Décision no 130

Motifs de la décision du commissaire

(Loi sur l’Agence de la consommation en matière financière du Canada, paragraphe 23(2))

I. Aperçu

La présente décision porte sur deux violations au Règlement sur le coût d’emprunt (RCE).

En mars 2017, la commissaire adjointe de l’Agence de la consommation en matière financière du Canada (l’ACFC) a dressé un procès-verbal de violation à l’endroit de [texte omis] (« la banque ») conformément au paragraphe 22(2) de la Loi sur l’Agence de la consommation en matière financière du Canada (la Loi sur l’ACFC). Le procès-verbal de violation énonce que la commissaire adjointe a des motifs raisonnables de croire que la banque a commis deux violations au RCE, car elle a omis de fournir :

  1. En vertu de l’alinéa 8(1)l) du RCE, pendant la période de [texte omis] à [texte omis], une déclaration exacte comprenant les renseignements exigés lors de la conclusion d’un nouveau prêt hypothécaire;
  2. Selon l’alinéa 14(1)a) du RCE, pendant la période de [texte omis] à [texte omis], une déclaration exacte comprenant les renseignements exigés à l’article 8 du RCE lors du renouvellement de certains prêts hypothécaires.

La commissaire adjointe propose les pénalités suivantes :

Le total des pénalités proposées en conséquence des deux violations s’élève donc à 150 000 $.

En avril 2017, la banque me transmet ses observations écrites en réponse au procès-verbal de violation émis par la commissaire adjointe. La banque ne conteste pas la violation n° 1 et s’engage à payer la pénalité qui y est associée. La banque conteste toutefois la violation n° 2. Elle allègue notamment que sa responsabilité ne devrait pas être retenue puisque le principe de justice fondamentale interdisant les déclarations de culpabilité multiples empêche la commissaire adjointe d’émettre un procès-verbal visant de multiples violations découlant d’un même enjeu de conformité.

Après avoir examiné soigneusement le dossier, y compris le rapport de conformité en date du mois de mars 2017 et les observations présentées par la banque, j’en conclus que, selon la prépondérance des probabilités, la banque a commis les violations n° 1 et n° 2 décrites au procès-verbal. Le total des pénalités imposées s’élève donc à 150 000 $. En voici les motifs.

II. Les faits

En mars 2013, la Ligne directrice de la commissaire DC-9, Divulgation de la pénalité pour remboursement anticipé des hypothèques (Ligne directrice DC-9) entre en vigueur. La Ligne directrice DC-9 clarifie les éléments qui doivent faire l’objet d’une divulgation relativement à la pénalité pour remboursement anticipé des hypothèques aux termes de l’alinéa 14(1)a) et de l’alinéa 8(1)l) du RCE.

En [texte omis], la banque révise sa convention de crédit visant les prêts hypothécaires à taux fixe d’un montant fixe remboursable à date fixe ou par versement (la « convention de crédit ») afin de rendre le libellé de la clause de remboursement anticipé avec indemnité conforme aux exigences de la Ligne directrice DC-9. Au moment d’effectuer les changements à la convention de crédit, la banque a reproduit le libellé de la clause de remboursement anticipé avec indemnité de façon inexacte. Cette erreur de la banque a pour effet que la pénalité calculée par le système informatique de la banque, et facturée aux clients lors du remboursement anticipé d’un prêt hypothécaire, est alors supérieure à la pénalité établie selon la méthode de calcul divulguée dans la déclaration remise aux emprunteurs de nouveaux prêts hypothécaires et celle remise lors des renouvellements.

En janvier 2015, les enjeux de conformité sont découverts par un employé de la banque et cette dernière les signale à l’ACFC en mars 2015.

En [texte omis], la banque apporte des mesures correctives au libellé de la clause et confirme qu’après cette date, la nouvelle convention de crédit hypothécaire remise aux clients est conforme. Il demeure toutefois que certains clients sont toujours en situation de non-conformité puisque leurs prêts hypothécaires sont des prêts à terme fermé pouvant s’échelonner sur une période allant jusqu’à cinq ans.

III. Observations de la banque

La banque s’engage à payer la pénalité relative à la violation n° 1.

La banque conteste toutefois la violation n° 2. Elle affirme que les violations n° 1 et n° 2 sont issues des mêmes faits et que, par conséquent, la tenir responsable des deux violations enfreindrait la règle de droit pénal canadien interdisant les condamnations multiples pour une seule violation.

IV. La loi

Il est utile ici, de reproduire les dispositions pertinentes du RCE :

8 (1) La banque qui conclut une convention de crédit visant un prêt à taux d’intérêt fixe d’un montant fixe remboursable à date fixe ou par versements doit remettre à l’emprunteur une première déclaration comportant les renseignements suivants :

[...]

(l)    les renseignements exigés par l’alinéa 452(1)a) de la Loi [sur les banques], y compris la description de tous les éléments pris en compte dans le calcul de toute remise, de tous frais ou de toute pénalité imposés dans le cas du remboursement anticipé du prêt et, si l’article 17 du présent règlement s’applique, la formule utilisée conformément au paragraphe 17(4) du présent règlement;[…].

