Les résultats économiques des résidents permanents de langue officielle en situation minoritaire

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Évamé Koumaglo et Ndeye Diouf travaillent à la Division de la recherche et de la mobilisation des connaissances de la Direction générale de la recherche et des données à Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada.

Août 2025

Introduction

Tout comme pour les plans de croissance démographique et économique, l’immigration est reconnue comme jouant un rôle important dans la promotion des deux langues officielles, et plus spécifiquement dans la préservation du français. D’une part, le Canada accueille plus d’immigrants pour le renouvellement de sa population active et pour combler les besoins en main d’œuvre. D’autre part, attirer et retenir plus d’immigrants ayant une bonne maîtrise de l’anglais ou du français est une stratégie pour appuyer non seulement la promotion des langues officielles mais aussi la vitalité des communautés de langue officielle en situation minoritaire (CLOSM) (Guignard Noël & Forgues, 2020; Patrimoine canadien, 2020).

C’est ainsi que depuis plus de deux décennies, Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada (IRCC), en collaboration avec d’autres ministères, a mis en place les plans d’action pour les langues officielles (PALO) qui orientent les priorités, les mesures et les responsabilités des différentes institutions fédérales pour la promotion des deux langues officielles (Patrimoine canadien, 2020). Comme indiqué dans le PALO de 2018-2023 et réitéré dans la Politique en matière d’immigration francophone de 2024, IRCC a pour objectif d’attirer et de retenir les immigrants francophones tout en favorisant l’épanouissement des communautés francophones. Un des champs d’action pour appuyer le mandat d’IRCC est la production de données probantes et recherches. Ces dernières visent à améliorer l’expertise et les connaissances communes concernant l’immigration francophone et les communautés francophones et à faire en sorte que les politiques, programmes et services soient basés sur des données probantes (IRCC, 2024; Bacher et Diouf, 2021; Patrimoine canadien, 2013).

Cette étude découle de ces mandats de recherche d’IRCC et se penche sur le profil et les résultats économiques des résidents permanents d’expression française hors Québec et des résidents permanents d’expression anglaise au Québec.

Quelques études antérieures ont déjà examiné le profil des immigrants au sein des CLOSM et leurs résultats économiques (Houle, 2019 ; Morency et al., 2017; Ravanera et al., 2014). Elles ont montré qu’une bonne proportion des minorités linguistiques était hautement qualifiés et évoluait dans le domaine de la gestion et des Sciences, Technologie, Ingénierie et Médecine (STIM). Les immigrants admis au sein des CLOSM étaient théoriquement en mesure d’intégrer le marché de l’emploi et de réaliser des performances économiques assimilables à leurs niveaux de diplôme et/ou de compétence.

Paradoxalement, la littérature rapporte que les immigrants de langue officielle minoritaire ont souvent fait face à des difficultés d’intégration professionnelle, ce qui a conduit à des taux d’emploi et/ou des rémunérations généralement inférieurs à ceux des immigrants de la majorité linguistique (Houle, 2015 ; Environics, 2015). Par exemple, les écarts étaient tels qu’il fallait au moins cinq années aux immigrants économiques pour atteindre le revenu annuel moyen d’un Canadien de naissance (Houle, 2015).

Plusieurs facteurs auraient contribué à ces constats. Gallant et al. (2018) ont indiqué qu’au Québec, les immigrants d’expression anglaise accédaient difficilement à des emplois qui correspondaient à leurs domaines de qualification professionnelle ou à leurs niveaux d’étude. Pour contourner cet obstacle, ils avaient développé certaines alternatives telles que travailler dans des domaines autres que leur qualification professionnelle ou retourner suivre des études dans le même domaine avec l’objectif d’obtenir un diplôme supérieur à celui qu’ils possédaient déjà. D’autres optaient pour un diplôme dans un autre domaine de qualification (Gallant et al., 2018). Au Canada hors Québec, les immigrants d’expression française avaient développé des stratégies similaires. Par exemple, les travailleurs appartenant à la minorité linguistique acceptaient des postes dans l’enseignement même s’ils avaient une qualification professionnelle autre (Sociopol, 2020). En outre, même si une large proportion des immigrants francophones en situation minoritaire, notamment les femmes, détenaient un diplôme dans le domaine de la santé, la plupart travaillaient dans d’autres secteurs (GGI, 2020). L’un des facteurs expliquant cette situation est l’accès à l’information. En effet, les immigrants d’expression française dont le niveau d’anglais était faible étaient souvent confrontés à un problème d’accès aux services d’aide à la recherche d’emploi, surtout si les services en français n’y étaient pas offerts.

