4. Enjeux et options pour le Canada

Les consultations menées en vue de l'élaboration de l'Avis d'intention pour des véhicules, des moteurs et des carburants moins polluants ont montré que tous les intervenants appuient l'harmonisation des normes canadiennes relatives à la teneur en soufre du carburant diesel avec les exigences américaines à ce chapitre. Dans l'Avis d'intention, le gouvernement fédéral a confirmé qu'il adopterait cette approche. Environnement Canada élabore donc un règlement visant à limiter la teneur en soufre du carburant diesel routier à un maximum de 15 ppm à compter du 1er juin 2006.

Aux États-Unis, la plus grande partie (> 80 %) du carburant diesel routier contiendra moins de 15 ppm de soufre à partir de 2006. Pendant la période de transition, une deuxième qualité de carburant diesel contenant 500 ppm de soufre sera offerte en petite quantité aux États-Unis. Dans l'ensemble, en permettant la coexistence d'une qualité supplémentaire de carburant diesel sur le marché du carburant diesel routier pendant la période de transition, le règlement américain devient nécessairement très lourd et complexe à cause des problèmes à régler en aval.

Permettre l'utilisation d'une deuxième qualité de carburant diesel routier au Canada se traduirait par les mêmes préoccupations et la même complexité qu'aux États-Unis, soit la contamination du carburant diesel à faible teneur en soufre et les risques de ravitaillement des véhicules avec un carburant à teneur élevée en soufre. Aux États-Unis, l'EPA a réglé ces problèmes au moyen de nombreuses dispositions prévoyant la séparation des produits, le suivi de chaque lot, l'étiquetage à la pompe et un procédé complexe de déclassement. En général, toutes ces exigences ont pour effet de refiler les coûts d'application du règlement aux entreprises de stockage et de distribution du carburant (par exemple, les pipelines et les camions-citernes).

Il y a une question d'ordre juridique qui se pose uniquement au Canada. L'EPA fonctionne dans le cadre d'un système juridique qui lui laisse un grand pouvoir discrétionnaire pour l'établissement des normes relatives aux carburants, mais la législation canadienne est plus restrictive quant aux assouplissements qui peuvent être prévus dans le règlement sur les carburants. Il est peu probable que le règlement canadien adopté en vertu de la Loi canadienne sur la protection de l'environnement, 1999 (LCPE, 1999) puisse inclure tous les types d'assouplissements accordés aux raffineurs et aux exportateurs dans le règlement final américain sur le carburant diesel. Ainsi, Environnement Canada s'est engagé à harmoniser son règlement avec le règlement américain sur le carburant diesel routier, mais la réglementation canadienne devra respecter le cadre juridique et les dispositions habilitantes établies dans la LCPE, 1999.

La principale question qui se pose (compte tenu des contraintes législatives existant au Canada) est donc la suivante : le Canada devrait-il inclure au règlement certains assouplissements autorisant les compagnies à produire et à importer un faible volume de carburant diesel routier non conforme à la norme de 15 ppm pendant une courte période de transition? En d'autres mots, le règlement du Canada sur la teneur en soufre du carburant diesel routier doit-il être harmonisé avec les exigences américaines qui s'appliquent à la plus grande partie (plus de 80 %) de son carburant diesel routier (soit 15 ppm en 2006), ou doit-il comprendre des assouplissements semblables à ceux du règlement américain (dans la mesure du possible dans la LCPE, 1999)?

Le tableau ci-dessous résume les avantages et les désavantages de ces deux options.

Harmonisation avec les exigences applicables à au moins 80 % du carburant diesel routier des É.-U. Harmonisation avec les assouplissements intégrés au règlement final américain (dans la mesure du possible
Type de règlement simple, 15 ppm en juin 2006 15 ppm en juin 2006, assorti d'assouplissements semblables à ceux des États-Unis
Avantages
  • règlement simple (probablement par la modification de l'actuel Règlement sur le carburant diesel)
  • exigences administratives simples
  • pas de problèmes de ravitaillement avec le mauvais carburant
  • ne devrait pas avoir de répercussions négatives sur les exigences concernant la mise en réservoir
  • exigences minimales pour les grossistes et les détaillants
  • flexibilité pour les raffineurs et les importateurs
  • atténuation des inquiétudes relatives à l'approvisionnement
Désavantages
  • inquiétudes possibles concernant
  • higher initial costs for refiners
  • nouveau règlement complexe
  • nombreuses exigences administratives, y compris pour les grossistes et les détaillants
  • problèmes de ravitaillement avec le mauvais carburant
  • problèmes de distribution et coûts liés à la coexistence de deux qualités de carburant, notamment les réservoirs additionnels
  • nombreux problèmes d'ordre juridique et d'application du règlement

L'annexe C fournit un cadre éventuel de réglementation pour les deux options.

