Questionnaire soumis par le juge David M. Paciocco

Document d'information

Selon le nouveau processus de nomination des juges annoncé par la ministre de la Justice le 20 octobre 2016, tout avocat ou juge canadien intéressé et ayant les qualifications requises peut poser sa candidature en remplissant un questionnaire à cet effet. Les questionnaires sont ensuite utilisés par les comités consultatifs à la magistrature à travers le Canada pour examiner les candidatures et soumettre à l’attention de la ministre de la Justice une liste de candidats « hautement recommandés » et « recommandés ». Les candidats sont avisés que certaines parties de leur questionnaire peuvent être rendues publiques s’ils sont nommés à la magistrature.

Ci-dessous, les parties 5, 6, 7, et 11 du questionnaire rempli par le juge David M. Paciocco.

Questionnaire relatif au processus de nomination à la magistrature

[...]

PARTIE 5 – EXIGENCES LINGUISTIQUES

Veuillez noter qu’en plus de vos réponses aux questions énoncées ci-après, vous serez peut-être évalué sur votre connaissance fonctionnelle des deux langues.

Sans formation supplémentaire, êtes-vous capable de lire ou de comprendre des documents de la cour :

  • en anglais : oui
  • en français : oui

Sans formation supplémentaire, êtes-vous en mesure de discuter d’affaires juridiques avec vos collègues : 

  • en anglais : oui
  • en français : non

Sans formation supplémentaire, êtes-vous capable de converser avec un avocat en cour : 

  • en anglais : oui
  • en français : non

Sans formation supplémentaire, êtes-vous capable de comprendre les observations orales présentées en cour : 

  • en anglais : oui
  • en français : non

PARTIE 6 – ÉTUDES

Noms des établissements, années d’études, diplôme et années d’obtention du diplôme :

  • Études supérieures : Université d’Oxford; 1981-1982; B.C.L.
  • Faculté de droit : Université de Western Ontario; 1976-1979; LL.B.
  • Université : Université de Western Ontario; 1974-1976; aucun diplôme obtenu en raison d’une admission rapide à la faculté de droit après deux années d’études de premier cycle

Formation continue :

  • J’ai été professeur de droit pendant 30 ans. Avant d’être nommé à la magistrature, j’ai participé à des dizaines de conférences au Canada et présenté des exposés dans le cadre de plus de 100 conférences pour les professionnels du domaine juridique, y compris des conférences du domaine judiciaire au Canada et à l’étranger. Depuis ma nomination, j’ai assisté à environ 20 conférences de formation juridique continue, où j’ai présenté des exposés. Je donne maintenant des cours à l’« école des nouveaux juges » de l’Association Canadienne des Juges des Cours Provinciales et à une école des nouveaux juges qui accueille des juges de partout au pays et qui est parrainée par la Cour du Québec, chaque printemps.

Distinctions académiques :

  • (1) Nommé professeur émérite, Université d’Ottawa, Faculté de droit, 2011
  • (2) Doctorat honorifique, Université Laurentienne, 2005
  • (3) Chief Justice J.V. Milvain Chair in Advocacy, Université de Calgary, Faculté de droit, 2005
  • (4) Médaille David W. Mundell, 2002, attribuée par le ministère du Procureur général de l’Ontario, pour contribution distinguée au droit et aux lettres, en particulier pour une « contribution exceptionnelle à la rédaction dans le domaine juridique, y compris de nombreux articles érudits et les ouvrages The Law of Evidence et Getting Away with Murder, ce dernier ayant été acclamé à la fois par les professionnels du domaine juridique et le milieu juridique en général ».
  • (5) Centre communautaire italo-canadien de la région de la capitale nationale et Association des gens d'affaires et professionnels italo-canadiens « pour son dévouement envers la communauté italo-canadienne et le milieu juridique », 26 janvier 2012
  • (6) Prix I.A. Vannini, remis par les sociétés Electra Marconi et G. Marconi, clubs de service italiens de Sault Ste. Marie (Ontario), à un Italo-Canadien, « en reconnaissance d’une réalisation, d’une distinction ou d’une contribution exceptionnelle dans un domaine scolaire, culturel ou sportif à l’échelle locale, provinciale, nationale ou internationale », 14 mai 2011
  • (7) En 2006, prix du conseil d’administration de la Croix-Rouge canadienne « pour de judicieux conseils juridiques […] en vue d’un règlement positif concernant des accusations découlant de l’enquête de la GRC sur le scandale du sang contaminé [en] contribuant à une initiative de “justice réparatrice” ».
  • (8) En 1999, finaliste du prix de la Fondation Donner pour un livre sur la politique publique canadienne intitulé Getting Away with Murder
  • (9) En 1990, le Honourable Rex Mason Prize for Meritorious Public Writing pour The New Zealand Bill of Rights Act: Curial Cures for a Debilitated Bill (1990), NZ Recent Law Review 353
  • (10) The Remedial Constructive Trust: Priorities and Principles (1989) 68 Can. Bar. Rev. 318, sélectionné pour être inclus dans The International Library of Essays and Legal Theory (2nd ed.) on Restitution, dont le but est de recueillir une vaste série d’ouvrages dans un large éventail d’essais importants et influents dans le domaine du droit, tirés principalement de revues juridiques anglaises
  • (11) 1983-2011 : Plusieurs prix accordés au corps professoral par l’Association des étudiants en common law de l’Université d’Ottawa ont été reçus pendant cette période
  • (12) B.C.L. de l’Université d’Oxford, reçu avec mention très honorable
  • (13) Magdalen College Book Prize, pour un B.C.L. avec mention très honorable
  • (14) Université de Western Ontario, Faculté de droit 
    • Prix pour les meilleures notes en troisième année de droit, 1979
    • Prix pour les meilleures notes combinées en droit des sociétés/droit commercial, 1978
    • Prix pour les meilleures notes en associations commerciales, 1978
    • Prix pour les meilleures notes en droit de la famille, 1978
    • Prix pour les meilleures notes en droit de la preuve, 1978

