Chapitre 9 - Relations entre les États Unis et l'Iran : perspectives d'avenir

On m’a demandé d’examiner l’avenir des relations entre les États‑Unis et l’Iran. La tâche est très loin d’être facile, surtout si l’on considère le bilan assez lamentable à ce chapitre des analystes occidentaux. Combien de fois avons‑nous entendu parler de l’effondrement imminent de la République islamique au cours des quatre dernières décennies? Combien de fois aussi avons‑nous entendu dire que le Guide suprême, l’ayatollah Ali Khamenei, faisait preuve d’un anti‑américanisme incorrigible et qu’il tenait à tout prix à fabriquer une bombe nucléaire? Et combien de fois nous a‑t‑on avertis qu’il ne négocierait jamais un accord nucléaire avec les États‑Unis? Ce qui complique les choses encore plus, c’est qu’un événement imprévu aux États‑Unis ou en Iran, semblable aux attentats terroristes du 11-Septembre, pourrait fondamentalement changer nos prévisions actuelles concernant les relations entre les deux pays. Une certaine humilité s’impose donc dans toute évaluation de ces relations.

Ainsi, au lieu de faire des prédictions, je me contenterai d’examiner certains des principaux facteurs qui sont susceptibles de façonner les relations entre l’Iran et les États‑Unis au cours des cinq à dix prochaines années.

On ne risque pas d’assister de sitôt à une normalisation des relations houleuses et toxiques qu’entretiennent les États‑Unis et l’Iran. Cependant, l’accord nucléaire, ou le Plan d’action global commun (PAGC), conclu par l’Iran et le P5+1 en 2015 semble avoir ouvert la voie à une possible embellie des relations entre les deux pays au cours des prochaines années. La route risque toutefois d’être cahoteuse, puisqu’il faudra du temps pour dissiper une animosité vieille de 37 ans. De ce fait, il n’est pas exclu non plus que l’antagonisme entre les deux pays refasse surface. Cela dit, je suis d’un optimisme très prudent lorsque j’affirme que les relations futures entre les États‑Unis et l’Iran risquent peu d’être aussi hostiles que par le passé et qu’elles s’amélioreront probablement si les deux camps arrivent à établir des mécanismes institutionnels capables de gérer les conflits futurs. Après tout, un rapprochement serait essentiel à la mise en œuvre réussie de l’accord nucléaire, laquelle est dans l’intérêt des deux parties. Ainsi, il serait difficile pour Washington et Téhéran de maintenir leurs politiques d’hostilité réciproque tout en demeurant bien résolus à mettre en œuvre le PAGC.

Facteurs à surveiller

Élection présidentielle de 2016 aux États‑Unis. Le Parti républicain s’est catégoriquement opposé au PAGC. Pendant la saison des primaires, tous les candidats du Grand Old Party ont exprimé leur vive opposition à l’accord conclu avec l’Iran, la plupart d’entre eux ayant promis de le tailler en pièces. Selon Donald J. Trump, maintenant candidat du Parti républicain, l’accord nucléaire est la « pire entente » jamais conclue par les États‑Unis. Il a d’ailleurs promis de le renégocier, sans doute dans le but d’obtenir de « véritables concessions » de l’Iran. Il a même insinué à l’occasion qu’il rejetterait complètement l’accord.

Pour sa part, Hillary R. Clinton, aujourd’hui candidate présidentielle du Parti démocrate, soutient l’accord nucléaire. Toutefois, elle a promis d’« endiguer l’Iran », stratégie qui engendrerait vraisemblablement de vives tensions entre Téhéran et Washington et pourrait mettre en péril l’accord nucléaire dans son intégralité. Sous une administration Clinton ou Trump, maintiendra‑t‑on la stratégie du président Obama, qui visait à aider l’Iran à reprendre une place sur l’échiquier mondial, ou adoptera‑t‑on de nouvelles stratégies susceptibles de fragiliser l’accord nucléaire?