14 (1) Lorsqu’il est prévu de renouveler une convention de crédit visant un prêt garanti par une hypothèque à une date donnée, la banque doit remettre à l’emprunteur, au moins vingt et un jours avant cette date, une déclaration comportant les renseignements suivants :

(a)    dans le cas où la convention de crédit prévoit un taux d’intérêt fixe, les renseignements exigés par l’article 8. […].

V. L’analyse

Violation n° 1

La banque qui conclut une nouvelle convention de crédit doit remettre à l’emprunteur une première déclaration comportant les renseignements compris à l’alinéa 8(1)l) du RCE. Aux termes de cet alinéa, la déclaration doit comprendre la description de tous les éléments pris en compte dans le calcul de la pénalité dans l’éventualité où l’emprunteur exerce son droit de rembourser le montant emprunté avant l’échéance du prêt.

Dans le présent dossier, la preuve démontre que la déclaration remise aux emprunteurs lors de la remise de la convention de crédit pour de nouveaux prêts ne remplie pas les exigences de l’alinéa 8(1)l) du RCE compte tenu des erreurs qu’elle comporte. En raison de ces erreurs, le montant facturé aux clients ne correspond pas au montant obtenu en suivant la méthode de calcul communiquée dans la déclaration remise aux clients.

En même temps, la banque s’est engagée à payer la pénalité liée à ladite violation dans ses observations écrites et n’a fourni aucune preuve nouvelle ou justification excusant sa non-conformité. Je conclus donc que, selon la prépondérance des probabilités, la banque a contrevenu aux exigences de divulgation de l’alinéa 8(1)l) du RCE et a commis la violation n° 1.

Violation n° 2

Aux termes de l’alinéa 14(1)a) du RCE, lors du renouvellement d’une convention de crédit, la banque doit remettre à l’emprunteur une déclaration comportant la description de tous les éléments pris en compte dans la formule utilisée pour calculer la pénalité dans l’éventualité où l’emprunteur exerce son droit de rembourser le montant emprunté avant l’échéance du prêt.

Je suis satisfaite que la preuve démontre que la déclaration remise aux emprunteurs lors de la remise de la convention de crédit pour le renouvellement des prêts ne remplie pas les exigences de l’alinéa 14(1)a) du RCE compte tenu des erreurs qu’elle comporte. En raison de ces erreurs, le montant facturé aux clients ne correspond pas au montant obtenu en suivant la méthode de calcul communiquée dans la déclaration remise aux clients.

En revanche, la banque affirme qu’elle ne peut être sujette à deux violations dans le présent dossier. Au soutien de sa position, elle invoque le principe reconnu par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Kienapple c. La ReineNote de bas de page 1.

Dans ma décision datée du 19 octobre 2016Note de bas de page 2, je me suis prononcée sur ce principe. Les motifs de cette décision sont applicables en l’espèce. D’une part, la terminologie choisie au paragraphe 22(1) de la Loi sur l’ACFC ainsi qu’à l’alinéa 2(a) du Règlement sur les violations désignées (Agence de la consommation en matière financière du Canada) démontre l’intention du Parlement d’autoriser l’imposition de multiples violations découlant d’un même enjeu de conformité. D’autre part, bien que les violations n° 1 et n° 2 soient issues d’une indication erronée du mode de calcul de la pénalité, les faits visés pour chaque violation sont distincts. Il est de jurisprudence constante que la règle interdisant les déclarations de culpabilité multiples ne s’applique pas lorsque les déclarations de culpabilité se rapportent à des victimes différentesNote de bas de page 3. À cet effet, je constate que l’alinéa 8(1)l) du RCE concerne la divulgation contenue dans la clause de remboursement anticipé d’un nouveau prêt, alors que l’alinéa 14(1)a) du RCE vise la divulgation relative à la clause de remboursement anticipé lors du renouvellement d’un prêt. Ainsi, les clients touchés sont issus de groupes différents. Conséquemment, le principe de l’arrêt Kienapple ne trouve aucune application en l’espèce.

En l’absence de justification excusant la non-conformité, j’en conclus, selon la prépondérance des probabilités, que la banque a contrevenu aux exigences de divulgation de l’alinéa 14(1)a) du RCE et a commis la violation n° 2.

V. Pénalité

Quant au montant des pénalités, je reprends l’analyse de la commissaire adjointe des critères de l’article 20 de la Loi sur l’ACFC dans le procès-verbal, et constate ce qui suit :

Nature de l’intention ou de la négligence de l’auteur

Les violations en cause soulèvent des questions sérieuses quant aux pratiques de conformité de la banque, notamment des lacunes importantes dans les mesures de contrôle visant à vérifier la conformité et à déceler d’éventuels problèmes de divulgation. En raison de sa négligence, 18 mois se sont écoulés avant que les erreurs de divulgation n’aient été détectées. Ces mesures de contrôle devraient être effectuées sur une base régulière.