PARTIE 7 – ANTÉCÉDENTS PROFESSIONNELS

Veuillez indiquer dans l’ordre chronologique, et à partir du plus récent, les emplois que vous avez exercés, et préciser pour chacun la durée applicable et le nom de l’employeur. Concernant les emplois dans le domaine juridique, veuillez inscrire les secteurs de travail ou les spécialisations, ainsi que les années correspondantes. Au besoin, indiquez si les secteurs de travail ont changé.

Expérience de travail dans le domaine juridique :

  • (1) Je suis un juge à la Cour de justice de l’Ontario depuis le 27 août 2011. Je travaille exclusivement dans le domaine du droit pénal.
  • (2) Professeur titulaire, Université d’Ottawa, section de la common law, 1990‑2011. Domaines d’enseignement : droit de la preuve, droit pénal, droit des fiducies.
  • (3) 1987-2011. Juriste-conseil représentant diverses parties dans un large éventail d’affaires en droit pénal et administratif et en droit de la preuve, y compris des mandats de représentation en justice du Conseil canadien de la magistrature, de la Fédération des ordres professionnels de juristes du Canada et des bureaux fédéral et provincial de l’ombudsman et des comparutions en tant qu’avocat, notamment pour la Criminal Lawyers’ Association, la Canadian Association of Defence Counsel et des médias.
  • (4) Avocat, Edelson, Clifford, D’Angelo (anciennement Edelson & Associates) 1998-2011. Avocat d’appel, spécialisé en plaidoirie en première instance et offrant des services principalement en droit pénal, ce qui comprend des comparutions devant le Tribunal pénal international pour le Rwanda.
  • (5) 2010-2011. Au nom du gouvernement du Canada, j’ai offert de la formation à des juges et des procureurs du Yucatan sur la façon de mener des procès de nature accusatoire, après que la constitution mexicaine a été modifiée pour éliminer la recherche de faits inquisitoire. Cela a compris deux visites au Mexique et une conférence à Ottawa. J’ai par la suite participé, en 2011, à la mission commerciale du gouverneur général du Canada au Mexique, au Pérou et au Guatemala en tant que représentant juridique.
  • (6) Avocat dans le cadre de la Commission d’enquête Salhany, à Winnipeg (Manitoba) en 2008, qui a porté sur l’enquête et la poursuite de Harvey Zenk.
  • (7) Avocat, Addelman, Edelson and Meagher, 1994-1998. Avocat spécialisé en plaidoirie en première instance et plaidoirie en appel, offrant des services principalement en droit pénal.
  • (8) Procureur adjoint de la Couronne (échange à temps plein), Procureur général de l’Ontario (Ottawa), d’août 1990 à décembre 1993.
  • (9) Professeur invité, Université d’Auckland, Auckland (Nouvelle-Zélande) (1989‑1990) – j’ai enseigné le droit des fiducies.
  • (10) Procureur adjoint de la Couronne à temps partiel, Procureur général de l’Ontario (Ottawa), 1986-1989.
  • (11) Professeur agrégé, Université d’Ottawa, section de la common law, 1986‑1989 – j’ai enseigné le droit de la preuve et le droit pénal.
  • (12) Professeur adjoint, Université d’Ottawa, section de la common law, 1982‑1985 – j’ai enseigné le droit du travail, des fiducies et de la preuve et le droit pénal.
  • (13) Professeur adjoint, Université de Windsor, 1981-1982 – j’ai enseigné le droit des associations commerciales, des transactions commerciales et de la preuve.
  • (14) Stage, Wishart, Noble, Sault Ste. Marie (Ontario) (1979-1980) – mes responsabilités comprenaient des visites hebdomadaires dans les bureaux de Wawa et de Hornepayne, en Ontario.

