon établi par Bartlett et ses collaborateursNote de bas de page 47. Le maximum de 180 participants a été établi en fonction du financement accordé à l'étude. Cela a comme corollaire que l'étude dépasse le nombre de participants requis pour assurer la saturation sur le plan qualitatif selon les normes de MorseNote de bas de page 48.

Pour être admis à participer à l'étude, les participants devaient avoir entre 16 et 85 ans, avoir reçu des services à l'hôpital et parler anglais suffisamment bien pour participer à l'entrevue. Les participants ont été exclus s'ils n'avaient pas mentionné de consommation actuelle ou antérieure de méthamphétamine, même s'ils avaient consommé d'autres substances. Tous les participants ont fourni leur consentement éclairé.

L'approbation éthique de la recherche a été obtenue auprès du Lawson Health Research Institute et du Comité d'éthique de la recherche en sciences de la santé de l'Université Western (n° 115779).

Recrutement

L'équipe de recherche a communiqué avec les responsables de nombreux programmes des quatre hôpitaux et des organismes communautaires du sud-ouest de l'Ontario. Le personnel de recherche a fourni au personnel des organismes le protocole de recherche et les affiches de recrutement pour les aider à promouvoir le projet auprès des clients. Les participants potentiels pouvaient téléphoner au coordonnateur de recherche (JS) ou lui envoyer un courriel pour fixer l'heure et le lieu de l'entrevue. L'équipe de recherche avait également prévu de se rendre sur les sites offrant des services de halte d'accueil (refuges pour les personnes en situation d'itinérance et un site de consommation supervisée) certains jours spécifiques afin d'y mener des activités de sensibilisation auprès de participants potentiels.

Pour recruter l'échantillon le plus diversifié possible, nous avons transmis les données au sujet des lacunes de l'échantillonnage dirigé aux programmes hospitaliers et aux organismes communautaires afin d'essayer de recruter des participants parmi les groupes insuffisamment représentés et nous avons communiqué avec les organismes desservant les populations sous-représentées comme les jeunes, les personnes âgées, les personnes 2ELGBTQI+ et les Autochtones. Les membres du personnel des hôpitaux, s'ils étaient au courant d'expérience concrète de consommation de méthamphétamine chez leurs patients, ont parlé du projet à ces derniers.

Procédure

Dans le cadre d'une vaste étude fondée sur des méthodes mixtes, les personnes interviewées ont participé à une discussion qualitative reposant sur des questions ouvertes. Les entrevues ont été menées par les trois auteurs ainsi que par trois coordonnateurs de recherche (SH, SM et AP) et sept adjoints de recherche (SA, TA, NF, EG, CH, AJ et AY) qui avaient tous reçu une formation sur les méthodes qualitatives et les techniques d'entrevue. Chaque entrevue a duré environ 60 minutes.

Les questions d'entrevue étaient conçues pour amener les participants à faire part aux intervieweurs de leurs expériences en milieu hospitalier, des problèmes concernant la réduction des méfaits (ou de l'absence de telles mesures), de leurs suggestions quant aux changements à apporter aux soins et aux aspects des soins qui n'avaient pas à être modifiés, de leurs recommandations et de leurs objectifs. Les questions visaient à recueillir des points de vue variés permettant de récolter des réponses inattendues et contrastées afin de les inclure dans les analyses :

  1. Quelle est votre expérience de la situation actuelle dans les hôpitaux pour réduire les méfaits et la consommation de méthamphétamine?
  2. Quels sont les problèmes associés à l'approche actuelle au sein des hôpitaux pour la réduction des méfaits et la consommation de méthamphétamine?
  3. Selon vous, que devrait-on modifier dans l'approche actuelle à l'égard de la réduction des méfaits?
  4. Quels sont les aspects que vous ne changeriez pas dans l'approche actuelle à l'égard de la réduction des méfaits?
  5. En quoi une nouvelle approche vous aiderait-elle à atteindre vos objectifs?
  6. Avez-vous d'autres recommandations qui pourraient être utiles à vous ou à d'autres personnes qui consomment de la méthamphétamine?

Les intervieweurs ont pris des notes lors des entrevues afin de faciliter le suivi, d'obtenir des précisions sur une expérience ou une opinion particulière et de demander des éclaircissements. Le volet qualitatif de l'entrevue a été enregistré sur support audio puis transcrit par le personnel de recherche en vue de la réalisation d'analyses ultérieures (SA, NF, EG, CH, AJ, AL et ML).

