Recherche quantitative originale – Accès aux écrans dans les espaces privés au début de l’adolescence et difficultés scolaires et sociales à la fin des études secondaires chez les garçons et les filles

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Benoit Gauthier, M. Sc.Note de rattachement des auteurs 1; Linda S. Pagani, Ph. D.Note de rattachement des auteurs 2Note de rattachement des auteurs 3Note de rattachement des auteurs 4

https://doi.org/10.24095/hpcdp.44.2.01f

Cet article a fait l’objet d’une évaluation par les pairs.

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Cet article de recherche par Gauthier B et al. dans la Revue PSPMC est mis à la disposition selon les termes de la licence internationale Creative Commons Attribution 4.0 International

Rattachement des auteurs
Correspondance

Benoit Gauthier, Faculté des arts et des sciences, Université de Montréal, Montréal (Québec) H3T 1N8; tél. : 514-586-5005; courriel : benoit.gauthier.1@umontreal.ca

Citation proposée

Gauthier B, Pagani LS. Accès aux écrans dans les espaces privés au début de l’adolescence et difficultés scolaires et sociales à la fin des études secondaires chez les garçons et les filles. Promotion de la santé et prévention des maladies chroniques au Canada. 2024;44(2):41-49. https://doi.org/10.24095/hpcdp.44.2.01f

Résumé

Introduction. Au Canada et aux États-Unis, les lignes directrices sur l’utilisation des médias numériques chez les jeunes recommandent de tenir les écrans hors de la chambre à coucher. Cette étude a pour objectif de vérifier si la présence d’un écran dans la chambre à coucher à 12 ans permet de prédire des difficultés scolaires et sociales à 17 ans.

Méthodologie. Les participants sont issus de la cohorte de naissance de l’Étude longitudinale du développement des enfants du Québec (661 filles et 686 garçons). À l’aide d’analyses de régression linéaire tenant compte des facteurs de confusion individuels et familiaux potentiels, nous avons estimé les associations entre, d’une part, le fait d’avoir un écran (télévision ou ordinateur) dans sa chambre à coucher à 12 ans et, d’autre part, les moyennes globales autodéclarées, le risque de décrochage scolaire, le comportement prosocial et la probabilité d’avoir eu une relation amoureuse au cours des 12 derniers mois à 17 ans.

Résultats. Tant chez les garçons que chez les filles, la présence d’un écran dans la chambre à coucher à 12 ans a permis de prédire des notes globales inférieures (B = −2,41, p ≤ 0,001 pour les garçons; B = −1,61, p ≤ 0,05 pour les filles), un risque de décrochage supérieur (B = 0,16, p ≤ 0,001 pour les garçons; B = 0,17, p ≤ 0,001 pour les filles) et une probabilité moindre d’avoir eu une relation amoureuse (B = −0,13, p ≤ 0,001 pour les garçons; B = −0,18, ≤ 0,001 pour les filles) à 17 ans. Le fait d’avoir un écran dans sa chambre à coucher était également un facteur prédictif d’un niveau inférieur de comportement prosocial (B = −0,52, p ≤ 0,001) à 17 ans chez les garçons.

Conclusion. La présence d’un écran dans la chambre à coucher au début de l’adolescence ne permet pas de prédire une santé et un bien-être positifs à long terme. Les lignes directrices des sociétés de pédiatrie à l’intention des parents et des jeunes devraient recommander plus vigoureusement de garder les écrans hors de la chambre à coucher et de ne pas laisser aux enfants un accès illimité aux écrans dans les espaces privés.

Mots-clés : écrans dans la chambre à coucher, accès dans les espaces privés, santé des adolescents, développement des adolescents, adaptation scolaire, adaptation sociale

Points saillants

  • Des travaux de recherche antérieurs et les lignes directrices sur l’utilisation des médias numériques chez les enfants et les adolescents recommandent de bannir les écrans des espaces privés. L’exposition aux écrans dans la chambre à coucher au début de l’enfance est associée à des risques pour le développement et la santé, qui se manifestent notamment par une acquisition du langage plus lente, une sociabilité moindre et de la détresse émotionnelle plus tard dans l’enfance.
  • À l’aide d’une cohorte de naissance prospective longitudinale formée de 661 filles et de 686 garçons nés à une époque où l’exposition aux écrans était moins complexe, nous avons constaté que le fait d’avoir une télévision ou un ordinateur dans sa chambre à coucher au début de l’adolescence est un facteur prédictif de risques scolaires et sociaux plus tard à l’adolescence, ce qui est probablement attribuable à une surexposition du point de vue du temps et du contenu.

Introduction

Dans les dernières années, l’exposition des jeunes d’âge scolaire aux écrans a augmentéNote de bas de page 1. Avec l’évolution rapide de la technologie et l’essor des appareils portables, les moments et les endroits où les jeunes peuvent utiliser les écrans se multiplient. De nos jours, chez la plupart des enfants et des adolescents, le temps de loisir passé devant un écran chaque jour représente plus du double du temps recommandéNote de bas de page 2. L’American Academy of Pediatrics (AAP) et la Société canadienne de pédiatrie (SCP) ont établi des lignes directrices en la matière. De façon générale, les lignes directrices recommandent de n’avoir aucune exposition aux écrans avant l’âge de deux ans, une exposition de moins d’une heure par jour avant l’âge de cinq ans et, chez les jeunes d’âge scolaire, une durée maximale de deux heures par jourNote de bas de page 3Note de bas de page 4. À compter de l’école secondaire, le temps que les jeunes consacrent aux écrans les détourne d’autres activités de développement enrichissantes qui façonnent leurs perspectives de capital humain et les préparent à fonctionner en société et en milieu professionnelNote de bas de page 5.