Ce rapport propose donc un portrait sociodémographique récent des immigrants et plus spécifiquement des résidents permanents d’expression française au Canada hors Québec et de ceux d’expression anglaise au Québec. Il comprend aussi une analyse des résultats économiques sur une période de dix ans suivant leur admission, à partir des données récentes de la Base de données longitudinales sur l’immigration (BDIM). Cette recherche jette les bases pour élaborer des profils plus approfondis dans le futur, comme recommandé dans la synthèse des connaissances des rapports commandités par IRCC (Bacher et Diouf, 2021).

La première partie ci-dessus présente le contexte et la problématique entourant l’immigration francophone hors Québec et anglophone au Québec. La deuxième partie expose l’approche méthodologique. Quant à la troisième partie, elle porte sur l’analyse descriptive des caractéristiques sociodémographiques et de l’insertion professionnelle à travers des indicateurs et statistiques liés aux revenus d’emploi des immigrants d’expression française au Canada hors Québec et des immigrants d’expression anglaise au Québec. La quatrième partie examine le lien entre le lieu de résidence, l’expression dans la langue officielle et la rémunération d’emploi. Une conclusion termine ce rapport.

Méthodologie

Population

Cette étude porte sur les résidents permanentsNote de bas de page 1 d’expression française admis au Canada hors Québec et les résidents permanents d’expression anglaise admis au Québec entre 2005 et 2021. À l’exception de l’analyse de l’évolution des admissions, seules les personnes âgées de 20 à 54 ans ont été retenues pour le portrait et les analyses statistiques. Les groupes de comparaison sont les immigrants s’exprimant dans la langue officielle majoritairement parlée dans chacune des deux zones géographiques et la population non immigranteNote de bas de page 2.

Source de données

Les données utilisées proviennent de la BDIM. Cette base de données comprend les données administratives d’IRCC liées aux données fiscales de l’Agence du revenu du Canada (ARC). Elle contient donc des données sur les caractéristiques démographiques de tous les immigrants telles que recueillies au moment de l’admission ainsi que les revenus de ceux qui ont effectué leur déclaration fiscale sur une base annuelle. La Banque de données administratives longitudinales (DAL) a été consultée pour obtenir les informations sur la population non immigrante.

Mesures

Une des mesures essentielles de cette étude est la connaissance des langues officielles, car elle permet de distinguer les différents groupes linguistiques. Cette caractéristique est recueillie au moment de l’admission. Pour cette recherche, les mesures des langues officielles retenues sont celles d’IRCC. Celles-ci ont évolué au fil des années. Les variables suivantes sont donc basées sur les mesures linguistiques d’IRCC de 2006 et 2016 et se définissent comme suit :

Variable linguistique pré-2019 : un résident permanent d’expression française est :

  1. un résident permanent qui déclare avoir le français comme langue maternelle; ou
  2. un résident permanent qui a une langue maternelle autre que le français ou l’anglais et qui déclare une connaissance du « français seulement » (excluant les réponses multiples en anglais et en français).

Variable linguistique post-2019 : un résident permanent d’expression française est :

  1. un résident permanent qui déclare une connaissance du « français seulement », ou
  2. un résident permanent qui déclare avoir le « français et l’anglais » comme langues officielles, ainsi que le français comme la langue dans laquelle il est le plus à l’aise.

Des mesures équivalentes existent pour les résidents permanents d’expression anglaise.

Selon l’ancienne mesure, une combinaison de la langue maternelle et de la langue officielle était utilisée pour déterminer le profil linguistique. Avec la nouvelle méthode, le résident permanent peut désormais identifier la langue officielle dans laquelle il est le plus à l’aise. En s’éloignant du concept de langue maternelle et en se concentrant sur la première langue officielle utilisée au Canada, la nouvelle mesure vise à fournir des données plus solides et inclusives qui reflètent mieux le profil linguistique des immigrantsNote de bas de page 3.