Les entrevues ont été effectuées soit par téléphone, soit en personne. Les entrevues en personne n'ont été réalisées que si l'intervieweur et la personne interviewée pouvaient respecter les procédures et les protocoles liés à la COVID-19. Elles ont eu lieu dans une salle de réunion fournie par les organismes de service. Les participants hospitalisés au moment de l'entrevue ont été interviewés par téléphone, conformément aux protocoles en place dans les hôpitaux pendant la pandémie. Tous les participants ont reçu une rétribution de 20 dollars canadiens après avoir terminé leur entrevue.

Analyse des données

Nous avons utilisé une méthode d'analyse thématique ethnographiqueNote de bas de page 49 pour cerner les contextes culturels et sociaux élargis dans lesquels évoluaient les participants ayant vécu une expérience concrète de consommation de méthamphétamine. Les trois auteurs ont effectué et revu le codage ouvert initial et le codage axial. Nous avons regroupé les réponses aux entrevues de façon thématique et nous avons relevé les thèmes, les sous-thèmes et les suggestions formulées par les participants pour étude ultérieure. Nous avons classé les citations en utilisant un code de couleur en fonction du type de réponse obtenue et nous avons copié celles-ci dans un document pour chaque thème. Ces thèmes ont ensuite été étudiés et ont fait l'objet d'une évaluation critique commune des trois auteurs.

Les 104 transcriptions ont été analysées. Les analyses approfondies ont permis d'explorer l'influence réciproque des différents thèmes afin d'identifier la séquence de problèmes auxquels les participants avaient dû faire face. Les trois auteurs ont travaillé en collaboration pour dégager les différents thèmes puis ont élaboré un modèle de comparaison entre l'état actuel des soins hospitaliers et l'état souhaité. Les citations ont été relues et classées par thème après approbation des trois auteurs et après atteinte d'un consensus quant au classement le plus approprié pour chacune, ce qui a permis d'assurer la crédibilité et la fiabilité du processus. Les activités de réflexion ont consisté en mises à jour périodiques et en discussions régulières à propos des derniers résultats avec le sous-comité du groupe consultatif et de recherche de l'étude, une équipe composée d'autres chercheurs et analystes, dans le but de réduire des biais éventuels de recherche.

Résultats

Caractéristiques sociodémographiques

Sur les 114 participants recrutés pour cette étude, 104 ont complété le volet qualitatif de l'étude. La majorité s'identifiaient comme des hommes (n = 67) (tableau 1). Même si les chercheurs ciblaient un nombre égal d'hommes et de femmes, les femmes ont été moins nombreuses que les hommes à faire état d'une consommation de substances. Au total, 13 participants se sont identifiés comme des personnes 2ELGBTQI+. L'âge moyen des participants de l'échantillon était de 35,5 ans (intervalle : 17 à 66 ans), mais aucun participant de plus de 70 ans n'a été recruté. Au total, 52 participants ont mentionné être en situation d'itinérance au moment de l'entrevue et presque tous les participants (n = 102) ont déclaré avoir déjà été en situation d'itinérance au cours de leur vie.

Tableau 1. Caractéristiques sociodémographiques de l'échantillon pour le volet qualitatif de l'étude fondée sur des méthodes mixtes (n = 104)
Caractéristique Nombre de participants et proportion dans l'échantillon (en %)
Âge moyen en années (ET) 35,5 (12,5)
Sexe
Homme 67 (64)
Femme 36 (35)
Non binaire 1 (1)
S'identifie comme une personne 2ELGBTQI+ 13 (13)
Origine ethnique
Blanc 61 (59)
Autochtone 24 (23)
Autochtone et blanc 8 (8)
Noir 3 (3)
Latino-américain 2 (2)
Autre 6 (6)
État matrimonial
Célibataire 75 (72)
Marié/conjoint de fait/fiancé 16 (15)
Séparé/divorcé 11 (11)
Veuf 2 (2)
Niveau de scolarité
Études secondaires 45 (43)
Études primaires/élémentaires 41 (39)
Études collégiales/universitaires 18 (17)
Situation résidentielle
Itinérance 52 (50)
Vit seul 25 (24)
Vit avec d'autres membres de sa famille ou ses parents 8 (8)
Est hospitalisé 7 (7)
Vit avec un conjoint/partenaire 6 (6)
Vit avec une personne sans lien de parenté 6 (6)

Abréviations : ET, écart-type; 2ELGBTQI+, personnes aux deux esprits, lesbiennes, gaies, bisexuelles, trans, queers, intersexes et autres.

Constatations issues de l'analyse thématique

Nous avons recensé un certain nombre de thèmes au cours des entrevues, englobant la stigmatisation et le manque de connaissances, le manque de confiance et la recherche d'aide, les stratégies de réduction des méfaits et les conséquences négatives. La figure 1 illustre l'enchaînement des thèmes relevés et les relations entre ces thèmes.