Les lignes directrices de l’AAP et de la SCP sur l’utilisation des médias numériques conseillent également aux parents et aux jeunes de définir des zones sans écran à la maisonNote de bas de page 3Note de bas de page 4. La présence d’un écran dans un espace privé, comme la chambre à coucher, offre un accès en solitaire et sans supervisionNote de bas de page 6. Les enfants sont ainsi moins enclins à socialiser en personne et à étudierNote de bas de page 7.

Des études menées antérieurement ont établi des associations entre l’accès à un écran dans la chambre à coucher pendant l’enfance et l’augmentation du temps d’écran globalNote de bas de page 1Note de bas de page 7Note de bas de page 8. En fait, l’accès à un écran dans un cadre privé est associé à une hausse du temps passé dans la chambre à coucher et donc à une augmentation de l’isolement et de l’utilisation d’écransNote de bas de page 9. Des études et des revues de la littérature récentes incluant à la fois des études transversales et des études longitudinales menées auprès d’enfants et d’adolescents d’âges divers ont fait ressortir des liens entre différents types d’exposition aux écrans, un niveau inférieur de comportement prosocial et un rendement scolaire sous-optimalNote de bas de page 10Note de bas de page 11Note de bas de page 12. Comparativement aux enfants et aux adolescents vivant sans écran, les enfants et les adolescents qui disposent d’une télévision, d’un ordinateur ou d’une console de jeux vidéo dans leur chambre présentent un risque accru d’adiposité et de sommeil inadéquatNote de bas de page 6Note de bas de page 13Note de bas de page 14. Toutefois, on en sait peu sur le lien entre l’utilisation des médias numériques dans la chambre à coucher à l’adolescence et le fonctionnement social et scolaire.

Le temps passé devant un écran et le contenu visionné peuvent tous les deux influer sur le développement de l’enfant et sur sa vie future. Selon l’hypothèse du déplacement, le temps consacré aux écrans est du temps qui n’est pas investi dans d’autres activités plus enrichissantes, comme socialiser en personne ou faire ses devoirsNote de bas de page 7Note de bas de page 15Note de bas de page 16. Selon l’hypothèse du contenu, l’exposition à du contenu violent et inapproprié, susceptible d’augmenter en cas d’accès à un écran dans un espace privé, nuit au développement du comportement prosocialNote de bas de page 7. La capacité à faire preuve d’empathie est une aptitude socioémotionnelle fondamentale qui favorise la création de liens sociaux positifsNote de bas de page 17. L’investissement dans une relation amoureuse est également une des tâches développementales importantes de l’adolescenceNote de bas de page 18. Enfin, l’obtention du diplôme d’études secondaires marque aussi un jalon majeur et, de ce fait, constitue un pilier de la réussite sociale et économique plus tard dans la vieNote de bas de page 18Note de bas de page 19Note de bas de page 20.

Certaines études sur l’exposition aux écrans et le développement des jeunes recèlent des difficultés méthodologiques qui affaiblissent les interprétationsNote de bas de page 21. Premièrement, les risques associés à l’accès à un écran dans un espace privé au début de l’adolescence ont fait l’objet de peu de recherche, et le lien entre cet accès et le fonctionnement social et scolaire plus tard à l’adolescence demeure flou. L’accès à un écran dans un cadre privé est une mesure susceptible de fournir davantage de renseignements sur la nature du contenu visionné et l’expérience des adolescents avec les écrans que les mesures du temps d’écran autodéclaré, qui sont susceptibles de s’accompagner de difficultés méthodologiquesNote de bas de page 21.

Deuxièmement, de nombreuses études souffrent d’un biais de variables omises. Étant donné la prise en compte limitée des facteurs préexistants et potentiellement concomitants, les études transversales, qui constituent la majorité des études portant sur les risques associés à l’exposition des adolescents aux écrans, ne sont pas en mesure d’isoler adéquatement la contribution de l’exposition aux écrans et celle de l’accès aux écrans dans les espaces privésNote de bas de page 21Note de bas de page 22. Par conséquent, une étude prospective longitudinale axée sur l’accès aux écrans dans la chambre à coucher au début de l’adolescence tenant compte des différentes explications possibles au sujet de ces associations devrait permettre une meilleure prise en compte des facteurs de confusion qu’une étude transversaleNote de bas de page 21Note de bas de page 22.

Troisièmement, comme les facteurs de risque et de protection ne sont pas les mêmes chez les filles et les garçons en raison d’influences biologiques et contextuelles différentes, une analyse stratifiée selon le sexe procure davantage de renseignements qu’une analyse ajustée pour le sexe. En effet, on peut ainsi repérer les différences ultérieures entre les sexes dans l’adaptation scolaire et sociale en fonction de l’accès à un écran dans un cadre privé au début de l’adolescence et mieux comprendre la dynamique de ces différencesNote de bas de page 23.