Expérience de travail dans un domaine non juridique :

  • Emplois au secondaire et emplois d’été : Boutique Studio (1968-1970); Churchill Plaza Pharmacy (1970-1972); Royal Mail (1972-1974); Algoma Steel (1974); Weyerhaeuser Lumber (1975, 1976); Commission ontarienne des droits de la personne (1977).
  • J’ai été élevé dans une collectivité d’ouvriers. Même avant d’occuper ces postes – remplir des étagères, conduire un camion de la poste, enlever les dépôts sous les machines dans une usine de métallurgie, enlever le bois des convoyeurs à courroie et manipuler une scie circulaire – je savais ce que voulait dire « gagner sa vie ». Ces emplois ont néanmoins renforcé mon sentiment selon lequel, au lieu de simplement « gagner ma vie », je voulais avoir une carrière. J’étais parmi les plus fortunés. Pour moi, ces emplois étaient seulement transitoires. Au début, ils m’ont permis d’aider ma famille et de payer ce qu’on n’aurait pu autrement se permettre. Plus tard, ils ont servi à payer mes études. J’ai toujours été une personne responsable, ponctuelle et travaillante. Je suis sûr que les emplois que j’ai occupés en tant que jeune homme ont eu une influence sur ces aspects de ma personne.

Autres expériences professionnelles :

Inscrivez toutes les associations du barreau ou comités d’affaires juridiques dont vous êtes ou avez été membre, et tous les titres des postes que vous avez occupés au sein de ces groupes, ainsi que les dates correspondantes.

  • Association Canadienne des Juges des Cours Provinciales, 2011-aujourd’hui
  • Association des juges de l’Ontario, 2011-aujourd’hui
  • Secrétariat de la formation (Cour de justice de l’Ontario), 2014-aujourd’hui (membre du conseil, représentant du juge en chef)
  • Comité d'aide juridique (Cour de justice de l’Ontario), 2014
  • ACPD – Association canadienne des professeurs de droit, 1982-2011
  • Criminal Lawyers’ Association, 1994-2011
  • CIAO – Canadian Italian Advocates Organization, 2000-2009
  • Association canadienne des professeurs de droit (de façon intermittente, pendant plus de 30 ans)
  • Comité de rédaction – Revue canadienne de droit pénal, 2000-aujourd’hui
  • Comité de rédaction – The Philanthropist, 1994-2000

Activités pro bono :

  • Au fil des ans, j’ai accepté des invitations pour parler devant des groupes communautaires et j’ai accompli un immense travail non rémunéré dans le domaine de l’éducation professionnelle. J’ai participé bénévolement au règlement de litiges pour des organisations professionnelles, comme la Criminal Lawyers’ Association et le Canadian Council of Defence Lawyers, mais je n’ai pas offert de services pro bono à des clients privés. En 2012, j’ai établi un programme de mentorat en droit pénal entre les étudiants en droit de l’Université d’Ottawa et des avocats et des juges du domaine du droit pénal. Je continue d’offrir mon aide chaque année dans le cadre du programme, qui compte maintenant plus de 80 étudiants qui sont en relation avec des professionnels locaux.

Enseignement et formation continue :

Indiquez toutes les organisations et activités de formation judiciaire ou juridique auxquelles vous avez pris part (p. ex. enseignement dans une faculté de droit, à l’Institut national de la magistrature, à l’Institut canadien d’administration de la justice, etc.)

  • Université d’Ottawa, section de la common law, professeur à temps plein, 1983‑2011, à l’exception des congés
  • Université d’Auckland, chargé d'enseignement invité, 1990
  • Université de Windsor, temps plein, 1982-1983
  • Dizaines d’exposés présentés pour l’Institut national de la magistrature pendant de nombreuses années
  • Nombreux exposés présentés à la Cour de justice de l’Ontario
  • Nombreux exposés présentés pendant des conférences d’autres cours partout au Canada, y compris, avant ma nomination, une conférence organisée par la Cour suprême du Canada et au moins une par la Cour d’appel de l’Ontario
  • Conférencier pour l’Association du Barreau canadien à plusieurs occasions
  • Conférencier pour l’Association du Barreau de l'Ontario à au moins une occasion
  • Conférencier pour la Criminal Lawyers’ Association à plusieurs occasions
  • Conférencier international en Nouvelle-Zélande et en Australie devant des organismes judiciaires et professionnels

Activités communautaires et civiques :

Indiquez toutes les organisations dont vous êtes membre ou tout poste que vous avez occupé, ainsi que les dates correspondantes.

  • Je n’ai été membre d’aucun organisme de service public ni d’aucune organisation communautaire outre les organisations juridiques que j’ai mentionnées. Je n’ai occupé aucun poste dans une telle organisation.

[…]

PARTIE 11 – LE RÔLE DE LA FONCTION JUDICIAIRE DANS LE SYSTÈME JURIDIQUE CANADIEN

Le gouvernement du Canada souhaite nommer des juges ayant une connaissance approfondie de la fonction judiciaire au Canada. Afin de fournir une base solide à leur évaluation, on demande aux candidats de donner leur opinion sur des sujets généraux liés à la fonction judiciaire et au système juridique au Canada. Pour chacune des questions ci-dessous, veuillez fournir une réponse de 750 à 1000 mots.