Figure 1. Modèle comparant l'état actuel perçu des soins hospitaliers à l'état souhaitéNote de bas de page a
Figure 1. La version textuelle suit.
Figure 1 - Équivalent textuel

La figure 1 illustre un modèle qui compare l'état actuel perçu des soins hospitaliers à l'état souhaité. Cette figure contient les nœuds suivants.

Nom du thème (nœud) Distance du nœud racine Connexions vers d'autres nœuds
"Interactions entre le personnel et les patients" 0 (nœud racine) "État actuel perçu", "État souhaité"
"État actuel perçu" 1 "Stigmatisation <-> Manque de connaissances"
"État souhaité" 1 "Éducation du personnel", "Lutter contre la stigmatisation <-> Pallier le manque de connaissances"
"Stigmatisation <-> Manque de connaissances" 2 "Absence de confiance mutuelle", "Éducation du personnel", "Conséquences négatives"
"Éducation du personnel" 2 "Lutter contre la stigmatisation <-> Pallier le manque de connaissances"
"Lutter contre la stigmatisation <-> Pallier le manque de connaissances" 2 "Davantage de confiance mutuelle", "Réduction des méfaits"
"Absence de confiance mutuelle" 3 "Diminution de la recherche d'aide/ participation"
"Davantage de confiance mutuelle" 3 "Augmentation de la recherche d'aide/ participation"
"Diminution de la recherche d'aide/ participation" 4 "Negative Consequences"
"Augmentation de la recherche d'aide/ participation" 4 "Réduction des méfaits"
"Conséquences négatives" 5 s.o.
"Réduction des méfaits" 5 "Réduction des consequences négatives"
"Réduction des consequences négatives" 6 s.o.

Interactions entre le personnel et les patients : stigmatisation et manque de connaissances

La stigmatisation est le problème qui a été le plus souvent mentionné au cours des entrevues. Les participants ont indiqué qu'ils se sentaient moins respectés que la population générale de patients, qu'on leur faisait sentir que leur dépendance résultait d'un « mauvais choix » et qu'ils avaient été ostracisés. Un participant a dit : « Par où commencer, à qui demander… et puis j'essaie de demander ou j'essaie d'aborder le problème et on me traite comme… comme un déchet, vous savez? ».

La stigmatisation perçue est susceptible de découler d'un manque de connaissances sur la dépendance et la consommation de substances – en particulier la consommation de méthamphétamine – de la part des fournisseurs de soins de santé et du personnel hospitalier. De nombreux participants ont expliqué qu'il semblait y avoir un décalage entre eux-mêmes et le personnel de santé qui les traitait, faisant souvent valoir des différences de langage. Par exemple, les personnes ayant vécu une expérience concrète évoquent les substances non réglementées comme des « points » tandis que les fournisseurs de soins de santé leur demandent combien de milligrammes ils ont consommés.

Les participants ont également mentionné un manque de compréhension à l'égard de l'expérience vécue. Certains ont indiqué qu'il importe de mieux comprendre la dépendance, et notamment les événements traumatiques, qui ne sont parfois pas reconnus comme des précurseurs de la consommation de substances. Ce manque de compréhension peut faire en sorte que la consommation de méthamphétamine soit perçue comme un « mauvais choix » sur le plan moral. D'autres participants ont souligné que la distinction entre la manifestation clinique de la consommation de méthamphétamine et un problème de santé mentale pose problème, menant à des suppositions erronées à propos d'eux en tant que personnes.

Alors je pense que, oui, c'est juste que je ne sais pas s'ils ne comprennent simplement pas ou s'ils ne veulent pas comprendre, parce qu'il y a une différence entre quelqu'un qui souffre de psychose à cause de la consommation de drogues et quelqu'un qui souffre de psychose à cause d'un problème de santé mentale.

Ce manque de connaissances à l'égard des manifestations cliniques de la consommation de méthamphétamine peut mener à un traitement insuffisant des symptômes de sevrage. Les participants étaient d'avis que les fournisseurs de soins de santé n'avaient pas tenu compte de leurs symptômes de sevrage ou avaient semblé ne pas connaître les symptômes de sevrage et le traitement à administrer. Quoi qu'il en soit, selon les participants, « il faut mettre davantage l'accent sur la gestion des symptômes de sevrage ».

