Indice synthétique de mesure en temps réel du bien-être des travailleurs à faible revenu pour une meilleure gestion des finances personnelles

Par : Ibrahima II Diallo
DBA program
Département Finance, École de gestion
Université de Sherbrooke

© 2021 Ibrahima II Diallo. Tous droits réservés.

Introduction

Depuis les travaux initiaux de Campbell, Converse et Rodgers (1976) sur la qualité de vie américaine, le bien-être financier (ou financial well being, FWB) des populations continue d’occuper l’espace politique et scientifique. Car une importante détresse financière et un faible niveau de FWB produisent des effets combinés aussi bien sur la santé que la productivité de l’emploi (Prawitz et al., 2006). C’est pourquoi les organismes tels que l’Agence de la consommation en matière financière du Canada (ACFC) et le Consumer Financial Protection Bureau (CFPB) font des enquêtes sur le FWB afin de faciliter la mise en place des politiques de protection sociale et de littératie financière (pour en savoir plus, voir Le bien-être financier au Canada de l’ACFC). Par exemple, les résultats de l’enquête de l’ACFC sur le bien-être financier au Canada indiquent un score moyen de 66 % en 2019. Bien que les résultats de ces enquêtes donnent, à une date précise, une idée générale sur le FWB de la population, ils masquent néanmoins les disparités entre les régions, les groupes sociaux, voire les individus. Il serait donc important que chaque personne puisse connaitre instantanément son score de FWB, pour améliorer la gestion de ses finances personnelles, sans recourir aux services d’un planificateur financier. Ceci peut bien se réaliser avec l’émergence des Technologies financières (Fintechs), mais à condition de bien définir et mesurer le FWB.

Le présent essai s’inscrit donc dans cette dynamique. Plus précisément, on propose de développer un indice synthétique capable de mesurer en temps réel le score de FWB individuel, notamment des travailleurs canadiens à faible revenu de 30 à 50 ans. Ce genre de groupe suscite un intérêt crucial, car il fait face à des défis de gestion financière aux tout premiers stades de leur carrière (Vlaev et Elliott, 2014). En outre, leur FWB peut être influencé par celui des adultes émergents (Sorgente et Lanz, 2017). Enfin, bien que le score moyen du FWB soit de 66 %, un nombre important de Canadiens vivent régulièrement avec du stress à cause de leurs finances (ACFC, 2019). Le stress affecte les travailleurs canadiens de tous les niveaux de revenu et de tous les groupes d’âge. En effet, ils sont 48 % à affirmer avoir perdu le sommeil en raison de soucis financiers (FP Canada, 2018) et 45 % à ressentir un stress lié à leur situation financière personnelle ou de celle du ménage (Sun Life Financial, 2017).

Ainsi, le présent rapport de recherche s’articule autour de quatre points. Le premier point expose les enjeux de la mesure du FWB pour assurer la santé financière. Le deuxième point expose une synthèse des divergences à propos de la définition et des mesures de ce concept découlant d’une analyse approfondie des recherches existantes tant scientifique que professionnelle. Ce qui justifie la nécessité d’explorer d’autres pistes de réflexion afin de trouver des solutions d’amélioration de ce concept, c’est l’objet du troisième point qui propose une solution pour comprendre le FWB des travailleurs à faible revenu. Finalement, le quatrième point met en exergue la stratégie de collecte des données probantes pour mettre à l’essai cette solution afin d’en démontrer l’efficacité par l’usage d’une méthode de recherche mixte (quantitative et qualitative).

