Recherche quantitative originale – Étude prospective des préoccupations financières, des changements de l’état de santé mentale et de l’effet modérateur du soutien social chez les adolescents canadiens pendant la pandémie de COVID-19

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Jessica A. Goddard, M. Sc.Note de rattachement des auteurs 1; Valerie F. Pagnotta, M. Sc.Note de rattachement des auteurs 1; Markus J. Duncan, Ph. D.Note de rattachement des auteurs 1; Matthew Sudiyono, M. Sc.Note de rattachement des auteurs 1; William Pickett, Ph. D.Note de rattachement des auteurs 1Note de rattachement des auteurs 2; Scott T. Leatherdale, Ph. D.Note de rattachement des auteurs 3; Karen A. Patte, Ph. D.Note de rattachement des auteurs 1

https://doi.org/10.24095/hpcdp.44.3.04f

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Attribution suggérée

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Rattachement des auteurs
Correspondance

Jessica A. Goddard, Département des sciences de la santé, Université Brock, 1812 Sir Isaac Brock Way, St. Catharines (Ontario)  L2S 3A1; courriel : jgoddard@brocku.ca

Citation proposée

Goddard JA, Pagnotta VF, Duncan MJ, Sudiyono M, Pickett W, Leatherdale ST, Patte KA. Étude prospective des préoccupations financières, des changements de l’état de santé mentale et de l’effet modérateur du soutien social chez les adolescents canadiens pendant la pandémie de COVID-19. Promotion de la santé et prévention des maladies chroniques au Canada. 2024;44(3):110-121. https://doi.org/10.24095/hpcdp.44.3.04f

Résumé

Introduction. La pandémie de COVID-19 a intensifié les effets des facteurs de risque associés à la santé mentale des adolescents, en particulier les préoccupations financières. Par ailleurs, on sait que le soutien social offre une protection contre les problèmes de santé mentale pendant les périodes de stress. C’est dans ce cadre que nous avons exploré l’effet des préoccupations financières sur les variations des symptômes d’anxiété et de dépression chez les adolescents canadiens avant et pendant la pandémie, pour déterminer si le soutien social apporté par la famille et les amis modérait ces variations.

Méthodologie. Nous avons analysé des données couplées sur deux ans provenant des vagues 2018-2019 (avant la pandémie) et 2020-2021 (pendant la pandémie) de l’étude COMPASS pour 12 995 élèves canadiens du secondaire. Nous avons réalisé une série de régressions linéaires multiniveaux pour explorer les principales hypothèses à l’étude.

Résultats. Les élèves ont obtenu un score moyen de 7,2 (écart-type : 5,8) pour l’anxiété (échelle GAD-7) et de 10,0 (6,5) pour la dépression (échelle CESD-10), et 16,1 % des élèves ont déclaré avoir eu des préoccupations financières pendant la pandémie. Les préoccupations financières ont constitué un facteur de prédiction important et statistiquement significatif de scores d’anxiété plus élevés (+1,7 entre ceux qui ont répondu « vrai/le plus souvent vrai » et ceux qui ont répondu « faux/le plus souvent faux ») pendant la pandémie, mais non en ce qui concerne les scores de dépression. Il existe un lien entre un faible soutien de la part de la famille et des amis et l’anxiété ainsi qu’entre un faible soutien de la part de la famille et la dépression. Aucune interaction importante n’a été observée entre le soutien social et les préoccupations financières.

Conclusion. Les préoccupations financières liées à la pandémie ont été fortement associées à l’anxiété dans notre large échantillon d’adolescents canadiens. Les initiatives cliniques et sanitaires doivent tenir compte des préoccupations financières des adolescents et de leurs liens avec l’anxiété en période de crise.

Mots-clés : préoccupations financières, adolescents, pandémie de COVID-19, Canada, anxiété, dépression, soutien social

Points saillants

  • La pandémie de COVID-19 a intensifié les effets des facteurs de risque associés à la santé mentale des adolescents.
  • Les préoccupations financières liées à la pandémie ont été fortement associées à de fortes variations dans les scores d’anxiété, mais pas dans les scores de dépression.
  • Il y avait un lien entre un faible soutien de la part de la famille et des amis et l’anxiété ainsi qu’entre un faible soutien de la part de la famille et la dépression, sans toutefois qu’interaction importante n’ait été observée avec les préoccupations financières.
  • Les responsables des politiques de santé publique, les cliniciens et les parents devraient être conscients qu’il existe un lien entre les préoccupations financières et l’anxiété chez les adolescents et que les crises économiques peuvent provoquer une exacerbation de ces préoccupations.
  • Compte tenu du lien entre les préoccupations financières des parents et la santé mentale de leurs enfants, les programmes de soutien de la famille axés sur la promotion de la santé mentale des adolescents pourraient constituer une prochaine étape.

Introduction

La santé mentale des adolescents est demeurée une priorité mondiale durant la pandémie de COVID-19Note de bas de page 1. La pandémie a eu des répercussions sur la vie des adolescents partout dans le monde, notamment en raison de la fermeture des écoles et du passage à l’éducation en ligne, de la distanciation physique et de l’isolement social ainsi que de la fermeture des installations sociales et récréativesNote de bas de page 2. On pense que ces mesures liées à la pandémie ont contribué à l’aggravation de l’état de santé mentale chez les adolescentsNote de bas de page 2 et à l’augmentation des inégalités dans l’accès au soutienNote de bas de page 3. Par exemple, une vaste étude transversale a révélé que jusqu’à 70 % des jeunes Canadiens avaient connu une détérioration de leur état de santé mentale, et ce, même si plus du tiers ne présentaient aucune indication préalable de problèmes de santé mentaleNote de bas de page 4. Avant la pandémie, environ un jeune Canadien sur quatre souffrait d’un problème de santé mentaleNote de bas de page 5. Étant donné que l’origine des problèmes de santé mentale que présentent les adultes remonte habituellement à l’enfance ou à l’adolescence, il est important de s’attaquer aux facteurs de risque dès le début de la vieNote de bas de page 6.