Méfiance et diminution de la recherche d'aide et de la participation aux soins de santé

Les perceptions de stigmatisation et de manque de connaissances sur la consommation de substances entraînent un manque de confiance mutuelle entre le patient et le fournisseur de soins de santé. Les participants ont exprimé leur insatisfaction générale à l'égard des soins de santé reçus, affirmant qu'ils ont évité de révéler leur consommation de méthamphétamine au personnel soignant. Un grand nombre de participants ne souhaitaient pas demander de l'aide ou nouer un dialogue avec leur fournisseur de soins de santé.

Les participants ont indiqué qu'ils ne cherchaient pas à obtenir des soins de santé dans les hôpitaux en raison de cette combinaison de stigmatisation, de manque de compréhension et de confiance et du fait également que l'on ne réponde pas à leurs besoins médicaux (symptômes de sevrage). Certains participants ont déclaré avoir quitté l'hôpital contre l'avis du médecin. Cela est susceptible d'entraîner une aggravation des symptômes et vraisemblablement une réadmission. Un participant a indiqué : « Parce que beaucoup d'entre nous n'aiment pas les hôpitaux, nous n'allons pas à l'hôpital parce qu'on nous traite différemment. On nous colle une étiquette. »

La présence d'une personne ayant vécu une expérience concrète de consommation de méthamphétamine, comme un pair aidant, pourrait être le chaînon manquant de la relation thérapeutique entre le patient et l'équipe de soins de santé : « En tant que personne en cours de rétablissement, je sais combien il est important de pouvoir parler à quelqu'un qui a aussi souffert d'un trouble lié à la consommation de substances. »

Conséquences négatives

Ne pas participer activement aux soins de santé peut se traduire par une détérioration de la santé, des infections, une utilisation non sécuritaire d'aiguilles, un départ de l'hôpital contre l'avis du médecin et même le décès. Les symptômes de sevrage ont fait l'objet de discussions dans de nombreux contextes, que ce soit les effets variés découlant de l'absence de consommation de méthamphétamine dans les hôpitaux ou de l'absence de médication pour éviter les réactions indésirables. Les participants ont décrit les conséquences physiques et les conséquences sur la santé mentale associées au sevrage lorsqu'aucune stratégie de réduction des méfaits n'est mise en place :

Lors du sevrage, il est possible que les gens deviennent violents, on n'a aucune conscience de soi, puis quand l'euphorie diminue on pense juste à consommer de nouveau. Ils nous forcent à nous soumettre au néant. Comment peuvent-ils nous faire ça? Nous, c'est comme si on subissait cette dépendance. Ils nous font subir le sevrage. Ils disent qu'on devrait juste s'endurcir.

D'autres participants relatent comment l'absence de stratégie de réduction des méfaits peut augmenter la douleur et le risque de décès et de surdose :

Parce que s'il n'y a pas d'approche de réduction des méfaits ou de plan de sécurité dans les hôpitaux… je crois que beaucoup plus de personnes pourraient… souffrir énormément et il leur arriverait davantage de choses… Vous savez, un plus grand nombre de personnes pourraient mourir ou faire une surdose.

Stratégies de réduction des méfaits recommandées pour réduire les conséquences négatives

Consommation sécuritaire

Les participants ont souvent discuté du principe de service de consommation supervisée. Bon nombre d'entre eux ont parlé d'un service supervisé où le personnel de l'hôpital offrirait son aide aux patients. Nous avons noté une divergence d'opinions quant au niveau de contrôle à exercer par le personnel de supervision (administrer l'injection, surveiller les effets ou offrir du soutien après la consommation). Cela pourrait être le signe de différences sur le plan des croyances à l'égard de l'autonomie et des attitudes envers le personnel de soutien.

Il devrait y avoir des pièces comme ça [lieu de consommation privé] à l'hôpital […] le personnel paramédical est passé par ici parce que les gens ne meurent pas ici. Beaucoup de gens désapprouvent ces pratiques, mais, vous savez, ce genre d'endroit permet de sauver beaucoup de vies.

De nombreux participants préféraient l'idée d'un « espace sûr » où des personnes pourraient consommer de la méthamphétamine en privé, pour leur propre sécurité et à l'écart de la population générale de patients : « Prévoyez simplement une petite pièce pour les gens qui consomment ce genre de substance… pour qu'on se sente en sécurité, vous comprenez ce que je veux dire? ».

Matériel stérile

De nombreux participants ont souligné la nécessité de disposer de matériel stérile pour aider à prévenir la propagation des infections. Les programmes d'échange de seringues dans les hôpitaux pourraient être un moyen de prévenir la réutilisation des aiguilles et des seringues :

… on a un programme d'échange d'aiguilles, et on a besoin d'avoir quelque chose de semblable [dans] notre partie de l'hôpital… il pourrait peut-être y avoir un travailleur spécialisé dans le traitement des dépendances ou quelque chose du genre, qui pourrait fournir des aiguilles propres ou du matériel comme des ustensiles pour l'injection de drogues.