Les autres mesures clés de cette étude sont les revenus, qui indiquent les gains perçus et les taux d’incidence d’emploi qui, quant à eux, servent à examiner le niveau de participation de la population d’intérêt au marché du travail. Les résultats relatifs aux taux d’incidence de revenu d’emploi et aux revenus sont présentés selon le nombre d’années écoulées depuis l’obtention de la résidence permanente.

Résultats

Les admissions d’immigrants de langue officielle minoritaire ont augmenté de manière significative aussi bien au Québec que dans le reste du Canada

De 2005 à 2015, le nombre de résidents permanents d’expression française admis annuellement hors Québec oscillait autour de 3 000 (graphique 1). À partir de 2016, l’effectif de cette minorité a augmenté tant en nombre qu’en proportion par rapport aux admissions totales de résidents permanents hors Québec. En chiffres absolus le nombre de résidents permanents d’expression française hors Québec est passée de 3 885 en 2016 à un pic d’admissions de 8 425 en 2019Note de bas de page 4, avant de baisser pendant la période post-pandémique.

Cette hausse du nombre d’admissions serait attribuable, d’une part, aux différentes mesures d’IRCC tels que le lancement du programme Mobilité francophone en 2016, l’octroi de points additionnels pour la maîtrise du français en 2017 et une meilleure promotion de l'Initiative des communautés francophones accueillantes. Ces initiatives visent à soutenir l’immigration francophone à l’extérieur du Canada. D’autre part, l’augmentation marquée des admissions observée à partir de 2019 coïncide avec la mise en œuvre de la plus récente définition des langues officielles d’IRCC.

Au Québec, on comptait au moins deux fois plus d’admissions d’immigrants d’expression anglaise que de la minorité francophone dans le reste du Canada. Les admissions annuelles oscillaient autour de 10 000 entre 2005 et 2015, et de 15 000 entre 2017 et 2021 (sauf en 2020).

Au total, on dénombrait 69 225 immigrants d’expression française admis hors Québec et 189 890 immigrants d’expression anglaise admis au Québec durant la période de 2005 à 2021.

Graphique 1 : Nombre de résidents permanents de langue officielle en situation minoritaire, selon l’année d’admission
Graphique linéaire 1 décrit par les données ci-dessous.

Source : Statistique Canada, Base de données longitudinales sur l’immigration, 2022.

Note : Les données d’admission de la BDIM peuvent légèrement différer de ceux des bases administratives d’IRCC. De plus, les chiffres sont arrondis au plus proche multiple de cinq.

Version texte du graphique 1
Nombre de résidents permanents de langue officielle en situation minoritaire, selon l’année d’admission
Année d’admission Immigrants d’expression française hors Québec Immigrants d’expression anglaise au Québec
2005 2 740 9 135
2006 2 790 9 880
2007 2 980 9 595
2008 3 185 9 855
2009 3 190 11 910
2010 3 445 11 165
2011 3 595 8 970
2012 3 660 10 585
2013 3 670 9 620
2014 3 020 9 795
2015 2 985 10 675
2016 3 885 12 190
2017 4 110 14 605
2018 4 875 15 295
2019 8 425 14 390
2020 5 740 7 690
2021 6 930 14 535

Les femmes, les jeunes et les personnes hautement scolarisées constituent une part importante des immigrants de langue officielle en situation minoritaire

Un peu plus de la moitié (±52 %) des résidents permanents d’expression française au Canada hors Québec ou d’expression anglaise au Québec, étaient des femmes (tableau 1). La vaste majorité (±96 %) de ces minorités linguistiques étaient admises au Canada alors qu’ils avaient entre 20 et 49 ans et la plupart d’entre eux possédaient un diplôme universitaire (53,9 %).

Ces caractéristiques sont similaires à celles des groupes linguistiques majoritaires; cependant, on constate des différences quant au niveau de scolarité, à la connaissance autodéclarée des langues officielles, à la catégorie d’admission, au pays de naissance et à la province de destination envisagée.

À l’extérieur du Québec, 53,9 % des résidents permanents d’expression française détenaient au moins un diplôme de baccalauréat comparativement à 61,7 % pour la majorité linguistique.

Près de 51 % des immigrants d’expression française hors Québec autodéclaraient connaitre aussi la langue officielle de la majorité, soit l’anglais. Au Québec, c’était seulement 14,7 % des immigrants d’expression anglaise qui semblaient détenir une compréhension du français.

