ARCHIVÉ – Immigrants récents, immigrants antérieurs et natifs du Canada : association aux identités collectives Immigrants récents, immigrants antérieurs et natifs du Canada : association aux identités collectives

2. Analyse documentaire

2.1 Le concept de l’identité

L’identité est une question de définition, et c’est ce qui fait de nous ce que nous sommes. En tant qu’êtres sociaux, il existe « au plus profond de l’individu, un besoin ontologique de complétude. Celui-ci se manifeste par un désir d’appartenir à quelque chose de plus grand que soi et de participer activement à l’existence de cette entité supra-individuelle » (Létourneau, 2001, p. 7).

Les chercheurs soutiennent que les identités collectives ont de l’importance principalement parce qu’elles sont liées à la cohésion sociale (Jenson, 1998; Muir, 2007). D’après Muir, les valeurs communes, l’action commune et l’identité commune conduisent à la cohésion sociale. Dans ce contexte, l’identité apporte deux attributs importants : [traduction] « un attachement affectif et des solidarités imaginées, faciles à généraliser, entre de grands nombres de personnes » (Muir, 2007, p. 8). C’est parce que l’identité collective [traduction] « demande de faire preuve de beaucoup d’imagination pour réunir sous un toit unique et symbolique des personnes avec un grand nombre d’autres personnes et […] nous permet de généraliser, à partir de rencontres individuelles, un sentiment de solidarité avec toute la collectivité » (Muir, 2007, p. 9).

Par ailleurs, [traduction] « l’identité commune a le potentiel d’apporter une contribution distincte et valable à la cohésion sociale grâce à sa capacité de favoriser l’établissement de liens affectifs entre des quantités de gens qui peuvent être assez considérables » (Muir, 2007, p. 17).

Ce qui fait des individus ce qu’ils sont ne se résume pas à leurs traits et caractéristiques personnels, mais comprend aussi l’appartenance à des catégories sociales ou à des groupes sociaux (réels ou imaginés), qu’ils s’attribuent eux-mêmes ou que d’autres leur attribuent. Dans son contexte social, l’identité peut être définie comme « le caractère distinctif qui appartient à une personne donnée ou qui est partagé par tous les membres d’une catégorie ou d’un groupe social en particulier […]. L’“identité” peut être distinguée de l’“identification”; le premier terme désigne une étiquette, alors que le second fait référence à l’action même de classifier » (Rummens, 2001, p. 3).

Les ouvrages sociologiques sur l’identité montrent que l’identité et le concept connexe de l’identification ont trait au fait de situer un individu dans la société, de le classer ou de le catégoriser (Tajfel, 1974; Rummens, 2001; Ashmore et coll., 2004) et servent aussi à étiqueter des éléments (individus, groupes) qui partagent une similitude (Tastsoglou, 2001; Bokser-Liwerant, 2002). Comme Tajfel, créateur de la théorie de l’identité sociale dans les années 1970, le souligne, l’identité dans un contexte social concerne [traduction] « le concept de soi qu’a l’individu et qui découle de la connaissance qu’il a de son appartenance à un groupe social (ou à des groupes), ainsi que de la signification émotionnelle de cette appartenance » (Tajel, 1974, p. 69).

Snow distingue entre l’identité personnelle, sociale et collective : [traduction] « les identités personnelles sont les attributs et la signification que le sujet se donne à lui-même; elles sont des auto-désignations et des auto-attributions considérées comme propres à la personne » (Snow, 2001, p. 2). Par ailleurs, les identités sociales quant à elles sont [traduction] « les identités attribuées ou imputées à d’autres dans une tentative de les situer dans un espace social. Elles sont enracinées dans des rôles sociaux établis » (Snow, 2001, p. 2). Snow (2001) croit que les identités collectives sont différentes des deux premiers types, car elles ont, gravé en elles, un sentiment correspondant d’autodétermination collective facilitant l’action collective. Il dit :

[Traduction] « Bien qu’il n’existe aucune définition consensuelle de l’identité collective, il ressort invariablement des discussions à propos du concept que son essence réside dans un sentiment commun d’« unité » ou un sens du « nous » ancré dans des attributs et des expériences communes, réelles ou imaginées, chez ceux qui constituent la collectivité et par rapport ou contrairement à un ou à plusieurs ensembles réels ou imaginés d’« autres individus » (Snow, 2001, p. 2).