Certains participants ont également proposé que l'on offre des pipes propres aux personnes qui fument de la méthamphétamine afin de prévenir la réutilisation des pipes et la propagation des infections : « S'il y a des personnes [qui fument] il faut s'assurer qu'elles aient toujours des pipes propres… Comme ça, elles ne réutilisent pas encore et encore du matériel usagé… Parce que c'est une façon… d'attraper des maladies ».

L'utilisation de pipes endommagées ou de fabrication artisanale peut également entraîner des blessures nécessitant des soins médicaux. Un participant a indiqué : « Ils devraient probablement nous donner… du matériel d'injection sécuritaire comme des aiguilles et des boîtes de collecte [d'aiguilles usagées], et aussi […] des pipes propres pour qu'on n'utilise pas… des éclats de verre brisé et des pailles pour inhaler ».

Contenants pour objets pointus et tranchants

Certains participants ont souligné la nécessité de disposer de contenants pour objets pointus et tranchants pour l'élimination des aiguilles afin de réduire le risque d'infection accidentelle. Le fait d'avoir des contenants pour objets pointus et tranchants facilement accessibles dans les hôpitaux pourrait également diminuer le risque que certains patients sortent sur le terrain de l'hôpital pour s'injecter de la méthamphétamine et qu'ils jettent leurs aiguilles à un endroit où d'autres personnes pourraient courir des risques. Sinon, les hôpitaux pourraient « peut-être placer un bac de collecte des aiguilles dans les toilettes ».

Soutien au sevrage

De nombreux participants ont déclaré avoir consommé de la drogue à l'hôpital ou avoir quitté l'hôpital (souvent contre l'avis du médecin) pour consommer de la drogue parce qu'ils avaient besoin de contrer les effets du sevrage. Or les médicaments pour réduire les effets du sevrage et favoriser le calme peuvent permettre de prévenir l'agitation et les effets indésirables sur la santé. Lorsque ces médicaments sont prescrits à une personne, celle-ci peut être davantage disposée à recevoir des soins et cela peut atténuer les conséquences négatives sur sa santé. Grâce à l'amélioration des relations thérapeutiques et à une confiance accrue, les personnes qui reçoivent des soins à l'hôpital peuvent vivre des interactions plus positives et être davantage portées à vouloir obtenir de l'aide à l'avenir.

Parce que, je ne sais pas, je n'ai jamais [eu] de [symptômes de] sevrage, je n'ai jamais eu [de symptômes de sevrage] avec la méthamphétamine en cristaux, mais j'imagine que certaines personnes en ont, elles deviennent agitées ou ont d'autres symptômes. Chaque personne est différente d'une certaine façon. Mais, oui, peut-être que la médication pourrait aider à calmer [l'agitation]. Parce qu'une personne qui consomme de la drogue a un problème de dépendance, vous savez, et lorsqu'elle veut sa dose, elle la veut. Alors, si on souhaite qu'elle reste à l'hôpital et qu'elle se fasse traiter, il faut lui donner quelque chose pour soulager ses symptômes.

Analyse

D'après les personnes ayant vécu ou vivant une expérience concrète de consommation de méthamphétamine, l'état actuel des soins hospitaliers se caractérise par un profond manque de connaissances sur la dépendance et la consommation de méthamphétamine. Ces interactions négatives sont à l'origine d'un manque de confiance mutuelle ainsi que d'une diminution de la recherche d'aide et de la participation aux soins de santé, les patients quittant l'hôpital contre l'avis du médecin ou évitant complètement les hôpitaux. Cela a des conséquences négatives sur la santé, puisque ces personnes ne reçoivent pas les soins dont elles ont besoin et ne bénéficient pas des interventions de réduction des méfaits aptes à prévenir également d'autres effets néfastes.

Selon nos constatations et les analyses qualitatives, atteindre l'état souhaité en matière de soins hospitaliers permettrait de lutter contre la stigmatisation et de pallier le manque de connaissances en éduquant le personnel au sujet de la dépendance. Le renforcement de la confiance mutuelle est essentiel à l'établissement de relations thérapeutiques. Des stratégies de réduction des méfaits pourraient alors être offertes comme solution supplémentaire pour contrer les effets négatifs immédiats de la consommation de méthamphétamine.