De plus, une fois le dossier pris en charge par le service de conformité de la banque, une période supplémentaire de 12 mois a été nécessaire afin de régler les enjeux de conformité reliés aux nouveaux prêts et aux renouvellements octroyés après [texte omis]. Je note que durant cette période, aucune mesure intérimaire n’a été mise en place par la banque afin de mitiger le problème.

Enfin, au moment de la mise en œuvre du processus de remboursement, soit vers [texte omis], la banque a procédé à des analyses subséquentes et a détecté une erreur de codification qui n’avait pas été prise en considération initialement. Conséquemment, elle a pu constater que [texte omis] clients additionnels avaient également été touchés par cette erreur.

Je souligne toutefois que la banque a elle-même déclaré ces violations et qu’elle s’est également montrée transparente et coopérative tout au long du processus.

Gravité du tort causé

Les enjeux de conformité ont perduré pendant plus de 30 mois. [Texte omis], les violations n° 1 et n° 2 avaient affecté financièrement des clients détenteurs de [texte omis] tranches hypothécaires nécessitant un remboursement d’un montant de 1 380 691 $.

De plus, la preuve démontre qu’en mars 2017, [texte omis] clients de [texte omis] tranches hypothécaires étaient toujours détenteurs d’un prêt régi par une convention de crédit dont la clause de pénalité pour paiement anticipé était erronée.

Antécédents de l’auteur en matière de conformité

Au cours des cinq dernières années, la banque a commis sept violations. Ces violations ont mené à des pénalités totalisant 385 000 $. Cette situation devient préoccupante, car il m’appert que la banque ne semble pas apprendre de ses erreurs. Je constate d’ailleurs qu’il s’agit de la deuxième fois qu’une erreur est commise dans le libellé d’une clause de divulgation. Force est de constater que les commentaires émis dans ma décision datée du 19 octobre 2016Note de bas de page 4 n’ont pas encouragé la banque à mettre en œuvre des mesures suffisantes afin de remédier aux problèmes de contrôle et de vérification.

Conclusion

Considérant l’analyse des critères de l’article 20 de la Loi sur l’ACFC et le fait que la banque n’ait pas présenté d’observations quant au montant des pénalités, je ne considère pas que la pénalité de 75 000 $ pour la violation n° 1, ni que la pénalité de 75 000 $ pour la violation n° 2 doivent être réduites. Le total des pénalités imposées s’élève donc à 150 000 $.

Je souligne par contre que la commissaire adjointe aurait pu considérer l’octroi de pénalités plus importantes eu égard aux antécédents de la banque en matière de conformité afin de l’encourager davantage à observer la loi.

VII. Publication

La dernière question devant faire l’objet d’une décision porte sur la publication du nom de la banque. Dans mon analyse, je tiens compte des facteurs comme : la gravité des gestes ou des omissions de la banque, sa volonté de reconnaître sa responsabilité relativement à la violation commise et de rembourser les consommateurs lésés, l’impact de la violation sur les consommateurs et sur la confiance de ceux-ci, ainsi que la dissuasion.

Dans ses observations écrites, la banque note que le présent dossier résulte d’une divulgation volontaire, qu’elle a collaborée de manière proactive avec l’ACFC et que les clients touchés ont obtenu un remboursement sans avoir à prendre quelconque mesure. Elle fait valoir qu’une divulgation publique de son identité aurait un effet punitif contre celle-ci.

A priori, l’exercice du pouvoir discrétionnaire de publier le nom d’une entité réglementée est forcément cohérent avec le cadre législatif établi par le Parlement. Par conséquent, la décision de rendre le nom de la banque public ne serait ni punitive ni contraire aux principes d’application de la loi.

De plus, la banque maintient qu’une telle divulgation n’aurait aucun bénéfice pour les consommateurs. Elle ne ferait qu’inquiéter sa clientèle quant à la situation de leur prêt hypothécaire et alerter inutilement les autres consommateurs d’un enjeu qui sera déjà corrigé au moment de ma décision.

Je suis prête à accepter que dans ce cas, seuls la nature des violations et le montant des pénalités feront l’objet de publication en vertu de l’article 31 de la Loi sur l’ACFC. Je suis persuadée que la banque a bien compris l’importance de respecter ses obligations en matière de divulgation et je m’attends à ce qu’elle mette plus d’efforts à assurer que ses systèmes comportent les contrôles nécessaires. Les programmes de conformité de la banque doivent également permettre de prévenir de futures violations.

Je souligne toutefois que, dans l’éventualité où une nouvelle violation serait commise par la banque, je devrai remettre en question ses affirmations quant à la valeur et l’importance qu’elle porte à ses obligations de conformité et cette analyse pourrait entrainer une décision moins favorable.

Ottawa, le 7 novembre 2017

Lucie M.A. Tedesco

Commissaire

Agence de la consommation en matière financière du Canada

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