Le stress financier est un facteur de risque potentiel de problèmes de santé mentale chez les adolescents et, chez certains d’entre eux, ce stress s’est intensifié pendant la pandémieNote de bas de page 7. Le stress financier (ou les préoccupations financières) a été défini comme un sentiment d’incertitude, d’inquiétude ou de peur à l’égard d’une instabilité des revenus, du chômage ou de l’endettementNote de bas de page 8Note de bas de page 9. Le mécanisme par lequel les préoccupations financières et la santé mentale des adolescents sont reliées est complexe et dépend de voies directes et indirectesNote de bas de page 10Note de bas de page 11. Selon le modèle du stress familial, le stress subi par les parents en raison de difficultés financières peut entraîner une perturbation du rôle parental (par exemple un rôle incohérent et sévère, une baisse du temps passé en famille, un retrait du soutien), ce qui augmente le risque que les enfants aient une mauvaise santé mentaleNote de bas de page 12. Les effets du stress financier des parents sur les enfants varient en fonction de l’âge de développement de ces derniers. Les adolescents courent un risque particulièrement élevé de présenter un problème de santé mentale parce qu’ils sont plus conscients et comprennent mieux les enjeux d’ordre financier et parce qu’ils peuvent être poussés à contribuer aux finances de la familleNote de bas de page 13Note de bas de page 14.

Au cours des 20 dernières années, les taux d’épargne des ménages canadiens ont diminué et de nombreuses familles n’ont pas les actifs financiers nécessaires pour répondre à leurs besoins de base en cas d’urgenceNote de bas de page 15. Le début de la pandémie en mars 2020 et le ralentissement économique qui s’en est suivi ont entraîné l’émergence et l’exacerbation d’incertitudes financières pour de nombreuses familles. Au début de la pandémie, 17 % des adultes canadiens se disaient très préoccupés par leur capacité à respecter leurs engagements financiers et à répondre à leurs besoins de baseNote de bas de page 16. Les personnes racisées et celles dont le statut socio-économique est faible ont été touchées de manière disproportionnée (taux plus élevés de maladie entraînant la perte de journées de travail, emplois moins bien rémunérés éliminés en raison de conditions dangereuses ou de l’impossibilité de travailler à distance, etc.)Note de bas de page 17Note de bas de page 18. En réponse à ces ramifications économiques découlant de la pandémie, le gouvernement du Canada a mis en place des programmes d’aide (remboursements d’impôt, revenu de remplacement, etc.) qui ont fourni un supplément financier à 68,4 % des CanadiensNote de bas de page 19.

Le soutien social est un important facteur de protection contre les problèmes de santé mentale chez les adolescents. Le soutien social, c’est-à-dire les interactions avec des personnes (famille, amis) qui apportent un soutien physique et émotionnel, est associé à une meilleure résilience, à une plus grande estime de soi, à un bien-être accru et à une plus grande satisfaction à l’égard de la vie chez les adolescentsNote de bas de page 20Note de bas de page 21. Il a été prouvé que le soutien social offre une protection contre la dépression et l’anxiétéNote de bas de page 21. L’importance des relations sociales, en particulier pendant les périodes de stress et de crise (incluant les ralentissements économiques), est bien documentéeNote de bas de page 22. Une récente revue systématique portant sur des enquêtes menées pendant la pandémie a confirmé l’existence de cette association : le soutien social et le soutien de la famille ont été associés à une meilleure santé mentaleNote de bas de page 23. Par ailleurs, une étude récente a révélé que le soutien social est un mécanisme d’adaptation qui offre une protection contre les problèmes de santé mentale associés au stress financierNote de bas de page 24.

Peu d’études ont été publiées sur la relation entre les préoccupations financières et la santé mentale des adolescents dans le contexte de la pandémie. Bien qu’une étude américaine ait indiqué que le stress financier était un prédicteur de dépression chez les adolescentsNote de bas de page 25, la plupart des travaux de recherche sont demeurés axés sur les adultesNote de bas de page 26Note de bas de page 27. Par ailleurs, il existe des données probantes sur les effets positifs du soutien social sur la santé mentale des adolescents pendant la pandémieNote de bas de page 23, et une étude américaine a révélé que le soutien parental avait un effet modérateur sur le stress financier et la santé mentale des adolescentsNote de bas de page 28. Toutefois, à notre connaissance, aucune étude n’a porté sur les préoccupations financières, la santé mentale et le rôle modérateur du soutien social chez les adolescents canadiens.

Pour pallier ces lacunes, nous avons élaboré un plan d’étude prospectif à partir de données recueillies avant et pendant la pandémie auprès d’un vaste échantillon d’adolescents canadiens. Nous avons exploré la relation entre les préoccupations financières et les changements associés à l’anxiété et à la dépression avant et pendant la pandémie et nous avons également évalué le rôle modérateur potentiel du soutien social apporté par la famille et les amis. Nos résultats peuvent contribuer à la prévention des problèmes de santé mentale 1) en permettant d’identifier un facteur de risque sous-estimé à un stade critique du développement et 2) en permettant d’étudier le soutien social en tant que facteur de protection et cible d’intervention.

Méthodologie

Conception et participants

Nous avons utilisé des données couplées sur deux ans associées à des élèves provenant de deux vagues de l’étude COMPASS (cannabis, obésité, santé mentale, activité physique, alcool, tabagisme, sédentarité), soit la vague de 2018-2019 (avant la pandémie) et celle de 2020-2021 (pendant la pandémie). L’étude COMPASS est une étude prospective qui recueille des données d’enquête annuelles auprès d’une cohorte continue d’élèves de la 9e à la 12e année (secondaire I à V au Québec) dans des écoles secondaires de quatre provinces canadiennes (Colombie-Britannique, Alberta, Ontario et Québec)Note de bas de page 29.

Les élèves sont recrutés selon un protocole d’information active et de consentement passif. Les données à l’échelle individuelle sont recueillies à l’aide du questionnaire destiné aux élèves participant à l’étude COMPASSNote de bas de page 29. Le questionnaire de 2018-2019 a été rempli en classe, sur papier, tandis que le questionnaire de 2020-2021 a été rempli en classe ou à la maison (en raison des fermetures d’écoles qui ont eu lieu pendant à la pandémie), au moyen d’un lien vers un sondage en ligne envoyé par courrielNote de bas de page 30. Les données de 2019-2020 n’ont pas été utilisées, car la collecte des données a été interrompue au milieu de l’année en raison des fermetures d’écoles qui ont eu lieu pendant le premier confinement lié à la pandémie de COVID-19.

Cette étude utilise des données longitudinales couplées portant sur 12 995 participants provenant de 111 écoles secondaires. Le taux de réponse moyen dans l’ensemble des écoles a été de respectivement 84,2 % en 2018-2019 et 58,0 % en 2020-2021. Les cas d’absence de couplage ou de participation s’expliquent principalement par le fait que certains élèves terminaient leurs études et ont donc quitté la cohorte, par l’absence de données sur les éléments permettant d’effectuer un couplage et par les méthodes de collecte des données (élèves absents, collecte des données en dehors des heures de cours).

