Les infections à l'entérovirus D68 en 2015

RMTC

Volume 42-1, le 7 janvier 2016 : Maladies infectieuses émergentes

Communication rapide

Que s’est-il passé concernant les infections à l’entérovirus D68 en 2015?

Harris D1, Desai S2, Smieja M3, Rutherford C4, Mertz D1, Pernica JM2*

Affiliations

1 Département de médecine, Université McMaster, Hamilton (Ontario)

2 Département de pédiatrie, Université McMaster, Hamilton (Ontario)

3 Département de pathologie et de médecine moléculaire, Université McMaster, Hamilton (Ontario)

4 Hamilton Health Sciences, Hamilton (Ontario)

Correspondance

pernica@mcmaster.ca

Citation proposée

Harris D, Desai S, Smieja M, Rutherford C, Mertz D, Pernica JM. Que s’est-il passé concernant les infections à l’entérovirus D68 en 2015? Relevé des maladies transmissibles au Canada 2016;42:10-13. https://doi.org/10.14745/ccdr.v42i01a02f

Résumé

Contexte : On a observé que l'entérovirus D68 (EV-D68) était associé à des maladies respiratoires graves chez des enfants en Amérique du Nord et partout dans le monde à l'automne 2014.

Objectif : Comparer les taux de détection de l'automne 2014 et ceux de l'automne 2015 dans les échantillons d'écouvillonnage du nasopharynx prélevés dans le cadre de soins cliniques de routine dans un grand laboratoire régional du centre-sud de l'Ontario.

Méthodologie : Des échantillons d'écouvillonnage du nasopharynx provenant de patients hospitalisés et ambulatoires à Hamilton (région de Niagara) et à Burlington, soumis au laboratoire de virologie régional, ont été testés par réaction en chaîne de la polymérase multiplex pour rechercher des rhinovirus/entérovirus (comme cible unique) et d'autres virus respiratoires courants. Tous les échantillons d'écouvillonnage du nasopharynx positifs pour des rhinovirus/entérovirus ont été soumis à une réaction en chaîne de la polymérase, mise au point en laboratoire, pour détecter l'EV-D68.

Résultats : Entre le 1er août et le 31 octobre 2014, 566 des 1 497 échantillons d'écouvillonnage du nasopharynx (38 %, IC à 95 % 35-40 %) ont été testés positifs pour des rhinovirus/entérovirus, dont 177 (31 %, IC à 95 % 27-35 %) ont été confirmés comme étant l'EV-D68. Entre le 1er août et le 31 octobre 2015, 472 des 1 630 échantillons d'écouvillonnage du nasopharynx (29 %, IC à 95 % 27-31 %) ont été testés positifs pour des rhinovirus/entérovirus, mais aucun d'entre eux (0 %, limite supérieure de l'IC à 97,5 % 0,8 %) n'a été confirmé comme étant l'EV-D68.

Conclusion : Selon les résultats des tests, il apparaît qu'il y a eu beaucoup moins d'EV-D68 en circulation dans le Centre-Sud de l'Ontario en 2015 par rapport à 2014. Il serait utile de mener des études complémentaires pour déterminer si les taux de détection ont également fortement diminué dans d'autres régions au Canada et dans le reste du monde.

Introduction

Les infections entérovirales sont présentes dans le monde entier et sont responsables d'une morbidité et d'une mortalité importantes chez les enfants et les adultesNote de bas de page 1Note de bas de page 2Note de bas de page 3 . Bien que la majorité des infections entérovirales chez les individus sains soient asymptomatiques ou associées à des symptômes bénins, le potentiel pathogène des infections entérovirales ne doit pas être sous-estimé. En Extrême-Orient, l'EV-71 provoque régulièrement des épidémies de la maladie infectieuse pieds-mains-bouche, des affections neurologiques graves, ou les deuxNote de bas de page 1 , et des recherches intensives ont été menées pour la mise au point d'un vaccin contre ce pathogèneNote de bas de page 4 Note de bas de page 5 .

En août 2014, un sérotype d'entérovirus autrefois rare, l'EV-D68, a été isolé chez des enfants hospitalisés pour des affections respiratoires graves dans le Midwest américain Note de bas de page 6. Des cas d'infections à l'EV-D68 ont ensuite été signalés en Amérique du Nord Note de bas de page 6Note de bas de page 7Note de bas de page 8Note de bas de page 9Note de bas de page 10 et en Europe  Note de bas de page 11Note de bas de page 12. Le temps de propagation de l'EV-D68 en Europe était similaire à celui en Amérique du Nord et les variantes génétiques A et B en circulation en Europe étaient étroitement liées à celles qui étaient à l'origine de l'éclosion aux États-Unis et au Canada Note de bas de page 11. En Colombie-Britannique, en Alberta et au Québec, la surveillance à l'échelle des collectivités et des hôpitaux a permis de constater une multiplication par huit de l'EV-D68 en circulation à la fin de l'année 2014 par rapport à l'année précédente Note de bas de page 7. Au total, 211 cas d'EV-D68 ont été détectés en Colombie-Britannique entre le 28 août et le 31 décembre, la plupart étant apparus entre octobre et novembre. Les estimations du taux global d'hospitalisation attribuable à l'EV-D68 ont atteint 21 cas pour 100 000 personnes dans le groupe d'âge des moins de cinq ans Note de bas de page 7.

