Chapitre 2 : Une introduction à la justice militaire

LES FONDEMENTS1

Le rôle ultime des FC est d'employer la force – ou, tout au moins, de menacer de recourir à la force – laquelle est reliée à l'usage de la violence et à un grand pouvoir de destruction qui s'accomplit au nom du pays et en vue de la réalisation de ses intérêts nationaux. Pour ce faire, les FC disposent de tout un arsenal d'armes capables de causer destruction et mort. Il en découle évidemment qu'une telle force armée doit être parfaitement bien contrôlée et encadrée, mais aussi extrêmement disciplinée2.

Pour qu'ils soient prêts à bien remplir ce rôle, les militaires des FC doivent, jusqu'au péril de leur vie, accepter de mettre de côté leurs intérêts personnels, au profit des intérêts supérieurs du pays, lesquels trouvent leur expression dans les ordres légitimes de leurs officiers supérieurs. Ces ordres requéreront de leur part d'aller au combat et de risquer alors leur vie. À ce sujet, le juge DesRoches a décrit avec beaucoup d'à propos le but de la justice militaire comme suit :

La justice militaire doit promouvoir non seulement le bon ordre mais aussi le bon morale et la discipline. Ainsi, elle poursuit un but plus positif que la justice civile. La discipline est définie comme l'obéissance spontanée à des ordres licites, et la forme la plus essentielle de la discipline dans un environnement militaire est l'autodiscipline, c'est-àdire la volonté d'une personne de s'acquitter des tâches qui lui sont assignées et ce, même si elle s'expose à un danger ou si elle n'est pas soumise à une surveillance immédiate 3.

La nécessité de maintenir la discipline au sein d'une force militaire s'avère donc dans ce cas, non seulement comme évidemment essentielle, mais aussi parce que celle-ci est enchâssée dans la loi4. La discipline dans les FC sert un triple objectif des plus importants5 :

LE CODE DE DISCIPLINE MILITAIRE

La discipline militaire a un côté encore plus envahissant que celle exercée dans les organismes para-militaires, comme par exemple les forces policières. C'est ce que reflète le Code de discipline militaire, où il y est mis en place un système de justice très élaboré et des plus complets. Contrairement au Code criminel, qui a pour tâche essentielle de régler la société, ce code cherche à régler la conduite de ceux à qui il s'applique afin de renforcer son objectif principal qui est d'imposer et maintenir la discipline. Il présente aussi un système légal complet pour la poursuite, les tribunaux et la défense des contrevenants.

Par nécessité, le système de justice militaire doit être polyvalent et expéditif, tant d'ailleurs en temps de paix qu'en temps de guerre. Ce qui lui donne son côté plus importun, ce sont les infractions militaires qui n'ont pas d'équivalent en droit criminel civil (p.ex., une tenue non réglementaire lors d'une inspection, l'absence sans permission, ou l'insubordination). Son aspect intrusif se reflète aussi par les caractéristiques suivantes :

Le Code de discipline militaire crée deux catégories de tribunaux : le procès sommaire et la cour martiale9.

LES PROCÈS SOMMAIRE10

Le procès sommaire11 a été conçu :

Pour rendre justice de façon juste et équitable à l'égard d'infractions d'ordre militaire mineures et de contribuer au maintien de la discipline et de l'efficacité militaire, au Canada et à l'étranger, en temps de paix ou de conflits armés 12.

Si le procès sommaire a pour objet de rendre justice à l'égard d'infractions militaires d'ordre mineure, celles-ci n'en ont pas moins une grande influence sur la discipline et son efficacité. En effet, la majorité des accusations portées en vertu du Code de discipline militaire sont entendues et jugées par procès sommaire, ce qui en fait le plus important des tribunaux militaires.

Il en existe trois sortes : le procès sommaire présidé par un commandant13, par un officier délégué14 et par un commandant supérieur15.