1. Que considérez-vous comme votre plus grande contribution au droit et à la poursuite de la justice au Canada?

  • Ma contribution générale la plus importante au droit et à la poursuite de la justice au Canada a été la promotion de règles juridiques raisonnées et fonctionnelles. Je reconnais que très peu de ce que j’ai produit provient de moi-même. Le droit s’appuie sur des principes existants et des exemples antérieurs, tout comme les études en droit et les arguments juridiques, y compris les miens. Je sais également que, à titre de théoricien juridique de carrière, j’ai pu tirer profit de la recherche et de la réflexion. J’ai donc pu voir au‑delà des « arbres » – les règles juridiques précises qui deviennent la préoccupation des juristes praticiens – pour également apprendre à connaître la « forêt » – le réseau de principes et de précédents qui nous fournissent un système de droit plutôt qu’un assemblage de règles disjointes. Les praticiens ont rarement cette chance. Sachant donc que j’ai toujours emprunté le travail des autres et que j’ai bénéficié de l’occasion avantageuse d’avoir une incidence sur le droit, je crois avoir contribué à ce domaine.
  • Je sais que mes travaux juridiques sont diffusés à de maints endroits où ils peuvent influer sur d’autres personnes qui apprennent et appliquent le droit et qui en élaborent les principes. Des étudiants en droit, des avocats et des cours s’appuient fréquemment sur mes travaux. Globalement, mes écrits et mes décisions ont été cités au Canada plus de 1 750 fois, et ce, uniquement dans les décisions publiées. La Cour suprême du Canada a fait mention d’ouvrages que j’ai rédigés ou auxquels j’ai contribué ou s’y est appuyée dans 60 affaires : en droit pénal, en droit de la preuve, dans des contestations constitutionnelles et, dans un cas, pour améliorer l’utilisation des recours en droit privé que sont les fiducies constructoires.
  • Au début de ma carrière en droit, jamais je n’aurais cru que je contribuerais à l’évolution du domaine. Je savais que j’avais la capacité de comprendre et d’expliquer en termes simples du matériel complexe. L’idée que mes recherches et mes écrits puissent avoir une incidence sur l’essor du droit m’est venue à l’esprit pour la première fois quand j’ai commencé la rédaction de Charter Principles and Proof in Criminal Cases, après avoir tenté de survivre pendant cinq ans à la préparation de cours. La Charte était encore à l’état embryonnaire à l’époque, mais je voyais que ses principes auraient un effet marqué sur le droit de la preuve. En m’appuyant sur la Déclaration des droits des États‑Unis et la jurisprudence naissante qui était accessible, j’ai insisté sur le fait que, pour être conforme à la Charte, le droit de la preuve devrait être moins rigide et tenir davantage compte du contexte, que les juges devraient avoir un plus grand pouvoir discrétionnaire pour assurer l’application intentionnelle et équitable de règles de preuve légales uniformes et que les règles d’exclusion, qui privent les accusés des éléments de preuve pertinents nécessaires, devraient être modifiées. J’ai également formulé des suggestions au sujet de la loi sur l’auto‑incrimination. Initialement, ces propositions ont été accueillies froidement. Cependant, elles décrivent toutes maintenant le droit actuel. Je ne m’attribue pas le mérite de cette situation. Ensemble, de nombreux juristes en sont arrivés aux mêmes conclusions. Ma voix s’est ajoutée à la leur, et notre droit reflète maintenant notre travail collectif.
  • En 1990, j’ai pris une année sabbatique en Nouvelle-Zélande. J’apercevais des types de cas de jurisprudence partout dans le Commonwealth établissant un concept criminel d’« abus de procédure » qui permettait aux juges de suspendre ou d’arrêter les poursuites criminelles. Dans des affaires canadiennes, on commençait à reconnaître le pouvoir des juges de corriger de cette manière les violations de la Charte. Une suspension est une décision extrême, et j’ai été frappé par le fait que, pour empêcher que ce pouvoir ne donne lieu à des abus, il fallait élaborer des principes pour nous indiquer dans quels cas une suspension était adéquate. J’ai élaboré un critère juridique ayant pour objet de veiller à ce que ce recours ne soit appliqué que dans les cas les plus clairs. Le critère que j’ai établi dans une bibliothèque de l’autre côté de la planète a été adopté cinq ans plus tard en tant que principe du droit canadien.