Opposition américaine à l’Iran. Peu importe qui sera le prochain président, les Américains manifesteront une opposition farouche à l’Iran. Une multitude de facteurs, dont la crise des otages en 1979, le slogan regrettable et futile « mort à l’Amérique » scandé en Iran et la politique de soutien des milices irakiennes qui ont tué des soldats américains en Irak adoptée par Téhéran, ont donné naissance à un mouvement anti‑iranien aux États‑Unis. Ce mouvement s’est opposé à l’accord nucléaire avec l’Iran, mais n’a pas réussi à le bloquer. Bon nombre de ses partisans se sont maintenant réorganisés et semblent déterminés à empêcher une amélioration des relations avec Téhéran. Selon toute apparence, ils voudraient faire en sorte que l’accord nucléaire demeure un simple accord de contrôle des armements et éviter que ne s’amorce un processus de détente entre Téhéran et Washington. Bien que ce mouvement ait de meilleures chances de succès sous un président républicain, il continuera probablement aussi d’exercer une certaine influence sous une présidente démocrate. À ce chapitre, il convient d’examiner l’extrait suivant d’un récent rapport bipartite du Center for a New American Security :

D’abord, Téhéran doit comprendre que Washington ne s’attend pas à ce que l’accord nucléaire modifie la relation avec le gouvernement d’Iran. Ce dernier ne doit pas fonder ses espoirs de détente ou d’un plus grand accès aux États‑Unis sur cet accord. Si l’Iran choisit de modifier les politiques dangereuses qu’il applique dans la région, Washington accueillera favorablement ces changements. Toutefois, cela ne fait pas partie de l’accord, et la perspective d’un tel changement n’influera pas sur la détermination des États‑Unis à empêcher toute violation de l’accord, qu’elle soit majeure ou mineureNote de bas de page 21.

Élection présidentielle de 2017 en Iran. Les ultraconservateurs iraniens se sont vivement opposés au PAGC. Bon nombre d’entre eux estiment que l’Iran a capitulé et a fait trop de concessions à l’Occident. Ils ne sont pas non plus très enthousiastes à l’idée d’une embellie des relations avec les États‑Unis. Arriveront‑ils à désigner pour l’élection présidentielle de 2017 un candidat populaire capable de défaire le président Hassan Rohani, qui a négocié l’accord nucléaire? Leurs chances de succès sont minces, étant donné que tous les présidents iraniens, à l’exception notable de M. Abolhassan Bani Sadr, ont été réélus, et que la majeure partie de l’électorat est favorable àl’accord nucléaire et à l’amélioration des relations avec l’Occident. Toutefois, même si Rohani perd, il est peu probable que le nouveau président sabotera l’accord, étant donné que l’entente conclue avec le P5+1 était fondée sur un consensus parmi les factions les plus puissantes de la classe dirigeante, dont le Guide suprême.

Un nouveau Guide suprême. L’ayatollah Khamenei, âgé de 77 ans, est au pouvoir depuis 1989. Il a habilement réussi à consolider son pouvoir et est devenu le décideur suprême. Les forces de sécurité et l’armée demeurent sous son commandement personnel et n’ont manifesté aucun signe de déloyauté à son égard. Tant qu’il restera au pouvoir, la réouverture d’une ambassade des États‑Unis à Téhéran est très peu probable. Khamenei éprouve depuis toujours une profonde méfiance à l’égard des États‑Unis, qu’il qualifie d’impérialistes et d’arrogants. Il serait toutefois disposé à entretenir des relations limitées et contrôlées avec Washington afin de régler des problèmes régionaux particuliers, comme la guerre civile sanglante en Syrie.

Les élections de 2016 à l’Assemblée des experts, qui a le pouvoir constitutionnel de choisir le Guide suprême, n’a donné lieu à aucune réorganisation majeure des forces au sein de ce puissant organisme, étant donné qu’il continue d’être dominé par des conservateurs. Si un nouveau Guide suprême est choisi en Iran au cours de la prochaine décennie, il s’agira vraisemblablement d’une personne à laquelle les principales factions composant l’élite dirigeante seront favorables. S’il serait futile de tenter de déterminer qui sera le prochain Guide suprême, cette personne restera vraisemblablement bien décidée à mettre en œuvre l’accord nucléaire, pourvu que les États‑Unis  et l’Occident maintiennent eux aussi leur engagement. Le Bureau du Guide suprême est tellement inextricablement lié aux institutions des Gardiens de la Révolution islamique et aux services de renseignement, qui ont tous approuvé l’accord nucléaire, qu’il est peu probable que le nouveau Guide modifie fondamentalement et rapidement l’orientation générale de la politique étrangère iranienne.