Lutter contre la stigmatisation et pallier le manque de connaissances

Cette étude a révélé un nombre important de problèmes liés à la prestation de soins aux personnes consommant de la méthamphétamine et il faut remédier à ces problèmes avant de pouvoir envisager le recours à des stratégies de réduction des méfaits. La stigmatisation et le manque de connaissances des fournisseurs de soins de santé ont brimé les besoins des participants à l'étude et ont entraîné des difficultés de communication et un sentiment de mécontentement. Les fournisseurs de services ont signalé qu'il leur est difficile d'aider les personnes consommant de la méthamphétamine car ils ne possèdent pas les connaissances nécessaires sur les besoins spécifiques de ces personnesNote de bas de page 1. Ce problème doit être réglé pour mettre en œuvre des stratégies de réduction des méfaits avec la compréhension et le soutien du personnel. Le soutien de personnes ayant vécu une expérience concrète similaire pourrait aider à remédier à la situationNote de bas de page 8.

En raison du manque de confiance qui découle de ces interactions négatives, particulièrement dans les cas où de la stigmatisation a été perçue, certaines personnes ont dû cacher leur consommation de substances ou quitter l'hôpital. Chez les personnes qui consomment des substances, l'abstinenceNote de bas de page 12, les symptômes de sevrage (en particulier les envies irrépressibles), la stigmatisation, la discrimination, les règles de l'hôpital telles que l'interdiction de quitter l'étage de l'hôpitalNote de bas de page 15 et la consommation récente de substances par voie intraveineuseNote de bas de page 13 comptent parmi les motifs de départ de l'hôpital contre l'avis du médecin. Bon nombre de ces motifs ont été évoqués par les participants à l'étude. Inévitablement, le fait de ne pas recevoir ou de ne pas terminer un traitement signifie que de nombreuses personnes risquent de voir leurs symptômes s'aggraver, d'être admises de nouveau à l'hôpital ou même de mourir. Le risque de subir une surdose est accru lorsqu'une personne consomme des substances alors qu'elle est seuleNote de bas de page 7 Note de bas de page 38.

Stratégies de réduction des méfaits

Il peut être difficile de déterminer quelle stratégie de réduction des méfaits utiliser, en particulier lorsque ces stratégies semblent aller à l'encontre des politiques et de la philosophie de l'hôpital. La consommation sécuritaire et les façons dont les personnes peuvent consommer des substances en toute sécurité dans les hôpitaux, à l'écart de la population générale de patients, ont été fréquemment abordées. Certains participants aimaient l'idée d'une consommation surveillée avec différents niveaux de soutien, tandis que d'autres préféraient l'autonomie entière et la consommation privée dans une pièce tranquille. Dans une étude qualitative menée en 2019, Foreman-Mackey et ses collaborateursNote de bas de page 50 ont constaté que l'utilisation de sites de consommation supervisée permettait de diminuer le nombre de surdoses fatales.

Les participants à notre étude semblaient connaître l'existence des stratégies de réduction des méfaits mais ils ont tous parlé d'un manque d'accès et de disponibilité. De nombreux participants ont souligné la nécessité d'obtenir du nouveau matériel pour prévenir la propagation des infections causées par le partage ou la réutilisation du matériel. Un programme d'échange de seringues pourrait à lui seul ne pas être approprié, car les clients quitteraient l'établissement et iraient s'injecter des substances ailleursNote de bas de page 9. Bien que la mise en place d'un site de consommation supervisée soit une marche haute à gravir pour un hôpital, elle pourrait être nécessaire en cas de préoccupations au sujet d'une consommation non supervisée dans les environs. Des études antérieures ont révélé un certain nombre d'avantages liés à la consommation sécuritaire : une augmentation des cas dirigés vers des services de traitement des dépendancesNote de bas de page 38 Note de bas de page 39 Note de bas de page 43 Note de bas de page 44, une diminution de la consommation par injection dans des lieux publicsNote de bas de page 38 Note de bas de page 39, l'absence de décèsNote de bas de page 36 Note de bas de page 38 Note de bas de page 39 Note de bas de page 43 et aucune augmentation des crimes liés à la consommation de substancesNote de bas de page 39 Note de bas de page 43.

Les participants ont indiqué que des contenants pour objets pointus et tranchants devraient être placés dans les toilettes, étant donné que cet endroit est souvent utilisé par les personnes qui s'injectent de la méthamphétamineNote de bas de page 51. On a également suggéré que des pipes propres soient offertes aux personnes qui n'utilisent pas la voie intraveineuse, ce qui préviendrait la réutilisation de pipes ou l'utilisation de pipes de fortune fabriquées à l'aide de canettes d'aluminium, d'ampoulesNote de bas de page 34 et de pailles de plastique, qui sont susceptibles de produire des vapeurs toxiques lorsqu'elles sont chaufféesNote de bas de page 52.

