Sommaire

Aperçu

  • On croit généralement que l’Iran est au seuil d’un changement majeur étant donné que la révolution est bien amorcée depuis près de quarante ans et qu’elle commence à ressentir son âge.
  • La conclusion de l’accord nucléaire donne à penser que l’Iran est peut‑être disposé à établir des relations avec les États‑Unis. Les rapprochements ne se feront toutefois pas automatiquement ou facilement.
  • Nombreux sont ceux qui croient que la situation internationale de l’Iran s’améliore, alors que d’autres estiment que Téhéran exploite sa position de faiblesse et profite des erreurs des autres, mais que de sérieuses lacunes structurelles l’empêchent de se tailler une place plus importante sur l’échiquier régional et mondial.
  • Même si elle s’inscrit de plus en plus dans un cheminement logique, une réforme majeure en Iran n’est pas garantie – le régime iranien s’est montré particulièrement habile à se tirer d’affaire tant bien que mal et à échapper au besoin d’apporter des changements radicaux. Le maintien du statu quo est donc possible.

Situation politique en Iran

  • La façon dont les factions sont classifiées en Iran (« modérés », « pragmatiques », « réformateurs » « radicaux », etc.) pourrait ne plus s’appliquer. En fait, les étiquettes que nous utilisons en Occident pour désigner ces divers groupes en disent autant sur notre compréhension de l’Iran et nos espoirs à son égard que sur la façon dont les Iraniens perçoivent la situation réelle sur le terrain.
  • Compte tenu du paysage politique actuel, il y aurait peut‑être lieu plutôt de diviser les principales forces politiques en Iran entre celles qui, à divers degrés, soutiennent la prédominance des aspects théocratiques de l’actuel régime et celles qui, à divers degrés aussi, souhaitent voir une montée progressive des éléments républicains du régime iranien.
  • Même si les dirigeants voient les partis politiques organisés comme une menace éventuelle à leur pouvoir, ils ne pourront probablement pas en empêcher la création indéfiniment. Si de tels partis finissent par voir le jour, la façon dont ils seront organisés et dirigés aura une incidence importante sur l’évolution du régime.
  • La plupart des observateurs croient que l’actuel Guide suprême se retirera du paysage politique d’ici quelques années à cause de son âge et de la maladie. Dans cette éventualité, le choix du processus pour lui trouver un successeur constituera un moment déterminant pour le régime.
  • Même si la constitution prévoit un processus de remplacement précis, il est peu probable qu’il soit suivi. Le choix d’un remplaçant se fera plutôt par des manœuvres en coulisse.
  • Comme il y a plusieurs factions et intérêts divergents, il se pourrait que l’on confie le rôle de dirigeant à un comité plutôt qu’à un seul homme. Si une seule personne est choisie, les différentes factions pourraient s’entendre sur quelqu’un de plus âgé et donc moins susceptible d’occuper le poste pendant des décennies comme l’a fait l’actuel Guide suprême.

