L’espoir entre les murs - Pourquoi Keagan Cockerill se présente chaque jour au travail

Keagan Cockerill a grandi à Saskatoon. Toute petite, elle s’assoyait souvent à la table de la cuisine pendant que sa mère étudiait pour ses examens de criminologie. « Je n’avais que quatre ans, mais je lui posais des questions sur les termes et j’ai appris des mots que la plupart des enfants de mon âge ne sauraient normalement pas, dit-elle en riant. Nous avons toujours été très proches. Ma mère a toujours été ma plus grande source d’inspiration. »
Alors que sa mère a entamé sa carrière en tant qu’agente correctionnelle, elle rappelait souvent à Keagan que derrière les murs et le barbelé se trouvent des êtres humains, qui sont imparfaits et compliqués, mais encore capables de faire preuve de gentillesse. « On croit à tort que les personnes purgeant une peine de ressort fédéral ne sont pas comme nous, affirme Keagan d’un air songeur. Mais ma mère me racontait des histoires de délinquants qui la protégeaient ou qui la prévenaient discrètement si quelque chose n’allait pas. Il m’est resté un souvenir marquant de cette forme d’humanité. »
Ce fut également un signe précurseur de ce qu’elle allait découvrir comme étant sa vocation d’agente de libération conditionnelle. À l’université, Keagan s’est plongée dans l’univers de la sociologie, de la psychologie et de la criminologie; elle recherchait des stages qui l’ont amenée à fréquenter des pavillons de ressourcement et des centres psychiatriques. Sa passion était la défense des intérêts, en particulier ceux des personnes qui avaient été ignorées ou mal comprises.
Pour Keagan Cockerill, le travail d’agente de libération conditionnelle est une question d’humanité et de possibilité, caractérisée par des victoires silencieuses qui se répercutent plus loin que ce que l’on peut voir.
À l’âge de 22 ans, elle est devenue travailleuse en service social individualisé pour les résidents de la Société John Howard de la Saskatchewan, travaillant auprès des jeunes hommes à risque, dont bon nombre étaient seulement un peu plus jeunes qu’elle. « J’étais comme une figure maternelle, mais aussi une grande sœur, se souvient-elle. Nous prenions nos repas ensemble à table tous les soirs. J’assistais aux rencontres parents-enseignants. Je les emmenais à des activités sportives et je créais des espaces exempts de jugement pour qu’ils se confient. »
Ces années lui ont appris le pouvoir transformateur que peuvent exercer la confiance, la cohérence et la compassion. En tant que femme noire, elles lui ont aussi montré la façon dont les expériences vécues comptent.
« J’exerce toujours mon métier dans une optique de compétence culturelle, indique-t-elle. La représentation compte et cela fait une différence lorsqu’une personne n’a pas à expliquer son identité et son expression culturelle avant d’être comprise. »
Aujourd’hui, Keagan est agente de libération conditionnelle à l’Unité de surveillance des femmes de Toronto, où elle surveille actuellement 19 femmes en liberté sous condition. Son travail est dynamique, ses réunions sont parfois au bureau, au domicile ou au lieu de travail d’une cliente, et il s’agit parfois même d’une conversation avec un café sur un banc dans un parc. « Une de mes clientes a dit en plaisantant que nos rencontres étaient comme une thérapie, dit Keegan en souriant. Et d’une certaine façon, c’est ce qu’elles sont. »
La réussite du cheminement de ses clientes est relative. Ce pourrait être une femme qui reste sobre pendant un mois après des années de rechutes. Ou une cliente qui, contre toute attente, commence à se rebâtir une vie avec sa famille, à acheter du poulet au supermarché et à cuisiner un repas à la maison. « Il s’agit de rencontrer les gens où ils en sont, dit-elle. Il est impossible d’appliquer les mêmes mesures à toutes les personnes. »
Certains des moments les plus touchants ont lieu lorsque des clientes expriment leur gratitude. Une femme terminant de purger sa peine pourrait lui remettre une lettre, la remerciant d’avoir cru en elle alors que personne d’autre ne le faisait. Une autre pourrait passer au bureau des mois plus tard, juste pour dire bonjour. « Ce sont les moments qui font pleurer, admet Keagan. Ce sont ces moments qui me rappellent pourquoi ce travail est important. »

Elle aide aussi à créer de nouvelles traditions axées sur l’espoir. Son unité a récemment lancé un programme intitulé l’Étoile du mois, qui permet de souligner les réalisations de femmes comme la sobriété, l’emploi ou le bénévolat. Si les certificats plastifiés qui sont remis peuvent sembler simples, l’impact qu’ils ont ne l’est pas. « Un certain nombre de ces femmes ont passé leur vie entière sans être reconnues pour leurs accomplissements, dit-elle. Le fait de les voir pleurer de joie ou afficher fièrement leur certificat dans leur salon est extrêmement touchant. »
Keagan a aussi de grands rêves. Passionnée toute sa vie par la danse, elle envisage un jour de créer un programme de danse hip-hop destiné aux femmes purgeant une peine de ressort fédéral. « La danse a toujours été un moyen de décompresser pour moi, elle favorise la résilience, la confiance et l’expression de la personnalité, affirme-t-elle. Je savais que ce pourrait être la même chose pour les participantes. » Elle a déjà tâté le terrain en se produisant lors d’une journée ethnoculturelle dans un établissement.
« Je dois avouer que la prestation d’un solo de danse devant plusieurs femmes que j’avais surveillées n’était pas sans angoisse, mais grâce à leur encouragement, soutien et véritable reconnaissance, cela en a valu la peine, dit-elle. Ce fut un moment de communion, aucune barrière, seulement des personnes nouant des liens. »
Mais en dépit de sa vision et de son entrain, Keagan n’oublie jamais le cœur de son travail : accompagner les gens côte à côte et non en s’élevant au-dessus d’eux. C’est ce même équilibre qui l’oriente, être ferme, mais juste; faire preuve de compassion, mais aussi responsabiliser les autres.
« On autonomise, on responsabilise et on accompagne les gens pendant un certain temps, puis on les laisse voler de leurs propres ailes, dit-elle. On espère qu’ils auront désormais les outils nécessaires pour arrêter de faire du mal à autrui et à eux-mêmes. »
Elle s’assure également de joindre le geste à la parole. « Les soins personnels sont d’une importance cruciale, note-t-elle. J’adore les cours de conditionnement physique, et j’ai appris à dire à mes amis “je n’ai pas la force d’y aller aujourd’hui” si j’ai eu une semaine particulièrement éprouvante. Il est impossible de prendre soin d’autrui sans d’abord s’occuper de soi-même. »
Pour Keagan, le travail d’agente de libération conditionnelle n’est pas une question de contrôle ou d’autorité, c’est une question d’humanité et de possibilité caractérisée par des victoires silencieuses qui se répercutent plus loin que ce que l’on peut voir. « J’adore venir au travail tous les jours, affirme-t-elle. Même lors des journées difficiles, il y a toujours des étincelles de progrès, et c’est suffisant pour m’aider à continuer d’aller de l’avant. »