Mesure du bien-être financier : une question de santé financière

Le bien-être général suscite un intérêt particulier aussi bien pour les responsables politiques que le monde universitaire qui essaye, depuis des décennies, d’identifier et de définir ce concept à dimensions multiples (Brown et al., 2014; Dalziel, 2019; Moll et al., 2015; Montpetit et al., 2015; Weinstein et Stone, 2018). La théorie du cycle de vie de Ando et Modigliani (1963) a jeté les bases d’une réflexion sur l’aspect financier du bien-être qui a pris de l’ampleur à l’aube des travaux de Campbell et al. (1976). Depuis, il occupe une place centrale dans l’analyse du bien-être. En effet, Statman (2019) remarque que « le FWB sous- tend le bien-être dans tous ses domaines (finances, famille, amis et communautés, travail et activités et la santé, tant physique que mentale), et le bien-être dans chaque domaine est impossible sans le bien-être financier » (p. 49). Conscient de cet état de fait, certains gouvernements des pays développés ont mis en place de vastes programmes de protections sociales (par exemple, les plans de retraites, le salaire minimum, la défiscalisation de certains produits bancaires) et des agences de protections financières, pour garantir une meilleure qualité de vie à leurs populations. Cependant, ces dernières années, les personnes elles- mêmes assument de plus en plus la responsabilité de leur protection sociale, en raison de la concurrence accrue dans l’industrie des services financiers (Kempson et al., 2017). Certes, les résultats des enquêtes des agences gouvernementales servent à bâtir des politiques globales de protection sociale; mais ils sont difficilement utilisables pour une gestion individuelle et rigoureuse des finances personnelles. Or, la question du FWB est avant tout une question personnelle. Par conséquent, à l’image de la médecine avec le glucomètre ou le tensiomètre électronique, le monde de la finance devrait doter chaque personne d’un outil capable de donner instantanément son score de FWB. Cet outil contribuerait, tout d’abord, à améliorer les prises de décisions en matière de gestion de finances personnelles, ensuite, à favoriser un meilleur pilotage budgétaire et, enfin, à dégager des revenus substantiels grâce à la limitation des recours aux services d’un planificateur financier.

Bien que possédant certaines compétences de gestion, les travailleurs à faible revenu disposent-ils d’outils adéquats pour assurer efficacement cette responsabilité contraignante et très risquée? Certainement pas; mais l’émergence des Fintechs peut aider à atteindre cet objectif. Car, grâce à la mutation qu’elles ont provoquée dans l’industrie des services financiers (Panos et Wilson, 2020), ces Fintechs ont favorisé la création de nouvelles solutions au service des consommateurs telles que les paiements mobiles et les plateformes d’investissement et de gestion de finances personnelles (Frost et al., 2019). Ces solutions innovantes ont permis, selon les travaux de Carlin et al. (2019), de réduire de 14 % les dettes non garanties à taux d’intérêt élevé et les frais bancaires des consommateurs, grâce à l’accès aux informations sur les transactions et les soldes des comptes bancaires.

L’opérationnalisation du concept de FWB dans ces outils technologiques se heurte, cependant, à un problème majeur, celui de pouvoir le mesurer en temps réel en recourant à une définition précise du FWB. À ce jour, on note l’absence de consensus sur la définition et les dimensions du FWB (Kempson et al., 2017; Salignac et al., 2020). De plus, les adeptes des outils Fintechs s’ennuieraient s’ils devaient répondre, pour connaitre leur score, aux questions des enquêtes nationales qui portent sur plusieurs séries de questions. Par exemple, l’enquête de l’ACFC, basée sur le modèle de Kempson et al. (2017), détermine le FWB en fonction de cinq catégories de facteurs (ACFC, 2019)Note de bas de page 1  et près de quarante variables connexes pour les mesurer. L’alternative qui s’offre actuellement est le modèle de CFPB (2015) qui compte une version standard à dix questions et une version abrégée à cinq questions. Malheureusement, ce modèle est conçu subjectivement et dépend donc uniquement des réponses des répondants. De surcroit, il ne fait pas intervenir les dimensions objectives et psychologiques du FWB. Or, comme l’ont souligné certains auteurs (Joo et Grable, 2004; Tenney et Kalenkoski, 2019), ces deux dimensions supplémentaires, prises en compte dans le modèle de Kempson et al. (2017)Note de bas de page 2  permettent de mieux définir et mesurer le FWB. En outre, Kempson et ses collègues soutiennent la nécessité « de réviser leur modèle conceptuel » (p. 48), par l’utilisation d’une modélisation d’équations structurelles afin d’explorer non seulement les interrelations identifiées dans le modèle initial, mais surtout de refléter les résultats empiriques.

Dès lors, dans un paysage financier canadien de plus en plus complexe où des travailleurs canadiens à faible revenu (groupe cible) transigent avec de multiples systèmes de ressources, on peut chercher à développer, avec un minimum de variables, un indice composite, simple, mais robuste, de mesure en temps réel du FWB intégrant à la fois ses trois dimensions, d’une part, et pouvant guider le pilotage d’un budget personnel (priorité de recherche), d’autre part. Dans cette optique, on se propose d’explorer en profondeur trois questions importantes (thèmes de recherche). Tout d’abord, quelle définition du FWB s’adapte le mieux à notre contexte? Ensuite, quels sont ses facteurs déterminants? Enfin, une fois ces facteurs identifiés, lesquels peuvent-ils servir à créer un indice adapté aux plateformes Fintechs permettant aux utilisateurs de capter, en temps réel, leur FWB à court (présent), moyen et long terme (futur)?