Des renseignements supplémentaires sur la méthodologie de l’étude COMPASS sont disponibles en ligne et en version impriméeNote de bas de page 29. Les données de l’étude COMPASS sont disponibles sur demande en remplissant un formulaire. Les ensembles de données utilisés dans cette étude sont disponibles sur demande auprès de l’auteure-ressource, dans la mesure où la demande est jugée raisonnable.

Approbation éthique

Toutes les procédures ont reçu l’approbation éthique de l’Université de Waterloo (ORE no 30118), de l’Université Brock (REB no 18-099), du Centre intégré universitaire de santé et des services sociaux (CIUSSS) du Centre-Ouest-de-l’Île-de-Montréal et du CIUSSS de la Capitale-Nationale–Université Laval (no MP-13-2017-1264), de même que des commissions scolaires participantes, dont le recours à un protocole d’information active et de consentement passif pour l’obtention de la permission des parents.

Consentement à participer

Le protocole d’information active et de consentement passif utilisé pour recruter les élèves prévoyait que les écoles informent activement les parents/tuteurs de l’étude. Ensuite, ces derniers avaient un délai raisonnable (par exemple deux semaines) pour communiquer avec le responsable chargé de l’étude COMPASS à l’école s’ils ne souhaitaient pas que leur enfant participe. De plus, les élèves devaient fournir leur consentement pour participer et pouvaient le retirer en tout temps.

Mesures de la santé mentale

Dépression

Les symptômes de dépression ont été mesurés à l’aide de l’échelle de dépression du Center for Epidemiologic Studies (CESD-10), qui comprend 10 questions liées à la tristesse, à la solitude et à la perte d’intérêt au cours des 7 derniers joursNote de bas de page 31. Les scores de l’échelle CESD-10 sont calculés en additionnant les scores associés à chacune des réponses. Ils varient entre 0 et 30, et ceux qui sont supérieurs ou égaux à 10 indiquent des symptômes de dépression pertinents sur le plan clinique.

Cet outil a été validé comme plus pertinent pour les adolescents que l’échelle CESD-20 originaleNote de bas de page 32. Dans notre étude, la cohérence interne a été de 0,82 (bonne) pour 2018-2019 et de 0,84 (bonne) pour 2020-2021.

Anxiété

Les symptômes d’anxiété ont été mesurés à l’aide de l’échelle Generalized Anxiety Disorder à 7 questions (GAD-7)Note de bas de page 33. Cet outil utilise des réponses autodéclarées à des questions sur la nervosité, l’inquiétude excessive ou incontrôlable, l’irritabilité et l’agitation sur une période de deux semainesNote de bas de page 33. Les scores de l’échelle GAD-7 sont calculés en additionnant les scores associés à chacune des réponses. Ils varient entre 0 et 21, et ceux qui sont supérieurs ou égaux à 10 indiquent des symptômes d’anxiété pertinents sur le plan clinique.

Cette échelle a été validée pour identifier les symptômes d’anxiété et l’anxiété clinique chez les adolescentesNote de bas de page 34. Dans notre étude, la cohérence interne a été de 0,89 (bonne) pour 2018-2019 et de 0,91 (excellente) pour 2020-2021.

Préoccupations financières

Les préoccupations financières ont été mesurées au moyen de la question « Je suis inquiet de savoir si ma famille sera en mesure de payer des factures et des dépenses », qui a été incluse dans le module sur la COVID-19 de l’enquête de 2020-2021 (la question était « À quel point les affirmations suivantes concernant la COVID-19 sont-elles vraies pour toi actuellement? »). Les choix de réponse se faisaient sur une échelle de Likert à 5 points. Les réponses ont été condensées en trois catégories en raison des faibles effectifs des cellules : vrai/le plus souvent vrai; parfois vrai, parfois faux; le plus souvent faux/faux. Cette mesure a été adaptée du Questionnaire sur les symptômes et l’expérience psychologique des adolescents pendant la pandémie de COVID-19 (« COVID-19 Adolescent Symptom and Psychological Experience Questionnaire »Note de bas de page 35) et a été testée par l’équipe responsable de l’étude COMPASS.

Soutien social

Nous avons choisi à priori, comme variables susceptibles sur le plan théorique d’avoir un effet modificateur potentiel, le soutien de la famille (« Je peux parler de mes problèmes avec ma famille ») et le soutien des amis (« Je peux parler de mes problèmes avec mes amis »). Ces deux éléments figuraient dans les sondages COMPASS de 2018-2019 et de 2020-2021 et sont inspirés de l’échelle multidimensionnelle du soutien social perçu (« Multidimensional Scale of Perceived Social Support » – MSPSS)Note de bas de page 36. Les choix de réponse, associés à une échelle de Likert à 5 points, ont été condensés en trois catégories en raison de du faible effectif des cellules : fortement en accord/en accord; ni en accord ni en désaccord; en désaccord/fortement en désaccord.

Covariables

Les covariables de l’enquête de 2020-2021 qui ont été incluses dans les analyses sont l’âge (en années), le genre (homme, femme, je décris mon genre autrement/je préfère ne pas répondre [réponses regroupées en raison du faible effectif des cellules]), l’origine ethnique/raciale (blanc, noir, asiatique, latino-américain/hispanique, autre/mixte), la province (Ontario, Alberta, Colombie-Britannique, Québec) – dans la mesure où les expériences peuvent être différentes selon le lieu – et le mode d’apprentissage (en personne, en ligne ou hybride [alternance entre l’école en ligne et en personne]) –dans la mesure où il peut y avoir eu des différences dans les expériences liées à la pandémie selon le milieu scolaire.

Analyses statistiques

Nous avons effectué une analyse univariée pour recueillir les caractéristiques de base des participants. Afin de tenir compte des données manquantes, nous avons réalisé une imputation multiple pour toutes les variables à l’aide des progiciels mice (imputation multivariée par équations chaînées) et miceadds dans la version 4.2.0 de RStudio (PBC, Boston, Massachusetts, États-Unis)Note de bas de page 37. Quant aux valeurs manquantes à l’échelle individuelle, nous avons procédé par imputation en recourant à la méthode de l’appariement en fonction de la moyenne prévisionnelle. Les imputations concernant les éléments des échelles CESD-10 et GAD-7 ont été réalisées avant le calcul des scores, de façon à réduire les biaisNote de bas de page 38. Les données manquantes en ce qui concerne les échelles CESD-10 et GAD-7 comptaient pour respectivement 8,5 % et 7,9 %, de sorte que 10 imputations ont été jugées suffisantes selon les lignes directrices établies par Graham et ses collaborateursNote de bas de page 39. Après un examen visuel de la convergence au moyen de tracés, on a jugé que 50 itérations étaient appropriées.

