Introduction

Figure 1

L'intrication quantique permet aux particules d'interagir instantanément, de n'importe quelle distance.

La superposition quantique permet aux particules de conserver simultanément deux états.

La théorie de la mécanique quantique a été énoncée il y a plus d’un siècle, et elle est maintenant reconnue comme la théorie la plus importante et la plus exacte en physique moderne. Elle est toutefois restée obscure pendant de nombreuses décennies vu ses assises peu intuitives, la complexité de la réalisation des expériences, et les difficultés à communiquer ses principes sans recourir à un jargon très technique. On a dit qu’il n’est réellement possible de décrire ses deux aspects les plus importants et les plus déconcertants, soit la superposition et l’intrication [voir la figure 1], qu’à l’aide des mathématiques. Or, ce sont justement ces deux propriétés qui sous-tendent des technologies déjà transformatrices, et d’autres qu’on peut entrevoir.

Technologies quantiques 1.0

La première génération des technologies quantiques a révolutionné les capacités de défense et de sécurité et profondément transformé la société. Les deux exemples les plus pertinents de technologies dépendant fondamentalement des effets quantiques (qu’on appelle maintenant les technologies quantiques 1.0)[1], sont le laser et le transistor : les assises de notre époque numérique et des technologies habilitantes d’une vaste gamme d’autres technologies [voir l’encadré 1].

a)

Encadré 1

a) La première révolution quantique a révélé de nouvelles règles qui régissent le réel. Un exemple de description physique transformatrice, une fois maîtrisé, a mené à l’invention du laser, et des circuits et des puces électroniques.

b) La deuxième révolution quantique permet de contrôler et de manipuler avec précision les propriétés quantiques de la lumière et de la matière que l’ingénierie commence à appliquer concrètement.

b)

Au cours de la dernière décennie, les vulgarisateurs scientifiques ont beaucoup parlé de la mécanique quantique, et surtout à cause de l’intérêt du public sur l’informatique quantique, l’expression est entrée dans la langue populaire. Aussi, la première génération des technologies quantiques a poursuivi son développement rapide, et elles sont devenues des technologies habilitantes incontournables des percées technologiques nécessaires à la prochaine révolution quantique.

Technologies quantiques 2.0

Une nouvelle génération de technologies, les technologies quantiques 2.0 (abrégées ici en TQ2), a émergé au cours des quinze dernières années grâce à un contrôle plus étroit de l’isolation et des modifications de systèmes quantiques délicats. On entend par les TQ2 une classe de dispositifs qui créent, modifient et lisent les états quantiques de la matière, le plus souvent à l’aide des effets quantiques de superposition et d’intrication [1]. Parmi les systèmes des TQ2, on peut compter des matériaux créés en contrôlant précisément l’emplacement des atomes, la création et la stabilisation d’états subtils de la matière à l’aide de lasers extrêmement précis, ou le chiffrement de données dans des atomes ou un seul photon. Ces systèmes ont des caractéristiques uniques de contrôle et d’exploitation de propriétés de la matière auparavant inaccessibles, ce qui rend possibles des capacités étonnantes comme des ordinateurs quantiques pouvant résoudre rapidement des problèmes impossibles pour un ordinateur traditionnel.

Pour l’instant, la plupart des validations de principe et des applications préliminaires sont confinées aux laboratoires d’universités et du Conseil national de recherches du Canada (CNRC); elles exigent une infrastructure coûteuse, un équipement spécialisé, des équipes d’experts et de vastes locaux. Cependant, dans quelques domaines où la défense a commencé à investir, la transition hors du laboratoire des technologies quantiques 2.0, et donc la création de prototypes, a débuté.

Crédit : Université de Waterloo

La mécanique quantique en défense et en sécurité

Les technologies quantiques promettent d’apporter des améliorations considérables dans des domaines d’intérêt connu pour la défense et la sécurité. Nous prévoyons que les domaines suivants seront les plus profondément transformés : la détection [notamment en positionnement, navigation et synchronisation (PNS)], les communications, l’informatique, et le développement de nouveaux matériaux. En parallèle, comme nos adversaires vont aussi exploiter les technologies quantiques à leurs propres fins, cela va influer sur les tactiques, les techniques et les procédures que l’Équipe de la Défense devra employer pour atteindre sa mission.