Mais comment le concept de FWB s’analyse-t-il dans les littératures scientifiques et professionnelles? La réponse à cette question est l’objet du deuxième point de ce rapport de recherche.

Bien-être financier dans les documentations scientifique et professionnelle

Les travaux de Campbell et al. (1976) ont ouvert la voie à de nombreuses études sur le FWB qui touchent plusieurs domaines, tels que les conseils et les planifications financières (Bergeron et al., 2003), la gestion budgétaire, la prise de décision des consommateurs et le marketing des services et la finance responsable à l’ère de la Fintech (Panos et Wilson, 2020). La plupart de ces études se basent sur des théories existantes telles que la théorie du cycle de vie (Ando et Modigliani, 1963) et la perspective théorique du parcours vie (Elder, Johnson et Crosnoe, 2003), pour essayer de définir le FWB et de comprendre ses différentes dimensions. Dans ces études, les chercheurs utilisent le plus souvent des paradigmes positifs proches du concept (la santé financière, la satisfaction financière ou le bien-être économique) ou négatifs comme la détresse financière ou le stress financier (Sorgente et Lanz, 2019). Le FWB est donc un concept complexe et multidimensionnel (Sorgente et Lanz, 2017) que l’on doit étudier de nos jours sous trois dimensions (Kempson et al., 2017) : subjective, objective et psychologique. Celles-ci font apparaitre également un ensemble de mesures (subjectives, objectives et psychologiques) pour évaluer le FWB.

La dimension subjective ou FWB subjectif (Sun Life Financial, 2016) est constituée par « l’expérience subjective d’une personne en ce qui concerne sa situation financière et la manière dont elle l’évalue » (Sorgente et Lanz, 2017, p. 283). La mesure subjective du FWB revient donc à poser des questions directes (Bravo et al., 1996) où les répondants donnent un avis sur leurs sentiments positifs et négatifs de bien-être prédits par la satisfaction financière et le respect (Ng et Diener, 2014). Cette mesure dénote un manque d’objectivité apparente de l’aspect émotionnel, puisqu’elle se base sur l’autoévaluation. C’est pourquoi la dimension objective du FWB vient compléter l’analyse, pour trouver un alignement entre les mesures objectives tirées des états financiers, et les mesures subjectives de la perception du FWB des clients (Tenney et Kalenkoski, 2019). La dimension objective du FWB (ou FWB objectif) concerne la manière dont une personne gère ses finances personnelles. Sur le plan professionnel, elle correspond à la santé financière (Sun Life financière, 2016) alors que, sur le plan scientifique, on l’identifie par le bien-être économique (Sorgente et Lanz, 2017) qui couvre trois aspects différents : 1) les ressources ou les entrées de fonds de l’individu (comme les revenus, les aides financières); 2) les dépenses ou les sorties d’argents de l’individu (par exemple, les dettes, les achats de biens et services) et 3) ce que l’individu possède déjà tel que des actifs, un compte d’épargne, une assurance maladie, des allocations d’emploi et l’éducation financière. Par exemple, l’enquête de PwC’s (2019) indique que 77 % des personnes interrogées déclarent avoir une bonne compréhension des régimes d’épargne et de prestations des employeurs ainsi que du rôle que ces régimes jouent dans leur FWB global. Toutefois, les travaux de Joo et Grable (2004) suggèrent la prise en compte de la dimension psychologique dans l’étude du FWB. En 2019, l’enquête de l’ACFC prouve l’importance des facteurs psychologiques, tels que l’impulsivité et la maitrise de soi, parmi les variables qui influent sur les principaux moteurs du FWB. Car, les résultats de ladite enquête ont révélé que 12 % des scores attribués au FWB des Canadiens proviennent des facteurs psychologiques, des facteurs qui représentent à eux seuls 21 % de la variabilité des scores d’épargne active. En outre, les conclusions de Kempson et al. (2017) recommandent d’explorer les relations entre les facteurs psychologiques sous-jacents, tels que les traits de personnalité et les attitudes et le FWB. En effet, la littérature montre que les traits de personnalité affectent le comportement des investisseurs (Akhtar et al., 2018; Zhao et al., 2010) ainsi que la performance des gestionnaires en matière d’argent (Donnelly et al., 2012), ce qui a des incidences sur leurs FWB. Par exemple, Donnelly et al. (2012) ont montré que la conscience et le névrosisme constituent les deux traits de personnalité des Big Five (Big5) qui sont fortement corrélés à la gestion de l’argent, la conscience étant corrélée positivement alors que le névrosisme l’était négativement.