Afin d’évaluer l’effet de grappe associé aux écoles, nous avons calculé des coefficients de corrélation intraclasse (CCI) en ajoutant une ordonnée à l’origine aléatoire (à l’échelle de l’école) à un modèle de régression non ajusté pour l’anxiété et pour la dépression. Les valeurs du CCI pour les deux modèles se situant dans la plage acceptable de moins de 3 % (0,5 % pour la dépression comme pour l’anxiété), l’effet de grappe n’a pas entraîné une variation des résultats suffisamment importante pour qu’il faille en tenir compte dans les modèles subséquentsNote de bas de page 40.

Nous avons effectué une série de régressions linéaires multiniveaux pour explorer le lien entre les préoccupations financières et les variations dans les scores liés à la santé mentale et pour déterminer si ce lien était modéré par le soutien de la famille ou des amis. Afin d’évaluer les changements, nous avons fait une régression des scores de dépression et d’anxiété au temps 2 en fonction des valeurs de référence respectives (au temps 1) tout en procédant à des ajustements pour tenir compte des covariables. Les modèles associés aux multiples ensembles de données imputées ont été regroupés selon les règles de Rubin. Nous avons effectué les tests d’hypothèse en comparant une série de modèles emboîtés itératifs basés sur le critère d’information d’Akaike (AIC) et une analyse de la variance (ANOVA) utilisant des tests du rapport de vraisemblance avec regroupement selon la méthode D2 pour déterminer si l’ajout de variables prédictives permettait d’obtenir de meilleurs résultats qu’avec le modèle emboîté réduit.

En ce qui concerne les variations dans les scores de dépression et d’anxiété, les modèles ont été comparés en trois étapes itératives : 1) pour déterminer si l’ajout des préoccupations financières permettait d’obtenir de meilleurs résultats qu’avec le modèle réduit, comprenant uniquement les covariables confusionnelles; 2) pour déterminer si l’ajout du soutien de la famille ou des amis permettait d’obtenir de meilleurs résultats qu’avec le modèle complet de l’étape 1 et 3) pour déterminer si les interactions entre le soutien de la famille ou des amis et les préoccupations financières permettaient d’obtenir de meilleurs résultats qu’avec les modèles complets décrits à l’étape 2 (illustrés à la figure 1). Nous avons effectué des tests post hoc par paires pour évaluer les comparaisons de groupe sur des modèles statistiquement significatifs, les valeurs p ayant été ajustées à l’aide de la méthode de Bonferroni.

Figure 1. Diagramme des modèles emboîtés et des comparaisons
Figure 1. La version textuelle suit.
Figure 1 - Équivalent textuel

Cette figure illustre les différents modèles emboîtés et les comparaisons. L’étape 1 se situe entre le modèle 0 et le modèle 1, et ajoute au modèle les différences entre les groupes en fonction des préoccupations financières. L’étape 2 se situe entre le modèle 1 et le modèle 2, et y ajoute les variables de soutien. L’étape 3 se situe entre le modèle 2 et le modèle 3, y ajoutant les interactions entre variables.

Figure 1. Diagramme des modèles emboîtés et des comparaisons
Modèle 0 Modèle 1 Modèle 2 Modèle 3
Prédicteurs : Score de reference + covariables confusionnelles Prédicteurs : modèle 0 + préoccupations financières Modèle 2a
Prédicteurs : Modèle 1 + soutien de la famille
Modèle 3a
Prédicteurs : Modèle 2a + préoccupations financières * soutien de la famille
Modèle 2b
Prédicteurs : Modèle 1 + soutien des amis
Modèle 3b
Prédicteurs : Modèle 2b + préoccupations financières * soutien des amis
Modèle 2c
Prédicteurs : Modèle 1 + soutien de la famille + soutien des amis
Modèle 3c
Prédicteurs : Modèle 2c + préoccupations financières * soutien de la famille
Modèle 3d
Prédicteurs : Modèle 2c + préoccupations financières * soutien des amis

Remarques : Les flèches représentent les comparaisons de modèles et pointent vers le modèle emboîté restreint pour chaque étape des tests d’hypothèse. Les astérisques représentent les interactions entre variables.

Nous avons également effectué des tests sur les effets d’interaction entre les préoccupations financières et le genre dans les modèles 2a, 2b et 2c (non présentés). Toutefois, ces résultats n’ont révélé aucune interaction statistiquement significative en ce qui concerne le genre et ils ont révélé une amélioration statistiquement non significative du modèle par rapport aux modèles réduits, de sorte que nous n’en avons pas tenu compte dans les analyses subséquentes.

Résultats

Caractéristiques des participants

L’âge moyen des 12 995 participants au temps 2 (pendant la pandémie de COVID-19 en 2020-2021) était de 15,9 ans (écart-type : 1,1), la majorité s’identifiant au genre féminin (55,3 %) et comme personne blanche (80,2 %), fréquentant une école secondaire du Québec (62,8 %) et ayant suivi un mode d’apprentissage hybride pendant la pandémie (53,4 %).

Au total, 16,1 % des participants ont déclaré avoir eu des préoccupations financières pendant la pandémie. Le score moyen à l’échelle GAD-7 était de 7,2 (écart-type : 5,8) et le score moyen à l’échelle CESD-10 était de 10,0 (écart-type : 6,5). Les proportions de participants ayant fourni des scores cliniquement pertinents aux échelles GAD-7 et CESD-10 étaient de respectivement 30,2 % et 46,0 %. Plus de la moitié des répondants étaient d’accord pour dire qu’ils étaient en mesure de parler de leurs problèmes avec leur famille (56,6 %) et près des trois quarts étaient d’accord pour dire qu’ils pouvaient parler de leurs problèmes à leurs amis (73,9 %) (tableau 1).