Il convient de remarquer que dans la documentation, le concept de l’identité est aussi associé à l’idée de limites. Plus précisément, les identités sont circonscrites, en ce sens qu’elles confèrent non seulement un sentiment de similitude, mais aussi de différence ou de spécificité par rapport aux étrangers (Tajfel, 1974; Tastsoglou, 2001; Bokser-Liwerant, 2002; Muir, 2007).

2.2 Les caractéristiques de l’identité

Les identités sont généralement comprises comme étant construites, multiples, dynamiques, relationnelles et négociées et de prédominance variée. La recherche actuelle semble indiquer que les identités sont construites, c’est-à-dire qu’elles sont créées, façonnées et formulées par des individus en tant qu’acteurs sociaux, par des groupes et leurs environnements sociaux, et qu’elles ne sont donc pas essentielles ou prédéterminées. Plusieurs chercheurs, notamment Rummens (2001), Létourneau (2001), Frideres (2002) et Ashmore et coll. (2004) partagent ce point de vue.

D’après Létourneau, « on s’entend en effet largement sur l’idée voulant que l’identité collective […] soit une réalité “construite”, c’est-à-dire, fabriquée à l’aide d’éléments puisés dans des documents historiques et réifiés (ou pétrifiés) comme références identitaires » (Létourneau, 2001, p. 5). Frideres explique que l’identité « se transforme en fonction de pressions internes et externes » (Frideres, 2002, p. 4).

Les identités sont comprises comme étant multiples, en ce sens qu’elles peuvent être nombreuses et variées. Un individu donné peut avoir une variété d’identités, pouvant se croiser, se chevaucher, entrer en conflit et se heurter. Plusieurs chercheurs, dont Peressini (1993), Rummens (2001), Létourneau (2001), Tastsoglou (2001) et Snow (2001), partagent ce point de vue sur l’identité. D’après Rummens, il y a une « variété presque infinie d’“identités” assignées aux individus et aux groupes – ou assumées par eux – en tant qu’éléments sociaux » (Rummens, 2001, p. 4).

Les identités sont aussi définies comme étant dynamiques, c’est-à-dire qu’elles sont fluides et malléables plutôt que fixes ou statiques, et qu’elles peuvent se transformer au fil du temps et d’un endroit à un autre. Il s’agit là d’une caractéristique que reprennent des auteurs comme Létourneau (2001), Bokser-Liwerant (2002), Croucher (2004) et Rashid (2007). Létourneau, par exemple, comprend l’identité comme étant une « réinterprétation continuelle de soi. C’est d’ailleurs pour cette raison que l’on peut dire de l’identité qu’elle n’est pas quelque chose de fixe, mais de changeant et de vivant » (Létourneau, 2001, p. 2).

Les identités sont généralement considérées comme relationnelles. Ce point de vue est présenté dans les travaux de Tajfel (1974), Létourneau (2001) et Frideres (2002). La signification de la nature relationnelle de l’identité est double. Premièrement, l’identité est relationnelle, car elle est inscrite dans l’activité sociale, intersubjective, et elle n’est pas construite en dehors de son contexte social.

« En résumé, l’identité individuelle est le résultat convergent d’une entreprise d’auto-définition (ou d’autonarration) et d’“extradéfinition” (ou d’“extranarration”) par l’autre, individuel ou collectif. Voilà pourquoi l’on peut dire que l’identité est une activité sociale d’intersubjectivité en ce qu’elle est le produit d’une relation à l’autre où la référence à autrui devient elle-même intérieure au sujet. » (Létourneau, 2001, p. 4)

Deuxièmement, l’identité est relationnelle en ce sens qu’elle est généralement considérée comme une référence à autrui. Elle exprime quelque chose au sujet de la similitude, mais aussi au sujet de la différence et au sujet des autres. L’identité implique donc une comparaison, un contraste et des limites. [Traduction] « La définition d’un groupe (national, racial ou autre) n’a aucun sens s’il n’y a pas d’autres groupes autour. Un groupe devient un groupe parce qu’il est perçu comme possédant des caractéristiques communes ou un sort commun uniquement parce que d’autres groupes sont présents dans l’environnement » (Tajfel, 1974, p. 71-72).