À ce jour, l’on dénombre donc une pléthore de définitions et de mesuresNote de bas de page 3  du FWB qui sont malheureusement non consensuelles (Kempson et al., 2017; Salignac et al., 2020; Sorgente et Lanz, 2019). Les unes privilégient uniquement le domaine objectif (Joo et Grable, 2004) ou subjectif (Brüggen et al., 2017), quand les autres mettent plus l’accent sur une composition de ses deux facettes (Porter et Garman, 1992) ou intègrent les aspects psychologiques comme troisième composante du FWB (Kempson et al., 2017). La divergence provient également de l’utilisation, à tort ou à raison, des synonymes tels que bien-être économique, santé financière, satisfaction financière et satisfaction de revenu, pour mesurer le FWB (Sorgente et Lanz, 2017). Cette divergence ouvre donc des perspectives de recherches sur ce concept d’importance capitale. Elle pose surtout un problème pour l’industrie de la Fintech qui cherche de plus en plus à créer le FWB à l’aide de l’intelligence artificielle. En effet, comme le fait remarquer Barasch (2018)Note de bas de page 4 , des lacunes existent dans l’offre des institutions financières en matière du FWB et de la gestion financière personnelle pour les consommateurs. La plupart des produits sur le marché fonctionnent pour les utilisateurs experts, mais pas pour les non-experts. De plus, les banques n’ont pas encore fourni les outils à leurs clientèles pour prendre des décisions éclairées (Vlaev et Elliott, 2014).

Par conséquent, permettre à chaque personne de connaitre instantanément son score de FWB devient un objectif louable, pour améliorer la gestion de ses finances personnelles, sans recourir aux services d’un planificateur financier. Il s’agit d’un besoin réel pour les consommateurs, car les résultats de l’enquête de Envestnet et Yodlee synthétisés par Barasch (2018) indiquent que 79 % des 22 à 34 ans et 77 % des 35 à 49 ans sont moyennement à extrêmement intéressés à utiliser un virtual financial wellness coach (VFWC) alors que, pour les personnes de plus de 50 ans, ils sont 62 % modérément à extrêmement intéressés à le faire. En outre, les auteurs ont constaté que les consommateurs souhaitent idéalement des outils simples qui mesurent leur santé financière en temps réel, effectuent des calculs dynamiques pour afficher des scores reflétant les changements de comportement en temps réel. C’est l’objectif que nous recherchons dans cet essai consacré à la mise en place d’un indice, pour mesurer en temps réel le score de FWB en général, et en particulier celui des travailleurs canadiens à faible revenu qui, pour gérer leurs finances personnelles, utilisent des plateformes Fintechs. C’est dans cette optique que le modèle de la Triade du bien-être financier est proposé comme une piste de solution dans la compréhension du FWB.

Solution pour l’amélioration du bien-être financier : Triade du bien-être financier