Parallèlement à la question théorique fondamentale qui consiste à déterminer si le règlement canadien devrait contenir des assouplissements comparables à ceux des États-Unis, d'autres questions (plus techniques) se posent, en particulier si l'on décide d'accorder ce type d'assouplissements.

Une série de questions traitent des inquiétudes relatives à la contamination et au ravitaillement en carburant contre-indiqué. Devrait-on autoriser le « déclassement » au Canada? Si oui, comment faudrait-il s'y prendre? Quels types de documents devront accompagner un lot de carburant diesel à faible teneur en soufre dans tout le réseau de distribution? Dans le contexte canadien, l'étiquetage à la pompe suffit-il à éviter le ravitaillement avec un carburant contre-indiqué? Faut-il colorer le carburant?

Il faut aussi se demander s'il serait efficace de créer un programme d'échange de crédits d'émissions de soufre au Canada étant donné le petit nombre de raffineurs et d'importateurs au pays. Aux termes du règlement américain, les crédits d'émissions de soufre doivent être utilisés dans la région où ils ont été produits. Il y a sept régions définies par le règlement américain, soit les cinq PADD (districts d'approvisionnement), l'Alaska et Hawaii. Dans la plupart de ces régions, il y a plus de raffineries qu'il n'y en a dans tout le Canada. Pour garantir l'accessibilité au carburant diesel à faible teneur en soufre dans les régions au Canada, il faudrait que les échanges soient limités à l'échelle régionale. Les régions canadiennes seraient probablement établies en fonction des secteurs généraux d'approvisionnement des raffineries, soit l'Ouest, l'Ontario et l'Est. Il existe présentement six raffineries (plus Suncor) qui produisent du carburant diesel routier dans l'Ouest, cinq en Ontario (en plus des installations de lubrification de Petro-Canada), et six dans l'Est. Il y a un certain nombre de questions à examiner en ce qui a trait à un éventuel programme canadien d'échange de crédits. Y a-t-il suffisamment de raffineries dans ces régions pour qu'un programme d'échange de crédits soit efficace? Faudrait-il envisager d'autres regroupements régionaux? Comment pourrait-on concevoir le programme canadien d'échange de crédits pour s'assurer que le carburant diesel à faible teneur en soufre serait distribué partout au Canada pendant la période de transition? Quels sont les problèmes liés à la compétitivité en ce qui a trait à l'échange de crédits d'émissions de soufre dans des marchés relativement petits?

La distribution du carburant dans l'Arctique comporte certains aspects uniques. Souvent, il n'y a qu'une seule expédition de carburant par année dans certaines collectivités nordiques. Il peut s'avérer difficile, sinon impossible, d'y acheminer du carburant en hiver. Pour ces raisons, et parce que le délai entre la finalisation du règlement et l'entrée en vigueur de la norme relative à la teneur en benzène au point de vente (22 mois), le Règlement sur le benzène dans l'essence prévoit neuf mois de plus pour l'application de la norme sur le benzène au point de vente dans l'Arctique (ailleurs au Canada, cette période supplémentaire était de trois mois comme dans le règlement américain sur le diesel). Cependant, le Règlement sur le soufre dans l'essence adopté au Canada ne prévoit pas de période supplémentaire pour l'application du règlement dans l'Arctique, à cause du délai plus long séparant la finalisation du règlement et l'application de la limite relative au soufre au point de vente (54 mois), ainsi que de la nature des dispositions provisoires relatives à la moyenne de 2 ans et demi. Les compagnies devraient disposer d'environ 48 mois entre la finalisation du règlement sur le carburant diesel en préparation et l'entrée en vigueur de la norme relative au soufre. Le réseau de distribution du carburant diesel dans l'Arctique a-t-il besoin de temps supplémentaire pour se préparer à appliquer l'exigence relative à la norme de 15 ppm?