  • Depuis ce temps, mon travail a contribué à d’autres avancées dans le domaine du droit. J’ai assumé un rôle minime dans un vaste mouvement ayant pour but de rendre le droit de la preuve plus contextuel et moins doctrinal pour que les règles ne s’appliquent que dans les cas où leurs objectifs sous-jacents étaient respectés. Avec d’autres spécialistes de la preuve, plus particulièrement le regretté professeur Ron Delisle, j’ai promu une approche plus simple dans laquelle les évaluations contextuelles de la valeur probante et du préjudice détermineraient quels éléments de preuve admettre. La Cour suprême du Canada l’a finalement approuvée, et cette formule simple caractérise maintenant le droit de la preuve.
  • Ma recherche a également contribué à ce que la Cour suprême du Canada considère comme une approche équilibrée visant à protéger les victimes d’infraction sexuelle contre la mention de leurs expériences sexuelles dans le cadre des procès. L’argument que j’ai présenté, selon lequel les modifications liées à la « protection des victimes de viol » devraient être interprétées comme étant conformes à la Constitution, a ultimement été adopté par la Cour suprême, sans m’attribuer directement le mérite. Cela a poussé le professeur Delisle à publier une critique, demandant que le mérite soit attribué lorsque la Cour s’appuie sur les travaux d’universitaires. La tradition, qui commençait déjà à s’effriter à ce moment‑là, consistait à ne pas attribuer le mérite. Maintenant, il est fréquemment attribué.
  • Mes recherches et mes activités de défense des intérêts ont également été citées à l’appui d’une approche équilibrée liée à la protection des dossiers thérapeutiques et autres dossiers privés des victimes, y compris dans les cas d’agression sexuelle.
  • Mes travaux sur la preuve d’expert ont également été utilisés. Mon explication de l’objet visé de la composante liée à la « nécessité » du « critère énoncé dans l’arrêt Mohan » aux fins de l’admission de la preuve a été citée et adoptée par la Cour suprême du Canada et est maintenant appliquée de façon généralisée. Comme il a été mentionné ci‑dessus, les normes juridiques que j’ai recommandées pour aborder le parti pris et la partialité des experts ont été globalement mises en œuvre.
  • Je n’ai pas inventé la structure que j’ai adoptée dans le texte sur la preuve pour évaluer la fiabilité des éléments de preuve, mais je l’ai promue, et elle constitue maintenant le critère pour déterminer l’admissibilité des témoignages d’enfants. Le cadre que j’ai créé pour analyser la valeur probante et le préjudice d’éléments de preuve factuels semblables a été adopté par la Cour d’appel de l’Ontario, et son application est maintenant répandue.
  • Mes travaux sur l’exception fondée sur des principes à la règle du ouï-dire ont contribué à provoquer une division officielle dans l’analyse entre les caractéristiques procédurales qui permettent d’évaluer la fiabilité du ouï-dire et l’attestation importante de la fiabilité. La Cour suprême du Canada s’est également appuyée sur ces travaux lorsqu’elle a invalidé sa propre pratique consistant à tenter de distinguer les facteurs de fiabilité qui constituent le seuil et les facteurs de fiabilité ultimes.
  • Mes écrits sur l’exclusion d’éléments de preuve ont contribué, tout comme les travaux de nombreuses autres personnes, à l’abandon de l’exclusion automatique des « éléments de preuve obtenus en mobilisant l’accusé contre lui-même », et ils ont récemment eu une incidence sur la conception de la Cour d’appel de l’Ontario à l’égard des cas dans lesquels on considérera que la preuve a été obtenue de façon contraire à la Constitution.
  • Mes travaux judiciaires ont également eu des répercussions. Des avocats s’appuient souvent sur des décisions que j’ai rédigées, et celles-ci sont utilisées par mes collègues, surtout quand ils doivent déterminer s’il faut permettre le contre-interrogatoire de souscripteurs d’affidavit en matière de mandat de perquisition; accepter des éléments de preuve techniquement inadmissibles dans les enquêtes préliminaires; condamner les suspects qui ont refusé de fournir des échantillons d’haleine; et appliquer la suramende compensatoire.
  • Je laisse aux autres le soin de juger si ces changements, auxquels j’ai contribué, ont amélioré la qualité de la justice. Je crois honnêtement que oui, et je suis fier des contributions que j’ai faites, à mon avis, au droit du Canada.