Un peu plus de la moitié des immigrants s’exprimant dans la langue officielle minoritaire étaient des immigrants économiques. On remarque aussi que les immigrants parrainés et les réfugiés étaient généralement surreprésentés dans le groupe de langue minoritaire, soit un peu moins de 50 %, alors que parmi les immigrants de la majorité linguistique, ceux admis dans les catégories du parrainage familial et des réfugiés représentaient un peu moins de 33 %.

Environ 55 % des immigrants d’expression française hors Québec étaient originaires de la France (24,8 %), d’Haïti (6,9 %) et de pays africains, notamment la République démocratique du Congo (10,5 %), le Maroc (8,0 %) et le Cameroun (5,6 %). Dans l’ensemble, l’Afrique était le premier continent d’origine des immigrants d’expression française (54,7 %), suivi par l’Europe (30,7 %). Au Québec, les résidents permanents anglophones étaient surtout des natifs d’Asie (64,7 %), notamment de Chine (12,2 %), des Philippines (10,5 %), d’Inde (9,1 %), d’Iran (5,8 %) et de Syrie (5,0 %).

Les données sur les pays d’origine et la catégorie d’admission suggèrent que l’immigration en contexte de langue officielle minoritaire était aussi le reflet des flux migratoires liés aux raisons humanitaires survenus au cours des dernières décennies.

Finalement, un fort pourcentage (±90 %) des immigrants d’expression française au Canada hors Québec envisageaient de s’installer principalement dans les provinces de l’Ontario, de l’Alberta, de la Colombie-Britannique et du Nouveau-Brunswick. Chez la majorité linguistique, l’Ontario, la Colombie-Britannique, l’Alberta et le Manitoba arrivaient en tête (en ordre décroissant).

Tableau 1 : Caractéristiques sociodémographiques des résidents permanents au Canada hors Québec et au Québec, âgés de 20 à 54 ans au moment de l’admission (pourcentage)
Hors Québec Québec
Expression française Expression anglaise Expression anglaise Expression française
Sexe Femme 52,6 51,0 51,6 50,3
Homme 47,4 49,0 48,4 49,7
Groupe d’âge 20 à 29 ans 36,0 38,2 34,6 35,7
30 à 39 ans 43,4 41,3 41,2 47,2
40 à 49 ans 17,1 17,0 19,4 14,6
50 à 54 ans 3,5 3,5 4,8 2,5
Langues officielles autodéclarées Anglais seulement 4,8 94,6 79,1 1,1
Français seulement 45,9 0,1 0,8 60,3
Français et anglais 46,1 1,2 13,9 34,7
Ni français et ni anglais 2,5 3,9 5,9 3,7
Non déclaré 0,7 0,2 0,2 0,3
Niveau de scolarité Aucune étude 2,7 1,7 2,0 3,9
Secondaire ou moins 19,1 16,2 20,5 14,1
Études postsecondaires 16,7 15,1 17,0 24,6
Baccalauréat 27,0 41,5 41,9 29,6
Post-baccalauréat 26,9 20,2 17,8 27,4
Non déclaré 7,6 5,3 0,7 0,5
Principaux pays et régions de naissance France 24,8 s.o. s.o. 24,0
Congo, République démocratique 10,5 s.o. s.o. s.o.
Maroc 8,0 s.o. s.o. 9,2
Haïti 6,9 s.o. s.o. 9,3
Cameroun 5,6 s.o. s.o. 5,6
Inde s.o. 24,2 9,1 s.o.
Philippines s.o. 14,2 10,5 s.o.
Chine s.o. 9,3 12,2 s.o.
Pakistan s.o. 3,8 s.o. s.o.
Royaume-Uni s.o. 2,8 s.o. s.o.
Iran s.o. s.o. 5,8 s.o.
Syrie s.o. s.o. 5,0 s.o.
Algérie s.o. s.o. s.o. 11,3
Amériques 2,2 11,2 16,5 8,7
Europe 5,9 7,3 9,4 5,4
Afrique 30,4 8,4 8,8 22,3
Asie 5,6 17,8 22,1 4,1
Océanie et autres 0,1 1,0 0,6 0,1
Catégorie d’admission Économique 54,3 66,1 50,8 67,1
Parrainage familial 23,2 25 32,2 22,3
Réfugiés 20,1 7,5 14,9 8,1
Autres 2,3 1,4 2,1 2,5
Province de destination envisagée Terre-Neuve-et-Labrador 0,4 0,4 s.o. s.o.
Île-du-Prince-Édouard 0,3 0,7 s.o. s.o.
Nouvelle-Écosse 1,5 1,8 s.o. s.o.
Nouveau-Brunswick 7,1 1,1 s.o. s.o.
Ontario 58,7 51,5 s.o. s.o.
Manitoba 6,0 6,0 s.o. s.o.
Saskatchewan 1,8 4,3 s.o. s.o.
Alberta 12,1 15,3 s.o. s.o.
Colombie-Britannique 11,6 18,7 s.o. s.o.
Territoires 0,5 0,2 s.o. s.o.
Québec s.o. s.o. 100,0 100,0
Expérience de travail avant l’admission Non 50,3 51,2 58,2 52,9
Oui 49,7 48,8 41,8 47,1