Répercussions sur le plan clinique

Compte tenu des problèmes soulevés, la mise en place de l'état souhaité en matière de soins hospitaliers aurait des implications sur le plan clinique. Le fait d'améliorer les interactions, de lutter contre la stigmatisation et de combler les lacunes dans les connaissances grâce à l'autoréflexion et à l'éducation pourrait aider à établir des relations thérapeutiques positives. Les interventions à visée éducative se sont révélées efficaces pour réduire la stigmatisation à l'égard des personnes ayant un trouble lié à la consommation de substancesNote de bas de page 53 Note de bas de page 54. Une meilleure compréhension de la dépendance et des stratégies de réduction des méfaits peut améliorer l'acceptation de ces stratégies chez le personnel et permettre de faciliter leur intégration harmonieuse dans la pratique. Selon certaines études, une sensibilisation accrue aux troubles liés à la consommation de substances et à la réduction des méfaits peut favoriser l'adoption d'attitudes positivesNote de bas de page 55 à l'égard des personnes atteintes d'un trouble lié à la consommation de substances et permettre au personnel de jouer un rôle adéquat lors de la prestation de soinsNote de bas de page 56. Une fois qu'une relation de confiance est établie, les personnes consommant de la méthamphétamine sont susceptibles de se sentir suffisamment en confiance pour accéder aux services de réduction des méfaits.

La figure 2 illustre les répercussions cliniques associées au fait de faciliter l'introduction et l'utilisation de stratégies de réduction des méfaits en milieu hospitalier. Le fait de mettre en œuvre des stratégies de réduction des méfaits sans d'abord aborder les étapes précédentes pourrait faire en sorte que ces pratiques ne soient pas bien comprises, qu'elles soient exécutées de façon inefficace ou qu'elles soient sous-utilisées.

Figure 2. Schéma décrivant les répercussions cliniques de l'introduction et de l'utilisation de stratégies de réduction des méfaits en milieu hospitalier
Figure 2. La version textuelle suit.
Figure 2 - Équivalent textuel

La figure 2 illustre les répercussions cliniques associées au fait de faciliter l'introduction et l'utilisation de stratégies de réduction des méfaits en milieu hospitalier. La figure contient un ensemble de nœuds dans un ordre séquentiel, où le nœud 1 a une flèche qui pointant vers le nœud 2.

Noeud Étiquette et couleur de chaque noeud
1 "Autoréflexion sur les interactions"
2 "Lutter contre la stigmatisation et combler les lacunes dans les connaissances"
3 "Établir des relations thérapeutiques"
4 "Réduction des méfaits"

Philosophie et culture des soins

Le passage de l'état perçu des soins hospitaliers à l'état souhaité suppose un changement de philosophie et de culture des soins par rapport au modèle fondé sur l'abstinenceNote de bas de page 12. Il faudrait renforcer la formation actuelle afin de réduire les effets de la stigmatisation et transmettre aux fournisseurs de soins de santé et au personnel des hôpitaux les connaissances nécessaires pour soutenir les personnes consommant de la méthamphétamineNote de bas de page 53 Note de bas de page 54. Il faudrait modifier la relation thérapeutique de manière à encourager les personnes à divulguer leur consommation de substances, ce que bon nombre de personnes craignent de faire de peur de recevoir des soins de mauvaise qualité ou de se voir refuser des servicesNote de bas de page 26. Des soins sous-optimaux ont également été signalés nettement plus souvent chez les personnes qui évitent les soins que chez les autres personnesNote de bas de page 57, et la stigmatisation a été associée tant à l'évitement des soins qu'aux soins de mauvaise qualitéNote de bas de page 27. C'est pourquoi il est d'autant plus important que les personnes ayant vécu ou vivant une expérience concrète de consommation de méthamphétamine participent activement aux soins. De cette façon, le patient et le fournisseur de soins de santé peuvent élaborer ensemble un plan de traitement qui n'entraînera pas de conflits interpersonnels ou médicaux (par exemple des médicaments qui interagissent avec les substances consommées).

Comme l'indique la figure 2, il faut d'abord lutter contre la stigmatisation et améliorer les relations thérapeutiques afin que les personnes qui reçoivent des soins hospitaliers aient l'envie d'accéder aux stratégies disponibles et qu'elles soient en mesure de le faire. Le fait de passer directement à la mise en œuvre de stratégies de réduction des méfaits avant de régler les problèmes sous-jacents du système de santé se solderait probablement par un échec en raison d'une sous-utilisation et de la méfiance.