Bien qu’on dénombre plusieurs définitions du FWB (Kempson et al., 2017; Salignac et al., psychologique) sont rares dans la littérature. En outre, Holzmann et al. (2013) ont mis en évidence deux domaines pertinents de la capacité financière, soit la budgétisation contrôlée et la prise des dispositions pour l’avenir. Selon les auteurs, ces deux domaines ne devraient pas, cependant, être regroupés en un seul score, comme c’est le cas de plusieurs indices, pour un niveau de capacité financière comparable dans différents contextes. De même, CFPB (2015) faisait remarquer les quatre éléments importants du FWB à savoir : 1) la sécurité financière, 2) la liberté de choix, 3) le présent et 4) le futur. Ainsi, fort de tous ces constats et sur la base des premières lectures, on propose une définition intégrant les trois dimensions du FWB, et ce dans une perspective théorique du parcours de la vie de Elder et al. (2003). Le FWB est donc un état où l’individu i) croit à ses propres jugements pour reconnaître ses propres qualités et défauts dans l’exécution des décisions financières dans le sens de son épanouissement présent et futur, ii) assure grâce à ses ressources une couverture financière de ses engagements et besoins actuels (court terme), et iii) dispose d’une résilience financière suffisante permettant simultanément d’absorber des chocs financiers à moyen et long terme, et d’avoir une liberté dans ses finances. Cette définition décompose donc le FWB en trois composantes (triade du FWB) utiles dans le pilotage budgétaire (figure 1 à l’annexe) : 1) le FWB à court terme (présent), 2) le FWB à moyen terme, et 3) le FWB à long terme (futur). Le FWB à court terme influe sur les deux autres composantes, tandis que le FWB à moyen terme affecte celui à long terme. Toutefois, certaines personnes peuvent, au cours de leur vie, soit privilégier l’un par rapport aux deux autres, soit procéder à une combinaison optimale des trois. L’approche de la triade, comme solution d’amélioration du FWB, repose sur un modèle conceptuel complet (figure 2 à l’annexe) obtenu grâce à un examen préliminaire de plusieurs modèles (Gerrans et al., 2014; Joo et Grable, 2004; Kempson et al., 2017; Porter et al., 1992; Sorgente et al., 2019; Tenney et al., 2019; Vlaev et Elliott, 2014). Dans notre modèle, le comportement psychologique de l’individu constitue l’élément déclencheur de la dynamique du FWB. Il incorpore les qualités et les défauts appréhendés par les traits de personnalité du modèle de Big5 (Costa Jr. et McCrae, 2008). Le comportement psychologique (le trait de personnalité) de l’individu affecte donc la couverture financière (la capacité de l’individu à assurer ses engagements et besoins actuels par ses ressources courantes), la résilience financière (l’existence des ressources financières à moyen terme) et la protection pour le futur (la présence de fonds à long terme), pour faire face immédiatement à un choc financier prévisible ou non; mais également le FWB lui-même. La couverture financière et la résilience financière agissent sur le FWB à court et moyen terme respectivement tandis que la protection pour le futur (la couverture financière à long terme) influe sur le FWB à long terme (futur). Par exemple, s’agissant du revenu, Brown et al. (2014) ont remarqué que le revenu de l’emploi constitue, en effet, la variable la plus importante de la satisfaction financière des jeunes alors que les revenus de placement le sont pour les personnes âgées. Bien que la rationalité d’un agent puisse être imparfaite ou limitée à cause des capacités cognitives restreintes, Berton (2016) admet que la rationalité instrumentale ou substantive conduit l’agent économique à adapter au mieux ses ressources et ses comportements de gestionnaire en fonction des contraintes qu’il subit. Nous supposons donc que les mesures objectives (les ratios financiers de couverture, de résilience, et de protection pour le futur) peuvent capter ces changements de comportements, et ces facteurs constituent donc des variables importantes dans l’étude du FWB (Garrett et James, 2013; Tenney et Kalenkoski, 2019). Car, les ratios financiers affectent positivement la satisfaction financière (Garrett et James, 2013) ou la perception du FWB (Tenney et al., 2019). Toutefois, le FWB peut être influencé, selon le rapport de ACFC (2019), par certains facteurs sociodémographiques (âge, taille du ménage, nombre d’enfants), économiques (revenu, situation d’emploi) et les politiques macroéconomiques (politique fiscale, politique

monétaire), car ils affectent les ratios financiers et constituent des variables contrôlées dans les travaux de Donnelly et al. (2012). Par exemple, le nombre d’enfants peut jouer un rôle dans les différentes phases de la vie, car l’épargne tend à diminuer avec le nombre d’enfants présents dans le foyer familial, et à augmenter en fonction de la baisse de ce nombre (Ando et Kennickell, 1985; Blinder et al., 1983).

L’élaboration de l’indice du FWB suivra les dix étapes de Mackenzie et al. (2011) et son implémentation s’effectuera en collaboration avec une startup canadienne dont le rôle sera de 1) créer les algorithmes permettant d’intégrer les variables pertinentes de l’indice identifiées et de mesurer, en temps réel, l’effet de ces variables et comportements; 2) upgrader éventuellement les algorithmes en fonction des résultats des tests préliminaires; et 3) adapter la gestion des finances personnelles d’une manière plus personnalisée à chaque utilisateur. L’outil de pilotage budgétaire qui en découle de l’opérationnalisation de la triade favorisera une vie meilleure à son utilisateur, par le maintien d’une bonne santé financière, l’accession à la sérénité financière et l’acquisition des compétences idoines pour prendre de bonnes décisions. Sa capacité à détecter les comportements à risque permet à son utilisateur de prévoir et d’ajuster les actions et les comportements, pour atténuer leurs effets sur les finances personnelles, la santé et le stress quotidien. Son approche aura un grand impact sur la santé financière des utilisateurs et en particulier les Québécois et Canadiens, en leur faisant prendre conscience de leur relation à l’argent, de leur santé financière ainsi que de l’impact de leurs gestes à court, moyen et long terme sur leur FWB.