Source : Statistique Canada, Base de données longitudinales sur l’immigration, 2022.

Note : Les caractéristiques sociodémographiques des groupes linguistiques au tableau 1 peuvent légèrement différer de celles de la population établie aux différentes années après admission dans les sections suivantes.

Les immigrants de langue officielle minoritaire, à l’exception des francophones installés depuis longtemps, étaient moins susceptibles d’occuper un emploi comparativement aux majorités linguistiques et aux non-immigrants

La probabilité d’occuper un emploi est mesurée par le taux d’incidence de revenu d’emploi ou encore la fréquence de revenu d’emploi. Cette dernière est définie comme la part des immigrants âgés de 20 à 54 ans à l’admission, qui ont déclaré des revenus d’emploi (salaires ou traitements et revenu net provenant d’un travail autonome) d’au moins 500 $ (en dollars constants de 2021) au cours d’une année fiscale.

Au Canada hors QuébecNote de bas de page 5 de 2009 à 2021, le taux d’incidence de revenu d’emploi chez la minorité linguistique fluctuait entre 76,6 % et 82,3 % (Graphique 2). Au départ, les immigrants d’expression anglaise avaient des taux d’incidence d’emploi plus élevés que la minorité linguistique. À partir de la septième année après l’admission, on observe un changement de tendance où le taux d’incidence de revenu d’emploi des immigrants d’expression française a augmenté rapidement pour dépasser celui du groupe majoritaire.

Au Québec, c’est une toute autre situation qui s’est présentée. La fréquence de revenu d’emploi chez les immigrants d’expression anglaise était largement inférieure à celle des immigrants d’expression française pendant toute la période de dix ans. On note un écart qui s’était creusé au fil du temps, passant de 5 à 8 points de pourcentage.

C’est également chez les immigrants anglophones qu’on a observé les fréquences d’emploi les plus basses. Au bout de 10 ans après l’admission, seulement 77,7 % des immigrants d’expression anglaise au Québec occupaient un emploi contre 81,0 % chez la majorité anglaise hors Québec. Par ailleurs, 82,3 % chez les immigrants d’expression française hors Québec disposaient d’un emploi et 84,4 % chez les immigrants d’expression française au Québec.

Somme toute, les taux d’incidence, tant chez la minorité que la majorité linguistique, demeuraient en deçà de la fréquence d’emploi de la population non immigranteNote de bas de page 6 au Canada.

Comme mentionné plus haut, ces tendances observées pourraient s’expliquer par le fait que les immigrants de langue officielle en situation minoritaire récents rencontraient de nombreux défis, dont le manque d’accès aux services d’emploi dans leur langue de choix, pour s’intégrer au marché du travail. Cependant, au fil des années, ces obstacles ont tendance à se résorber progressivement grâce à une meilleure connaissance du marché du travail et aux stratégies d’intégration professionnelle qu’ils ont développées (Sociopol, 2020; Gallant et al., 2018).

Graphique 2 : Taux d’incidence de revenu d’emploi auprès des résidents permanents au Canada hors Québec et au Québec, âgés de 20 à 54 ans au moment de l’admission, selon le nombre d’années écoulées depuis l’admission et la langue officielle
Graphique linéaire 2 décrit par les données ci-dessous.

Sources : Statistique Canada, Base de données longitudinales sur l’immigration, 2022; la Banque de données administratives longitudinales, 2021.

