Chapitre 4 - L’évolution du rôle et des limites de l’appareil de sécurité de l’Iran

L’appareil de sécurité de la République islamique d’Iran — c’est-à-dire la combinaison des institutions et des organismes responsables de la sécurité intérieure et extérieure du pays, notamment des questions liées à la défense nationale et au renseignement — diffère légèrement de celui d’autres régimes autoritaires parce qu’il allie des institutions révolutionnaires et d’État. Des unités idéologiques, comme les Gardiens de la révolution islamique (GRI), les comités révolutionnaires et les forces irrégulières (hezbollahi), y font contrepoids aux forces étatiques, comme les forces policières et militaires.

Résultat, une force policière et une armée de conscrits qui comptent un grand nombre d’hommes, mais qui sont technologiquement obsolètes, cohabitent avec un réseau de renseignement et des forces paramilitaires qui font double emploi jusqu’à un certain point. La capacité militaire limitée de l’Iran s’appuie sur le discours révolutionnaire anti-impérialiste. C’est la raison pour laquelle les États‑Unis demeurent l’ennemi numéro 1, en dépit de la signature de l’accord sur le nucléaire (Plan d’action global commun, ou PAGC). L’harmonisation actuelle des intérêts américains et iraniens dans la région (la stabilisation de l’Irak, la lutte contre l’État islamique en Irak et au Levant, ou EIIL) n’a pas donné lieu à une réévaluation stratégique. La sécurité nationale est définie dans une large mesure comme étant la sécurité du régime.

À titre de commandant en chef, le Guide suprême nomme les plus haut gradés de l’armée, dans certains cas sur la proposition du président. La surveillance parlementaire de l’armée et des organismes de sécurité est assurée parce que la nomination de tous les ministres, y compris ceux de la Défense, du Renseignement et de l’Intérieur, doit être confirmée par le parlement. Légalement, le ministre du Renseignement doit être un religieux; le ministre de l’Intérieur l’a parfois été lui aussi. La surveillance politique et l’endoctrinement idéologique relèvent des représentants du Guide suprême qui sont présents à tous les échelons et dans tous les bureaux politiques et idéologiques. Ces derniers sont responsables de l’examen idéologique obligatoire des dossiers de tous les fonctionnaires (gozinesh). De plus, la création de bureaux de la sécurité (daftar-e herasat) est obligatoire dans toutes les institutions et les organisations publiques et privées. Dans les organisations militaires, les organismes de protection et de renseignement (daftar/sazeman-e hefazat va ettelaat) servent de services de renseignement et de contre‑espionnage. Dans les forces armées, ces unités viennent s’ajouter aux postes d’état‑major responsables de la sécurité et du renseignement militaire. L’organisme de renseignement et de protection des GRI (sazeman-e hefazat va ettelaat, ou SHE) a pris de l’ampleur sur les plans organisationnel et politique. Dans les Forces d’exécution de la loi de la Republique d’Iran (NAJA), une unité semblable exerce les fonctions de vérification interne et de police d’État. Parmi les autres unités de surveillance figurent les bassidji, milice paraétatique, et les hezbollahi, membres d’une force irrégulière. Ces derniers agissent à titre de police de la morale, mais se sont révélés difficiles à maîtriser. Depuis 1992, ils relèvent d’une organisation-cadre privée appelée Ansar-e Hezbollah, dont le gouvernement Rohani a essayé de réduire l’influence.

Plusieurs lois régissent la coordination et la séparation des responsabilités. Le principal organisme décisionnaire stratégique est le Conseil supérieur de la sécurité nationale (CSSN), à la tête duquel se trouve le président et qui est constitué des principaux ministres et commandants militaires. Les décisions stratégiques sensibles en matière de sécurité sont prises par l’informel « Conseil des chefs des trois pouvoirs » (législatif [chef du parlement], exécutif [président] et judiciaire [chef de la magistrature]). Les décisions relatives à la sécurité intérieure sont prises par le Conseil de sécurité de l’État, dirigé par le ministre de l’Intérieur. Les compétences du ministère de l’Intérieur, des GRI, du ministère du Renseignement et du service de renseignement des GRI empiètent donc les unes sur les autres.

Les services de renseignement iraniens ne sont pas encore totalement réorganisés : ils sont encore un amalgame de la plupart des départements de l’ancienne SAVAK et de forces révolutionnaires. Légalement, le ministère du Renseignement (VAJA) devrait être le service de renseignement central responsable de la sécurité intérieure et de la reconnaissance stratégique, exception faite des affaires militaires. Sa création en 1984 s’est faite au détriment de la première unité de renseignement des GRI, qui a dû y muter ses meilleurs éléments et a été réduite à une simple unité de renseignement militaire pendant la guerre. Ce geste a jeté les bases de la profonde hostilité institutionnelle entre le VAJA et les GRI, ces derniers essayant de restreindre les compétences du VAJA dans le domaine de la sécurité intérieure.