La nature de l’essai requiert l’utilisation d’une méthode mixte (qualitative et quantitative). Sa méthodologique mettra en exergue, tout d’abord, les implications éthiques de cette production scientifique, ensuite, la justification de l’utilisation des devis corrélationnels prédictifs et confirmatifs, la définition de la population et l’échantillon d’étude, la présentation des mesures des concepts et enfin, la stratégie de collecte et d’analyse des données probantes. L’importance de cette stratégie exige de détailler ses éléments constitutifs. Tel est l’objet de la section suivante.

Stratégie de collecte et de traitement des données probantes

La stratégie de collecte et de traitement des données probantes se déroule en plusieurs phases distinctes décrites ci-après : Faire une revue de la portée pour conceptualiser la triade du FWB. La revue de la portée (« scoping review »), comprenant des étapes systématiques (Arksey et O’Malley, 2005; Colquhoun et al., 2014; Levac et al., 2010), sera employée pour identifier, rassembler et synthétiser les connaissances existantes sur le FWB. La méthodologie proposée par ces auteurs inspirera notre processus d’extraction des articles de révision par les pairs sur la base des mots-clés appropriés appliqués dans les différentes banques de données, la littérature grise ainsi que les revues spécialisées. Les critères d’inclusion seront les suivants : 1) les études pertinentes doivent porter sur le bien-être financier, 2) les articles doivent être rédigés en langue anglaise ou française, 3) les articles doivent avoir été publiés entre 2001 et 2021 et 4) les articles doivent avoir précisé leurs méthodes de recherche (qualitatives ou quantitatives). Cette étape permettra de valider la définition préliminaire proposée plus haut ou d’en proposer une autre plus précise.

Consulter un groupe d’experts pour ajuster et confirmer la définition du FWB et effectuer l’essai pilote. Cette étape ajoute de la rigueur méthodologique à la revue de la portée (Levac et al., 2010) et les quatre phases que suggèrent Colquhoun et al. (2014) seront respectées pour assurer une efficacité maximale. Tout d’abord, nous définirons un objectif clair pour la consultation, notamment l’examen de la portée et la pertinence de la définition du concept ainsi que la validation de celle-ci. Ensuite, on utilisera les résultats préliminaires pour éclairer la consultation. En outre, pour assurer une articulation claire, le groupe d’experts sera recruté en utilisant la technique boule de neige basée sur les critères suivants : expertise en finance responsable ou en psychologie positive et participation active à la recherche dans au moins l’un de ces deux domaines. Nous utiliserons deux phases de consultation dont les conclusions seront intégrées pour dégager l’indice global. D’une part, nous consulterons chaque sous-groupe de quatre experts sous forme de groupe focalisé qui se réalisera à distance à l’aide d’outils informatiques spécialisés. D’autre part, nous réaliserons une enquête en ligne demandant aux experts d’évaluer chaque concept provenant de la « scoping review » sur une échelle de Likert en cinq points, de « pas du tout en accord » à « tout à fait en accord ». La dernière phase concerne la mise en place d’un mécanisme de transfert et d’échange de connaissances avec les parties prenantes sur le terrain. Elle sera accompagnée d’un essai pilote auprès d’un groupe réduit tiré au hasard dans un échantillon provenant de la population générale. Cette action vise à tester l’indice et à l’ajuster au besoin en vue de son opérationnalisation.