Bien qu'il soit évident que les officiers qui président ces procès sommaires ne possèdent pas de formation juridique, ils doivent cependant, avant qu'il ne leur soit permis d'exercer leurs pouvoirs à ces procès, recevoir la certification du bureau du JAG qu'ils ont les qualifications voulues pour ce faire16. En général, un accusé n'est pas représenté par un avocat devant un procès sommaire17; toutefois, il est aidé par un officier désigné à cet effet18. D'ailleurs, un des services offerts par le DSAD consiste à procurer à l'accusé ou à son officier désigné pour l'aider des conseils juridiques d'ordre général, relativement à la procédure touchant de tels procès19.

En accord avec la nature sommaire du procès, les Règles militaires de la preuve20 (RMP) n'y ont pas cours21 et la procédure le gouvernant est des plus simples22. De plus, les pouvoirs de punition des officiers qui les président sont limités23. Malgré tout, les règles et la procédure qui les régissent ont pour but de s'assurer que leur déroulement se fait de façon juste et équitable24. Les caractéristiques principales visant à assurer un procès sommaire juste et équitable sont les suivantes :

Un accusé susceptible d'être jugé sommairement a le droit de choisir d'être plutôt jugé devant une cour martiale30, sauf dans les deux cas suivants31 :

Avant de décider du tribunal militaire devant lequel un accusé veut comparaître, ce dernier doit disposer d'un délai raisonnable, qui est d'au moins 24 heures, et pendant laquelle période il lui sera loisible de consulter un avocat35. Bien qu'il puisse s'adresser à un avocat civil à ses propres frais, les avocats du DSAD sont disponibles pour de telles consultations36. Cependant, contrairement aux procès devant une cour martiale, ces derniers ne pourront pas représenter l'accusé à son procès sommaire.

LES COURS MARTIALES

Une cour martiale est un tribunal militaire solennel, où le protocole y est plus élaboré37 et qui est présidé par un juge militaire38. Les pouvoirs de punition39 de la cour martiale sont beaucoup plus étendus que ceux que possède le président d'un procès sommaire. Ainsi, la procédure formell40 qui y est suivie ressemble beaucoup à celle que l'on retrouve devant un tribunal civil de juridiction criminelle. Un avocat du directeur des poursuites militaires (DPM) y agit à titre de procureur de la poursuite. L'accusé a droit aux services d'un avocat du DSAD et d'être représentée par lui sans frais41. L'accusé peut toutefois recourir, mais alors à ses frais, aux services d'un avocat civil, ou gratuitement, par le biais d'un programme provincial d'aide juridique, si éligible à un tel programme.

Il y a deux sortes de cours martiales :

Les cours martiales générale et permanente peuvent juger n'importe quelle personne soumise au Code de discipline militaire44 et imposer n'importe quelle peine inscrite à l'article 139(1) de la LDN, dont l'emprisonnement à vie.

La cour martiale permanente est constituée par un seul juge militaire45. La cour martiale générale ressemble à un tribunal civil de juridiction criminelle, que préside un juge avec jurés. Elle est composée d'un juge militaire et d'un comité de cinq membres46. Seuls des officiers peuvent être membres de ces comités, à moins que l'accusé ne soit un militaire du rang, auquel cas, deux membres devront être des militaires du rang qui devront détenir au moins le grade d'adjudant47. Le comité est responsable du verdict et le juge, des décisions touchant le droit et la sentence.

Pour plusieurs infractions, la personne accusée peut choisir d'être jugée par une cour martiale générale ou une cour martiale permanent. Les infractions passibles d'une peine d'emprisonnement de moins de deux ans ou d'une peine inférieure dans l'échelle des peines seront jugées par la cour martiale permanente. Celles passibles d'une peine d'emprisonnement à perpétuité seront jugées par la cour martiale générale à moins que le directeur des poursuites militaires consente à ce que l'infraction soit jugée par la cour martiale permanente. Pour les autres infractions, la personne accusée peut généralement choisir d'être jugée par une cour mariale générale ou une cour martiale permanente48.