Points forts et limites

L'une des principales forces de cette étude était l'analyse de données qualitatives de 104 personnes avec expérience concrète de consommation de méthamphétamine, un nombre largement supérieur à l'objectif de saturation nécessaire pour une étude qualitative. Cela a permis de recueillir un large éventail d'opinions, d'expériences et de perspectives, qui ont toutes contribué aux constats de notre étude. L'utilisation d'une perspective ethnographique a également permis de rendre compte de l'expérience collective de ces 104 participants plutôt que de présenter des témoignages individuels. Cette étude aide à combler les lacunes dans la littérature en soulignant les besoins et les défis vécus par les individus ayant une expérience concrète en milieu hospitalier. Ces conclusions relèvent d'une expérience globale plutôt que de problèmes particuliers ou individuels.

Cette étude visait également à recruter un échantillon diversifié de participants afin d'assurer la représentation de populations habituellement sous-représentées. Au total, 31 % des participants ont déclaré être Autochtones, une proportion plus élevée que prévu. Même si les participants de l'échantillon se sont surtout identifiés comme des hommes blancs, la méthode d'échantillonnage dirigé retenue pour l'étude avait pour principal objectif de donner une voix à des personnes qui, autrement, n'auraient pas eu la possibilité de se faire entendre.

En ce qui concerne les limites de l'étude, citons le fait que les participants ont été recrutés en grande partie dans une seule ville de l'Ontario, avec seulement cinq participants recrutés dans de petites municipalités de la province. Les expériences et les problèmes recensés dans l'étude sont donc susceptibles d'être différents de ceux observables en région rurale ou dans une grande ville. Dans certaines régions, il peut y avoir plus de ressources et les services et les sites de réduction des méfaits peuvent être plus accessibles, ce qui aura probablement une incidence sur les observations et les expériences de participants à une étude. Il est donc recommandé que l'on explore les enjeux présents dans les collectivités dans d'autres régions du Canada.

Nos travaux ont porté plus précisément sur les personnes ayant vécu ou vivant une expérience concrète de consommation de méthamphétamine. Bien que les participants aient fait état de consommation de substances psychoactives multiples, nos constatations sont susceptibles de ne pas être valables pour les personnes consommant d'autres substances que la méthamphétamine.

Notre étude comportait un faible nombre de femmes, ce qui pourrait être attribuable à la stigmatisation associée à la divulgation. Nous recommandons que les études futures portent principalement sur les groupes sous-représentés ou marginalisés.

Conclusion

Pour améliorer la qualité des soins administrés aux personnes consommant de la méthamphétamine, il faut mettre l'accent sur les interactions entre le patient et les fournisseurs de soins de santé et le personnel de l'hôpital, une étape indispensable pour que des progrès soient réalisables. Il est important de souligner que pour que les personnes cherchent à obtenir un traitement et demandent une intervention de réduction des méfaits, il faut qu'elles se soient senties écoutées et respectées. Une fois que des relations thérapeutiques fondées sur la confiance sont bâties, le système de soins de santé sera en mesure de fournir un traitement et des services de réduction des méfaits de manière efficace et accessible. D'autres recherches sont nécessaires pour explorer la possibilité de fournir des services de réduction des méfaits en milieu hospitalier car cette approche en est encore à ses débuts.

Remerciements

Cette étude a bénéficié de financement sous forme de subvention du Programme sur l'usage et les dépendances aux substances. Nous remercions les coordonnateurs de recherche et les adjoints de recherche suivants pour leur contribution à la réalisation de l'étude : Sara Husni, Shona Macpherson, Anne Peters, Sarah Adam, Tania Al-Jilawi, Niko Fragis, Emily Guarasci, Courtney Hillier, Ashraf Janmohammad, Amy Lewis, Mark Lynch et Annie Yang.

Conflits d'intérêts

Les auteurs déclarent n'avoir aucun conflit d'intérêts.

Contributions des auteurs et avis

CF : conception, curation des données, analyse formelle, obtention du financement, enquête, méthodologie, administration du projet, ressources, supervision, validation, visualisation, rédaction de la première version du manuscrit, relectures et révisions. JS : curation des données, analyse formelle, obtention du financement, enquête, méthodologie, administration du projet, ressources, supervision, validation, visualisation, rédaction de la première version du manuscrit, relectures et révisions. LS : curation des données, analyse formelle, enquête, méthodologie, administration du projet, ressources, supervision, validation, visualisation, rédaction de la première version du manuscrit, relectures et révisions.

Le contenu de l'article et les points de vue qui y sont exprimés n'engagent que les auteurs; ils ne correspondent pas nécessairement à ceux du gouvernement du Canada.

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