Sommaire

Le présent rapport est fondé sur les opinions exprimées et les courts articles offerts par les conférenciers à l’occasion d’un atelier organisé par le Service canadien du renseignement de sécurité dans le cadre de son programme de liaison-recherche. Le présent rapport est diffusé pour nourrir les discussions. Il ne s’agit pas d’un document analytique et il ne représente la position officielle d’aucun des organismes participants. L’atelier s’est déroulé conformément à la règle de Chatham House; les intervenants ne sont donc pas cités, et les noms des conférenciers et des participants ne sont pas révélés.

Au début de 2018, le président de l’Afghanistan, Ashraf Ghani, a annoncé que le gouvernement était prêt à entamer des pourparlers de paix exhaustifs avec les talibans. Ceux-ci ont pris cette proposition au sérieux et ont envoyé, par divers moyens, des messages détaillant avec cohérence les conditions de leur participation. Les pourparlers entre les représentants des talibans et les États‑Unis sont dirigés par Zalmay Khalilzad, envoyé spécial des États‑Unis pour la paix. Ils se poursuivent.

Les négociations devraient se dérouler en trois étapes. Tout d’abord, il faut établir les conditions préalables aux discussions de fond. Ensuite, les parties doivent s’entendre sur la structure et les modalités du gouvernement de transition. Enfin, elles doivent convenir d’un accord de paix exhaustif renfermant une nouvelle constitution et un modèle de gouvernance renouvelé. Le 28 janvier 2019, une entente de principe portant sur un cadre pour la paix a été signée, ce qui représente un important jalon dans la première étape du processus. 

Des changements importants survenus dans le contexte politique et sécuritaire viennent faciliter la prise de mesures concrètes pour apaiser la violence qui sévit depuis longtemps en Afghanistan.

  • Des parties influentes à l’échelle régionale et internationale sont prêtes à prendre au sérieux les déclarations des talibans, qui affirment avoir uniquement l’intention d’assurer la gouvernance de l’Afghanistan et non pas de soutenir le djihad partout dans le monde. Les États‑Unis exigent des garanties à cet égard avant de se retirer d’Afghanistan, et tous les pays limitrophes partagent la même préoccupation. Même si des intervenants régionaux tirent certains avantages de l’instabilité qui règne en Afghanistan, la fin de la guerre et l’élimination de l’État islamique-Province du Khorassan (EIPK) offrent davantage de perspectives d’avenir.
  • Même si l’EIPK a commis certains attentats, presque toute la violence commise en Afghanistan est attribuable aux talibans, au gouvernement et aux forces américaines. Le respect d’un cessez-le-feu de trois jours en juin 2018 montre que les chefs talibans se font obéir par leurs combattants et seraient en mesure de faire appliquer un accord de paix.
  • Les talibans ont posé des conditions difficiles à respecter pour poursuivre les pourparlers, qui portent notamment sur une date provisoire pour le retrait des États‑Unis, un gouvernement de transition et une entente au sujet d’un processus constitutionnel qui mènera à l’établissement d’une nouvelle structure gouvernementale. Ils ont néanmoins fourni des diplomates qualifiés à qui ils ont donné une marge de manœuvre suffisante. Les États‑Unis souhaitent se retirer d’Afghanistan, mais certains éléments cruciaux du processus, comme le moment et la façon de procéder, restent à déterminer.
  • Les talibans sont convaincus qu’à force de persévérance, ils finiraient par repousser les États‑Unis et vaincre le gouvernement en place, mais ils croient que ce serait un combat de longue haleine qui ferait encore de très nombreuses victimes. Il leur semble donc raisonnable, à ce stade‑ci, de consentir à mettre un terme à la guerre pour avoir la possibilité de faire partie du gouvernement et, peut‑être, y exercer un rôle dominant.