L'AIDE, LES CONSEILS ET LA REPRÉSENTATION DE L'ACCUSÉ

Quand une personne est accusée d'avoir commis une infraction, elle a droit qu'un officier lui soit désigné afin de l'aider49. Quoique celui-ci ne possède pas une formation juridique, sauf de rares exceptions50, son rôle est d'aider et de conseiller l'accusé. Le devoir et les responsabilités de cet officier consistent à :

L'officier désigné doit fournir aide et information à l'accusé, en préparation du procès sommaire et durant le déroulement de celui-ci53. Comme il y est rapporté au Chapitre 1, l'accusé ou son officier désigné pour l'aider peuvent consulter un avocat du DSAD sur des questions d'ordre général touchant le procès sommaire54, de même que celles que soulève le choix d'être jugé devant l'un ou l'autre des tribunaux militaires.

Un accusé qui doit comparaître devant une cour martiale a le droit, d'une part, d'être représenté par un avocat et, d'autre part, d'avoir aussi un conseiller pour l'aider55. Tel que mentionné plus haut, l'accusé peut retenir les services d'un avocat civil, à ses propres frais, ou demander d'être représenté gratuitement par l'un du DSAD. Le rôle du conseiller consiste à aider l'accusé, tant avant que durant le procès, en ce qui concerne tout aspect technique ou spécialisé de l'affaire56.


Notes en bas de page

1 Pour plus d'information et de plus amples détails au sujet de la discipline et de la justice militaire, voir le précis sur le droit militaire du JAG, intitulé Justice militaire au procès sommaire.

2 Les FC ont adopté la définition du mot discipline que lui donne le dictionnaire français Le Petit Robert :

n.f....4- [sens courant] Règle de conduite commune aux membres d'un corps, d'une collectivité et destinée à y faire régner le bon ordre; [par ext.] L'obéissance à cette règle (V. Loi, règle, règlement)....Discipline militaire : règle d'obéissance dans l'armée fondée sur la subordination....5- Règle de conduite que l'on s'impose.
L'art. 1.04 des ORFC édicte que les mots et les phrases de la langue française ont la signification qu'en donne le dictionnaire Le Petit Robert (édition de 1976), p. 489.

3 R. c. Steward, 5 CMAR 205, à la p. 212.

4 Ibid. Voir aussi MacKay c. la Reine, [1980] 2 RCS 370, à la p. 399 et R. c. Généreux, [1992] 1 RCS 259, à la p. 293.

5 Le précis publié par le JAG, Justice militaire au procès sommaire, au para. 33 du chapitre 1.

6 L'art. 130 de la LDN.

7 L'art. 132 de la LDN.

8 Supra MacKay, à la p. 399 et Généreux, à la p. 293.

9 Voir l'art. 2 de la LDN.

10 Pour plus d'information et de plus amples détails sur le sujet, voir le précis du JAG intitulé Justice militaire au procès sommaire.

11 Voir la définition du procès sommaire à l'art. 2 de la LDN.

12 L'art. 108.02 des ORFC.

13 Voir la définition de « commandant » aux art. 160 et 162.3 de la LDN et aux art. 101.01 et 1.02 (définitions) des ORFC.

14 Voir la définition de « officier délégué » aux art. 108.03 et 108.10 des ORFC.

15 Voir la définition de « commandant supérieur » à l'art. 162.3 de la LDN.

16 Voir l'art. 101.09 des ORFC, relativement au commandant et au commandant supérieur, ainsi que l'art. 108.10(2) des ORFC, relativement à l'officier délégué.

17 Ni la LDN ni les ORFC ne permettent ou ne défendent explicitement la présence d'un avocat à un procès sommaire. Dans l'éventualité où un accusé demanderait d'y être représenté par un avocat, l'officier qui y préside a la discrétion de décider : (a) d'accepter ou de refuser la demande, ou (b) de référer l'accusation à la cour martiale (la note B de l'art. 108.14 des ORFC). À ce sujet, la note C de l'art. 108.14 des ORFC fournit quelques conseils à l'officier qui préside les procès sommaires.

18 Les art. 108.03 et 108.14 des ORFC, relativement à la définition de « officier désigné pour aider l'accusé ».

19 L'art. 101.20(c) des ORFC.

20 Les RMP, conformément à l'art. 181(1) de la LDN, sont les règles de preuve qui s'appliquent durant les procédures des cours martiales, et de toutes les autres auditions que président les juges militaires. Elles se retrouvent dans la codification des règlements du Canada 1978, au chapitre 1049, telle que modifiée par la DORS/90-306, et à l'appendice 1.3 du volume IV des ORFC.