Tableau 1. Caractéristiques de l’échantillon de 2020-2021 (n = 12 995)
Caractéristiques n (%)
Variables sociodémographiques
Âge (années), moyenne (écart-type) 15,9 (1,1)
Genre, n (%)
Masculin 5 519 (42,7)
Féminin 7 153 (55,3)
Décrit son genre d’une manière différente ou préfère ne pas répondre 256 (2,0)
Origine ethnique/raciale, n (%)
Blanc 10 358 (80,2)
Noir 289 (2,2)
Asiatique 706 (5,5)
Latino-Américain/Hispanique 212 (1,6)
Autre/mixte 1 353 (10,5)
Province où se trouve l’école, n (%)
Ontario 3 675 (28,3)
Québec 8 157 (62,8)
Alberta 347 (2,7)
Colombie-Britannique 816 (6,3)
Mode d’apprentissage, n (%)
En personne 2 790 (21,6)
Entièrement en ligne 3 225 (25,0)
Hybride (en ligne et en personne) 6 891 (53,4)
Variables d’exposition
Préoccupations financières, n (%)
Vrai/le plus souvent vrai 1 898 (16,1)
Parfois vrai, parfois faux 1 817 (15,4)
Faux/le plus souvent faux 8 101 (68,6)
Variables de résultat
Score de dépression (CESD-10)Note de bas de page a, moyenne (écart-type) 10,0 (6,5)
Score à l’échelle CESD-10 < 10, n (%) 6 421 (54,0)
Score à l’échelle CESD-10 ≥ 10, n (%) 5 469 (46,0)
Variation du score à l’échelle CESD-10Note de bas de page b, moyenne (écart-type) 2,6 (8,3)
Score d’anxiété (GAD-7)Note de bas de page c, moyenne (écart-type) 7,2 (5,8)
Score à l’échelle GAD-7 < 10, n (%) 8 347 (69,8)
Score à l’échelle GAD-7 ≥ 10, n (%) 3 619 (30,2)
Variation du score à l’échelle GAD-7Note de bas de page d, moyenne (écart-type) 2,1 (5,4)
Modificateurs d’effet
Soutien de la famille, n (%)
Fortement en accord/en accord 6 825 (56,6)
Ni en accord ni en désaccord 2 569 (21,3)
En désaccord/fortement en désaccord 2 685 (22,2)
Soutien des amis, n (%)
Fortement en accord/en accord 8 936 (73,9)
Ni en accord ni en désaccord 1 998 (15,4)
En désaccord/fortement en désaccord 1 154 (9,5)

Statistiques de comparaison des modèles et tests du rapport de vraisemblance pour les changements de l’état de santé mentale

En ce qui concerne l’anxiété, l’ajout des préoccupations financières (modèle 1) a constitué une amélioration importante par rapport au modèle nul (modèle 0) et a été associé à un AIC inférieur (moyenne [écart-type], AIC = 77 325,8 [50,0]). En utilisant le modèle 1 comme nouveau modèle réduit, l’inclusion du soutien de la famille et des amis, tant individuellement (modèles 2a et 2b) que collectivement (modèle 2c), a entraîné une amélioration importante. Le modèle 2c est ressorti comme étant le modèle le mieux ajusté, avec l’AIC le plus faible (76 518,2 [46,9]) par rapport au modèle 1 (tableau 2).

En ce qui concerne la dépression, l’inclusion des préoccupations financières (modèle 1) n’a pas entraîné d’amélioration statistiquement significative par rapport au modèle 0. Lors de l’évaluation de l’inclusion du soutien par rapport au modèle 1, le soutien de la famille seul (modèle 2a) et le soutien de la famille associé au soutien des amis (modèle 2c) ont entraîné une amélioration importante. Le modèle 2a (comprenant le soutien de la famille) s’est révélé le modèle le mieux ajusté, avec l’AIC le plus faible (85 062,9 [9,9]).

Tableau 2. Indices d’ajustement des modèles de comparaison des effets principaux et synthèse des tests du rapport de vraisemblance pour les variations liées à la dépression et à l’anxiété
Résultat Numéro du modèle Modèle réduit Modèle complet Comparaison du rapport de vraisemblance
AIC moyen (écart-type) Numéro du modèle et prédicteurs ajoutés AIC, moyenne (écart-type) X2 ddl p vir
Anxiété 0 77 440,4 (51,2) 1 : Préoccupations financières 77 235,8 (50,0) 92,1 2 < 0,01 0,131
1 77 235,8 (50,0) 2a : Soutien de la famille 76 575,7 (46,0) 261,0 2 < 0,01 0,271
2b : Soutien des amis 77 032,3 (51,8) 94,7 2 < 0,01 0,095
2c : Soutien de la famille + soutien des amis 76 518,2 (46,9) 154,7 4 < 0,01 0,712
Dépression 0 85 072,8 (11,0) 1 : Préoccupations financières 85 073,5 (10,6) 1,4 2 0,24 0,092
1 85 073,5 (10,6) 2a : Soutien de la famille 85 062,9 (9,9) 6,8 2 0,01 0,071
2b : Soutien des amis 85 072,4 (11,2) 2,4 2 0,09 0,069
2c : Soutien de la famille + soutien des amis 85 065,0 (10,3) 3,8 4 < 0,01 0,074

Comparaisons post hoc à l’aide de la méthode de Bonferroni pour les préoccupations financières

Les différences en ce qui concerne les scores d’anxiété moyens suivent une tendance positive : après ajustement pour tenir compte des covariables, les personnes qui avaient déclaré avoir des préoccupations financières avaient la moyenne marginale estimée la plus élevée au temps 2 (9,0) en ce qui concerne le score d’anxiété, suivies de celles qui avaient répondu « neutre/ne sait pas » (8,0), puis de celles qui avaient répondu « faux/le plus souvent faux » (7,3). En outre, les différences les plus importantes en ce qui concerne les variations des scores d’anxiété ont été observées entre les personnes ayant déclaré avoir des préoccupations financières et celles ayant déclaré ne pas en avoir (+1,7) et les différences relatives aux scores d’anxiété entre chaque catégorie étaient statistiquement significatives (p < 0,01).

En ce qui concerne la dépression, aucune différence statistiquement significative n’a été observée entre les groupes (tableau 3).

Tableau 3. Synthèse des tests post hoc sur les comparaisons de groupes pour l’anxiété et la dépression
Résultat Préoccupations financières MME LCi à 95 % LCs à 95 %
Anxiété Vrai/le plus souvent vrai 9,0 8,55 9,36
Parfois vrai, parfois faux 8,0 7,59 8,41
Faux/le plus souvent faux 7,3 6,86 7,63
Comparaison de groupe Estimation Erreur type t (12 902) p
Vrai/le plus souvent vrai vs faux/le plus souvent faux 1,7 0,16 13,53 < 0,01
Vrai/le plus souvent vrai vs parfois vrai, parfois faux 1,0 0,13 6,04 < 0,01
Parfois vrai, parfois faux vs faux/le plus souvent faux 0,8 0,13 5,88 < 0,01
Dépression Préoccupations financières MME LCi à 95 % LCs à 95 %
Vrai/le plus souvent vrai 10,6 10,09 11,10
Parfois vrai, parfois faux 10,2 9,71 10,70
Faux/le plus souvent faux 10,4 9,94 10,80
Comparaison de groupe Estimation Erreur type t (12 902) p
Vrai/le plus souvent vrai vs faux/le plus souvent faux 0,2 0,17 1,21 0,68
Vrai/le plus souvent vrai vs parfois vrai, parfois faux 0,4 0,22 1,65 0,30
Parfois vrai, parfois faux vs faux/le plus souvent faux −0,2 0,17 −0,89 1,00

Comparaisons post hoc pour le soutien social

En ce qui concerne l’anxiété, des différences statistiquement significatives ont été observées entre les réponses relatives au soutien de la famille. Les personnes sans soutien de la famille avaient la moyenne marginale estimée la plus élevée au temps 2 en ce qui concerne le score d’anxiété par rapport aux personnes ayant déclaré avoir ce type de soutien (9,7 contre 7,2). Une différence similaire a été observée en ce qui concerne la moyenne marginale du score d’anxiété lorsqu’on analysait le soutien des amis (8,9 contre 7,9).

