Analyse du potentiel d’innovation de la Chine

La Chine a augmenté de façon spectaculaire son budget d’innovation et sa participation aux partenariats de recherche bilatérale à l’échelle internationale. Sa stratégie met l’accent sur l’innovation indigène, les coentreprises avec les compagnies étrangères et la modification de technologies occidentales existantes. Toutes ces façons de procéder comportent souvent des risques pour les partenaires. Les coentreprises entraînent une diminution progressive du rôle des entreprises étrangères. Les partenaires chinois reprennent les technologies étrangères et les mettent en marché séparément. Il faut que les entreprises étrangères qui concluent de tels partenariats agissent avec circonspection et conviennent de règles du jeu claires.

La République populaire de Chine (RPC) est-elle une nouvelle superpuissance technologique, comme certains observateurs le laissent entendre? Évidemment, les dirigeants chinois aimeraient bien qu’il en soit ainsi, mais que disent les faits? En réalité, le pays a encore beaucoup de chemin à faire, mais s’il maintient son taux actuel d’investissement dans l’innovation, il se rapprochera de ce statut au cours de la prochaine décennie. Dans l’Indice mondial de l’innovation pour 2017, la RPC occupe la 22e place, alors que les États-Unis sont à la 4e et le Canada à la 18e. Elle est toutefois dans la bonne direction : elle a avancé de trois places par rapport à 2016. Dans son propre indice national de l’innovation 2016-2017, Beijing classe la RPC au 17e rang, soit un rang plus haut que l’an dernier.

La Chine ne figure donc certainement pas parmi les trois premiers, ni même les dix premiers, mais ses dépenses en recherche et développement (R-D) dépassent celles de tous les pays sauf les États-Unis. Elles ont augmenté de 11,6 % en 2017, pour atteindre les 280 milliards de dollars américains. Son objectif est que le ratio des dépenses brutes en R-D au produit intérieur brut (PIB) soit de 2,5 % d’ici 2020, et elle en est maintenant à 2,12 %. D’après les statistiques les plus récentes, le même ratio est de 2,7 % pour les États-Unis et de 1,67 % pour le Canada. Des entreprises et des chercheurs étrangers ont noté les énormes investissements effectués récemment dans les laboratoires, les programmes de détection de talents, les travaux de R-D réalisés par l’industrie et les entreprises en démarrage : ils considèrent une Chine innovante comme une collaboratrice souhaitable à l’heure actuelle, mais qui pourrait devenir une concurrente à moyen ou long terme. C’est pour cette raison qu’il est crucial de déterminer comment nouer le dialogue avec la Chine.

Viser le sommet

Les stratégies et plans exhaustifs de Beijing tracent clairement un avenir dans lequel la Chine se retrouve en tête de l’innovation mondiale. Les grands objectifs qu’elle s’est fixés dans sa stratégie de développement axé sur l’innovation sont décrits ci-après.

  • 2020 : être un pays innovant doté d’un système d’innovation national complet;
  • 2030 : être un leader mondial de l’innovation;
  • 2050 : être un important pôle mondial en sciences, l’innovation étant le facteur clé dans la prise de décisions et la planification institutionnelle.

Le 13e Plan quinquennal pour la science, la technologie et l’innovation de Beijing est un plan exhaustif qui traite de certaines technologies et priorités sectorielles. Il fournit des orientations claires et détaillées à tous les acteurs du système d’innovation chinois. Ces stratégies descendantes, tout comme la stratégie « Fabriqué en Chine 2025 » et le Plan de développement de la prochaine génération d’intelligence artificielle, fournissent des orientations stratégiques aux organismes de financement, aux entreprises et aux chercheurs. Dans leurs messages, le président et le premier ministre de la Chine mettent constamment l’innovation au premier plan du programme du gouvernement.