Réaliser l’enquête dans la population générale et analyser les données et procéder à des tests statistiques pour créer l’indice. Un sondage sera réalisé auprès d’un échantillon de grande taille tiré dans la population et les données obtenues seront traitées et analysées quantitativement par des logiciels statistiques (SPSS, EViews, etc.). Tout d’abord, l’analyse statistique descriptive sera utilisée pour ressortir des renseignements quantitatifs utiles, pour la validation des données. Ensuite, l’analyse en composante principale (ACP) sera utilisée pour valider, à partir de la base de données, les construits du modèle conceptuel. En outre, la prédiction de la perception de la recherche du FWB s’effectue à l’aide du modèle d’équation structurelle (SEM). Les résultats du SEM serviront à tester l’ensemble des hypothèses émises (Gerrans et al., 2014), c’est-à-dire les interrelations identifiées dans le modèle conceptuel. Ces méthodes font partie des analyses statistiques souvent utilisées dans les études sur le FWB (Sorgente et Lanz, 2019). Enfin, le modèle de régression logistique sera mis à profit pour valider la robustesse du SEM, ce qui permet surtout d’éviter les biais potentiels liés à l’analyse des variables d’échelles de types Likert (Tenney et Kalenkoski, 2019). La figure 3 à l’annexe présente le cadre opératoire sans les facteurs démographiques, sociaux et économiques qui, toutefois, seront intégrés dans un modèle économétrique avec l’ensemble des autres variables, afin de choisir les plus pertinentes pour la construction d’un indice synthétique, simple et robuste de mesure en temps réel du FWB. Avec l’approche de la triade du FWB, trois sous-indices seront calculés : indices du FWB à court terme, à moyen terme, et à long terme. L’indice final du FWB sera la moyenne (arithmétique ou harmonique) des trois sous-indices et se décompose en cinq catégories : FWB faible, FWB modéré, FWB moyen, FWB élevé et FWB très élevé. Les indices peuvent faire l’objet de pondération si nécessaire, et dans ce cas, nous adoptons le principe de pondération de la méthode de l’indice ICM (Indice canadien du mieux-être) consistant à attribuer un poids égal à chaque sous-indice, car on peut, pour plusieurs raisons, privilégier un indicateur comme étant plus important par rapport aux autres; mais plus difficile, c’est de trouver la bonne raison justifiant une telle approche (ICM, 2016) d’autant plus qu’au cours de leur vie, les individus affichent des intérêts différents par composantes du FWB. Toutefois, les utilisateurs pourront affecter un poids de leur choix, en fonction de leur propre perception de l’importance du type du FWB. Effectuer des entrevues de validation afin de finaliser l’indice. Les entrevues de validation seront réalisées avec une partie des participants de l’échantillon initialement sondé et répondant aux trois critères : 1) obtenir un niveau de FWB supérieur ou inférieur à la médiane de l’échantillon initialement sondé; 2) accepter de faire l’entrevue à distance via un logiciel de communication vidéo sur Internet ou un téléphone; et 3) parler le français ou l’anglais. Le processus de recrutement se déroulera simultanément au processus d’analyses des entrevues. Les entrevues individuelles semi-structurées de 45 à 90 minutes seront réalisées afin d’approfondir et de clarifier les problèmes soulevés (Bolderston, 2012). Avant le début de chaque entrevue enregistrée, nous collecterons le consentement éclairé oral des participants. Le guide d’entrevue, préparé et centré sur le thème principal de leur expérience du FWB au cours de leur vie, consistera en une série de questions ouvertes qui visent l’émergence des propos concernant l’expérience de FWB ou son absence (avec des exemples précis étayant les propos). Il restera flexible afin de laisser place à des questions d’éclaircissement permettant d’explorer les domaines tangentiels qui pourraient survenir. La saturation empirique concernant le sujet d’intérêt principal sera atteinte lorsqu’on observe l’absence de nouvelles données (ou informations) pertinentes à la validation de l’indice de FWB. Le logiciel NVivo V.11 sera utilisé pour organiser, stocker et analyser les données des enregistrements (les notes de terrain sur le déroulement de l’entrevue, les comportements non verbaux et à l’attitude des participants et les éléments de contenu marquants). Les transcriptions audionumériques pourront être confiées à une personne professionnelle qualifiée en transcription. L’analyse de contenu thématique sera ensuite utilisée pour coder et comparer les données en rapport avec les objectifs de l’étude, soit la validation de l’indice. Dans cette étude, les thèmes générés sont déductifs puisqu’ils seront guidés par le modèle statistique développé, soit l’indice créé.