En ce qui concerne la dépression, des différences statistiquement significatives ont été observées dans la moyenne marginale estimée du score de dépression chez les personnes sans soutien de la famille par rapport à celles ayant ce type de soutien (10,7 contre 10,2) (tableau 4).

Tableau 4. Synthèse des tests post hoc sur les comparaisons de groupes en lien avec l’anxiété et la dépression pour les modèles les mieux ajustés à l’étape 2
Modèle Soutien de la famille MME LCi à 95 % LCs à 95 %
Anxiété (modèle 2c) Fortement en accord/en accord 7,2 6,83 7,58
Ni en accord ni en désaccord 8,3 7,91 8,72
En désaccord/fortement en désaccord 9,7 9,32 10,10
Comparaison de groupe Estimation Erreur type t (12 898) p
Fortement en accord/en accord – faux/le plus souvent faux −2,5 0,11 −9,70 < 0,01
Fortement en accord/en accord – ni en accord ni en désaccord −1,1 0,12 −21,27 < 0,01
Ni en accord ni en désaccord – faux/le plus souvent faux −1,4 0,14 −10,10 < 0,01
Soutien des amis MME LCi à 95 % LCs à 95 %
Fortement en accord/en accord 7,9 7,50 8,26
Ni en accord ni en désaccord 8,5 8,09 8,88
En désaccord/fortement en désaccord 8,9 8,42 9,30
Comparaison de groupe Estimation Erreur type t (12 898) p
Fortement en accord/en accord – faux/le plus souvent faux −0,98 0,15 −6,47 < 0,01
Fortement en accord/en accord – ni en accord ni en désaccord −0,61 0,12 −5,02 < 0,01
Ni en accord ni en désaccord – faux/le plus souvent faux −0,38 0,17 −2,20 0,08
Dépression (modèle 2a) Soutien de la famille MME LCi à 95 % LCs à 95 %
Fortement en accord/en accord 10,2 9,73 10,60
Ni en accord ni en désaccord 10,3 9,82 10,80
En désaccord/fortement en désaccord 10,7 10,27 11,20
Comparaison de groupe Estimation Erreur type t (12 900) p
Fortement en accord/en accord – faux/le plus souvent faux −0,56 0,16 −3,64 < 0,01
Fortement en accord/en accord – ni en accord ni en désaccord −0,11 0,15 −0,76 1,00
Ni en accord ni en désaccord – faux/le plus souvent faux −0,50 0,18 −2,49 0,04

Interaction entre les préoccupations financières et le soutien social

Aucune interaction significative sur le plan statistique ou autrement n’a été détectée pour l’anxiété et la dépression (tableau 5). Les modèles qui ont été ajustés pour la mesure du soutien réciproque (qui n’était pas incluse dans le terme d’interaction) ont également produit des résultats non significatifs.

Tableau 5. Comparaison des modèles à l’étape 3 : tests portant sur les interactions entre le soutien de la famille et le soutien des amis
Résultat Modèle réduit Modèle complet Comparaison du rapport de vraisemblance
Numéro du modèle AIC,
moyenne (écart-type)
Modèle et interaction avec les préoccupations financières AIC,
moyenne (écart-type)
X2 p vir
Anxiété 2a 77 032,27 (51,81) 3a : Soutien des amis 77 029,98 (50,82) 2,22 0,064 0,116
2b 76 575,67
(45,65)
3b : Soutien de la famille 76 575,62 (45,33) 1,64 0,163 0,154
2c 76 518,23 (46,90) 3c : Soutien des amis 76 516,77 (45,94) 2,05 0,084 0,108
3d : Soutien de la famille 76 518,07 (46,44) 2,05 0,156 0,151
Dépression 2a 85 072,38 (11,16) 3a : Soutien des amis 85 075,69 (11,47) 1,01 0,400 0,089
2b 85 062,87 (9,88) 3b : Soutien de la famille 85 063,72 (11,30) 1,53 0,191 0,110
2c 85 064,99 (10,29) 3c : Soutien des amis 85 068,33 (10,54) 1,00 0,404 0,088
3d : Soutien de la famille 85 065,73 (11,69) 1,55 0,185 0,111

Analyse

Nous avons analysé l’effet des préoccupations financières sur les variations dans les symptômes d’anxiété et de dépression chez les adolescents canadiens avant et pendant la pandémie et nous avons cherché à déterminer si le soutien social modérait cette relation. Nos principales constatations sont les suivantes : 1) les préoccupations financières se sont révélées fortement associées aux variations dans les scores d’anxiété entre la période prépandémique et la période pandémique, mais non aux variations dans les scores de dépression; 2) le fait d’avoir un faible soutien de sa famille et de ses amis a été associé aux variations dans les scores d’anxiété, mais seul un faible soutien de la famille (et le soutien des amis lorsqu’il était associé au soutien de la famille) a été associé à aux variations dans les scores de dépression; 3) il n’y avait pas d’interactions importantes entre les préoccupations financières, le soutien de la famille et le soutien des amis pour ce qui est des changements observés sur le plan de l’anxiété et de la dépression chez les adolescents.

En moyenne, les scores d’anxiété et de dépression ont augmenté chez les participants pendant la pandémie par rapport à la période précédant la pandémie. Cette observation concorde avec les données probantes dont on dispose à l’heure actuelle. Une revue systématique de 21 études (longitudinales et transversales répétées) évaluant les changements de l’état de santé mentale avant et pendant la pandémie chez les jeunes (moins de 25 ans) a permis de constater qu’il y avait, dans la plupart des études, une augmentation des cas de dépression et d’anxiétéNote de bas de page 1. Une méta-analyse à l’échelle mondiale a révélé que la prévalence combinée des hausses de cas de dépression était de 25,2 % et celle des troubles d’anxiété de 20,5 %Note de bas de page 41. Les auteurs ont comparé ces estimations de la prévalence aux estimations d’avant la pandémie et ont noté que le nombre d’adolescents aux prises avec un problème de santé mentale avait environ doublé pendant la pandémieNote de bas de page 41.