En plus de ses objectifs ambitieux et de ses dépenses faramineuses, la RPC a entrepris une réforme majeure de tous les aspects de son système d’innovation, en commençant par les programmes de R-D qui font maintenant l’objet de concours au pays. Au cours des trois dernières années, tous les ministères et organismes chinois qui finançaient les travaux de R-D de l’industrie ont mis fin à ces activités et ont été remplacés par cinq secteurs de programmes et sept organismes professionnels indépendants qui gèrent le nouveau processus d’examen par les pairs. Le système de prise de décisions qui en a résulté est beaucoup plus juste et transparent.

Le comité pangouvernemental de coordination de ces énormes changements est dirigé par le vice-ministre Wang Zhigang du ministère des Sciences et de la Technologie (MST) et est soutenu par la puissance Commission nationale de développement et de réforme (CNDR) et le ministère des Finances. En plus de ses responsabilités ministérielles, le vice-ministre Wang est secrétaire du groupe dirigeant du Parti communiste chinois et secrétaire général du Parti au MST, ce qui montre bien l’importance que le Parti accorde à ces réformes.

Des réformes ont aussi été engagées dans les universités et les laboratoires nationaux. Les salaires des scientifiques ont été majorés, le plagiat est réprimé plus énergiquement et les programmes de détection de talents ont été mis à niveau pour attirer les chercheurs les meilleurs et les plus brillants partout dans le monde avec des promesses de nouvelles installations étincelantes et d’équipes composées d’une pléthore de talentueux chercheurs postdoctoraux. Parmi les réformes figurent également l’ouverture de trois tribunaux spéciaux pour les affaires liées aux droits de propriété intellectuelle à Beijing, Shanghaï et Shenzhen, et une gamme complète d’incubateurs et d’accélérateurs pour les jeunes entreprises.

Tous ces signaux descendants très ciblés seront-ils repris et mis en œuvre par la base du système d’innovation? Il est certain que la culture de l’innovation n’est pas profondément ancrée dans les organisations chinoises, notamment les universités. Ainsi, bien qu’elles aient reçu l’ordre d’autoriser leurs professeurs à lancer des entreprises « start-up » fondées sur leurs recherches et à revenir à leur poste d’enseignants plus tard s’ils le désirent, les facultés universitaires pourraient être réticentes à approuver l’utilisation d’innovations universitaires dans le secteur privé de crainte de se faire reprocher ultérieurement d’avoir gaspillé les ressources de l’université.

Il est clair que Beijing prend des mesures importantes pour mettre ses chercheurs et ses entreprises en position de bien contribuer à l’économie axée sur l’innovation de la Chine. De plus, il a rendu obligatoire une collaboration internationale accrue, notamment la participation à des projets de recherche conjoints un peu partout dans le monde et à des centres conjoints de R-D. Il cherche aussi à intervenir et à assumer un rôle de leadership dans les grands projets internationaux de normalisation, notamment dans les domaines de l’espace, des régions polaires et d’Internet. L’ouverture de la RPC à la science internationale offre également des occasions aux chercheurs occidentaux. Par exemple, la Chine investit dans des projets de « mégascience » de calibre mondial qui sont plus gigantesques que ceux des autres pays. Elle a de brillants scientifiques qui entreprennent des recherches en sciences fondamentales dans des laboratoires de pointe dans des secteurs qui pourraient leur valoir le prix Nobel qu’ils convoitent. Des chercheurs de partout dans le monde devraient participer aux travaux menés dans ces installations.

L’Australie a approfondi et élargi ses relations d’innovation avec la Chine au cours de la période qui a mené à la conclusion de son accord de libre-échange avec elle et depuis. Il a été prouvé, cependant, qu’une partie du financement de la R-D du gouvernement de l’Australie a servi à de la recherche associée à l’Armée populaire de libération (APL). Comme la nouvelle politique de la RPC rend obligatoire l’intégration des travaux de R-D civils et militaires, il s’agit d’une dynamique qui risque de s’installer dans d’autres pays au cours des prochaines années à mesure que leurs chercheurs multiplieront les collaborations avec ceux de la Chine. L’Australie a également constaté que, la plupart du temps, les projets conjoints de R-D ne sont pas commercialisés chez elle, les chercheurs australiens d’origine chinoise préférant retourner en RPC et commercialiser leurs innovations là-bas.