Version texte du graphique 2
Taux d’incidence de revenu d’emploi auprès des résidents permanents au Canada hors Québec et au Québec, âgés de 20 à 54 ans au moment de l’admission, selon le nombre d’années écoulées depuis l’admission et la langue officielle
Nombre d’années écoulées depuis l’admission Hors Québec - Expression française Hors Québec - Expression anglaise Québec - Expression anglaise Québec - Expression française Population non immigrante
1 76,6 81 68,2 74 86,3
2 78,7 81,6 70,7 76,3 86,3
3 80 81,9 72,5 79,1 86,3
4 80,8 82,1 73,9 81,2 86,3
5 81,5 82,1 74,9 82,5 86,3
6 81,7 82 75,5 83,4 86,3
7 82,4 81,6 76 83,8 86,3
8 82,4 81,4 76,8 84,2 86,3
9 82,4 81,3 77,4 84,5 86,3
10 82,3 81 77,7 84,4 86,3

Les revenus médians des immigrants de langue officielle minoritaire étaient moins élevés que ceux des majorités linguistiques et des non-immigrants, malgré une forte progression au fil des années

De façon similaire aux tendances observées pour le taux d’emploi, les immigrants d’expression française à l’extérieur du Québec affichaient des revenus médians moindres que leurs homologues anglophones de la première à la cinquième année, avant de combler l’écart et de dépasser la majorité linguistique durant les années subséquentes (Graphique 3). Pendant les dix ans suivant l’admission, les gains annuels médians ont augmenté de 28 900 $ à 47 800 $ (+ 65 %) pour les immigrants d’expression française et de 30 600 $ à 44 000 $ pour les immigrants anglophones (+ 44 %) (en dollars constants de 2021). Les écarts salariaux variaient entre -6 % à +8 % comparativement au groupe majoritaire.

Au Québec, les rémunérations médianes des groupes linguistiques avaient augmenté au fil des années. On note cependant des écarts salariaux entre les deux groupes qui s’étaient accentués. Non seulement les immigrants d’expression française affichaient des revenus médians supérieurs par rapport aux immigrants d’expression anglaise, mais au fil des années les différences étaient de plus en plus marquées. En guise d’illustration, la rémunération médiane des immigrants anglophones s’élevait à 22 400 $ à la première année et à 33 600 $ à la dixième, alors que celle des immigrants francophones était de 23 700 $ et 42 900 $. Dans cet exemple, la différence dans la rémunération se chiffrait à 6 % à la première année pour ensuite bondir et atteindre 28 % à la dixième, et ce en faveur de la majorité linguistique.

Dans l’ensemble, les immigrants d’expression française admis au Canada hors Québec depuis au moins dix ans sont ceux dont les revenus médians se rapprochaient le plus de la rémunération médiane de la population non immigrante (48 000 $ en 2021)Note de bas de page 7.

Graphique 3 : Revenus d’emploi médians des immigrants au Canada hors Québec et au Québec, âgés de 20 à 54 ans au moment de l’admission, selon la langue officielle
Graphique linéaire 3 décrit par les données ci-dessous.

Sources : Statistique Canada, Base de données longitudinales sur l’immigration, 2022; la Banque de données administratives longitudinales, 2021.

Version texte du graphique 3
Revenus d’emploi médians des immigrants au Canada hors Québec et au Québec, âgés de 20 à 54 ans au moment de l’admission, selon la langue officielle
Nombre d’années écoulées depuis l’admission Hors Québec - Expression française Hors Québec - Expression anglaise Québec - Expression anglaise Québec - Expression française Population non immigrante
1 28 900 30 600 22 400 23 700 48 000
2 32 500 34 300 24 800 26 700 48 000
3 34 100 36 300 25 900 29 300 48 000
4 36 700 37 800 27 300 31 800 48 000
5 38 700 39 000 28 400 34 300 48 000
6 41 000 40 500 29 800 36 400 48 000
7 43 200 41 500 31 100 38 400 48 000
8 45 000 42 300 31 900 40 300 48 000
9 46 700 43 300 33 000 41 800 48 000
10 47 800 44 000 33 600 42 900 48 000

