Épisodes 1: Le quart du samedi
Le premier épisode, nous suivons Jean-Pierre, un gestionnaire correctionnel ayant 20 ans d’expérience au SCC, durant son quart de fin de semaine à l’Établissement de l’Atlantique, une prison à sécurité maximale.
Avertissement : Cet épisode contient des descriptions explicites de situations d’urgence réelles impliquant danger physique et traumatisme. La prudence est de mise. Pour accéder à des ressources d’aide, veuillez consulter le bas de cette page.
Transcription de la vidéo
« TROP DANGEREUX »
Un ancien délinquant parle de la vie au sein de la population carcérale. (Visage embrouillé)
« On marche dans la rangée et on ne sait pas si un fou bourré de pilules a décidé qu’il allait mourir ce jour-là, T’sais.
On vit dans une réalité avec 600 autres gars, sont amochés comme nous. C’est la réalité. Notre meilleure journée peut finir par notre mort. On est entouré de gars qui sont là pour une raison. La société ne veut pas de nous. On est trop dangereux. »
LE QUART DE TRAVAIL DU SAMEDI
En bordure de Renous, au Nouveau-Brunswick, l’Établissement de l’Atlantique peut loger jusqu’à 331 des hommes les plus dangereux du Canada. Ils purgent de longues peines pour des crimes violents.
Aujourd’hui, nous discutons avec le gestionnaire correctionnel JP Bernard, qui en est à la moitié de son quart de travail de 12 heures.
Il a passé le matin à surveiller l’unité d’intervention structurée, et s’apprête maintenant à superviser les activités dans une unité résidentielle, soit l’unité 5.
Bonjour, je m’appelle JP, je suis gestionnaire correctionnel ici à l’Établissement de l’Atlantique.
Quand je commence mon quart de travail, je lis le compte rendu de ce qui s’est passé au cours des 24 dernières heures. J’essaie de porter une attention particulière à mon unité pour voir si des incidents ou des déplacements sont survenus, quelque chose qui implique un membre du personnel, ou une saisie ou un objet interdit détecté ou un détenu qui endommage une cellule ou qui tente d’agresser un autre détenu. Je vais au bureau où sont les autres CX, on discute, je leur demande s’ils ont des préoccupations, s’ils ont des renseignements à transmettre ou s’ils veulent m’en parler.
En fin de compte, je me présente dans la rangée pour me tenir au courant de ce qui se passe avec les détenus. Et si quelqu’un veut jaser, j’essaie d’être disponible et respectueux dans mes interactions avec eux.
L’Établissement de l’Atlantique est une prison à sécurité maximale.
Les établissements peuvent avoir plusieurs unités et dans chaque unité, il y a plusieurs rangées.
Les rangées comprennent plusieurs cellules et une aire commune où les délinquants peuvent manger, jouer à des jeux et passer du temps ensemble.
Toutes les rangées de l’unité sont gérées à partir du poste de contrôle sécurisé, aussi appelé la « Bulle ». Elle a un champ de vision de 360 degrés de toutes les rangées de l’unité. Depuis le poste, le personnel contrôle l’ouverture et le verrouillage des portes, les déplacements des détenus et l’appel d’agents correctionnels en cas d’incident.
Ah, mon premier jour de travail. Wow. Ça fait longtemps, mais je pense que le mot qui le décrit le mieux est « intense ». J’ai postulé au Service correctionnel. Je me suis dit que c’était quelque chose de stimulant et d’intéressant et j’ai senti grandir mon intérêt envers le domaine. Depuis décembre 2005, je suis agent correctionnel à l’Établissement de l’Atlantique. Je me revois être très accablé pendant mes premières journées ici. Maintenant que j’y repense, je sens que c’était vraiment le bon choix pour ma carrière.
JP a passé près de 20 ans à l’établissement. C’est assez de temps pour connaître les tendances. Qui est en service. Quelle unité est tranquille. Laquelle ne l’est pas. Il a aussi été en mesure d’établir un rapport avec plusieurs détenus, ce qui est utile pour désamorcer des situations avant qu’elles ne s’aggravent.