Les identités sont négociées, contestées et peuvent être adoptées ou non par l’individu ou le groupe. On retrouve cette caractéristique de l’identité dans Rummens (2001), Hoerder et coll. (2006), Rashid (2007) et Muir (2007). Muir, par exemple, déclare que l’identité [traduction] « est un processus dans lequel la signification est constamment affirmée, contestée et négociée » (Muir, 2007, p. 11). De son côté, Rummens affirme que les identités « ne sont pas simplement assignées ou obtenues dans le cadre du processus de socialisation et de développement de l’individu; elles sont aussi édifiées socialement et négociées par les intervenants sociaux. Ces identifications de soi et/ou d’autrui peuvent être acceptées ou contestées » (Rummens, 2001, p. 15).

2.3 Qu’arrive-t-il aux identités nationales dans le processus de la migration?

Frideres explique que les immigrants « ont forcément passé par la relocalisation et ont été contraints de se réinventer, en quelque sorte » (Frideres, 2002, p. 1-2). Grant dit que les immigrants [traduction] « intériorisent souvent une nouvelle identité nationale lorsqu’ils se déplacent vers un autre pays, même si cette acculturation psychologique implique qu’ils s’identifient à une culture dont les valeurs et les traditions sont différentes de leur culture d’origine » (Grant, 2007, p. 89). Le processus d’intériorisation – cette modification du concept de soi – s’il est bien réalisé, aboutit à la création d’une nouvelle identité nationale pour l’individu.

Différents auteurs associent la création d’une nouvelle identité nationale à la réussite de l’intégration. Pour Walters et coll., [traduction] « l’identification à la société d’accueil est importante pour l’unité nationale » (Walters, 2007, p. 60). Alors que le processus de l’intégration suppose une acculturation et donc une transformation de l’identification nationale, il n’implique pas que les immigrants mettent de côté leurs identités nationales antérieures ou devraient le faire.

Le transnationalisme fait référence à ce qui dépasse le cadre national et concerne plusieurs nations ou nationalités. Le concept des identités transnationales est évoqué dans les travaux de divers auteurs, comme Gardiner Barber (2003), Croucher (2004), Ehrkamp et Leitner (2006) et Grant (2007). Gardiner Barber fait valoir qu’en tant que [traduction] « processus mondial, la migration produit des citoyens qui ont de multiples liens et attachements. Les immigrants voient le monde en le comparant à travers une perspective que l’on décrit maintenant comme transnationale […] On peut donc dire que tous les migrants, potentiellement du moins, détiennent des identités transnationales » (Gardiner Barber, 2003, p. 45).

[Traduction] « Le concept du transnationalisme […] laisse entendre que les immigrants forgent et entretiennent des identités et des liens familiaux, économiques, culturels et politiques au-delà des frontières nationales, à la fois dans leur société d’origine et leur société d’accueil […] Bref, les migrants contemporains sont intégrés dans de multiples communautés, s’identifient à elles et y participent, et ne sont pas simplement, ni même essentiellement, ancrés dans une seule collectivité nationale » (Ehrkamp et Leitner, 2006, p. 1593).

D’après les ouvrages étudiés, différents facteurs peuvent influer sur l’acquisition d’une nouvelle identité nationale par les immigrants. Ces facteurs comprennent entre autres : le temps passé dans le pays d’accueil (Grant, 2007; Walters et coll., 2007); l’acquisition d’une citoyenneté officielle (Krzyzanowsli et Wodak, 2007; Walters et coll., 2007); le degré de correspondance ou d’incompatibilité entre les cultures d’origine et du pays d’accueil (Grant, 2007); ainsi que les expériences dans la société d’accueil (Grant, 2007; Krzyzanowsli et Wodak, 2007).