Les enfants admis dans des hôpitaux du Canada en raison d'une infection à l'EV-D68 se sont révélés être majoritairement des garçons, souvent gravement malades, dont 6,8 % à 23 % d'entre eux nécessitaient des soins intensifs  Note de bas de page 13Note de bas de page 14. L'émergence de ce pathogène a été perçue comme préoccupante, non seulement à cause de son association avec des affections respiratoires graves, mais également en raison de l'hypothèse selon laquelle une infection à l'EV-D68 pourrait entraîner une myélite/paralysie flasque aiguë pédiatrique, compte tenu de l'apparition soudaine et associée de nombreux cas de myélite/paralysie flasque aiguë  Note de bas de page 15Note de bas de page 16Note de bas de page 17 en Amérique du Nord. L'importance capitale de la surveillance nationale des entérovirus au Canada a été récemment rappelée, car elle permet de quantifier plus précisément leur incidence sur la population et de détecter rapidement et de décrire les éclosions Note de bas de page 18.

De nombreux laboratoires de référence au Canada utilisent désormais systématiquement des méthodes hautement sensibles fondées sur la réaction en chaîne de la polymérase multiplex pour la détection des virus respiratoires. Certains laboratoires réservent toutefois ces types de tests aux maladies graves ou à la surveillance. Le laboratoire de virologie régional du programme de biologie médicale de la région de Hamilton effectue de manière systématique une réaction en chaîne de la polymérase multiplex pour dix virus des voies respiratoires, quelle que soit la gravité de l'affection, et intègre une cible de rhinovirus/entérovirus. Le laboratoire de virologie régional analyse les échantillons cliniques des hôpitaux de soins de courte durée et des centres de soins d'urgence d'Hamilton (région de Niagara) et de Burlington, ce qui représente une circonscription hospitalière de 1,3 million d'habitants.

L'objectif de cet article consiste à documenter les résultats d'analyse des échantillons nasopharyngiens du laboratoire de virologie régional de l'automne 2015, et de les comparer aux résultats de l'automne 2014.

Méthodologie

Le groupe d'experts du volet respiratoire du laboratoire de virologie régional a établi une cible de test de polymérase en chaîne bien conservée dans des rhinovirus et des entérovirus. Ce test est très sensible pour détecter les rhinovirus et les entérovirus, mais l'identification définitive du pathogène nécessite un second test spécifique aux entérovirus. En 2014, il a été découvert que les essais biologiques propres aux entérovirus qui étaient précédemment utilisés au laboratoire de virologie régional présentaient un manque de sensibilité par rapport aux essais biologiques de détection des rhinovirus et les entérovirus, et ne permettaient pas d'identifier l'EV-D68 de manière fiable. Un essai biologique par réaction de polymérisation en chaîne en temps réel, hautement sensible et développé en laboratoire, pour une séquence unique dans le gène VP1 de l'EV-D68 a été mis au point.

Les échantillons d'écouvillonnage du nasopharynx prélevés dans le cadre de soins de routine et transportés dans un milieu de transport viral ont été extraits à l'aide de la plate-forme easyMAG®. (bioMérieux®, Marcy L'Etoile, France), puis testés par deux réactions en chaîne de la polymérase multiplex (l'une ciblant la grippe A et B, le virus respiratoire syncytial et les rhinovirus et les entérovirus, et l'autre ciblant les types de parainfluenza 1-3, le métapneumovirus et l'adénovirus). Tous les résultats des tests par réaction en chaîne de la polymérase multiplex de la région sont entrés chaque semaine dans une base de données, en spécifiant la date, l'âge et le centre clinique. Des tests spécifiques à l'EV-D68 ont été effectués pour tous les échantillons d'écouvillonnage du nasopharynx dont les résultats étaient positifs pour les rhinovirus et les entérovirus entre le 1er août et le 31 octobre pour l'année 2014 et 2015. La comparaison entre la proportion d'échantillons d'écouvillonnage du nasopharynx positifs pour les rhinovirus et les entérovirus en 2014 et en 2015 a été effectuée avec STATA, version 11.2 (College Station, Texas).