Les résultats des analyses multivariées permettent de comparer la rémunération des immigrants des deux groupes linguistiques, tout en prenant en compte les différences dans les caractéristiques sociodémographiques. À cet effet, une régression a été effectuée en se basant sur un premier modèle incluant le logarithme de la rémunération comme la variable dépendante et l’indicateur de la connaissance de la langue officielleNote de bas de page 8 comme la principale variable indépendante (modèle 1 du tableau 2). Ensuite, une deuxième estimation a été effectuée en incluant les éléments du premier modèle avec des variables reflétant les caractéristiques sociodémographiques, telles que l’âge, le sexe, le niveau de scolarité, la catégorie d’immigration, la région d’origine ou de naissance, le temps écoulé depuis l’admission, le nombre d’années d’expérience de travail au Canada, la cohorte d’admission et la province de résidence (modèle 2 ou modèle après correction). Ces deux modèles sont évalués séparément pour les immigrants de la minorité et de la majorité linguistique, tant au Canada hors Québec qu’au Québec, à des intervalles de un, cinq ou dix ans après l’admission.

Le modèle 1 qui ne contrôle pas les caractéristiques sociodémographiques a montré que les immigrants d’expression française avaient un salaire plus faible que leurs homologues d’expression anglaise au Canada hors Québec admis depuis un à cinq ans après l’admission. Les revenus de la minorité dépassaient ceux de la majorité, au bout de dix ans après l’obtention de la résidence permanente. L’écart entre les deux groupes linguistiques s’est comblé au fil du temps. Ces résultats concordent avec ceux rapportés dans la partie descriptive.

Après correction effectuée dans le modèle 2, les immigrants d’expression française à l’extérieur du Québec percevaient des revenus inférieurs à ceux de la majorité linguistique tout au long des dix années écoulées depuis l’admission. La différence de rémunération entre les immigrants de la minorité et de la majorité linguistique était de 15 % (-0,167 point logarithmique) un an après l’obtention de la résidence permanente, 9 % (-0,091 point logarithmique) après 5 ans et 4 % (-0,045 point logarithmique) dix ans après l’admission. Ainsi, la différence de revenus en faveur de la majorité linguistique s’était atténuée au fil des années.

Un autre constat concerne les écarts entre les modèles 1 et 2 pour chacune des années 1 à 5 au Canada hors Québec qui se sont accentués. Au premier abord, l’impact de la connaissance du français sur le revenu semblait moindre (modèle 1). Cependant, une fois ces facteurs pris en compte, l’effet de la connaissance de la langue minoritaire sur le revenu était plus défavorable et substantiel (modèle 2). Par ailleurs, les deux modèles ont confirmé que les revenus des immigrants d’expression française ont presque rattrapé ceux de leurs homologues d’expression anglaise au fil du temps. Ce rattrapage, décelé seulement hors Québec, pourrait s’expliquer par le fait qu’un peu moins de la moitié de la minorité d’expression française s’autodéclaraient bilingues au moment de l’admission. Cette minorité francophone du Canada hors Québec a pu également avoir acquis une maitrise de la langue anglaise durant les années suivantes. Par conséquent, l’impact de la langue telle qu’estimé dans les analyses multivariées pour les années 5 et 10 peut avoir été sous-évalué. Cette potentielle amélioration de la connaissance de la langue anglaise au fil du temps n’est cependant pas mesurée dans les données de la BDIM.

Au Québec, les tendances du modèle 1 sont similaires à celles présentées à partir du tableau 2 notamment le fait que les immigrants d’expression anglaise ont gagné moins que leurs homologues d’expression française avec des différences qui s’accentuaient au fil du temps. Après correction à travers le modèle 2, lors de la première année après l’obtention de la résidence permanente, les immigrants d’expression anglaise percevaient des salaires supérieurs à ceux de la majorité d’expression française. Cependant, cet avantage ne se confirme pas dans les autres années, car les résultats n’étaient pas statistiquement significatifs.

