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Le conflit en Syrie et en Irak s’est en partie transformé en lutte de pouvoir entre l’État islamique en Irak et au Levant (EIIL) et al‑Qaïda, lutte sur laquelle les frappes aériennes des États‑Unis, de leurs alliés et de la Russie ont eu une incidence.

  • Il y a cinq ans, al‑Qaïda semblait être prise dans une spirale descendante irréversible, alors que l’EIIL n’avait pas encore vu le jour. Aujourd’hui, l’EIIL et les groupes affiliés à al‑Qaïda se livrent une lutte de pouvoir à l’échelle du Moyen‑Orient et dans certaines régions d’Afrique et d’Asie. Le Front al‑Nosra, un groupe affilié à al‑Qaïda, connaît un essor en Syrie. La logique de la guerre civile en Syrie s’est étendue à l’Irak, où l’EIIL a pris naissance. Le régime syrien jouit d’un ferme soutien de la part des forces chiites de l’Iran.
  • Les États‑Unis se sont efforcés d’apporter la stabilité en Irak en misant sur un dirigeant politique capable de parvenir à une réconciliation entre sunnites et chiites et ont contribué à l’entraînement des forces nationales irakiennes. Ils avaient espéré mettre fin à la guerre civile en Syrie grâce à un accord de paix reposant sur la destitution du président Bachar el‑Assad; le cessez‑le‑feu actuel ne repose toutefois pas sur la garantie d’une telle destitution.
  • Les frappes aériennes dirigées par les États‑Unis ont amputé une partie du territoire occupé par l’EIIL en Irak et en Syrie, alors que celles de la Russie ont permis au régime Assad de reprendre des territoires essentiels à sa survie près des côtes syriennes, à l’ouest.

L’EIIL retient l’attention des médias et est la principale cible des attaques de la coalition, mais le Front al‑Nosra prend de l’essor et pourrait être mieux placé pour exercer un pouvoir absolu sur le mouvement djihadiste à long terme.

  • L’EIIL a réussi à s’emparer de territoires, à recruter des combattants et à diffuser de la propagande convaincante. Toutefois, sa brutalité a nui à sa capacité de se faire des alliés parmi d’autres groupes djihadistes.
  • Jusqu’à récemment, les combattants de l’EIIL mourraient en très grand nombre. Le recrutement a baissé légèrement et les défections augmentent. Les bombardements et les pertes sur le terrain ont coupé une partie des sources de revenus du groupe, ce qui l’aurait obligé à réduire de moitié la solde des combattants.
  • Le Front al‑Nosra a profité des attaques contre l’EIIL, celles‑ci lui ayant laissé presque complètement le champ libre pour mener des offensives. Jusqu’à maintenant, il a dénoncé la brutalité flagrante des méthodes de l’EIIL. Il est donc devenu beaucoup plus acceptable aux yeux des populations locales, et d’autres groupes sont plus susceptibles de fusionner avec lui ou de s’y allier.
  • Les deux groupes sont fermement engagés dans le djihad violent. Al‑Qaïda a une politique d’attaque qui vise plus explicitement l’ennemi lointain. Quant à l’EIIL, alors qu’il tente de consolider son soi‑disant califat, il est moins porté à l’heure actuelle à vouloir s’en prendre à des cibles lointaines. Il est possible de faire valoir qu’un groupe finira par exercer sa suprématie sur l’autre ou que les deux groupes fusionneront. Toutefois, il est difficile d’entrevoir un scénario où les menaces que ces groupes font peser sur l’Occident ou l’effet déstabilisateur qu’ils ont sur le Moyen‑Orient et ailleurs seraient réduits. Le Front al‑Nosra semble être le mieux placé pour dominer à plus long terme.

L’EIIL a eu énormément de succès dans le recrutement de combattants étrangers. Si la plupart d’entre eux proviennent du Moyen‑Orient, un nombre important est issu d’Europe. Quelques-uns viennent aussi d’Amérique du Nord et d’Asie.