21 L'art. 108.21(1) des ORFC.

22 Voir les art. 108.20 et 108.21 des ORFC. Pour plus d'information et de plus amples détails sur le sujet, voir le chap. 13 du précis du JAG intitulé Justice militaire au procès sommaire.

23 Voir l'art. 139(1) de la LDN et l'art. 104.02 des ORFC, relativement à l'échelle des peines permises et dont sont passibles les accusés trouvés coupables d'infractions militaires. Ainsi, les peines maximales que peut imposer un commandant sont 30 jours de détention, la rétrogradation d'un grade et une amende maximale de 60 % de la solde mensuelle de base (l'art. 108.24 des ORFC). Celles attribuées à l'officier délégué sont une réprimande et une amende maximale de 25 % de la solde mensuelle de base (l'art. 108.25 des ORFC). Celles attribuées au commandant supérieur sont une réprimande et une amende maximale de 60 % de la solde mensuelle de base (l'art. 108.26 des ORFC)..

24 Quoiqu'il n'existe pas de définition de ce que doit être une procédure juste et équitable, il est généralement reconnu qu'au sens juridique, celle-ci en rencontrera tous les critères, si on applique les règles suivantes tout au long de son déroulement : la justice naturelle telle que la préconise la Common Law, l'impartialité de la part de celui qui doit juger et une participation raisonnable et bien informée de la personne qui en est l'objet.

25 L'art. 108.20(2) des ORFC.

26 L'art. 108.15 des ORFC.

27 L'art. 108.20 des ORFC.

28 L'art. 108.30 des ORFC.

29 Voir la note B de l'art. 108.20 des ORFC, relativement aux conseils et explications fournis aux officiers qui président aux procès sommaires sur la signification du « doute raisonnable ».

30 Pour plus d'information et de plus amples détails, consulter le guide du MDN A-LG-050-000/AF-001 – Le choix d'être jugé par procès sommaire ou devant une cour martiale.

31 L'art. 108.17(1) des ORFC.

32 L'art. 108.17(1)(a) des ORFC.

33 Les deux conditions doivent coexister.

34 L'art. 108.17(1)(b) des ORFC.

35 Les art. 108.17(2)(b) et 108.18 des ORFC.

36 L'art. 101.20(2)(d) des ORFC.

37 L'art. 179(1) de la LDN.

38 Voir les art. 165.21 à 165.27 de la LDN, relativement à la nomination des juges militaires.

39 Voir l'art 139(1) et le chap. 104 des ORFC, relativement aux peines permises selon le Code de discipline militaire.

40 La procédure requise en cour martiale est décrite de façon exhaustive à l'art. 112.05 des ORFC.

41 L'art. 101.20(2)(f) des ORFC.

42 Les art. 166 à 168 de la LDN.

43 Les art. 173 à 175 de la LDN.

44 Les art. 166 et 173 de la LDN.

45 Les art. 174 et 177, respectivement, de la LDN.

46 Les art. 167(1) et 170(1), respectivement, de la LDN.

47 Les art. 167(7) et 170(4), respectivement, de la LDN.

48 Les art. 165.191 à 165.193 de la LDN.

49 L'art 108.14(1) des ORFC.

50 Par exemple un avocat civil qui est aussi membre d'une unité de la réserve.

51 L'art. 108.14(4) des ORFC.

52 L'art. 108.14(5) des ORFC.

53 Pour plus d'information et de plus amples détails sur le sujet, voir le précis du JAG intitulé Justice militaire au procès sommaire et le guide du MDN A-LG-050-000/AF-001 – Le choix d'être jugé par procès sommaire ou devant une cour martiale.

54 Habituellement, les conseils qui sont donnés portent sur les droits de l'accusé et ce à quoi il est autorisé avant, pendant et après le procès

55 L'art. 101.22(1) des ORFC.

56 L'art. 101.22(10)(b) des ORFC.

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