À l’aide des données tirées de la cohorte de naissance de l’Étude longitudinale du développement des enfants du Québec (ELDEQ; description fournie plus loin), nous avons exploré l’association entre, d’une part, l’accès à un écran dans la chambre à coucher à la fin de l’enfance et, d’autre part, l’adaptation scolaire et sociale au cours de la dernière année d’études secondaires. Concrètement, nous avons tenté de déterminer si le fait d’avoir une télévision ou un ordinateur dans sa chambre à 12 ans est un indicateur de l’adaptation scolaire et sociale autodéclarée à 17 ans. Pour ce faire, nous avons tenu compte des caractéristiques individuelles et familiales préexistantes susceptibles de fausser les éventuelles associations, en particulier l’utilisation globale des écrans à 12 ans. Les garçons et les filles ont été étudiés séparément dans nos analyses. Nous nous attendions à ce que l’absence d’écrans dans la chambre soit un facteur prédictif d’épanouissement scolaire et social.

Méthodologie

Participants 

L’ELDEQNote de bas de page * est coordonnée par l’Institut de la statistique du Québec et elle s’appuie sur un échantillon stratifié aléatoire de 2 817 nourrissons nés entre 1997 et 1998 au Québec (Canada). L’objectif principal de l’ELDEQ était de fournir des données sur le développement typique des enfants.

Les enfants ont été sélectionnés à partir du registre des naissances de la province. Parmi les enfants sélectionnés à l’origine, 697 ont été jugés inadmissibles pour l’une des raisons suivantes : être un jumeau; être un membre inscrit des Premières Nations; n’avoir pu être joint (dans la plupart des cas, les coordonnées étaient erronées) et avoir refusé de participer à l’étude. L’échantillon de référence, qui représentait 75 % de la population cible admissible, était formé de 2 120 nourrissons, qui ont fait l’objet d’un suivi annuel tout au long de leur enfance, à compter de l’âge de 5 mois. Parmi eux, 39 % étaient des premiers-nés.

Lors de chaque suivi, les parents, les enseignants et les enfants (selon le cas) ont donné leur consentement éclairé. Les participants ont été inclus dans cette étude si l’enfant avait indiqué, lors de l’enquête de 2010, s’il avait une télévision ou un ordinateur dans sa chambre à 12 ans (n = 1 347 sur 2 120). Les données relatives à la variable indépendante ont été recueillies auprès de 661 filles et de 686 garçons, formant ainsi notre sous-échantillon pour l’analyse. Les variables dépendantes, fondées sur la qualité et la disponibilité, ont été mesurées à 17 ans. 

Mesures

Variable indépendante : présence d’une télévision ou d’un ordinateur dans la chambre à coucher au début de l’adolescence (à 12 ans) 

On a demandé aux participants, à l’aide de deux questions, s’ils avaient (1) une télévision et (2) un ordinateur dans leur chambre. Une analyse exploratoire a permis de constater que les deux variables avaient des effets similaires sur les résultats psychosociaux. Par conséquent, nous avons combiné les réponses aux deux questions pour créer une variable prenant la valeur de 0 lorsque le participant avait répondu « non » aux deux questions (pourcentage valide : 54,2) et la valeur de 1 lorsque le participant avait répondu « oui » à au moins une des deux questions (pourcentage valide : 45,8).

Variables dépendantes : indicateurs de réussite scolaire et de relations positives (à 17 ans) 

Notes globales

Au printemps de l’année scolaire, on a questionné les participants sur leur moyenne générale dans toutes les matières enseignées depuis le début de l’année. Il s’agit là d’une variable discrète, avec une fourchette de valeur de 0 à 100 en fonction de la réponse du participant. 

Risque de décrochage scolaire

Nous avons utilisé une variable fondée sur la typologie des décrocheurs potentiels décrite par Fitzpatrick et ses collaborateursNote de bas de page 19, qui comporte sept questions : plus le score est élevé, plus le risque de décrochage scolaire est grand. Les questions visaient à évaluer le retard, le rendement et l’engagement scolaires : (1) Au cours de cette année, quelles sont tes notes (ta moyenne) en français? (2) Au cours de cette année, quelles sont tes notes (ta moyenne) en mathématiques? (3) As-tu déjà doublé une année scolaire? (4) Aimes-tu l’école? (5) En pensant à tes notes, comment te classes-tu par rapport aux autres élèves de ton école qui ont ton âge? (6) Jusqu’à quel point est-ce important pour toi d’obtenir de bonnes notes? (7) Quel est le plus haut niveau de scolarité que tu désires atteindre?

La variable originale comprenait également une catégorie à part pour les jeunes qui n’avaient pas fréquenté l’école au cours de l’année scolaire (compte tenu de l’âge des jeunes faisant partie de la cohorte, il était impossible qu’un participant ait déjà atteint plus que le niveau de cinquième et dernière année du secondaire au Québec). À partir de cette variable, nous en avons créé une nouvelle à trois catégories : 0 pour en dessous de la médiane, 1 pour au-dessus de la médiane et 2 pour décrocheur réel (n’a pas fréquenté l’école au cours de l’année). 

Comportement prosocial

Pour le comportement prosocial, nous avons fait la somme des réponses aux sept énoncés suivants : (1) Lorsque quelqu’un s’est blessé, je n’ai pas hésité à l’aider; (2) Quand quelqu’un a fait une erreur, j’ai eu de la peine pour lui; (3) Quand j’ai été témoin d’une chicane, j’ai essayé de l’arrêter; (4) Quand quelqu’un a renversé ou brisé quelque chose, j’ai offert mon aide pour nettoyer; (5) J’ai aidé les autres autour de moi qui ne réussissaient pas bien; (6) J’ai partagé facilement mes effets personnels avec les autres; (7) J’ai été gentil ou gentille avec les plus jeunes que moi. Chaque énoncé avait pour objectif d’explorer la tendance du jeune à faire preuve de gentillesse, d’empathie, de partage et de bienveillance. Les sommes ont été recodées pour fournir un score allant de 0 à 10. Plus le score était élevé, plus le niveau de comportement prosocial déclaré était lui aussi élevé.