Les Forces armées de la République islamique d’Iran (AJA) ne sont responsables que de la défense militaire et ne jouent aucun rôle dans la sécurité intérieure. À l’origine, elles étaient divisées en trois armées : terre, mer et air. En 2009, le composant de la défense aérienne a été séparé de la force aérienne et uni à son pendant chez les GRI, ce qui a entraîné l’ajout d’une quatrième armée. Cette transformation du Quartier général du Commandement de la défense aérienne (qarargah) Khatamolanbiya de 12 000 hommes en une armée en bonne et due forme montre bien la nature défensive de la doctrine militaire iranienne. L’armement est composé en partie de systèmes de missiles désuets, mais Téhéran a lancé un programme de modernisation en 2007 lorsque le système de missile russe Tor-M1 a été mis en service, programme qui semble maintenant terminé depuis la mise en service du système de défense antiaérienne S‑300. La Force aérienne iranienne n’a jamais pu compenser les pertes de matériel et de pilotes expérimentés qu’elle a subies pendant la guerre. La plupart de ses appareils sont d’origine américaine, mais elle possède aussi des appareils russes, dont plusieurs Mig29 et Sukhoï. La Marine iranienne est active à l’intérieur et à l’extérieur du golfe Persique. En coopération avec les vedettes rapides équipées de missiles de la Marine des GRI, elle empêche les navires ennemis de pénétrer dans les eaux territoriales de l’Iran. Ses capacités tactiques et militaires ne sont pas très impressionnantes et son aventurisme a souvent provoqué des incidents navals.

La fusion de la police, de la gendarmerie et des troupes frontalières avec les comités révolutionnaires a mené à la création des NAJA en 1992. La dissolution des redoutés comités révolutionnaires a été bien accueillie par la population et marque le début de la phase postrévolutionnaire. Les troupes frontalières des NAJA ont une forte identité qui leur est propre. Les bataillons de garde-frontières sont équipés de véhicules utilitaires sport (VUS) armés de multiples lance-roquettes. La détérioration de la situation sur la frontière orientale avec le Pakistan en 2013-2014 a obligé les GRI à intervenir.

Les GRI ont été créés à la suite de la fusion de diverses milices islamistes fidèles à l’ayatollah Khomeini. Utilisés au départ comme service de sécurité intérieure, ils se sont militarisés lorsque la guerre Iran-Irak a éclaté en 1980. En 1982, les bassidji (Basij-e Mostazafin) ont été créés comme force de réserve. Ils s’acquittent des fonctions de police auxiliaire et imposent une idéologie de masse. Ils reçoivent leur formation idéologique, militaire et policière des GRI, mais ont une vie institutionnelle propre. Dès le départ, les bassidji ont été utilisés comme élément additionnel de surveillance et de contrôle de la population. Ils se sont rendus tristement célèbres pour leurs contrôles de la morale ou de la pudeur (gasht-e ershad) et leurs activités dans les universités et les écoles. Les membres des bassidji bénéficient de nombreux privilèges et avantages, particulièrement dans le domaine de l’enseignement supérieur. Les bassidji sont aussi actifs dans le cyberespace de nos jours, où ils font surtout de la surveillance. La guerre électronique en tant que telle relève toujours du ministère du Renseignement.

La Force aérienne et la Marine des GRI ont été créées en 1985. Leurs forces terrestres, qui étaient organisées en 15 divisions jusqu’en 2009, sont maintenant subdivisées en 31 commandements régionaux, tous axés sur la sécurité intérieure. De nos jours, les GRI comptent cinq armées : terre, air, mer, bassidji et Force al-Qods. Les forces terrestres des GRI comptent plusieurs unités spéciales, comme l’unité antiterroriste (Ansar Al‑Mahdi) et l’unité responsable de la sécurité du Guide suprême (Vali Amr). La Force al-Qods est utilisée pour protéger les intérêts iraniens partout dans le monde, par exemple en Bosnie et au Liban dans les années 1990, ou en Irak et en Syrie depuis 2010. Elle a subi de lourdes pertes de 2013 à 2015 et a été remplacée dans une large mesure par les forces spéciales de l’armée, les prestigieuses takavor, sur lesquelles on ne sait pas grand-chose. Le SHE demeure indépendant des GRI.

Les GRI supervisent le prestigieux programme de missiles qui relève de leur Force aérienne, par ailleurs insignifiante. Téhéran est en mesure de produire un nombre inconnu de missiles à courte portée de type Shahab-1 ou 2 (basé sur le SCUD nord‑coréen) et a testé un missile à moyenne portée (Shahab-3 ou Ghadr-1, basé sur le No‑Dong nord-coréen). Le Sajil-1, un missile à deux étages à propergol solide qui pourrait atteindre Israël et le sud-est de l’Europe, suscite d’importantes craintes à l’échelle internationale, de même que la possibilité qu’il soit un premier pas vers un programme de missiles balistiques intercontinentaux.

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