Situation de l’Iran dans la région

  • Selon la croyance populaire en Occident, surtout parmi ceux qui se méfient de l’Iran, ce pays a un plan à long terme dans la région et suit une démarche méthodique pour le réaliser.
  • Toutefois, de nombreux spécialistes de l’Iran estiment que, même s’il déclare avoir de vastes objectifs, l’Iran n’a pas vraiment de politique régionale concrète.
  • Ces experts croient que dans le contexte des querelles intestines de plus en plus nombreuses dans le pays sur les moyens à prendre et les objectifs à poursuivre dans la région, l’Iran improvise, profite des erreurs des autres et réagit au coup par coup à l’évolution de la situation régionale.
  • Plus particulièrement, les conflits internes entre les services de sécurité et de renseignement multidimensionnels et au sein même de ceux‑ci, ainsi qu’entre ces services et les autres forces faisant partie du paysage politique de l’Iran, signifient que différents centres de pouvoir en Iran prennent des mesures à l’échelle de la région qui ne sont pas nécessairement le fruit de décisions stratégiques concertées ou même coordonnées.
  • Même s’il a réussi à s’immiscer dans les conflits en Irak et en Syrie, l’Iran y joue surtout un rôle défensif et tente de trouver un juste milieu entre des objectifs contradictoires. Il peut sans doute maintenir ce jeu à court terme, mais à long terme, son succès est loin d’être garanti.
  • Par exemple, l’Iran a besoin que l’Irak demeure faible afin de ne plus jamais constituer une menace, mais il ne peut non plus accepter l’effondrement de ce pays qui déclencherait des forces centrifuges nuisant à ses intérêts fondamentaux. C’est pourquoi certains Iraniens soutiennent le gouvernement central, alors que d’autres appuient les milices qui empêchent Bagdad d’exercer un réel contrôle sur le pays. L’Iran se pose en médiateur entre ces forces tout en attisant les conflits qui les opposent.
  • Peut‑il maintenir indéfiniment ce numéro d’équilibriste délicat et contradictoire? Il faut en douter. Soit un camp sortira vainqueur en Irak, ce qui pourrait avoir des conséquences graves pour l’Iran, soit les forces des deux camps, lasses d’être les pions de Téhéran, trouveront des moyens de collaborer, ce qui minerait également les intérêts de la mollarchie.
  • En Syrie, l’Iran a aidé le régime Assad à survivre. Toutefois, il faut se demander quelle influence cela lui a réellement permis d’exercer. Assad s’est montré très habile à susciter des dissensions entre ses commanditaires et à jouer au plus brave avec eux étant donné qu’ils n’ont d’autre choix que de le soutenir une fois qu’ils s’y sont engagés. L’Iran s’est peut‑être effectivement enlisé dans une situation en Syrie où les rôles sont inversés, c’est‑à‑dire où « la marionnette contrôle le marionnettiste ».
  • La rivalité croissante avec l’Arabie saoudite constitue le plus grand problème pour l’Iran dans la région. Il s’agit, d’une part, d’une rivalité de longue date (remontant à la période précédant la révolution), fondée sur des considérations matérielles (réalpolitik), entre deux États en quête d’hégémonie dans la région et, d’autre part, d’un clivage de plus en plus profond à caractère religieux entre l’islam sunnite et chiite. La plupart des experts estiment que Riyad, dans son cynisme, a alimenté le conflit sectaire beaucoup plus que l’Iran, bien que Téhéran soit loin d’être irréprochable à cet égard. On craint de plus en plus que les dimensions religieuses du conflit, que Riyad a invoquées au départ à son avantage, ne provoquent des débordements et n’en viennent progressivement à enflammer toute la région vu la colère grandissante de la population face à chaque atrocité et atrocité présumée commise par les séides d’un camp ou de l’autre.

 

Situation de l’Iran dans le monde

  • La mise en œuvre de l’accord nucléaire, le Plan d’action global commun (PAGC), ne se fera certainement pas sans heurts. Même si les aspects techniques de l’accord sont complexes, ce sont les jeux politiques internes en Iran qui constitueront le plus grand obstacle à sa mise en œuvre, alors que divers groupes et factions rivalisent les uns avec les autres pour obtenir la suprématie.
  • Ce n’est pas parce que les sanctions directement liées au dossier nucléaire ont été assouplies ou levées au fur et à mesure de la mise en œuvre du PAGC que toutes les sanctions sont tombées. En fait, d’autres sanctions seront imposées ou renforcées à mesure que différents éléments en Iran poursuivront divers programmes régionaux et autres (dont le programme de missiles balistiques). Il faut s’attendre à ce qu’une grande partie de la population iranienne ne soit pas en mesure d’établir les distinctions nécessaires entre les sanctions imposées pour une raison et celles imposées pour une autre. Les détracteurs du PAGC en profiteront alors pour affaiblir progressivement le soutien donné à l’accord.
  • Le Guide suprême demeure extrêmement prudent face à tout élargissement des relations avec l’Occident en général et les États‑Unis en particulier. Il craint la « contamination » de la révolution découlant d’un affaiblissement de la « force morale » qui la soutient et de l’engagement envers l’idéal de la « résistance ». Toutefois, le phénomène a déjà commencé dans une large mesure parce que les jeunes Iraniens en ont assez et ont soif de changement.
  • Alors que certains Occidentaux craignent que l’Iran ne se tourne vers la Russie et la Chine pour en faire des partenaires stratégiques, afin d’éviter d’avoir à apporter les réformes que l’Occident exigera pour qu’une véritable relation s’établisse, les deux pays lui posent de sérieux problèmes.
  • Au fil des siècles, la relation entre la Russie et l’Iran a été bien plus houleuse que celle entre l’Iran et l’Occident. Il se peut que, pour des raisons largement tactiques, l’Iran veuille agir comme si la Russie était un partenaire stratégique, mais Téhéran éprouve depuis longtemps une grande méfiance à l’égard de Moscou. L’Iran reconnaît également que la Russie est un acteur fondamentalement faible sur la scène mondiale, malgré la bravade de Poutine. Ainsi, être anti‑occidental en Iran n’est fondamentalement pas la même chose qu’être pro-Russe, bien que cela puisse sembler être le cas de temps à autre.
  • La Chine est un pays avec lequel l’Iran peut faire des affaires, mais personne à Téhéran n’a l’illusion que Beijing pourrait un jour soutenir vraiment l’Iran dans quelque dossier que ce soit si celui‑ci était contraire à ce que la Chine perçoit comme ses intérêts. Par ailleurs, cette dernière ne tient pas beaucoup compte des besoins de l’Iran lorsqu’elle évalue ses intérêts.
  • Malgré ce pronostic généralement pessimiste, il existe une lueur d’espoir. Comme la plupart des observateurs de l’Iran se concentrent sur les élites, ils ne comprennent pas tellement l’opinion populaire. Les quelques signes qu’on perçoit à cet égard révèlent que la population est agitée et qu’elle est prête à des changements fondamentaux. Une profonde transformation est donc possible vu qu’un dialogue entre les États‑Unis et l’Iran, jusque-là tabou, a été amorcé, que la logique économique porte à croire à une éventuelle ouverture de l’Iran, malgré les tentatives en vue de l’arrêter, et que les intérêts américains et iraniens dans la région convergent, du moins à certains égards, à mesure que les tensions entre les États‑Unis et l’Arabie saoudite augmentent.
  • Toutefois, il n’existe aucun processus concret permettant d’exploiter ces tendances de manière à déclencher un mouvement de changement irrépressible. C’est d’ailleurs exactement le genre de processus que le Guide suprême et plusieurs membres de son entourage tentent de contrer. L’avenir de la relation de l’Iran avec le monde repose sur la mesure dans laquelle l’ayatollah Khamenei arrivera à freiner le changement et sur le temps qu’il restera encore au pouvoir.