Relation amoureuse récente

Pour cette variable, nous avons utilisé la réponse à une seule question : les participants devaient indiquer qu’ils avaient eu au moins un chum ou une blonde (un amoureux ou une amoureuse) au cours des 12 derniers mois (0 = oui; 1 = non). 

Variables de contrôle individuelles et familiales au cours de l’enfance (de 5 mois à 12 ans, catégorie de risque = 1, aucun risque = 0) 

Les « caractéristiques individuelles » étaient les problèmes de tempérament, les habiletés neurocognitives précoces et le temps d’écran autodéclaré.

Les problèmes de tempérament ont été évalués à l’âge d’un an et demi en fonction des réponses données par les parents à six questions en lien avec les indicateurs de tempérament difficile et de tempérament imprévisible : (1) Dans quelle mesure vous est-il facile ou difficile de calmer ou d’apaiser [prénom] lorsqu’il est contrarié ou qu’elle est contrariée? (2) En moyenne, combien de fois par jour [prénom] devient-il agité ou devient-elle agitée et irritable, que ce soit pour un court ou un long moment? (3) En général, dans quelle mesure est-ce qu’il ou elle pleure ou s’agite? (4) Dans quelle mesure est-il facilement contrarié ou est-elle facilement contrariée? (5) Dans quelle mesure l’humeur de [prénom] est-elle changeante? (6) Veuillez évaluer le degré de difficulté général que [prénom] peut présenter pour la moyenne des parents. Nous avons fait la somme des réponses à ces six questions (au-dessus de la médiane = 1).

Les habiletés neurocognitives précoces ont été évaluées à l’âge de 2 ans à l’aide d’une tâche d’imitation de placement d’objets qui vise à évaluer l’attention et la mémoire de travail, et qui est un facteur prédictif de la réussite scolaire ultérieure (en dessous de la médiane = 1)Note de bas de page 19.

Le temps d’écran autodéclaré a été évalué à l’âge de 12 ans et correspond au nombre d’heures d’exposition hebdomadaire à la télévision, à Internet, à l’ordinateur et aux jeux vidéo (au-dessus de la médiane = 1).

Les « caractéristiques familiales de base » comprenaient six mesures. Le niveau de scolarité de la mère a été évalué lorsque l’enfant avait 5 mois (diplôme d’études secondaires ou moins = 1). Les symptômes dépressifs déclarés par la mère ont aussi été évalués lorsque l’enfant avait 5 mois, et le score attribué est fondé sur une version abrégée de l’échelle CES-D (Center for Epidemiologic Studies Depression Scale) (13 items; au-dessus de la médiane = 1)Note de bas de page 24. Les comportements antisociaux des parents à l’adolescence et à l’âge adulte ont été évalués lorsque l’enfant avait 5 mois à l’aide d’un score qui combine à la fois les réponses de la mère et du père aux questions de l’entrevue DIS (National Institute of Mental Health Diagnostic Interview Schedule) (un score élevé correspond à des comportements antisociaux plus nombreux chez les parents et est en corrélation avec la présence de difficultés sociales et professionnelles; au-dessus de la médiane = 1). Le dysfonctionnement familial rapporté par les parents a été évalué lorsque l’enfant avait un an et demi; l’évaluation était fondée sur neuf items du questionnaire FAD (McMaster Family Assessment Device) (plus le score est faible, plus la famille est fonctionnelle; au-dessus de la médiane = 1)Note de bas de page 25. La configuration familiale a été évaluée lorsque l’enfant avait 2 ans (nucléaire = 0, non nucléaire = 1). Enfin, le revenu familial a également été évalué lorsque l’enfant avait 2 ans en fonction du seuil de faible revenu établi par Statistique Canada pour cette année-là (0 = pas en situation de faible revenu, 1 = en situation de faible revenu).

Analyse des données 

Dans cette étude, nous avons exploré les associations linéaires prospectives à long terme à l’aide d’analyses de régression multiple par la méthode des moindres carrés ordinaires dans SPSS Statistics, version 26 (IBM Corp., Armonk, New York, États-Unis) et les analyses ont été stratifiées selon le sexe. Nous avons fait l’analyse de régression des indicateurs de réussite scolaire et de relations positives à 17 ans en fonction de la présence d’une télévision ou d’un ordinateur dans la chambre à coucher à 12 ans. Pour limiter le risque de biais de variable omise et d’explications divergentes, nous avons pris en compte les caractéristiques de l’enfant et de la famille préexistantes et concomitantes susceptibles d’avoir une influence sur la variable indépendante ou les variables dépendantes. Comme c’est le cas pour toutes les études longitudinales, nous avons dû soumettre les données incomplètes à une analyse d’attrition dans le but de comparer les participants pour lesquels nous disposions de données incomplètes sur les variables de contrôle avec les participants pour lesquels nous disposions de données complètes sur les variables de contrôle au sein de notre échantillon. 