Il est important de tenir compte du contexte et de la pertinence clinique de ces changements de l’état de santé mentale. Du point de vue du développement, on s’attend à voir une augmentation des symptômes d’anxiété et de dépression à mesure que les adolescents vieillissentNote de bas de page 42. De ce fait, dans notre étude, il est impossible de distinguer les effets sur la santé mentale liés au développement de ceux liés à la pandémie. Pour déterminer le seuil de pertinence clinique, il a été proposé d’utiliser une variation à 4 points et une variation à 6 points de l’échelle GAD-7 selon respectivement la différence minimale cliniquement importanteNote de bas de page 43 et l’indice de fiabilité du changementNote de bas de page 44. Toutefois, ces changements s’appliquent à des échantillons cliniques associés à une psychopathologie déjà connue et ils ont été élaborés pour évaluer la mesure dans laquelle les traitements permettent de réduire les scores des patients à moins de 10 points.

Il est possible que les variations moyennes des scores dans notre étude ne soient pas cliniquement significatives tout en étant néanmoins pertinentes à l’échelle de la population. En effet, une augmentation légère peut suffire pour que de nombreuses personnes atteignent ou dépassent le seuil clinique de 10. La seule ligne directrice de ce type pour l’échelle CESD-10 est le seuil de 10 pour déterminer la symptomatologie pertinente sur le plan cliniqueNote de bas de page 31, or, dans notre échantillon, il est à noter que le score moyen à l’échelle CESD-10 était de 10 pendant la pandémie et que près de la moitié des participants ont obtenu un score supérieur à ce seuil.

Dans notre échantillon, les préoccupations financières ont été associées à une anxiété accrue pendant la pandémie mais pas à la dépression. Bien que l’anxiété et la dépression soient très souvent présentes en concomitance et aient de nombreuses similitudes, nos résultats ne sont pas nécessairement surprenants, car l’anxiété est caractérisée par une « inquiétude » (nervosité, peur de l’avenir) tandis que la dépression est principalement caractérisée par une amotivation et une anhédonieNote de bas de page 45. D’après certaines données, les troubles d’anxiété précèdent généralement la dépressionNote de bas de page 46. De ce fait, il convient de mener des travaux de recherche avec une période de suivi plus longue.

Contrairement à nos résultats, deux études américaines ont observé des relations entre le stress des jeunes au sujet des finances de leur famille et la dépressionNote de bas de page 25 ainsi qu’un affect négatif chez les adolescents (tristesse, anxiété, dépression)Note de bas de page 28.

Les effets protecteurs du soutien social sur la santé mentale des adolescents sont bien établis. Le soutien social atténue les problèmes de santé mentale et favorise la capacité d’adaptation pendant les périodes de stress et d’incertitude accrus, dont la pandémie de COVID-19 fait partieNote de bas de page 23Note de bas de page 28. Notre étude a validé ces constatations, en établissant des liens importants entre le soutien de la famille et des amis et les variations dans les scores liés à l’anxiété, et entre le soutien de la famille, seul ou en association avec le soutien des amis, et les variations dans les scores liés à la dépression. Notre observation selon laquelle le soutien de la famille et le soutien des amis sont demeurés des atouts importants pour la santé mentale des adolescents canadiens est encourageante. De nombreux adolescents ont cependant eu des difficultés à obtenir du soutien pendant la pandémie (restrictions concernant la socialisation en personne, fermeture des écoles et des établissements d’autres types, etc.).

Aucune interaction importante n’a été observée lors de l’analyse de l’effet modérateur du soutien de la famille et du soutien des amis sur les relations entre les préoccupations financières liées à la pandémie et l’anxiété et la dépression. En revanche, une étude basée sur la tenue d’un journal personnel réalisée aux États-Unis au début de la pandémie a révélé un effet modérateur du soutien parental sur la relation entre l’incertitude financière et un affect négatif chez les adolescentsNote de bas de page 28. La divergence des résultats peut s’expliquer par des différences entre les études sur le plan du calendrier, du contexte ou du plan expérimental : par exemple, nous avons eu recours à un plan expérimental microlongitudinal ne tenant pas compte de la santé mentale des participants avant la pandémie. Les travaux de recherche menés avant la pandémie étaient également incohérents et se concentraient en grande partie sur des échantillons composés d’adultes. Par exemple, Åslund et ses collaborateursNote de bas de page 47 ont noté que le soutien social jouait un rôle « tampon » chez les adultes suédois qui éprouvaient des problèmes de bien-être mental en raison d’un stress financier. En revanche, Viseu et ses collaborateursNote de bas de page 24 n’ont pas observé d’effet modérateur du soutien sur le lien entre une menace financière et le stress, l’anxiété et la dépression chez les adultes portugais durant une crise économique. D’autres travaux de recherche sont nécessaires pour confirmer les effets modérateurs observés chez les adolescents canadiens.

Bien que des mesures de protection financière aient été mises en œuvre par le gouvernement canadien, 16,1 % des adolescents étaient inquiets au sujet de la capacité de leur famille à payer les factures en raison de la pandémie de COVID-19 et cette inquiétude était associée à une augmentation de l’anxiété par rapport aux niveaux observés avant la pandémie. Les décideurs en matière de santé publique, les cliniciens et les parents doivent être conscients du fait que les préoccupations financières sont associées à de l’anxiété chez les adolescents, cette dernière pouvant être exacerbée en cas de ralentissement économique, et que l’accès équitable à des services de soutien en matière de santé mentale est essentiel pour une intervention rapide en cas de problème de santé mentale.

Notre étude a permis de vérifier que le soutien social est demeuré pertinent dans le contexte de la pandémie et qu’il devrait continuer de faire l’objet d’initiatives en matière de santé mentale. Toutefois, nos résultats semblent indiquer qu’il n’est pas suffisant pour atténuer de façon statistiquement significative le lien entre les préoccupations financières et la santé mentale. Selon le modèle de stress familialNote de bas de page 12, des programmes de soutien familial ciblés seraient efficaces pour promouvoir la santé mentale chez les adolescentsNote de bas de page 48, étant donné les effets de la transmission du stress financier des parents à l’enfant.

Points forts et limites

Les points forts de cette étude sont l’utilisation de données prospectives à partir d’un vaste échantillon d’adolescents canadiens, le recours à des analyses statistiques robustes tenant compte des scores de santé mentale mesurés avant la pandémie et l’utilisation d’échelles de santé mentale bien validéesNote de bas de page 32Note de bas de page 34. L’accent que nous avons mis sur les adolescents était nouveau, compte tenu des données probantes limitées sur la santé mentale par rapport au stress financier dans ce groupe, en particulier pendant la pandémie.