Sérieux défis stratégiques pour les entreprises étrangères

Quels résultats les entreprises étrangères obtiennent-elles dans ce nouveau marché chinois dynamique? Une des plus importantes politiques ayant une incidence sur les entreprises occidentales est celle visant à stimuler l’innovation indigène, dont l’objectif est de réduire de 30 % la technologie étrangère sur le marché chinois d’ici 2025. Cette stratégie à trois volets prévoit le développement de l’innovation indigène chinoise, l’intégration de la technologie des entreprises étrangères dans des sociétés chinoises au moyen de coentreprises, de fusions et d’acquisitions, ainsi que la « ré-innovation », c’est-à-dire la modification de la technologie occidentale pour la rendre chinoise.

Les entreprises étrangères voient les compagnies chinoises faire de plus en plus d’efforts pour acquérir leur technologie, de façons qui pourraient menacer leur viabilité même à plus long terme. Des compagnies comme Hewlett-Packard, Cisco et Microsoft, qui ont par le passé connu un grand succès en Chine grâce à des entreprises 100 % sous contrôle étranger, ont été obligées de vendre une participation majoritaire de leurs affaires en Chine à un partenaire chinois ou de sortir complètement du pays. Il y a eu des cas de transfert forcé de technologies à une entreprise chinoise ainsi que de « ré-innovation » de technologies occidentales pour le marché chinois et même certains cas de vente dans des marchés étrangers : CRRC, le partenaire chinois de Siemens et de Bombardier, vend maintenant leurs modèles de rails en Europe et en Amérique du Nord. De plus, des investissements massifs peuvent fausser des secteurs technologiques, par exemple les 150 milliards de dollars américains que la Chine a annoncé qu’elle investirait entre 2016 et 2025 dans le secteur des semiconducteurs afin de ramener sous la barre des 30 % la part étrangère du marché chinois qui est actuellement de 91 %.

Les coentreprises représentent un cas intéressant. Tout en continuant de parler d’ententes commerciales gagnant-gagnant, Beijing a adopté depuis 2016 un modèle dans lequel les entreprises chinoises qui concluent des partenariats avec des entreprises étrangères doivent être propriétaires à plus de 50 % de la coentreprise. La participation chinoise peut souvent atteindre les 70, 80 ou 90 %. Il existe encore de vieilles coentreprises appartenant à parts égales à des compagnies occidentales qui sont en Chine depuis des années ou qui sont actives dans un secteur technologique dont la Chine a clairement besoin. Les nouvelles coentreprises, cependant, appartiennent majoritairement à des intérêts chinois et sont souvent assujetties à d’autres conditions : la fabrication doit être faite en RPC; la marque doit être chinoise; la coentreprise chinoise peut vendre à des tiers pays; le produit vendu comporte des pièces de moindre qualité (ce qui peut entacher la réputation de qualité du partenaire étranger); les droits de propriété intellectuelle de base de la compagnie occidentale doivent être partagés, mais pas ceux du partenaire chinois.

Que deviendront ces ententes à moyen ou long terme? Il y a eu des cas dans lesquels le partenaire chinois a exercé des pressions pour détenir une participation toujours plus grande de la coentreprise, jusqu’à ce que la compagnie étrangère n’ait plus de fonds propres ou presque dans l’entente, mais où la coentreprise chinoise continue d’utiliser ses technologies et d’empocher les profits. Ce problème est particulièrement grave dans le cas des entreprises technologiques en raison de la politique de l’innovation indigène, mais une dynamique semblable a été constatée dans d’autres secteurs, dans lesquels la compagnie étrangère ne possède plus qu’une fraction de ce qui a déjà été une entreprise contrôlée à 100 % par des intérêts étrangers en Chine. Par exemple, la chaîne de restauration rapide McDonald’s ne possède plus que 20 % de son entreprise en Chine continentale, à Hong Kong et à Macao.