Il sait que l’unité 5 demande de la concentration, et qu’un samedi soir, son équipe et lui doivent rester à l’affût des activités suspectes.
Il est difficile de présumer qu’aujourd’hui ce ne sera pas une bonne journée ou encore aujourd’hui il va se passer quelque chose. On consulte nos notes d’information au quotidien. Supposons que quelque chose se passait pendant la nuit, disons un détenu qui serait non coopératif avec le personnel, dans sa cellule, qui bloquerait une fenêtre de cellule ou qui refuserait de répondre à une question du personnel pendant une ronde dans la rangée. Habituellement, on surveille ces cas-là, mais dans ce domaine, une journée ou une seconde, on pourrait avoir deux gars qui se parlent comme si de rien était, et la seconde d’après, l’un d’eux pourrait attaquer l’autre sans avoir été provoqué et sans raison apparente. Parfois, on a un sentiment général, mais plus souvent qu’autrement, c’est quelque chose de totalement inattendu qui nous prend par surprise.
« J’AI RENCONTRÉ LE MAL »
Un délinquant parle de la population carcérale. (Visage embrouillé)
« Je vois comment sont les gens, j’ai rencontré le mal. Les gens pensent que le mal n’existe pas, mais si on allait faire un tour à Dorchester, Springhill, Renous ou Beaver Creek en Ontario, je vous le dis, on peut voir la mort dans les yeux des gens. »
J’ai vu un changement de comportement chez les délinquants au cours des dernières quelques années, et j’ai remarqué une différence par rapport à quand j’ai commencé. À ce moment-là, le sentiment général était que quand deux détenus avaient un problème l’un avec l’autre, ils s’affrontaient ou se bagarraient dans le gymnase, dans la cour ou dans l’unité, et ça se finissait là. Mais récemment, je pense que la mentalité de meute a pris le dessus, c’est-à-dire que ce n’est plus du un contre un. C’est du deux, trois, quatre, cinq contre un. Et la brutalité de ces agressions a beaucoup augmenté en raison du nombre, des armes et des détenus qui ont de la difficulté à coexister. Ainsi, on a séparé les unités pour tenter de réduire les tensions et de mettre ensemble les personnes qui s’entendent bien. Mais c’est une lutte constante aussi. Et le comportement n’a pas diminué depuis.
RONDES/DÉNOMBREMENT
Il est 16 h 30, et le personnel de la cuisine arrive avec les repas. On confie à un détenu de venir chercher les repas et de les distribuer à tous les détenus de la rangée. Pour des raisons de sécurité, les détenus mangent habituellement seuls dans leurs cellules. Mais après le dénombrement, ils ont la permission de passer du temps à l’extérieur de leur cellule pour socialiser.
JP se concentre maintenant sur le dénombrement des détenus : un volet crucial du quart de travail d’un agent correctionnel. Ils doivent veiller à ce que chaque délinquant soit présent et profitent de l’occasion pour s’assurer de leur bien-être.
Pendant la ronde, un détenu intercepte JP pour lui parler. »
JP : « Je vais vérifier l’état de tes visites vidéo et je vais obtenir des précisions. »
Détenu : « J’ai besoin de voir mon fils, c’est un nouveau-né. »
JP : « Je le sais, je me rappelle que tu m’en as parlé. Oui, laisse-moi parler avec l’équipe des visites à propos de ton inscription et quand j’ai une réponse, je vais m’assurer que tu sois mis au courant. »
Détenu : « C’est quoi ton nom, encore ? »
JP : « Je m’appelle JP, JP Bernard. »
Je me rends disponible pour les détenus. Je fais plusieurs rondes dans les rangées. J’écoute les détenus. J’écoute leurs préoccupations. J’essaie de résoudre les problèmes qu’ils pourraient avoir et j’essaie toujours de rester honnête avec eux quand ils me posent une question. Si je ne connais pas la réponse, je leur dis que je ne le sais pas, mais que je vais essayer de trouver une réponse. Et j’essaie d’établir une relation positive avec les détenus quand j’interviens avec eux et quand je leur parle. Je trouve que quand je suis honnête et respectueux envers eux, ça rend le travail beaucoup plus facile.