Cela dit, il convient d’aborder également les limites de notre étude. Un biais de sélection a peut-être été introduit en raison du faible taux de réponse (58 %) observé pendant la pandémie. Toutefois, le sondage a été mené auprès d’élèves des quatre plus grandes provinces canadiennes, incluant des régions où l’urbanisation et les niveaux de revenu étaient variés, de même que dans des écoles privées et des écoles publiques. Bien que les questionnaires à remplir soi-même puissent donner lieu à des erreurs de rappel et à un biais de désirabilité sociale, les protocoles de consentement passif et de confidentialité favorisent la généralisabilité des résultats et l’honnêteté des participantsNote de bas de page 49.

Les mesures des préoccupations financières et du soutien social sont des mesures à un seul élément obtenues à partir d’échelles antérieurement utilisées et validées auprès d’adolescentsNote de bas de page 35Note de bas de page 36. Bien qu’il y ait généralement une corrélation entre les mesures à un seul élément et les mesures à éléments multiples, certaines limites peuvent émerger lorsqu’il est question de construits complexes.

Le questionnaire destiné aux élèves a été conçu pour être bref afin de garantir la qualité et la faisabilité des données dans le cadre d’une étude de population vaste, en milieu scolaire et couvrant plusieurs domaines. Il n’y avait aucune mesure de la situation financière absolue des familles des adolescents, étant donné la difficulté que les adolescents pourraient avoir à quantifier le revenu de leur ménage. Nous n’avons pas non plus été en mesure de tester les effets potentiels d’interaction selon l’origine ethnique/raciale en raison des faibles effectifs des cellules dans certains groupes. Le fait que l’on ait commencé avec des questionnaires imprimés et que l’on soit passé à des questionnaires en ligne pendant la pandémie pourrait avoir eu une incidence sur les réponses. Enfin, on ne dispose d’aucune réponse de référence en ce qui concerne les préoccupations financières car cette mesure a été introduite dans le questionnaire administré pendant la pandémie.

Conclusion

Les préoccupations financières liées à la pandémie ont été fortement associées à l’anxiété chez les adolescents canadiens. Bien que le soutien de la famille et des amis soit un facteur de protection important contre les symptômes d’anxiété et que le soutien de la famille le soit contre les symptômes de dépression, ces formes de soutien n’ont pas modéré la relation entre les préoccupations financières et les changements de l’état de santé mentale pendant la pandémie de COVID-19. Les travaux de recherche ultérieurs devraient continuer à porter sur le lien entre les préoccupations financières et la santé mentale des adolescents et à explorer et évaluer d’autres facteurs potentiels de protection susceptibles d’atténuer certains effets néfastes.

Remerciements

Les auteurs souhaitent remercier les écoles, les commissions scolaires et les élèves qui ont participé à l’étude COMPASS, ainsi que l’équipe de l’étude COMPASS, le personnel, les partenaires et les membres des comités d’engagement des jeunes. Une telle étude n’est possible qu’avec l’aide d’une grande équipe, de nombreux collaborateurs et, surtout, d’élèves et d’écoles.

Financement

L’étude COMPASS a reçu le soutien d’une subvention transitoire de l’Institut de la nutrition, du métabolisme et du diabète (INMD) des Instituts de recherche en santé du Canada (IRSC), grâce à l’attribution à STL du financement prioritaire « Obesity – Interventions to Prevent or Treat » (Interventions pour prévenir ou traiter l’obésité) (OOP-110788); d’une subvention de fonctionnement de l’Institut de la santé publique et des populations (ISPP) des IRSC (MOP-114875) octroyée à STL; d’une subvention de projet des IRSC (PJT-148562) octroyée à STL; d’une subvention transitoire des IRSC (PJT-149092) octroyée à KAP/STL; d’une subvention de projet des IRSC (PJT-159693) octroyée à KAP; d’un accord de financement de la recherche conclu avec Santé Canada (no 1617-HQ-000012) attribué à STL; d’une subvention d’équipe IRSC-Centre canadien sur les dépendances et l’usage de substances (CCDUS) (OF7 B1-PCPEGT 410-10-9633) octroyée à SL; et d’une subvention de projet de l’Institut de la santé publique et des populations (ISPP) des IRSC (PJT-180262) octroyée à STL et à KAP.

Une subvention pour les nouveaux chercheurs de la Fondation SickKids, en partenariat avec l’Institut du développement et de la santé des enfants et des adolescents (IDSEA) des IRSC (subvention no NI21-1193), octroyée à KAP, finance une étude de méthodes mixtes examinant l’impact de la pandémie de COVID-19 sur la santé mentale des jeunes, en s’appuyant sur les données de l’étude COMPASS. Une subvention de fonctionnement des IRSC finance l’analyse de l’impact de la COVID-19 sur les comportements en matière de santé dans le cadre de l’étude COMPASS (UIP 178846 IRSC; octroyée à KAP). L’étude COMPASS au Québec est également financée par le ministère de la Santé et des Services sociaux du Québec et par la Direction de santé publique du CIUSSS de la Capitale-Nationale. KAP est titulaire de la Chaire de recherche du Canada sur l’équité et l’inclusion en matière de santé des enfants.

Les sources de financement n’ont joué aucun rôle dans la conception de l’étude, dans la collecte, l’analyse ou l’interprétation des données, dans la rédaction du manuscrit ou dans la décision de soumettre l’article pour publication.

Conflits d’intérêts

Scott Leatherdale est l’un des rédacteurs scientifiques associés de cette revue, mais il s’est retiré du processus d’évaluation de l’article.

Les auteurs n’ont aucun autre conflit d’intérêts à déclarer.

Contributions des auteurs et avis

JAG : conception, analyse formelle, rédaction de la première ébauche du manuscrit, relectures et révisions.

VFP : conception, analyse formelle, rédaction de la première ébauche du manuscrit, relectures et révisions.

MS : conception, relectures et révisions.

KAP : conception, acquisition du financement, supervision, relectures et révisions.

WP : conception, supervision, relectures et révisions.

STL : conception, acquisition du financement, méthodologie, supervision, relectures et révisions.

MJD : analyse formelle, relectures et révisions.

Tous les auteurs ont approuvé la version finale de l’article.

Le contenu de l’article et les points de vue qui y sont exprimés n’engagent que les auteurs; ils ne correspondent pas nécessairement à ceux du gouvernement du Canada.

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