Dans certains cas, la compagnie étrangère a négocié des arrangements spéciaux. Il peut s’agir de la fabrication en Occident d’une composante clé qui est ensuite expédiée en Chine pour être insérée dans le produit technologique fabriqué là-bas, ou d’un « super droit de vote de l’actionnaire minoritaire » au conseil de la coentreprise afin qu’il puisse davantage avoir son mot à dire dans les décisions importantes, si on parvient à s’entendre sur ce qui est important. Les entreprises, particulièrement les petites et moyennes, ont besoin de conseils pour comprendre comment elles peuvent avoir accès aux promesses du marché chinois sans être victimes de négociations agressives. Elles doivent avoir une vue d’ensemble de ce à quoi elles peuvent s’attendre et de la meilleure façon de réussir à court terme et de se protéger pour être présentes à plus long terme en Chine.

Les entreprises technologiques américaines plus particulièrement n’ont pas hésité à dénoncer les pressions exercées sur elles dans le marché chinois. L’enquête de la Section 301 du représentant au Commerce des États-Unis visant à déterminer si les politiques et les pratiques de la Chine en matière de transferts de technologies et d’innovation sont déraisonnables et discriminatoires et si elles écrasent ou restreignent le commerce américain constitue un pas important. Reste à voir quelles mesures seront prises à la lumière de ses conclusions.

Les gouvernements étrangers doivent décider s’ils interviennent ou non, et dans l’affirmative quand, face aux investissements chinois dans des entreprises technologiques étrangères, qui apportent des capitaux très nécessaires, mais peuvent avoir des répercussions sur les emplois et sur la sécurité nationale à plus long terme. La vente de Kuka Robotics à des intérêts chinois pour la somme de 3,7 milliards de dollars américains a été un avertissement pour l’Allemagne et l’Europe en général, surtout parce qu’elle a donné accès aux données de tous les clients de Kuka partout dans le monde. Des craintes ont aussi été exprimées en Europe au sujet de l’acquisition par des intérêts chinois de la Suédoise Silex Microsystems, fabricante de puces électroniques, et de l’Allemande Aixtron Semiconductors. De leur côté, les États-Unis ont bloqué la vente de Lattice Semiconductors à des intérêts chinois.

Certains ont demandé que le principe de réciprocité serve de guide de l’investissement dans le secteur technologique, compte tenu surtout de la liste négative de la Chine, publiée par la CNDR et le ministère du Commerce. Cette liste donne le détail des « industries dans lesquelles l’investissement étranger est restreint », notamment l’exploration et l’exploitation pétrolière et gazière, les télécommunications, l’automobile, la construction navale et les assurances. Les investissements étrangers dans certains de ces secteurs ne sont permis que si la compagnie non chinoise est une coentreprise contractuelle et que le partenaire chinois est majoritaire. Une liste distincte porte sur les secteurs dans lesquels l’investissement étranger est carrément interdit, comme l’amélioration génétique des cultures, le développement de cellules souches, le diagnostic génétique, la prospection et l’exploitation de nombreux minéraux, la production de combustibles nucléaires, la fabrication d’armes, l’arpentage sous toutes ses formes, tous les aspects de la publication de livres, de la production audio, vidéo, radio et télévisée, de la production de satellites, de la réalisation de films, de la publication en ligne et des nouvelles sur Internet ainsi que les « instituts de recherche en sciences humaines et sociales ». Il y a au total 63 secteurs restreints ou interdits.

Malgré les préoccupations susmentionnées, de multiples mécanismes permettent aux chercheurs et aux entreprises de collaborer en toute sécurité avec la Chine dans les secteurs des sciences, de la technologie et de l’innovation. L’établissement de relations de confiance à long terme, des paramètres de collaboration clairs, la participation d’employés sinophones dignes de confiance ainsi que des conseils juridiques et stratégiques d’experts sont autant d’éléments essentiels. Les gouvernements peuvent soutenir le tout en élaborant des règles claires de participation aux négociations commerciales et aux ententes bilatérales et multilatérales.

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