2. Comment votre expérience vous a-t-elle permis de saisir la variété et la diversité des Canadiens et des Canadiennes et leurs perspectives spécifiques?

  • J’ai été élevé dans une famille élargie ethnique dans une ville qui, une génération auparavant, a bien connu la discrimination. J’ai des souvenirs isolés d’avoir été traité différemment en tant qu’Italien, mais c’était rare. J’étais jeune et en sécurité et, même si j’avais des amis autochtones, je vivais parmi les miens.
  • J’ai fréquenté des universités traditionnels à une époque où les femmes venaient tout juste d’intégrer la profession juridique. Je savais ce qu’était la pauvreté, ayant grandi dans une collectivité ouvrière du Nord bordée de deux réserves et à proximité d’une autre, mais j’étais inconscient des occasions perdues des enfants pauvres. J’ignorais les exigences de la variété et de la diversité jusqu’au milieu des années 1980, quand la « première vague du féminisme » a balayé les universités canadiennes.
  • Avec le recul, je constate que ma réaction initiale a été de résister. J’étais indigné d’être traité en tant qu’homme monolithique qui devait assumer la responsabilité pour les inégalités que je n’avais pas créées et que je n’appuyais pas. L’ampleur du mouvement m’a tout de même obligé à écouter et à apprendre, ce que j’ai fait. Je considérais que certaines des solutions proposées étaient brutales et excessives, mais j’en suis venu à être convaincu que le droit était en grande partie responsable de la façon dont il traitait les femmes et les enfants, notamment dans les cas d’agression sexuelle. J’ai toujours été d’avis que le droit appartient à tout le monde et qu’il devrait servir tout le monde. Quand il est devenu évident pour moi qu’il échouait souvent à cet égard, cela m’a touché. Il m’est devenu de plus en plus important de réfléchir du mieux possible à la façon dont le droit touche les autres. J’ai fini par accepter le concept d’égalité véritable et des « effets négatifs de la discrimination ». Dans mon travail, j’ai tenté de trouver une façon ciblée de faire progresser le droit, et je crois que cela se reflète dans mes études pendant cette période.
  • Néanmoins, même après cet éveil, j’ai continué de vivre ma vie en me protégeant, même sur le plan professionnel. J’ai eu la chance de donner des conseils juridiques au directeur de l’Unité des enquêtes spéciales et ai été exposé, pour la première fois, à l’inquiétude causée par les fusillades policières dans la communauté noire de Toronto, mais, outre cela, j’en connaissais très peu à cet égard. Les étudiants fréquentant l’université où j’enseignais provenaient pour la plupart de familles à l’aise, voire mieux. Même quand j’ai commencé mon travail dans les poursuites en justice, Ottawa était une collectivité homogène, francophone et anglophone. La majeure partie des personnes ayant des troubles mentaux étaient dans des établissements, et l’itinérance n’était pas ce qu’elle est aujourd’hui.
  • Les choses ont toutefois commencé à changer à l’école de droit quand nous avons commencé, au début des années 1990, à recruter intensivement des étudiants et des collègues autochtones. J’ai encadré certains de ces étudiants, et nous avons commencé, pour la première fois en tant qu’institution, à aborder la mesure dans laquelle le système juridique peut être déconcertant et inadéquat pour les membres des Premières Nations.
  • Au cours des années suivantes, le corps étudiant a évolué, en même temps que la collectivité en général. De nombreuses femmes sud-asiatiques sont entrées à l’école de droit, et d’autres personnes de couleur ont suivi. Pour la première fois, nous avons traité du multiculturalisme et de la diversité au lieu de seulement parler des hommes et des femmes et de l’anglais et du français. Entre-temps, la composition des cas dans le système judiciaire changeait également. En effet, il n’a pas fallu beaucoup de temps avant que les communautés racialisées soient surreprésentées devant nos tribunaux. Si vous voulez voir la diversité, rendez‑vous dans un palais de justice provincial.
  • Je travaille maintenant dans ces cours tous les jours, et ce, depuis cinq ans. Le poste de juge de cour provinciale est une immersion dans le monde de la pauvreté, de l’itinérance et de la maladie mentale. À Ottawa, c’est une véritable introduction aux difficultés auxquelles sont confrontés les Autochtones, et de façon plus généralisée, les Inuits frappés par l’alcoolisme et le déplacement, souvent éloignés du Nord après être venus ici pour des raisons d’ordre médical.
  • Je vois ces personnes dans leurs pires moments, parfois menottées, mais toujours courbées, humiliées et souffrantes. Souvent malades, toujours dans le besoin. C’est impossible de ne pas être touché par cette situation. Il faudrait être aveugle pour ne pas voir la diversité de nos collectivités et insensible pour ne pas souhaiter de solutions à l’inégalité et au recours excessif au droit pénal. Par ailleurs, il faudrait avoir l’esprit fermé pour croire que nous sommes tous également responsables de qui nous sommes ou ne pas reconnaître que la justice ne signifie pas la même chose pour tout le monde – que le pouvoir du droit doit être exercé différemment pour différentes populations.
  • Il s’est agi d’un voyage de découverte, mais j’ai appris que mes voisins, mes compatriotes canadiens, représentent les personnes diversifiées qui comparaissent devant moi. Comme tout le monde, ils sont aussi méritants que moi, et il faut les traiter avec respect et leur accorder le bénéfice du droit. Je sais que nous voyons le monde en fonction de nos propres expériences, même de nos préjugés, et qu’il est difficile de remettre en question nos perceptions individuelles et de considérer le point de vue d’une autre personne. Nous sommes tout de même obligés d’essayer; ces personnes ont le droit d’être comprises par ceux d’entre nous qui ont le pouvoir sur elles, et elles ont le droit que leurs besoins soient reconnus. Je suis conscient de cette obligation et j’essaie de la remplir.