Dans SPSS, à l’aide d’un algorithme stochastique, nous avons imputé les observations incomplètes en fonction des données complètes disponibles sur les variables de contrôle et les variables dépendantes, ce qui a permis de créer plusieurs ensembles de données imputées qui sont des copies des données complètes originales. L’algorithme génère des valeurs légèrement différentes pour chaque mesure imputée dans les divers ensembles de données. La variance supplémentaire causée par les différences dans les valeurs imputées d’une copie à l’autre reflète l’incertitude de l’imputation et est ajoutée en tant que correction à l’imputation. Nos analyses ont été réalisées à l’aide de cinq ensembles de données imputées, conformément à ce qui est généralement recommandéNote de bas de page 26.

Résultats

Le tableau 1 fournit des statistiques descriptives pour la variable indépendante ainsi que pour toutes les variables de résultat et de contrôle. À 12 ans, près de la moitié des garçons et des filles avaient une télévision ou un ordinateur dans leur chambre, ou les deux. Le pourcentage d’enfants nés d’une mère dont le niveau de scolarité était égal ou inférieur au diplôme d’études secondaires était de 39 % chez les garçons et de 43,7 % chez les filles. Plus du cinquième des enfants de l’échantillon (21,1 % des garçons et 22,8 % des filles) vivaient dans une famille non nucléaire à 2 ans et, au même âge, plus de 15 % des enfants (16,3 % des garçons et 19,8 % des filles) faisaient partie d’une famille à faible revenu.

Pour ce qui est des variables dépendantes, qui ont toutes été mesurées à 17 ans, les notes moyennes se situaient dans la tranche supérieure à 70 % tant chez les garçons (78,73 %) que chez les filles (77,36 %). Les garçons (38,5 % dans la catégorie au-dessus de la médiane et 8,5 % dans la catégorie des décrocheurs réels) étaient moins nombreux que les filles (42,8 % dans la catégorie au-dessus de la médiane et 9,2 % dans la catégorie des décrocheurs réels) à appartenir aux catégories de risque pour la variable du décrochage scolaire. Les scores moyens obtenus pour le comportement prosocial étaient moins élevés chez les garçons (6,99) que chez les filles (7,07), et un plus grand nombre de garçons (76,1 %) que de filles (69,7 %) ont déclaré ne pas avoir eu de relation amoureuse au cours des 12 derniers mois.

Tableau 1. Statistiques descriptives pour la variable indépendante, les variables de résultat et les variables de contrôle
Variables Garçons Filles 
M (ÉT) Variables nominales (%) Intervalle M (ÉT) Variables nominales (%) Intervalle
Variable indépendante (à 12 ans)
Présence d’un écran dans la chambre à coucher
1 = oui 45,3 46,3
Variables dépendantes (à 17 ans)
Notes globales 78,73 (6,78) 50-96 77,36 (7,65) 45-100
Risque de décrochage scolaire
0 = en dessous de la médiane 53,1 48,0
1 = au-dessus de la médiane 38,5 42,8
2 = décrocheur réel 8,5 9,2
Comportement prosocial 6,99 (1,92) 0-10 7,07 (1,92) 0-10
Relation amoureuse récente
1 = non 76,1 69,7
Variables de contrôle
Problèmes de tempérament (à 1,5 an)
1 = au-dessus de la médiane 51,5 48,9
Habiletés neurocognitives précoces (à 2 ans)
1 = en dessous de la médiane 40,2 42,7
Temps d’écran (à 12 ans)
1 = au-dessus de la médiane 45,3 51,0
Niveau de scolarité de la mère (à 5 mois)
1 = diplôme d’études secondaires ou moins 39,8 43,7
Symptômes dépressifs chez la mère (à 5 mois)
1 = au-dessus de la médiane 42,1 47,2
Antécédents antisociaux des parents (à 5 mois)
1 = au-dessus de la médiane 47,4 47,8
Dysfonctionnement familial (à 1,5 an)
1 = au-dessus de la médiane 56,1 59,3
Configuration familiale (à 2 ans)
1 = non nucléaire 21,1 22,8
Revenu familial (à 2 ans)
1 = en situation de faible revenu 16,3 19,8

Le tableau 2 décrit la relation entre les variables de contrôle préexistantes et le fait d’avoir une télévision ou un ordinateur dans sa chambre à coucher à 12 ans. Chez les garçons, seul le niveau de scolarité de la mère au moment où l’enfant avait 5 mois (B = 0,15, p ≤ 0,001) laissait présager une probabilité accrue d’avoir un écran dans sa chambre à 12 ans. Du côté des filles, des problèmes de tempérament plus marqués à l’âge d’un an et demi (B = 0,08, p ≤ 0,05) étaient un facteur prédictif d’une probabilité accrue d’avoir un écran dans sa chambre à coucher à 12 ans. En outre, le fait d’être né d’une mère qui avait au plus un diplôme d’études secondaires au moment où l’enfant avait 5 mois (B = 0,16, p ≤ 0,001) et qui présentait des symptômes de dépression plus prononcés (B = 0,10, p ≤ 0,01) était un prédicteur d’une probabilité accrue d’avoir une télévision ou un ordinateur dans sa chambre à 12 ans. Enfin, une configuration familiale non nucléaire (B = 0,11, p ≤ 0,05) était également associée à une probabilité accrue d’avoir un écran dans sa chambre à coucher à 12 ans chez les filles.