Situation économique de l’Iran

  • Il reste à déterminer si la piètre performance économique de l’Iran est surtout attribuable aux sanctions qui lui ont été imposées ou à sa mauvaise gestion de l’économie et à la corruption. Si l’économie ne s’améliore pas à la suite de la levée des sanctions, les défenseurs du PAGC se trouveront dans un grand embarras. D’ailleurs, certains ultraconservateurs voient les sanctions d’un bon œil et cherchent même des moyens de favoriser l’imposition de sanctions supplémentaires afin de pouvoir les invoquer pour expliquer les problèmes économiques qui affligent l’Iran.
  • À tout le moins, compte tenu de l’avenir incertain des sanctions et de la possibilité qu’elles soient rétablies, il est peu probable que des investissements à long terme soient effectués en Iran. Les gens sont prêts à vendre des produits à l’Iran, mais très peu sont disposés à y faire des investissements à long terme de plusieurs milliards de dollars avant d’être sûrs que ceux‑ci ne seront pas anéantis en cas de détérioration soudaine des relations. Ce sont exactement des investissements de ce genre dont a besoin l’Iran, surtout s’il veut moderniser ses installations vieillissantes de production pétrolière et gazière et de transport.
  • Les réformes politiques et économiques sont donc inextricablement liées en Iran. Le président Rohani et ceux qui l’entourent le savent et leur programme politique le reflète d’ailleurs.
  • Il existe des secteurs où une embellie économique est possible. Contrairement à la plupart des pays arabes au Moyen‑Orient, l’Iran compte une véritable classe d’entrepreneurs et d’ouvriers. Le développement de celle‑ci a été retardé et elle a dû survivre dans un environnement artificiel pendant des décennies, mais elle existe néanmoins et s’est révélée être résiliente au fil du temps. Si elle a l’occasion de donner toute sa mesure, elle pourrait stimuler une croissance respectable — pas assez en soi pour sortir l’Iran de la situation précaire dans laquelle il se trouve, mais quand même suffisante pour faire comprendre aux autorités que d’autres réformes économiques et politiques peuvent favoriser la prospérité.

Conclusion

  • À bien des égards, l’Iran se trouve à la croisée des chemins. Des changements politiques importants sont attendus au cours des prochaines années, surtout si le Guide suprême quitte la scène. L’élément éventuellement le plus important : la population est agitée et souhaite des changements.
  • Toutefois, aucun de ces facteurs en soi ne donnera lieu à de profonds changements; de puissantes forces s’y opposent d’ailleurs. Un processus concret et robuste n’a pas encore été mis sur pied pour que les défenseurs du changement puissent exploiter les tendances et mobiliser les forces disparates en quête de changement. C’est là l’ingrédient manquant. Il est difficile de savoir quel événement ou quels développements pourraient effectivement provoquer l’étincelle nécessaire.

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