Une autre question qui se pose dans l'Arctique, c'est qu'en vertu du règlement américain sur le diesel, l'Alaska peut se prévaloir de l'option l'autorisant à présenter à l'EPA une demande en vue d'établir son propre programme de transition au diesel à 15 ppm. Si cet État ne présente pas de demande, le programme de transition applicable dans le reste des États-Unis s'appliquera aussi en Alaska. Cet État doit présenter sa demande avant 2002. S'il présente une demande, il pourrait s'écouler plusieurs mois avant que l'EPA ne prenne une décision à ce sujet (peu après la finalisation prévue du règlement canadien). On s'attend que, même si l'État adopte un programme spécial, une portion considérable de la production de carburant diesel routier de l'Alaska serait conforme à la norme de 15 ppm (mais peut-être moins que la proportion de 80 % établie dans le reste des É.-U.). Une partie de l'approvisionnement en diesel du Canada provient de raffineries de l'Alaska, en particulier au Yukon10. Compte tenu des contraintes législatives imposées par la LCPE, 1999, comment la réglementation canadienne devrait-elle régler la question des importations de carburant diesel routier en provenance de l'Alaska pendant la période de transition prévue aux États-Unis?

Il faut aussi se demander comment les teneurs en soufre doivent être mesurées. Aux termes du règlement américain, il faut utiliser la méthode ASTM D-6428-99 pour mesurer la teneur en soufre du carburant diesel. Le Canada devrait-il adopter cette méthode, ou mettre au point sa propre méthode? Devrait-on autoriser le recours à d'autres méthodes aux fins du suivi des dossiers et de la rédaction des rapports? Si oui, quelles sont les méthodes de rechange qui devraient être permises? Par le passé, Environnement Canada s'est appuyé largement sur les avis de l'Office des normes générales du Canada et de ses propres spécialistes concernant ces questions.

L'Avis d'intention pour des véhicules, des moteurs et des carburants moins polluants mentionne qu'Environnement Canada « examinera la possibilité de prendre des mesures complémentaires aux règlements, comme des instruments économiques et d'autres mesures, dans le but de promouvoir l'introduction hâtive de carburants moins polluants, comme les carburants à faible teneur en soufre. »

Dans le but de promouvoir l'introduction de carburant diesel à faible teneur en soufre avant la date cible (2005) à laquelle la norme de 50 ppm deviendra obligatoire dans les pays de l'Union européenne, bien des pays européens ont recours avec succès à une taxe différentielle (moins élevée), notamment les suivants : Finlande, Danemark, Grande-Bretagne, Allemagne, Suède et Norvège, en plus de Hong Kong. L'Autriche, les Pays-Bas, la Suisse et l'Australie envisagent sérieusement d'instaurer une taxe différentielle pour le diesel à faible teneur en soufre. Par exemple, en Grande-Bretagne, la taxe différentielle a fait passer à plus de 99 % la part de marché du carburant diesel à faible teneur en soufre, soit cinq ans et demi avant la date butoir fixée par le règlement; au Danemark, immédiatement après l'introduction de cette taxe moins élevée, la part du marché du carburant diesel à 50 ppm est passée à 100 % presque du jour au lendemain, ce qui s'est traduit par une baisse importante de la concentration de particules dans l'air ambiant à Copenhague. Les taxes différentielles varient d'un pays à l'autre, l'écart se situant en moyenne entre 2 et 6 cents canadiens le litre11.

Le Canada a acquis un peu d'expérience dans ce domaine avec les taxes différentielles appliquées aux combustibles propres. En 1989, le gouvernement fédéral a fixé la taxe sur l'essence sans plomb à un cent de moins le litre par rapport à la taxe sur l'essence au plomb (il y avait également une différence de taxe de ce genre en Colombie-Britannique et en Ontario en 1987 et en 1988). De plus, le gouvernement fédéral accorde une exemption de la taxe d'accise fédérale pour la portion éthanol de l'essence mélangée à de l'éthanol.




Notes de bas de page

10 D'après les données de Douanes Canada, 31 249 m3 de carburant diesel à 500 ppm et 17 135 m3 de carburant diesel régulier ont été importés au Yukon en 1998. Ces chiffres représentent environ 40 % des ventes totales de carburant diesel dans l'Arctique.
11 Environnement Canada. Examen des initiatives internationales visant à accélérer la réduction du soufre dans le carburant diesel (PDF 197 ko). Préparé pour la Direction du pétrole, du gaz et de l'énergie par B. Olvastri et M. Williamson, décembre 2000, 50 p.

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