Tableau 2. Coefficients de régression non normalisés (avec erreurs-types) exprimant la relation ajustée entre, d’une part, les caractéristiques de référence de l’enfant et de sa famille entre 5 mois et 2 ans et, d’autre part, la présence d’une télévision ou d’un ordinateur dans la chambre à coucher à 12 ans
Caractéristiques Présence d’un écran dans la chambre à coucher (à 12 ans)
Garçons (ÉT) Filles (ÉT)
Problèmes de tempérament (à 1,5 an) 0,01 (0,04) 0,08 (0,04)Note de bas de page *
Habiletés neurocognitives précoces (à 2 ans) 0,04 (0,04) 0,003 (0,04)
Niveau de scolarité de la mère (à 5 mois) 0,15 (0,04)Note de bas de page *** 0,16 (0,04)Note de bas de page ***
Symptômes dépressifs chez la mère (à 5 mois) 0,03 (0,04) 0,10 (0,04)Note de bas de page **
Comportements antisociaux chez les parents (à 5 mois) 0,003 (0,04) 0,002 (0,04)
Dysfonctionnement familial (à 1,5 an) 0,02 (0,04) −0,01 (0,04)
Configuration familiale (à 2 ans) 0,01 (0,05) 0,11 (0,05)Note de bas de page *
Revenu familial (à 2 ans) 0,10 (0,06) 0,09 (0,05)
R² ajusté 0,03Note de bas de page *** 0,07Note de bas de page ***

Le tableau 3 présente les associations entre le fait d’avoir un écran dans sa chambre à coucher à la fin de l’enfance et les indicateurs scolaires et sociaux à la fin de l’adolescence. Chez les garçons, le fait d’avoir une télévision ou un ordinateur dans sa chambre à coucher à 12 ans laissait présager des notes moyennes plus faibles (B = −2,41, p ≤ 0,001), un risque de décrochage scolaire supérieur (B = 0,16, ≤ 0,001), un niveau de comportement prosocial inférieur (B = −0,52, p ≤ 0,001) et une probabilité moindre de déclarer avoir eu une relation amoureuse au cours des 12 derniers mois (B = −0,13, p ≤ 0,001) à 17 ans. Chez les filles, il s’agissait d’un facteur prédictif de l’obtention de notes moyennes plus faibles (B = −1,61, p ≤ 0,05), d’un risque de décrochage scolaire supérieur (B = 0,17, p  ≤ 0,001) et d’une probabilité moindre de déclarer avoir eu une relation amoureuse au cours des 12 derniers mois (B = −0,18, p ≤ 0,001) à 17 ans.

Tableau 3. Coefficients de régression non normalisés (avec écarts-types) exprimant la relation ajustée entre le fait d’avoir une télévision ou un ordinateur dans sa chambre à coucher à 12 ans (incluant le temps d’écran concomitant à l’âge de 12 ans) et les indicateurs de bien-être à 17 ans
Caractéristiques À 17 ans
Notes globales
(ÉT)
Risque de décrochage scolaire
(ÉT)
Comportement prosocial
(ÉT)
Relation amoureuse récente
(ÉT)
Garçons Présence d’un écran dans la chambre à coucher (à 12 ans) −2,41 (0,50)Note de bas de page *** 0,16 (0,05)Note de bas de page *** −0,52 (0,15)Note de bas de page *** −0,13 (0,03)Note de bas de page ***
Problèmes de tempérament (à 1,5 an) −0,01 (0,50) −0,01 (0,05) −0,06 (0,15) 0,004 (0,03)
Habiletés neurocognitives précoces (à 2 ans) −0,68 (0,49) 0,02 (0,05) 0,21 (0,15) −0,03 (0,03)
Temps d’écran (à 12 ans) 0,22 (0,49) 0,003 (0,05) −0,04 (0,15) 0,03 (0,03)
Niveau de scolarité de la mère (à 5 mois) −2,13 (0,54)Note de bas de page *** 0,10 (0,05)Note de bas de page * −0,13 (0,16) 0,07 (0,04)Note de bas de page *
Symptômes dépressifs chez la mère (à 5 mois) −0,73 (0,51) 0,06 (0,05) 0,20 (0,15) 0,03 (0,03)
Comportements antisociaux chez les parents (à 5 mois) −1,93 (0,50)Note de bas de page *** 0,16 (0,05)Note de bas de page *** −0,11 (0,15) −0,09 (0,03)Note de bas de page **
Dysfonctionnement familial (à 1,5 an) 0,12 (0,50) 0,02 (0,05) −0,21 (0,15) −0,04 (0,03)
Configuration familiale (à 2 ans) −1,01 (0,64) 0,11 (0,06) −0,42 (0,19)Note de bas de page * 0,08 (0,04)
Revenu familial (à 2 ans) −1,35 (0,73) 0,32 (0,07)Note de bas de page *** −0,26 (0,22) −0,06 (0,05)
R² ajusté 0,13Note de bas de page *** 0,11Note de bas de page *** 0,03Note de bas de page *** 0,03Note de bas de page ***
Filles Présence d’un écran dans la chambre à coucher (à 12 ans) −1,61 (0,67)Note de bas de page * 0,17 (0,05)Note de bas de page *** 0,06 (0,16) −0,18 (0,04)Note de bas de page ***
Problèmes de tempérament (à 1,5 an) 1,69 (0,66)Note de bas de page ** 0,08 (0,05) 0,27 (0,15) −0,01 (0,04)
Habiletés neurocognitives précoces (à 2 ans) −1,02 (0,66) 0,04 (0,05) 0,10 (0,15) −0,05 (0,04)
Temps d’écran (à 12 ans) 0,68 (0,65) −0,05 (0,05) −0,05 (0,15) 0,07 (0,04)
Niveau de scolarité de la mère (à 5 mois) −2,46 (0,69)Note de bas de page *** 0,22 (0,05)Note de bas de page *** −0,06 (0,16) 0,06 (0,04)
Symptômes dépressifs chez la mère (à 5 mois) −2,24 (0,68)Note de bas de page *** 0,05 (0,05) 0,17 (0,16) 0,01 (0,04)
Comportements antisociaux chez les parents (à 5 mois) −1,42 (0,65)Note de bas de page * 0,01 (0,05) −0,04 (0,15) −0,16 (0,04)Note de bas de page **
Dysfonctionnement familial (à 1,5 an) 0,50 (0,69) −0,01 (0,05) −0,13 (0,16) −0,04 (0,04)
Configuration familiale (à 2 ans) −0,86 (0,82) 0,06 (0,06) −0,16 (0,19) 0,001 (0,04)
Revenu familial (à 2 ans) −1,40 (0,89) 0,11 (0,07) −0,04 (0,21) 0,05 (0,05)
R² ajusté 0,09Note de bas de page *** 0,08Note de bas de page *** −0,01 0,07Note de bas de page ***