Résultats

Entre le 1er août et le 31 octobre 2014, 566 des 1 497 échantillons d'écouvillonnage du nasopharynx (38 %, IC à 95 % 35-40 %) ont été testés positifs pour des rhinovirus et des entérovirus, dont 177 (31 %, IC à 95 % 27-35 %) ont été confirmés comme étant l'EV-D68. Les premiers résultats positifs pour l'EV-D68 ont été constatés lors de la semaine 32 (du 1er au 9 août). Le point culminant a eu lieu lors de la semaine 38 (du 15 au 21 septembre) et les derniers cas ont été détectés lors de la semaine 43 (du 20 au 26 octobre). Aucun cas n'a été détecté au cours des semaines 44 et 45 (Figure 1Note de bas de page 13. En 2015, une nouvelle fois entre le 1er août et le 31 octobre, 472 des 1 630 échantillons d'écouvillonnage du nasopharynx (29 %, IC à 95 % 27 31 %) ont été testés positifs pour des rhinovirus ou des entérovirus, mais aucun d'entre eux (limite supérieure de l'IC à 97,5 % unilatéral : 0,8 %) n'a été confirmé comme étant l'EV-D68. La proportion globale de résultats positifs aux rhinovirus et aux entérovirus en 2015 était inférieure de 9 % (IC à 95 % 5,6-12 % de moins, p<0,001) par rapport à 2014. Le pic d'activité des rhinovirus/entérovirus en 2015 s'est produit lors des semaines 39 et 40, alors qu'il se situait lors de la semaine 38 en 2014. Cela peut être dû au fait que les écoles ont commencé une semaine plus tard en 2015 (Figure 1).

Figure 1 : Incidence hebdomadaire des écouvillonnages du nasopharynx positifs pour des rhinovirus/entérovirus, laboratoire de virologie régional d'Hamilton en 2014 et 2015

Figure 1 : Incidence hebdomadaire des écouvillonnages du nasopharynx positifs pour des rhinovirus/entérovirus, laboratoire de virologie régional d'Hamilton en 2014 et 2015

Description textuelle : Figure 1

Figure 1 : Incidence hebdomadaire des écouvillonnages du nasopharynx positifs pour des rhinovirus/entérovirus, laboratoire de virologie régional d'Hamilton en 2014 et 2015

Semaines d'échantillonage 2014 entérovirus D68 2014 autres rhinovirus/ entérovirus 2015 autres rhinovirus/ entérovirus
31 - 2 12
32 3 8 5
33 4 15 10
34 1 17 14
35 6 9 16
36 12 11 18
37 33 31 42
38 47 58 64
39 28 48 68
40 19 60 69
41 14 43 61
42 6 32 58
43 4 44 36

Discussion

Il n'y a eu aucune preuve de transmission significative ou durable de l'EV-D68 dans la région en 2015 et le pic de la saison des rhinovirus/entérovirus est passé. Le moment du sommet de l'EV-D68 en 2014 concordait avec la circulation habituelle des rhinovirus/entérovirus dans la région; les données de surveillance du Canada ont montré que les hospitalisations pour des exacerbations d'asthme, principalement déclenchées par des infections virales, ont atteint leur sommet 16,7 jours (IC à 95 %, 15,8-17,5 jours) après le premier jour d'ouverture des écoles publiques Note de bas de page 19. Il est possible que la circulation de l'EV-D68 en 2015 ait été beaucoup moins importante car il y avait beaucoup moins de personnes vulnérables par rapport à 2014. En outre, l'EV-D68 était probablement associé à des maladies beaucoup moins graves en 2015, ce qui a également contribué à un taux de détection réduit puisqu'il y a eu moins de consultations de professionnels de la santé. Dans la mesure où la population desservie par le laboratoire de virologie régional est importante, et du fait que les résultats positifs pour l'EV-D68 en 2014 étaient presque aussi nombreux dans sa circonscription que dans toute la province de la Colombie-Britannique, il se peut que d'autres régions canadiennes connaissent également une diminution de l'activité de l'EV-D68 en 2015.

Il n'y a eu aucun cas de myélite/paralysie flasque aiguë diagnostiqué au laboratoire de virologie régional au cours de la saison d'entérovirus qui s'achève, et l'absence de circulation de l'EV-D68 amène les auteurs à être prudemment optimistes quant au fait qu'une incidence accrue d'affections neurologiques ne sera pas observée cette année. Toutefois, la possibilité d'un pic tardif de rhinovirus/entérovirus en circulation ne peut être écartée et la surveillance effectuée au laboratoire de virologie régional doit donc se poursuivre. À l'heure actuelle, l'EV-D68 demeure un problème de santé publique important en raison de sa capacité à provoquer des affections respiratoires et de son lien possible avec des séquelles neurologiques chez l'enfant.

Remerciement

Le Dr Pernica est titulaire d’une bourse de recherche en début de carrière de Hamilton Health Sciences.

Conflit d’intérêts

Aucun.

Financement

Aucun.

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