La présence de chaque détenu est confirmée. Avec seulement 2,5 heures avant le prochain dénombrement, les détenus profitent de chaque minute de temps libre. À 17 h 30, les détenus demandent à sortir. Une seconde de retard accroître les tensions envers le personnel.
Habituellement, seulement six détenus peuvent sortir à la fois. Mais le samedi, la routine est différente. Tous les détenus, jusqu’à 24 à la fois dans chaque rangée, sont libres de socialiser, préparer des collations, s’entraîner, et autres.
Les détenus sont nombreux à l’extérieur en même temps. Les agents correctionnels doivent demeurer vigilants lorsqu’ils font leurs rondes dans la rangée.
Donc dans la rangée, quand les détenus me voient, ils disent habituellement quelque chose du genre « Oh, v’là la ch’mise bleue » ou « au bloc » ou « les quatre barres sont là » ou « gardien au bloc ». C’est leur façon de passer le message comme quoi le gestionnaire correctionnel est dans la rangée.
IL EST NORMAL DE NE PAS TOUJOURS BIEN ALLER.
Après avoir passé 16 années complètes ici, j’ai pris quelques mois de congé à la maison pour refaire le plein.
En fin de compte, j’avais une accumulation de différents facteurs de stress, que ce soit avoir vu un détenu pendu très, très tôt dans ma carrière ou encore plusieurs détenus adopter un comportement d’automutilation, de devoir utiliser la force pour mettre fin à une bagarre entre deux détenus pour me rendre compte que le détenu que j’ai essayé d’arrêter et de maîtriser avait une arme sur lui, en fait. Et l’arme est tombée à quelques centimètres de mon visage. Et à ce jour, je me rappelle encore clairement le bruit qu’elle a fait.
Je ne sais pas si j’étais en déni ou inconscient, mais quand cet incident est survenu, mon comportement a complètement changé. Je ne dormais plus bien du tout, j’étais très irritable avec ma femme et mes enfants et je ne m’en rendais pas compte du tout. Je me souviens de la journée que j’ai constaté à quel point c’était grave et à quel point j’étais aveugle. C’était quand j’ai eu une discussion avec mon père en allant à la maison après un quart de travail. J’ai vidé mon sac pendant 10 à 15 minutes. Il n’a pas dit un mot pendant tout ce temps-là. Et je me rappelle que, quand j’ai arrêté de parler, il m’a demandé si j’avais fini et j’ai dit « Bien, qu’est-ce que tu veux dire? » Donc il y a eu une longue pause. Et ensuite il est allé droit au but. Il m’a dit : « Tu ne vas pas bien entre les deux oreilles en ce moment. Il faut que tu prennes soin de toi. » Après ça, je me suis dit, tu sais quoi, peut-être que c’est le temps de prendre soin de moi-même », et je me suis rendu compte que c’est normal de ne pas toujours bien aller, des fois. Et il n’y a aucune honte à chercher ou à demander de l’aide.
Quand je repense à la perception qu’on avait des problèmes de santé mentale au début des années 2000 quand j’ai commencé, souffrir d’un problème de santé mentale, de dépression, d’épuisement professionnel, je crois qu’une certaine stigmatisation y était associée. Oh, tu es un agent correctionnel. Tu es censé être solide. Tu es fort. Ces choses-là ne devraient pas te déranger du tout. Sois un homme et gère-les, tout simplement. Dernièrement quand j’y repense, je crois qu’il y a eu d’énormes progrès au fil des années, qu’il y a de l’acceptation de la situation quand les gens vivent des problèmes relatifs à leur santé mentale. Je pense que c’est un énorme progrès qui a été fait et j’espère que si vous pensez avoir besoin d’aide, que vous allez en demander. C’est pour vous rendre service. C’est pour rendre service à vos proches, mais surtout pour vous-même. Prenez soin de vous, car vous êtes important.