  • L’attrait religieux qu’exerce l’EIIL repose sur plusieurs facteurs : l’utopie promise au sein d’un califat; l’union des sunnites qui luttent contre la persécution et la conspiration; l’appel au djihad; et une vision apocalyptique.
  • Les recruteurs de l’EIIL établissent un contact personnel avec de nombreuses recrues au moyen d’Internet en diffusant des messages soigneusement conçus de manière à jouer sur la psychologie humaine. Les organes de propagande officiels contribuent d’ailleurs à renforcer ces messages.
  • L’EIIL recrute les hommes en se servant de différents arguments religieux comme outils de persuasion, en leur promettant une aventure militaire, des esclaves sexuelles ou des femmes et en faisant miroiter la possibilité d’acquérir un certain pouvoir personnel et de commettre des actes de violence à l’appui d’une cause juste. Les femmes sont souvent attirées par la perspective d’une vie dans un monde utopique et d’une union avec un héros de guerre.

De nombreux combattants étrangers meurent au combat. D’autres sont désillusionnés et cherchent à regagner leur pays d’origine.

  • Les promesses faites dans la propagande de l’EIIL constituent la principale cause de désillusion. Au lieu de trouver un monde idéal où règne la fraternité entre musulmans, de nombreux combattants se heurtent à des querelles intestines et à un milieu où corruption, brutalité excessive et hypocrisie sont monnaie courante. Beaucoup de combattants étrangers ont l’impression de servir de chair à canon.
  • Leurs pays d’origine cherchent à tirer parti de cette désillusion. Bon nombre d’entre eux ont des programmes de déradicalisation à l’intention des combattants ou des combattants en puissance.
  • Ce sont les parents qui le plus souvent dénoncent les individus soupçonnés d’être en train de se radicaliser. Les programmes de déradicalisation sont intensifs et longs; certains disent qu’il faut jusqu’à neuf ans pour qu’un individu déradicalisé retrouve une certaine stabilité.
  • Les messages utilisés pour le recrutement et l’endoctrinement devancent les tentatives de déradicalisation et avertissent les recrues des méthodes qui seront employées à cette fin. Beaucoup de combattants demeurent radicalisés à leur retour, même ceux qui semblent d’abord ouverts à la déradicalisation, et continuent donc de représenter une menace.

Alors que la présence en ligne de l’EIIL retient beaucoup l’attention, le pouvoir absolu que le groupe exerce sur les communications en ligne et hors ligne dans les territoires qu’il contrôle est encore plus important.

  • L’appareil médiatique de l’EIIL est très étendu—le groupe mène en moyenne 38 activités de propagande chaque jour – sophistiqué, multilingue et englobe tous les médias.
  • Sur le territoire qu’occupe l’EIIL, les recrues et la population sont assujetties à une propagande continuelle qui vise à les familiariser avec les objectifs et les méthodes de l’EIIL. Lorsqu’il s’établit dans une nouvelle région, le groupe élimine toutes les autres sources d’information, telles que les antennes paraboliques. La propagande incessante à l’intention de ceux qui vivent sur son territoire lui permet de consolider son pouvoir absolu. Ses effets continueront de se faire sentir bien après la fin définitive du conflit en Syrie et en Irak.

L’EIIL et al‑Qaïda rivalisent pour gagner l’appui de groupes à l’étranger. Ces groupes constituent un terreau fertile pour le recrutement de combattants et leur procurent une importance stratégique et des solutions de rechange au cas où leurs bastions seraient la cible d’attaques incessantes.

  • La question de savoir si d’éventuels alliés locaux prêteront allégeance à l’EIIL ou à al‑Qaïda repose souvent sur des facteurs locaux.
  • L’EIIL s’est implanté en Libye, où il contrôle Syrte et une partie du littoral situé près de cette ville. Syrte a accepté la présence de l’EIIL parce qu’en tant qu’ancien bastion de Kadhafi, elle a besoin de protection contre les milices de Misourata de l’opposition. L’EIIL cherche à détruire l’industrie pétrolière, principale source de revenus du gouvernement national.
  • La situation en Libye aurait besoin de l’ouverture d’un dialogue portant sur le secteur de la sécurité et d’un autre axé sur la gouvernance. Les puissances étrangères qui cherchent à intervenir dans ce pays doivent se livrer à un délicat jeu d’équilibre. À moins d’être judicieusement calibrée, une intervention de l’extérieur pourrait aggraver la situation et rendre encore plus difficiles à atteindre la gouvernance efficace et la stabilité.
  • Les rebelles qui s’opposent au régime dans la péninsule du Sinaï en Égypte constituent une force combattante efficace qui ne cesse d’infliger de lourdes pertes à l’armée égyptienne. Jusqu’à maintenant, ils demeurent essentiellement une force locale aux objectifs locaux. S’ils se transformaient en une organisation djihadiste plus ambitieuse, la situation de la Force multinationale et observateurs des Nations Unies deviendrait intenable.
  • L’EIIL et al‑Qaïda rivalisent pour obtenir l’allégeance de groupes d’Indonésie et, jusqu’à maintenant, c’est l’EIIL qui a la haute main. Pour l’instant, les recrues au djihad indonésiennes se rendent en Syrie pour combattre. Toutefois, de nombreux combattants rejoignent aussi le Front al‑Nosra et semblent chercher davantage à acquérir de l’expérience des combats afin de pouvoir renforcer les forces terroristes indonésiennes à leur retour.