3. Décrivez le rôle que doit jouer un juge dans une démocratie constitutionnelle.

  • J’ai eu la chance d’être invité récemment à présenter, dans le cadre d’une conférence, un exposé avec un universitaire américain. Ma tâche consistait à aborder les nouveautés à la Cour suprême du Canada. Mon collègue devait parler de la Cour suprême des États‑Unis. Je me suis appuyé sur des principes juridiques pour expliquer pourquoi le gouvernement du Canada avait perdu dans un nombre remarquable de dossiers devant la Cour suprême du Canada en 2015 – environ 80 % des dossiers, même si ce gouvernement avait nommé la plupart des juges. L’universitaire américain a ensuite pris la parole. Il n’a pas traité de principes juridiques ou de techniques. Dans le cadre d’un exposé fascinant, il a plutôt parlé de l’importance du décès d’Antonin Scalia et montré de façon convaincante que l’accumulation de cas constitutionnels n’ayant pas fait l’objet d’une décision devant la Cour suprême des États‑Unis sera réglée, non pas grâce à des analyses juridiques, mais plutôt par qui remportera l’élection et pourra donc nommer le remplaçant du juge Scalia.
  • Cette anecdote sert à montrer que, dans une démocratie constitutionnelle, il n’existe pas de rôle unique approprié que doit remplir un juge. Aux États‑Unis, où une conception différente de la démocratie est reconnue, la notion selon laquelle les juges sont nommés pour institutionnaliser les opinions politiques du pouvoir exécutif est acceptable. À partir de cette conception, il est acceptable que le pouvoir exécutif, choisi par une majorité, nomme des juges qui se conformeront au programme politique de la majorité.
  • Au Canada, c’est différent. Dans notre démocratie constitutionnelle, le rôle d’un juge consiste à trancher des affaires en appliquant le droit et en ne s’appuyant jamais sur des croyances personnelles ou politiques. La raison est bien simple. Sans engagement face à l’idéal selon lequel les juges doivent trancher des affaires en s’appuyant sur le droit, le droit n’existe pas, il n’y a que du pouvoir. En effet, obliger les juges à se conformer au droit atténue le risque d’abus de pouvoir. Cela nous protège contre la corruption et la discrimination. Dans le cadre de notre conception de la démocratie constitutionnelle, c’est ce qui confère à nos décisions juridiques leur légitimité.
  • C’est ma croyance par rapport au rôle du juge dans une démocratie constitutionnelle, et elle est fermement ancrée. Je dois donc aborder trois critiques fréquemment formulées à son égard.
  • La première concerne la question suivante : « En quoi est-il légitime que des juges qui sont liés par le droit annulent des lois en s’appuyant sur la Charte? » La réponse est simple. C’est parce que la Charte est également une règle de droit. En effet, c’est la loi fondamentale qui oblige les juges à s’abstenir d’appliquer toute loi contrevenant aux droits et libertés qu’elle établit, d’une façon qui ne peut être justifiée dans un pays libre et démocratique. Il y aurait non‑conformité avec la règle de droit si les cours refusaient d’appliquer le droit découlant de la Charte; ou si les juges se servaient de la Charte pour éviter les lois qu’ils n’aiment pas personnellement; ou si les gouvernements promulguaient des lois en faisant sciemment fi de la Charte parce qu’ils ne l’apprécient pas ou qu’ils sont en désaccord avec sa philosophie politique sous-jacente. La règle de droit oblige en fait les juges à abolir des lois quand cela est nécessaire.
  • Cela ne signifie aucunement que les juges peuvent exercer de façon cavalière le pouvoir constitutionnel qui leur est conféré. Déclarer qu’une loi est inconstitutionnelle est une chose sérieuse. Cependant, quand un juge détermine honnêtement qu’une loi contestée est anticonstitutionnelle, elle ne peut et ne devrait pas être appliquée. Certains peuvent être en désaccord avec les décisions que j’ai rendues dans les affaires Michael et Madeley ou les arguments que j’ai employés dans les affaires O’Neill ou Mills. Les positions que j’ai adoptées reflètent cependant mes efforts mesurés, réfléchis et humbles de respecter la Charte.
  • La deuxième contestation est le fait que la « règle de droit » présume que le droit est connu, même si, en fait, la nature du droit est souvent controversée. Cela permet aux juges de manipuler la jurisprudence ou de choisir une conclusion et de trouver ensuite une raison la justifiant. À tout le moins, on dit que le droit est suffisamment malléable pour que les juges, considérant les choses selon leur propre point de vue, choisissent de croire que le droit est ce qu’ils veulent qu’il soit. Par conséquent, certaines personnes critiquent ouvertement l’intégrité et la valeur de la règle de droit.
  • Cependant, la réalité est que tout pouvoir peut être utilisé à mauvais escient et de façon inappropriée. En vérité, des principes directeurs et des techniques d’interprétation légitimes peuvent être tirés d’une évaluation honnête du droit, ce qui permettra, dans la plupart des cas, d’obtenir le résultat adéquat. Aucun système humain ne peut être parfait. On peut seulement s’attendre à un engagement honnête envers le droit par des personnes ayant de solides compétences juridiques et étant engagées à l’égard de la règle de droit. Le fait d’être cynique et d’abandonner le but de trancher des affaires en fonction du droit simplement parce que ce but ne peut être parfaitement atteint n’est rien d’autre qu’un acte de capitulation devant le simple pouvoir. Selon moi, une conception vitale d’une démocratie constitutionnelle ne peut se le permettre.
  • La troisième constatation est le fait que la « règle de droit » est une force conservatrice, car le droit s’appuie sur la jurisprudence. Elle exige que des problèmes juridiques actuels soient réglés au moyen de solutions du passé.
  • Selon moi, les personnes adoptant cette croyance ne reconnaissent pas la conception moderne du droit. Les lois sont maintenant interprétées non pas littéralement, mais plutôt en fonction d’un but visé et du contexte, et elles peuvent faire l’objet d’un contrôle en vertu de la Charte. Nous sommes d’avis que l’intention du Parlement peut être saisie exactement en interprétant de façon pragmatique le droit, de façon qu’il aborde les problèmes que le Parlement souhaite régler, conformément aux valeurs constitutionnelles fondamentales envers lesquelles le Parlement s’est engagé. En ce qui a trait à la common law, elle évolue conformément aux valeurs de la Charte et aux conceptions modernes de l’équité, de la moralité et de la justice. Ces principes finissent par se glisser dans les interstices de la jurisprudence. À l’heure actuelle, un grand nombre, si ce n’est la plupart, des règles de la common law s’appuient sur des normes régies par des principes directeurs discernables. Ces règles permettent la réalisation de résultats contextuels et pertinents. Le droit peut être tenu à jour de cette manière, mais son évolution doit découler d’une application raisonnée et de l’élaboration de principes, et non de simples préférences personnelles.
  • Je crois fermement en la règle de droit et en la légitimité des contrôles constitutionnels. La conception canadienne d’une démocratie constitutionnelle, telle que je la comprends, l’exige.