Opposition régionale à l’amélioration des relations entre les États‑Unis et l’Iran. Ironiquement, les deux principaux alliés des États‑Unis au Moyen‑Orient, soit Israël et l’Arabie saoudite, se sont opposés à l’accord nucléaire. Les Saoudiens ont toutefois adopté une attitude beaucoup plus intransigeante à l’égard de l’Iran. Ils reconnaissent que l’accord pourrait contribuer à transformer la relation qui existe entre l’Iran et l’Europe ainsi qu’entre l’Iran et les États‑Unis. Au cours des négociations, les Saoudiens ont tenté inlassablement d’empêcher que l’on trouve une solution diplomatique à l’impasse nucléaire. Une fois que l’accord historique a été conclu, l’Arabie saoudite a pris la tête d’une soi‑disant coalition anti‑iranienne qui accuse l’Iran d’être le principal responsable de l’agitation qui perdure au Moyen‑Orient. L’objectif stratégique ultime des Saoudiens est d’empêcher tout rapprochement entre l’Iran et les États‑Unis. Ils soutiennent que l’accord nucléaire n’a visiblement pas amené l’Iran à mettre fin à ses activités malfaisantes dans la région. N’ayant plus d’attentes à l’égard du président Obama, les Saoudiens, qui se sont aussi rapprochés d’Israël, espèrent que le prochain président des États‑Unis imposera une nouvelle série de sanctions à l’Iran et qu’il établira une nouvelle stratégie d’endiguement. Ils se serviront de leur influence financière impressionnante pour empêcher une éventuelle détente. Toutefois, si Téhéran et Washington décident d’améliorer leurs relations, les Saoudiens ne pourront qu’entraver leurs efforts, mais n’arriveront pas à les annihiler.

Objectifs régionaux partagés par Washington et Téhéran. Bien que certains alliés des États‑Unis s’opposent fortement à toute amélioration des relations avec l’Iran, les objectifs communs des deux pays dans le Moyen‑Orient élargi ont de fortes chances de mener à une forme de détente. Ils veulent tous les deux un Afghanistan stable, libéré de l’emprise des talibans. Depuis la chute des talibans en 2001, l’Iran et les États‑Unis ont, plus que les autres pays du Golfe Persique, soutenu les gouvernements qui se sont succédé à Kaboul. En Irak également, Téhéran et Washington, malgré leurs profonds différends, notamment en ce qui concerne l’armement des milices chiites par l’Iran, ont souvent soutenu le même gouvernement à Bagdad. Ils sont également favorables à la protection de l’intégrité territoriale de l’Irak.

L’Iran et les États‑Unis partagent aussi un autre objectif, soit de vaincre les extrémistes violents, dont l’État islamique en Irak et au Levant (EIIL) qui considère les États‑Unis et l’Iran chiite comme ses ennemis les plus redoutables. Téhéran et Washington cherchent également à venir à bout d’al‑Qaïda, qu’ils considèrent comme une menace pour la sécurité nationale.

Téhéran et Washington se trouvent, il va sans dire, dans des camps opposés dans la guerre civile dévastatrice qui fait rage en Syrie, laquelle a causé la mort d’au moins 300 000 personnes et a provoqué le morcellement quasi total du pays.

Washington reconnaît de plus en plus que même si l’Iran n’a pas le pouvoir de façonner l’avenir du Moyen‑Orient, il ne peut être marginalisé ou exclu de toute entente de sécurité future visant à amener la stabilité en Irak, en Syrie, au Liban et en Afghanistan. Le prix à payer serait très élevé. Quant à Téhéran, il reconnaît que les États‑Unis sont l’unique superpuissance mondiale et qu’il doit négocier avec Washington pour régler les principaux problèmes qui affligent la région. Ces facteurs expliquent pourquoi Washington a fini par inviter l’Iran à participer aux négociations de paix visant la Syrie et pourquoi l’Iran a accepté l’invitation avec enthousiasme.

Dire que les pays n’ont pas d’amis permanents, mais plutôt des intérêts permanents relève peut-être du cliché, mais ce sont les intérêts nationaux de l’Iran et des États‑Unis, plutôt que leurs profonds différends, qui sont susceptibles d’être à l’origine d’une détente entre les deux pays au cours de la prochaine décennie.

Détails de la page

Date de modification :