L’entrée de la Russie dans le conflit a contribué à accroître l’importance géopolitique de Moscou.

  • Grâce à ses bombardements, la Russie a pu empêcher la défaite de l’Armée syrienne et permettre à celle‑ci de reprendre la majeure partie du secteur densément peuplé de l’ouest de la Syrie. La présence militaire de la Russie et ses systèmes de défense antimissile ont retenu la Turquie d’intervenir plus directement en Syrie et forcé les États‑Unis à s’assurer que leurs forces n’entrent pas en conflit avec celles de la Russie.
  • Le régime Assad doit aussi sa survie à l’Iran, qui lui a fourni des membres des Gardiens de la révolution islamique (GRI) et du Hezbollah libanais, lesquels ont joué un rôle de premier plan dans les combats. Le Hezbollah a de l’expérience des combats en zone urbaine. Les attaques au sol ont été coordonnées avec les bombardements de la Russie.
  • Son intervention en Syrie a permis à Moscou de promouvoir une stratégie géopolitique conçue, entre autres choses, pour fragiliser l’OTAN. La Russie a sauvé son allié de longue date, le régime Assad, et a garanti l’avenir de sa base à Tartous, dans l’est de la Méditerranée, qu’elle envisage d’agrandir. Membre de l’OTAN, la Turquie est maintenant aux prises avec un régime syrien qui effectue un retour en force sous la protection de la Russie, ainsi qu’avec un territoire sous contrôle kurde le long de sa frontière. La paix en Syrie est maintenant impossible sans la participation de la Russie; le prix à payer risque d’être le maintien au pouvoir du régime Assad. Moscou est accusé d’exploiter l’exode de réfugiés vers l’Europe, ce qui crée de la dissension entre les pays européens qui ont imposé des sanctions économiques à la Russie à cause de ses actes d’agression en Ukraine.
  • Même si la Russie réussira peut-être à sécuriser les territoires situés dans le secteur ouest de la Syrie, mesure essentielle à l’avancement de ses intérêts stratégiques, la Syrie, quant à elle, assistera à sa propre destruction en tant qu’État viable. Les opposants modérés au régime n’auront presque plus les moyens de combattre, ce qui permettra à l’EIIL et au Front al‑Nosra d’exercer un contrôle sur la quasi‑totalité du pays.

L’incidence de la guerre en Syrie et en Irak, la résurgence d’al‑Qaïda et la montée en puissance de l’EIIL auront une incidence à long terme sur la politique régionale et mondiale.

  • Le terrorisme inspiré par al‑Qaïda et l’EIIL s’est avéré être un phénomène résilient. La nature de ce dernier risque de changer, mais, à court terme, il faut s’attendre à ce que le niveau de la menace dans la région et à l’échelle internationale demeure élevé.
  • Même si un accord de paix durable est conclu avec la Syrie, les Kurdes syriens tenteront de conserver leurs gains territoriaux le long de la frontière avec la Turquie, ce qui provoquera un conflit de longue durée. L’EIIL et le Front al‑Nosra continueront de contrôler une bonne partie de l’intérieur, ce qui, là aussi, donnera lieu à d’interminables campagnes de violence.
  • La position stratégique de la Turquie a été affaiblie. Avec Bachar el‑Assad au pouvoir, soutenu par la Russie et l’Iran, la Syrie restera une présence hostile dans la région. La Turquie, qui mène déjà une lutte intérieure contre les Kurdes, devra composer avec un mini-État kurde à sa frontière.
  • Les États‑Unis entrevoient la perspective d’un Moyen‑Orient dominé par des régimes autoritaires, dont bon nombre continueront d’être aux prises avec des terroristes. De toute évidence, les choix faciles sont rares dans une zone de conflit extrêmement complexe.

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2018-04-11