Quand je suis retourné au travail par la suite, ma perspective sur la façon de me préparer mentalement, sur ma façon d’agir et de réagir a changé, euh, radicalement. Je ne dis pas ça pour dire que je suis rendu nonchalant, mais je ne ressens pas autant de stress. Je ne sens pas que rentrer au travail est un gros facteur de stress. Je rentre travailler, tout simplement. Je fais ce que j’ai à faire. Si quelque chose se produit, je m’en occupe. Et je viens de constater que, peu importe à quel point je suis stressé ou pas, si quelque chose va se produire, je veux dire, ça va se produire et rien ne peut le changer.
En fait, j’aime bien rentrer travailler parce que je sais que je vais travailler avec des gens que je connais très bien, des gens avec qui je m’entends bien, des gens pour qui j’ai du respect et vice-versa. Dans ce domaine, c’est un peu unique avec le type de travail qu’on fait. On travaille dans un milieu plutôt négatif, donc il faut, il faut aller trouver le positif ailleurs. Et pour moi, l’un des éléments les plus importants, bien que tout le monde a des collègues au travail, mais dans ce domaine, je suis convaincu que le lien qui nous unit est plus que celui de juste collègues. Dans l’exercice quotidien de nos fonctions, on peut potentiellement mettre notre vie entre les mains d’un collègue. Et en faisant ça, je crois qu’on renforce le lien. C’est très positif et très gratifiant de ressentir ça pour les personnes avec lesquelles on travaille.
« CHANCES »
Un ancien délinquant parle de changement. (Visage embrouillé)
« Je vais vous parler du conflit le plus évident concernant la conviction selon laquelle on mérite peut-être une ou deux chances. Je demanderais à quiconque entretient cette croyance de faire un peu d’introspection, et de se demander combien de chances il a eu. Posez-vous la question, et soyez honnête. Et vous verrez que la plupart des gens trouvent qu’ils sont des êtres humains, en tout cas, c’est vrai pour moi. De temps en temps, j’ai besoin d’une autre chance. Tout le monde mérite une chance. Certaines personnes sont trop dangereuses pour vivre dans la société. Je comprends ça. Mais il y a plein d’exemples d’incarcérations réussies qui ont donné lieu à un réel changement. »
L’équipe de Virage aimerait remercier :
Jean-Pierre Bernard, gestionnaire correctionnel
Monik Cormier, directrice de l’Établissement de l’Atlantique
Tout le personnel de l’Établissement de l’Atlantique
Tout le personnel de l’administration régionale de la région de l’Atlantique
Et un merci spécial aux agents correctionnels et agentes correctionnelles dans tous nos
établissements qui travaillent en première ligne à assurer la sécurité publique au Canada pour
leur service, leur travail acharné et leur dévouement en vue de protéger la population
canadienne chaque jour.
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Pour les employés du SCC
Si vous êtes un employé du SCC et que vous avez vécu un traumatisme, des ressources sont disponibles pour vous soutenir en tout temps. Voici quelques exemples :
- Ressources et programmes de santé mentale pour les employés (accessibles uniquement sur le réseau du gouvernement du Canada)
- Stratégie du Service correctionnel du Canada en matière de santé mentale et de bien-être au travail (2025 à 2028) (accessible uniquement sur le réseau du gouvernement du Canada)
- Agents d’orientation du PAE et contacts régionaux (accessibles uniquement sur le réseau du gouvernement du Canada)
- TELUS Santé (accessible uniquement sur le réseau du gouvernement du Canada)
- Programme de gestion du stress lié aux incidents critiques (accessible uniquement sur le réseau du gouvernement du Canada)
- PSPNET
- Bureau de l’ombudsman du bien-être au travail (accessible uniquement sur le réseau du gouvernement du Canada)
- 9-8-8 : Ligne d’écoute en cas de crise suicidaire