Tableau 2 : Résultats des régressions - Logarithme de la rémunération 1 an, 5 ans et 10 ans après l’obtention de la résidence permanente (points logarithmiques)

 Au Canada hors Québec

Tableau 2, Partie 1 de 2
Année 1 Année 5 Année 10
Modèle 1 Modèle 2 Modèle 1 Modèle 2 Modèle 1 Modèle 2
Constante 10,137Note de bas de tableau ** 10,514Note de bas de tableau ** 10,353Note de bas de tableau ** 10,511Note de bas de tableau ** 10,468Note de bas de tableau ** 10,663Note de bas de tableau **
Immigrants d’expression française -0,126Note de bas de tableau ** -0,167Note de bas de tableau ** -0,049Note de bas de tableau ** -0,091Note de bas de tableau ** 0,051Note de bas de tableau ** -0,045Note de bas de tableau **

 Au Québec

Tableau 2, Partie 2 de 2
Année 1 Année 5 Année 10
Modèle 1 Modèle 2 Modèle 1 Modèle 2 Modèle 1 Modèle 2
Constante 9,792Note de bas de tableau ** 10,105Note de bas de tableau ** 10,162Note de bas de tableau ** 10,338Note de bas de tableau ** 10,409Note de bas de tableau ** 10,585Note de bas de tableau **
Immigrants d’expression anglaise -0,029Note de bas de tableau ** 0,051Note de bas de tableau ** -0,128Note de bas de tableau ** 0 -0,189Note de bas de tableau ** -0,007Note de bas de tableau **

Note : Chaque modèle inclut également des variables de contrôle : la catégorie d’immigration, la région d’origine ou de naissance, le temps écoulé depuis l’admission, le nombre d’années d’expérience de travail au Canada, la cohorte d’admission et la province de résidence.

La valeur R au carré du modèle est 0,000 pour le modèle 1 et 0,153, 0,125, 0,109 pour le modèle 2 des années 1 à 10 respectivement pour les immigrants d’expression française au Canada hors Québec. La valeur R au carré du modèle est 0,000, 0,003 et 0,006 pour le modèle 1 et 0,170, 0,125, 0,117 pour le modèle 2 des années 1 à 10 respectivement pour les immigrants d’expression anglaise au Québec.

Source : Statistique Canada, Base de données longitudinales sur l’immigration, 2022.

Conclusion

Cette étude a dressé le portrait des immigrants de langue officielle minoritaire. Elle a mis en lumière les résultats économiques des différents groupes de langue officielle, au fil du temps, notamment pendant les dix années suivant l’obtention de la résidence permanente.

Dans l’ensemble, les immigrants de langue officielle minoritaire avaient les mêmes profils sociodémographiques que leurs homologues de la majorité linguistique. On comptait un peu plus de femmes et de jeunes parmi les immigrants de langue officielle minoritaire. De plus, la majorité possédait au moins un diplôme universitaire. Par ailleurs, un peu moins de la moitié de la minorité d’expression française à l’extérieur du Québec avait également déclaré connaître l’anglais. Un autre fait notable est que presque la moitié des minorités linguistiques étaient admises en tant que réfugiés ou étaient issues du parrainage familial. La plupart des immigrants de langue officielle en situation minoritaire disposaient donc de bons atouts pour intégrer le marché du travail et contribuer au développement de l’économie.

Malgré leurs similitudes sur le plan sociodémographique, les analyses descriptives et de régression ont confirmé que les immigrants s’exprimant dans la langue officielle minoritaire au moment de l’admission ont des taux d’incidence d’emploi et des revenus médians plus faibles comparativement à la majorité linguistique peu après l’obtention de la résidence permanente. Au Canada hors Québec, au fil du temps, beaucoup plus d’immigrants de langue officielle minoritaire ont participé au marché du travail, et ont perçu des revenus qui se rapprochaient généralement de ceux de la majorité linguistique et de la population non immigrante. Au Québec, les écarts entre les groupes linguistiques se sont accentués.

Les analyses ont également signalé que les résultats économiques étaient meilleurs chez les immigrants d’expression française hors Québec que chez les immigrants d’expression anglaise au Québec, alors qu’un peu plus de la moitié des immigrants d’expression française hors Québec ont déclaré connaître la langue officielle majoritaire. Les résultats de notre étude abondent dans le même sens que ceux de Houle (2019) dans la mesure où les immigrants francophones hors Québec, qui étaient presque tous bilingues dans cette étude, avaient des résultats économiques semblables ou supérieurs que ceux de leurs homologues anglophones.

Ces résultats suggèrent que la réussite économique est liée à la connaissance de la langue officielle majoritaire et la connaissance de la langue officielle en situation minoritaire seule n’est pas suffisante. Il faudrait donc veiller à un meilleur équilibre entre l’objectif de la vitalité et de la pérennité des deux langues officielles et l’épanouissement professionnel des immigrants de langue officielle minoritaire.

Bibliographie

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