L’EIPK, qui cherche d’abord et avant tout à faire progresser le djihad international, ne participera pas aux pourparlers de paix. Ce groupe a combattu les talibans dans le but de les remplacer. La hiérarchie centralisée de l’EIPK et sa dépendance envers les modes de communication électroniques ont rendu ses combattants vulnérables aux attaques des États‑Unis, et nombre de ses dirigeants ont été tués. Toutefois, une entente prévoyant qu’aucune attaque ne serait lancée au Pakistan a été signée, ce qui a permis aux dirigeants de l’EIPK de trouver refuge dans ce pays et assuré le retour d’une certaine stabilité parmi ces hautes instances.

  • Tant les actes de violence que les croyances de l’EIPK témoignent d’un extrémisme supérieur à celui des talibans. De plus, en d’autres lieux, il se montre très dur dans ses relations avec la population locale, de sorte qu’il ne bénéficie que d’un appui populaire bien tiède en comparaison de celui dont jouissent les talibans. Le moral et la réputation de l’EIPK ont souffert de la défaite de Daech en Syrie et de l’exécution de combattants récalcitrants.
  • Au départ, la perte du prétendu califat en Syrie a redirigé beaucoup de ressources vers l’EIPK, mais la situation s’est inversée maintenant que Daech tente de regagner du terrain en Syrie et d’y établir une force de guérilla. Le nombre de combattants de l’EIPK a chuté, passant d’un maximum estimé à 12 000 à environ 8 000. Le financement que l’EIPK tirait de Daech a diminué, et il craint de perdre le soutien financier de l’Arabie saoudite et du reste du Golfe.
  • Les partisans qui se trouvent en Arabie saoudite et dans le Golfe offrent encore un certain soutien au groupe. Pour le conserver, l’EIPK a mené des attaques meurtrières contre des tribus chiites et des étrangers à Kaboul, peut-être avec l’aide rémunérée de Gulbuddin Hekmatyar.

Le Pakistan, l’Iran, la Russie, la Chine et l’Inde ont intérêt à ce que les hostilités cessent et que la paix revienne en Afghanistan. En tant que force djihadiste, l’EIPK représente une menace pour leur sécurité intérieure, tandis que les talibans affirment n’avoir aucune visée à l’extérieur de l’Afghanistan. La Russie, le Pakistan et l’Iran entretiennent des relations tant avec les talibans qu’avec le gouvernement afghan.

  • Le Pakistan, qui appuie les talibans en Afghanistan depuis longtemps afin de conserver son influence à l’échelle régionale, les a tout de même encouragés à négocier. L’Inde, quant à elle, ne cesse de sonner l’alarme au sujet du danger constant que posent les extrémistes afghans. Elle souhaite que les États‑Unis s’engagent à assurer la stabilité régionale à long terme.
  • La Russie aimerait que les États‑Unis subissent en Afghanistan une humiliation comparable à celle vécue par l’URSS, mais elle craint que les mouvements djihadistes violents finissent par déborder dans les républiques voisines en Asie centrale, puis sur son territoire.
  • La Chine ne partage qu’une petite frontière avec l’Afghanistan, mais elle est à l’affût de tout mouvement susceptible d’encourager ou d’entraîner les séparatistes ouïgours.
  • À titre d’État à prédominance chiite, l’Iran ne veut pas d’une force violente opposée aux chiites, comme l’EIPK, le long de sa frontière.

La gouvernance et l’appareil électoral de l’Afghanistan contribuent à l’instabilité du pays et sont susceptibles de nuire au bon déroulement du processus de paix. La constitution de l’Afghanistan a instauré une présidence forte, et les rapports difficiles avec le parlement donnent à penser que les pouvoirs du président pourraient être appelés à croître davantage.

  • Les élections des conseils provinciaux, presque toujours repoussées au-delà des délais prévus par la constitution, viennent d’être fixées au 28 septembre 2019, date de l’élection présidentielle. Cette échéance pourrait être impossible à respecter.
  • Les élections parlementaires d’octobre 2018 ont été chaotiques, et leurs résultats sont toujours contestés.
  • Plus de vingt candidats, représentant de nombreuses factions différentes, se présentent à la présidentielle. Or, cette élection aura lieu à une étape cruciale des pourparlers de paix en cours.
  • Les Afghans croient à l’idée de la démocratie, mais n’ont jamais rien connu d’autre que la corruption, la manipulation des votes et la violence.