Analyse

Depuis 10 ans, les appareils portables ont envahi nos maisons, faisant de l’écran un médium plus accessible que jamais. C’est dans ce contexte que les sociétés de pédiatrie ont recommandé de garder les écrans en dehors de certaines pièces de la maison, en particulier de la chambre à coucherNote de bas de page 2Note de bas de page 3. Au sein de notre échantillon, près de la moitié des garçons et des filles avaient une télévision ou un ordinateur dans leur chambre à 12 ans, soit en 2009-2010. La présence d’une télévision ou d’un ordinateur dans la chambre à coucher à 12 ans s’est révélé associée à des difficultés scolaires et sociales cinq ans plus tard. Notre étude tend à indiquer que l’accès à un écran dans un espace privé durant l’enfance laisse présager un capital humain et social inférieur à la fin de l’adolescence. Il peut en découler des risques notables pour ce qui a trait à l’accès à la santé et à la prospérité et au maintien de celles-ci plus tard à l’âge adulteNote de bas de page 20Note de bas de page 27.

Plus précisément, l’accès à un écran dans un espace privé s’est révélé un facteur prédictif d’une diminution dans les notes globales autodéclarées, d’une augmentation du risque de décrochage scolaire et d’une probabilité moindre d’avoir eu une relation amoureuse au cours des 12 derniers mois à 17 ans comparativement aux adolescents n’ayant pas d’écran dans leur chambre à coucher à 12 ans. Nous avons également observé une diminution de la propension à la gentillesse, à l’empathie, au partage et à la bienveillance chez les garçons qui avaient accès à un écran dans leur chambre. Compte tenu du fait que nous avons ajusté les résultats pour tenir compte des facteurs de confusion individuels et familiaux potentiels, l’ampleur de l’effet peut être considérée comme cliniquement importante. En fait, les liens observés entre la présence d’un écran dans la chambre à coucher et les résultats cinq ans plus tard se sont révélés aussi importants, sinon plus, que les liens relevés avec les variables de contrôle que nous avons utilisées, par exemple le niveau de scolarité de la mère, un facteur qui est présent au début de la vie et dont le rôle dans les trajectoires sociales tout au long de l’enfance et de l’adolescence est bien connuNote de bas de page 27Note de bas de page 28. De telles différences dans les expériences pourraient indiquer des différences à court et à long terme dans l’adaptation psychosociale et le bien-êtreNote de bas de page 29.

L’investissement dans une relation amoureuse constitue une étape typique du développement à l’adolescence, et il est lié à la capacité à nouer des relations intimes et sérieuses plus tard dans la vieNote de bas de page 30Note de bas de page 31. L’adolescence est également une période charnière pour le développement des habiletés prosociales, lesquelles contribuent à la stabilité psychologique globale. Nos constatations sur les risques associés à la présence d’un écran dans la chambre à coucher et le comportement prosocial chez les garçons sont donc préoccupantes. Cette association pourrait laisser entrevoir des relations de qualité moindre et des salaires inférieurs plus tard à l’âge adulte chez les garçons ayant accès à un écran dans un espace privéNote de bas de page 11. Du côté des filles, nous n’avons observé aucun lien entre, d’une part, la présence d’un écran dans la chambre à coucher et, d’autre part, la gentillesse, l’empathie, le partage et la bienveillance comparativement aux filles n’ayant pas accès à un écran dans leur chambre à 12 ans. Cette différence entre les garçons et les filles dans les résultats pourrait s’expliquer par des facteurs de modélisation neurobiologique ou encore par les attentes sociétales quant à la façon d’élever les filles, qui ont davantage tendance à faire preuve d’empathie et de compassionNote de bas de page 32Note de bas de page 33.