Conclusion

Le présent essai cherche à mettre en place un indice de mesure en temps réel du FWB qu’une startup peut intégrer dans sa plateforme Fintech de gestion de finances personnelles. En intégrant les trois dimensions du FWB (objectives, subjectives et psychologiques), l’outil permettra à un salarié à faible revenu de connaitre en temps réel son score de FWB. Ce qui aura une implication aussi bien sur le plan managérial que scientifique. Sur le plan managérial, l’indice résout un problème aigu, celui de l’opérationnalisation des outils VFWC. Il aidera les planificateurs financiers à actualiser leurs outils d’analyse et d’appréciation du FWB. En apportant une réponse aux différentes questions de recherche, l’essai favorise le déplacement substantiel de la frontière de la connaissance, d’une part, par l’existence d’un alignement entre les trois mesures du FWB, et d’autre part, par la mise en place d’un indice synthétique de mesure, en temps réel, du FWB.

Références

Annexes

Figure 1 : Triade du Bien-être financier

Figure 1 : Triade du Bien-être financier
Version textuelle, Figure 1 : Triade du Bien-être financier

Figure 1 : illustration du Triade du bien-être financier (FWB), et comment ses trois composantes (FWB à court terme-CT, moyen terme-MT, et long terme-LT) contribuent à la recherche du FWB global. Le schéma de la triade décrit le mécanisme de transmission des impulsions (faible, moyen ou élevé) du FWB à CT sur le FWB à LT en passant par le FWB à MT mais également l’effet direct du FWB à CT sur le FWB à LT. Dans la perspective du parcours de la vie (Elder et al., 2003), les personnes peuvent soit favoriser le présent (CT) au futur (MT et LT), soit procéder à une combinaison optimale des trois.

Figure 2 : Modèle conceptuel de la Triade du bien-être financier

Figure 2 : Modèle conceptuel de la Triade du bien-être financier
Version textuelle, Figure 2 : Modèle conceptuel de la Triade du bien-être financier

Figure 2 : Modèle conceptuel de la triade (MCT) décrivant l’association des trois dimensions du bien-être financier (FWB) dans l’élaboration d’un indice synthétique du FWB résultant d’une combinaison optimale de trois sous-indices en fonction des étapes de la vie. Le MCT du FBW montre les relations entre les aspects des dimensions psychologiques (comportements psychologiques), objectives (capacité financière) et subjectives (recherche du FWB), qui, en présence des facteurs environnementaux (démographiques, sociaux et économiques), rendent compte des composantes du bien-être financier. Dans ce modèle, le comportement psychologique de l’individu, élément déclencheur de la dynamique du FWB, comprend les cinq traits de personnalité (Big Five) qui affectent le comportement de gestion financière et le FWB des individus (Donnelly et al., 2012 ; Tharp et al., 2020). La rationalité instrumentale ou substantive (Berton, 2016) conduit l’individu à adapter au mieux ses ressources et ses comportements de gestionnaire en fonction des contraintes qu’il subit. Ces changements de comportement peuvent être captés par les dimensions objectives du FWB, soit la capacité financière dont les éléments constitutifs tels que la couverture et la résilience financières agissent sur la recherche du FWB à CT et MT respectivement, et la protection financière pour le futur affecte la recherche du FWB à LT.

Source : Adapté des travaux (Joo et Grable, 2004 ; Kempson et al., 2017 ; Porter et al., 1992 ; Sorgente et al., 2019 ; Tenney et Kalenkoski, 2019 ; Vlaev et Elliott, 2014)

Figure 3 : Cadre opératoire du modèle conceptuel de la triade du bien-être financier

Figure 3 : Cadre opératoire du modèle conceptuel de la triade du bien-être financier
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Hypothèses de recherche :

H1 : Plus le comportement psychologique (le trait de personnalité) est évalué positivement, plus le contrôle des finances et l’absorption des chocs financiers (H1a) et la protection pour le futur (H1b) s’améliorent.

H2 : Le comportement psychologique (le trait de personnalité) a une incidence sur la perception du FWB général.

H3a : alors que le contrôle des finances à court terme augmente, la perception du FWB à court terme s’améliore. H3b : une bonne résilience financière à moyen terme provoque une meilleure perception du FWB à moyen terme.

H3c : un niveau élevé de protection financière pour le futur (long terme) augmente la perception du FWB à long terme.

H4 : la perception du bien-être financier à court terme affecte positivement les perceptions du FWB à moyen terme (H4a) et à long terme (H4b), et l’amélioration de la perception du FWB à moyen terme se répercute sur celle de long terme (H4c).

H5 : Plus les perceptions du FWB à court terme (H5a), à moyen terme (H5b) et à long terme (H5c) sont évaluées positivement plus la perception du FWB général est élevée.

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