De nombreux observateurs croient que des conditions favorables sont réunies pour que les pourparlers de paix puissent progresser vers l’établissement d’un gouvernement de transition. Toutefois, rares sont ceux qui croient que ce processus mènera réellement à une paix durable.

  • Un gouvernement de transition permettrait de rétablir la paix pour une période de 18 à 24 mois, sans plus. La conclusion d’une entente de transition suppose de « geler » le statut actuel des talibans et le contrôle du territoire exercé par le gouvernement, de décider de la répartition des portefeuilles et de s’engager à respecter le processus établi pour les négociations constitutionnelles.
  • Pour en arriver à une paix durable, les parties doivent s’entendre sur plusieurs points litigieux : un modèle de gouvernance permanent, la structure des forces de sécurité unifiées, les droits de la personne, les mesures à prendre contre les extrémistes qui ne sont pas parties à l’entente et les mesures à prendre pour rebâtir une économie ravagée par la guerre civile, la corruption et, de plus en plus, les changements climatiques.
  • La guerre civile qui a déchiré l’Afghanistan à maintes et maintes reprises est issue du tiraillement entre de multiples forces ethniques, religieuses, tribales et politiques, qui n’ont rien perdu de leur force. Les accords de Bonn de 2001 ont permis à des dirigeants de factions impliquées dans des conflits antérieurs de s’enrichir et de devenir plus puissants.
  • Les talibans représentent un groupe fort et uni, qui a été renforcé par la libération d’importants dirigeants emprisonnés à Guantanamo. Le gouvernement de Kaboul est faible et incapable de mettre un terme à la corruption endémique et aux luttes intestines et de surmonter les échecs économiques.
  • L’armée de l’Afghanistan manque d’entraînement en plus de devoir composer avec des fournisseurs corrompus. Sans l’appui des États‑Unis, elle ne serait pas de taille à se mesurer aux talibans.

Il reste à savoir combien de temps encore les États‑Unis demeureront en Afghanistan, et ce sera un facteur décisif. Si les États‑Unis parviennent à préciser leur entente avec les talibans, mais qu’ils se retirent avant la conclusion d’un accord définitif au sujet du gouvernement de transition, le gouvernement de l’Afghanistan pourrait s’effondrer rapidement. De même, leur retrait avant que le gouvernement de transition ne conclue une entente définitive au sujet de la constitution ne ferait que rendre plus probable l’échec des pourparlers de paix. Même si les parties convenaient d’une nouvelle constitution, tout pourrait s’écrouler si les talibans finissaient par décider qu’il n’existe aucune bonne raison de la respecter. Enfin, un accord de paix final pourrait aussi être menacé par d’autres partis violents ou corrompus estimant avoir trop à perdre, ou encore par une irréductible opposition à la participation des talibans au gouvernement de l’Afghanistan.

  • Les talibans ont accepté de négocier parce que, même s’ils croient que l’Afghanistan finirait par retomber sous leur emprise, ils savent qu’ils subiraient de lourdes pertes s’ils devaient passer à l’action maintenant. Dès que les États‑Unis se retireront, le calcul ne sera plus le même : les talibans croiront sans doute que la victoire est à portée de main.
  • Les Afghans qui sont en mesure de partir quittent le pays en grand nombre, estimant qu’il est futile d’espérer un avenir meilleur pour l’Afghanistan après le départ des États‑Unis et de leurs alliés, puisque l’économie, la stabilité et les droits de la personne n’ont connus aucun progrès en dépit de toute l’attention que les pays étrangers accordent à l’Afghanistan depuis près de dix-huit ans. 
  • Un retrait précoce des forces américaines pourrait donner lieu à une nouvelle offensive des talibans et sonner le glas du régime en place.

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