Nos constatations donnent à penser que la présence d’un écran dans la chambre à coucher durant l’enfance fait peser ultérieurement des risques sur des étapes développementales critiques à un moment où la maturité scolaire avant la transition vers les études postsecondaires revêt une grande importance. L’accès complet et sans supervision aux écrans est susceptible de monopoliser du temps qui serait autrement consacré aux responsabilités scolaires et aux interactions sociales non virtuelles à une période où, habituellement, les jeunes affinent leurs compétences cognitives et interpersonnellesNote de bas de page 7Note de bas de page 15Note de bas de page 18. Ce type d’accès pourrait amoindrir les perspectives d’un parcours de vie réussi tant chez les garçons que chez les fillesNote de bas de page 34Note de bas de page 35. Le manque d’interaction en personne combiné à l’isolement social pourrait nuire au développement et à la santé mentale des adolescentsNote de bas de page 36.

Étonnamment, aucune association n’a été établie entre le temps d’écran autodéclaré à 12 ans et les résultats plus tard dans la vie des jeunes. Ce constat tend à indiquer que, dans cette étude, ce n’est pas tant le temps d’écran déclaré qui constitue un indicateur des résultats chez les jeunes que la nature non supervisée et le cadre privé dans lequel se déroule cet accès aux écransNote de bas de page 37. En outre, nous savons que, pour la plupart des enfants et des adolescents, le temps libre passé devant un écran, notamment dans la chambre à coucher, est presque exclusivement consacré aux loisirs, et qu’une infime partie de ce temps est destiné à l’apprentissage et aux travaux scolairesNote de bas de page 5.

Points forts et limites

La conception prospective et longitudinale de l’étude est l’une de ses grandes forcesNote de bas de page 38. La prise de mesures répétées auprès d’une cohorte représentative de la population s’apparente à la conduite d’une expérience naturelle sur les effets des habitudes de vie sur les résultats ultérieurs chez les jeunes. De plus, le fait de tenir compte des facteurs de confusion potentiels limite en partie le biais causé par les influences préexistantes sur les résultats chez les jeunes. Enfin, les expériences des jeunes en fonction de leur genre ont été traitées séparément dans les analyses, ce qui constitue un autre point fort notable de cette étude. 

En revanche, l’analyse secondaire des données nous permet de constater que notre étude n’est pas exempte de limites. Premièrement, la nature non expérimentale de l’étude nous empêche de tirer des inférences causales. Néanmoins, nous avons contré en partie cette limite en tenant compte des facteurs de confusion individuels et familiaux préexistants. Deuxièmement, notre base de données ne contenait pas d’information sur les appareils portables tels que les tablettes et les téléphones intelligents, qui se sont multipliés dans nos foyers au cours des dernières années et qui facilitent encore plus l’accès aux écrans dans les espaces privés. Or ceci peut constituer également une force, dans la mesure où notre étude tient compte de l’accès sans supervision aux écrans à une époque où les appareils fixes facilitaient la mesure de cette dimension.

Conclusion

Notre étude valide les recommandations qui contre-indiquent l’utilisation d’écrans dans les espaces privés compte tenu des risques scolaires et sociaux qui y sont associés. Les occasions de socialiser, d’interagir avec les autres et d’acquérir des compétences sociales – toutes des choses qui sont compromises par le temps solitaire et sédentaire passé dans des espaces privés devant les écrans à l'adolescence – font partie intégrante du développement optimal et de l’épanouissement vers l’âge adulteNote de bas de page 17. Projetées sur toute une vie et à une population entière, les lacunes dans les principaux facteurs de développement pourraient se traduire par une propension générale à des problèmes sociaux, économiques et sanitaires coûteuxNote de bas de page 4Note de bas de page 39Note de bas de page 40. Pour ces raisons factuelles, les lignes directrices des sociétés pédiatriques devraient recommander avec plus de vigueur d’éliminer les écrans de la chambre à coucher (et des autres espaces privés), surtout à une époque où les appareils portables se multiplient dans nos foyers, ce qui est susceptible d’accentuer encore davantage la tendance à utiliser les écrans en solitaire. Les parents et les décideurs pourraient également envisager de limiter l’accès « en tous moments et en tous lieux » aux appareils portables et aux données mobiles avant la mi-adolescence. D’autres études, faisant appel à des données sur les tablettes et les téléphones intelligents, devraient être en mesure de reproduire ces résultats au cours de l’enfance et des périodes développementales ultérieures.

Conflits d’intérêts

Les auteurs déclarent n’avoir aucun conflit d’intérêts. Les promoteurs de l’étude n’ont joué aucun rôle dans la conception de l’étude, la collecte, l’analyse ou l’interprétation des données, la rédaction du rapport ni dans la décision de soumettre l’article pour publication.

Financement

Le vaste ensemble de données publiques à la base de l’Étude longitudinale du développement des enfants du Québec originale a été financé initialement par les promoteurs suivants : la Fondation Lucie et André Chagnon, l’Institut de la statistique du Québec, le ministère de l’Éducation, le ministère de l’Enseignement supérieur, le ministère de la Famille, l’Institut de recherche Robert-Sauvé en santé et en sécurité du travail, le Centre hospitalier universitaire Sainte-Justine et le ministère de la Santé et des Services sociaux du Québec.

Contributions des auteurs et avis

BG : conception, curation des données, analyse formelle, rédaction de la première version du manuscrit. BG et LSP : méthodologie, relectures et révisions. LSP : acquisition du financement, validation.

Le contenu de l’article et les points de vue qui y sont exprimés n’engagent que les auteurs; ils ne correspondent pas nécessairement à ceux du gouvernement du Canada.

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