La détection quantique est un excellent exemple de la variété et de l’utilité des applications quantiques qui ne sont pas encore tout à fait prêtes, mais qui devraient d’ici cinq ans révolutionner le monde de la défense et de la sécurité. Comme les systèmes quantiques sont extrêmement sensibles aux perturbations, ils se prêtent très bien aux applications de base de détection pour la défense et la sécurité. Par exemple, les systèmes quantiques peuvent détecter des champs électriques et magnétiques, des variations de la gravité, des vibrations ou un mouvement infiniment plus faibles que les systèmes actuels. Quand ces technologies émergeront du laboratoire, elles permettront notamment des capacités comme :

  • des capteurs gravimétriques pouvant détecter des tunnels ou des objets de l’autre côté d’un mur;
  • des capteurs électromagnétiques compacts et à large bande pouvant remplacer et même surpasser les systèmes à antennes multiples;
  • des radars anti-furtifs difficiles à détecter et à brouiller;
  • des techniques de télédétection précises et furtives pouvant pénétrer la fumée et « voir » de l’autre côté d’un coin;
  • la détection de teneurs extrêmement légères de produits chimiques et de rayonnement à une distance et une sensibilité impensables avec les techniques actuelles;
  • des horloges et des capteurs inertiels pouvant rester assez précis pour les applications de défense dans des environnements où la géolocalisation par le système mondial de localisation (GPS) est inopérante, comme sous l’eau et sous terre.

Certaines de ces technologies potentielles pourraient résoudre des problèmes présents et émergents en défense, comme le besoin d’une surveillance plus étroite du vaste Arctique canadien et des voies d’entrée aérospatiales et maritimes au Canada et en Amérique du Nord. Les nombreuses applications potentielles des technologies quantiques laissent envisager des capacités de surveillance multidomaines dans le cadre d’un « système de systèmes » imbriquées qui donnera aux FAC et au Commandement de la défense aérospatiale de l'Amérique du Nord (NORAD) des capacités novatrices en connaissance de la situation dans tous les domaines.

Mais les capteurs quantiques ne sont pas les seules technologies d’intérêt pour la défense et la sécurité. Les communications quantiques, par exemple, promettent des communications secrètes anti-mystification, la résistance contre le brouillage, et la distribution sécurisée des clés. De même, l’informatique quantique permettrait de résoudre certains types de problèmes que les ordinateurs actuels ne peuvent calculer, comme la logistique axée sur l’optimisation et le décryptage de la plupart des protocoles de cryptographie utilisés actuellement. Cependant, pour toutes ces technologies, la transition hors du laboratoire vers des prototypes suivi de la création d’équipement utilisable sur le terrain reste un problème scientifique et technique complexe. Actuellement, pouvoir faire passer les technologies quantiques à des niveaux de maturité technologique (NMT) plus élevés est une question de concurrence mondiale; cela ne rend que plus important le besoin de protéger les recherches et les innovations canadiennes dans ce secteur.

Les applications des technologies quantiques en défense et en sécurité sont reconnues par nombre d’autres pays. Les États-Unis, le Royaume-Uni, l’Allemagne et la Chine ont déjà lancé des stratégies nationales d’envergure en technologie quantique alignées avec leurs intérêts en défense. La Chine, particulièrement, s’est hissée parmi les chefs de file en S et T quantique, et a beaucoup investi dans des secteurs qui promettent des capacités militaires nouvelles et améliorées. Égaler et contrer ces capacités est de grande importance pour notre défense.

Le portrait quantique canadien

La recherche fondamentale en mécanique quantique, financée au début par des investissements fédéraux et provinciaux, mais aussi philanthropiques, a permis au Canada de devenir un chef de file mondial. La science quantique fait partie intégrante de la stratégie nationale en sciences et en technologie exprimée dans Un moment à saisir pour le Canada : aller de l’avant dans le domaine des sciences, de la technologie et de l’innovation (2014) [2] et l’informatique quantique est identifié comme l’un des domaines numériques importants du programme d’innovation national exprimé dans Canada : une nation d’innovateurs (2016) . Cette excellence et cette expertise en recherche quantique doublées du dynamisme de l’entrepreneuriat canadien en technologie [3] laissent prévoir un environnement prometteur pour l’innovation de pointe en technologies quantiques.

Le Canada a beaucoup à gagner de son héritage dans le développement des technologies quantiques. On prévoit que d’ici 2040, le secteur émergent de l’industrie quantique contribuera sensiblement à l’économie, c’est-à-dire de 1,7 à 3,4 % du produit intérieur brut (PIB) [4]. Les revenus prévus de ce secteur devraient égaler ceux que le secteur de l’aérospatiale, l’industrie canadienne la plus intensive en R et D, contribue aujourd’hui à l’économie canadienne. Cette croissance rapide laisse toutefois entrevoir des pénuries de main d’œuvre en personnel pluridisciplinaire qualifié et formé en technologies quantiques, pour les secteurs privé et public du Canada et dans le monde entier [5].

[1] J. P. Dowling and G. J. Milburn, Quantum Technology: The Second Quantum Revolution, 2002. Au bout du compte, tous les phénomènes naturels ont des bases quantiques, mais si on peut décrire une technologie assez fidèlement à l’aide de la physique classique (préquantique, donc), celle-ci n’est pas jugée comme faisant partie des technologies quantiques 1.0.

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