2.4 Identités collectives et sentiment d’appartenance chez les Canadiens

L’identité est un concept qui peut être opérationnalisé de différentes façons aux fins d’étude empirique. Comme indiqué précédemment, le concept de l’identité, plus précisément de l’identité collective, est lié à l’appartenance. C’est la mesure utilisée dans les études de Schellenberg (2004a et 2004b) et d’Ipsos Reid (2007). Laczko (2005) utilise une mesure semblable quand il compare différents pays.

Ipsos Reid a dirigé une enquête nationale en 2007 qui [traduction] « explore les niveaux de participation à la vie sociale et d’attachement au Canada chez les immigrants anglophones canadiens de première et deuxième génération, et compare les résultats à un échantillon national représentatif de Canadiens » (Ipsos Reid, 2007, p. 1). On a demandé aux répondants à quel point leur sentiment d’appartenance au Canada était fort. Les résultats révèlent que, pour 88 % des Canadiens de deuxième génération, le sentiment d’appartenance est fort (note de quatre ou de cinq sur cinq), comparativement à 81 % pour les immigrants de première génération et à 79 % pour la population en général; tandis que 71 % des Canadiens de deuxième génération disent que leur sentiment d’appartenance est très fort (note de cinq sur cinq), comparativement à 58 % des Canadiens de première génération et à 62 % de la population en général [Note 3] (Ipsos Reid, 2007, p. 4).

Le cycle 17 de l’Enquête sociale générale (ESG 17) de Statistique Canada, mené en 2003, portait sur l’engagement social et comprenait des questions sur le sentiment d’appartenance au Canada, à sa province et à sa communauté. D’après les résultats, les immigrants ont un sentiment d’appartenance au Canada plus fort que celui de la population née au Canada : 85,6 % [Note 4] des natifs du Canada déclarent un fort sentiment d’appartenance au Canada, tout comme 93,0 % des immigrants établis, [Note 5] 91,0 % des immigrants arrivés entre 1980 et 1990, et 87,6 % des immigrants arrivés entre 1991 et 2003 (Schellenberg, 2004a).

Les résultats montrent également que le sentiment d’appartenance à la communauté ne varie pas considérablement entre les natifs du Canada et les immigrants : 69,4 % des natifs du Canada indiquent un fort sentiment d’appartenance à leur communauté, tout comme 71,2 % des immigrants arrivés avant 1980, 67,0 % des immigrants arrivés entre 1980 et 1990, et 68,2 % des immigrants arrivés entre 1990 et 2003 (Schellenberg, 2004a).

Enfin, examinons l’analyse de Laczko, qui utilise des données de l’International Social Survey Program (ISSP – programme international d’enquête sociale) de 1995. Dans cette étude, l’auteur examine les données provenant de 24 pays (y compris du Canada), tout d’abord dans leur ensemble, puis les compare entre les pays. Bien que l’étude n’utilise pas le concept du « sentiment d’appartenance », l’ISSP de 1995 utilise une mesure analogue, car elle demande aux répondants à quel point ils se sentent « proches » de différents ordres de collectivité (le voisinage ou le village, la ville, la province, le pays et le continent), et s’ils veulent s’installer ailleurs, géographiquement (Laczko, 2005, p. 519). L’auteur a constaté de grandes ressemblances transnationales, et a fait remarquer que [traduction] « les gens [y compris les Canadiens] se sentent plus proches de leur pays ou de leur société nationale et moins proches de leur continent » (Laczko, 2005, p. 522-523). En ce qui concerne les résultats des Canadiens, l’auteur conclut que les Canadiens expriment [traduction] « des niveaux relativement faibles d’attachement à leurs communautés locales » (Laczko, 2005, p. 527).


Note en bas de page

[Note 3] Les données de cette étude ont été pondérées pour veiller à ce que chacun des trois groupes de sous-population reflète la population réelle.

[Note 4] Les réponses « indéterminé » ont été écartées des calculs.

[Note 5] Ceux qui ont immigré avant 1980.

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