4. À qui s’adressent les décisions de la cour à laquelle vous vous portez candidat?

  • Il y a trois groupes auxquels doivent s’adresser les décisions judiciaires. Le principal public de toute décision judiciaire est représenté par les « parties » à la procédure, prises dans un sens large. Cependant, il est tout aussi important que les juges parlent dans leurs décisions au grand public, à qui le droit appartient. Il existe également un autre public principal, pour les décisions des cours d’appel en particulier, soit les avocats et les juges. Une décision judiciaire digne de ce nom est rédigée compte tenu de ces trois groupes et de façon à ce qu’ils puissent tous la comprendre. J’aborderai à tour de rôle chaque public.
  • Techniquement, le terme « parties » désigne les personnes ayant le droit de comparaître dans une affaire donnée, car elles ont un intérêt « juridique » direct par rapport au litige. Ces personnes constituent un public principal évident des décisions rendues. Elles auront obtenu le droit de comparaître, car leur liberté, leur réputation, leur famille ou leur destin seront touchés par la décision. Naturellement, ces parties sont investies et concernées. Dans une société qui respecte l’intégrité des gens, la simple décence humaine exige que l’on s’adresse à ceux qui seront touchés par l’exercice du pouvoir et qu’on ne parle pas simplement d’eux. Elle exige qu’un juge qui rend une décision consistant à acquitter quelqu’un ou à lui imposer un fardeau explique les motifs connexes.
  • En effet, il faut en faire plus. Il faut parler aux parties comme à de vraies personnes et compte tenu de leurs intérêts. Au moment de rédiger une décision, les juges doivent penser aux « personnes », et non aux « affaires », et ils doivent considérer ces « personnes » et leur parler dans leurs décisions afin que ces dernières tiennent compte de la réalité et des gens et soient comprises.
  • Le concept technique de « parties » n’est toutefois pas assez vaste pour englober toutes les personnes qui ont un intérêt important à l’égard du résultat et qui méritent qu’on leur parle et qu’on tienne compte de ce qu’elles disent. Par exemple, une victime d’une infraction sexuelle n’est techniquement pas une partie à une affaire criminelle. C’est le procureur qui l’est, car, d’un point de vue théorique, l’infraction est commise contre l’État. L’intérêt de la victime est toutefois intense. Sa santé mentale, son sentiment d’intégrité et sa quête de justice sont tous en jeu. Le parent d’un jeune délinquant n’est pas lui non plus une partie. Cependant, s’il est un parent attentionné, son sort est lié à celui de son enfant. De même, la communauté noire n’est pas partie à une affaire de profilage racial présumé. Cependant, son intérêt face à la correction de la discrimination sera palpable. Encore une fois, la décence humaine requiert que la décision s’adresse à toutes les parties dans un sens large – toutes les personnes qui ont un intérêt direct et important dans l’affaire, qu’elles aient le droit de comparaître ou non.
  • Il y a ensuite le grand public. Le droit lui appartient, et les juges exercent le pouvoir du droit conféré par la confiance du public. Cela a trois répercussions, faisant que le grand public est un public principal des décisions rendues par les tribunaux.
  • Premièrement, comme c’est le cas de tout fiduciaire, les juges ont l’obligation morale de montrer qu’ils agissent de façon appropriée et compétente dans le traitement de ce qui appartient à autrui. Ils doivent expliquer au public ce qu’ils ont fait du droit qui leur a été confié et pourquoi ils ont agi de la sorte. Lorsque quelqu’un est responsable de l’administration du droit, comme un juge, il accepte l’obligation de rendre des comptes par rapport au pouvoir qui lui est conféré en énonçant les motifs des décisions qu’il rend. Pour remplir cette obligation, les juges doivent s’adresser à ceux à qui l’obligation est due.
  • Deuxièmement, comme le droit devrait refléter les besoins et les valeurs fondamentales de la collectivité qu’il sert, les critiques mesurées et réfléchies du public sont importantes pour assurer l’évolution adéquate du droit. Si le droit ne tient plus compte de la réalité, il ne sera plus respecté, tout comme ceux qui l’administrent. Il perdra son efficacité et la confiance qui lui est accordée. Les juges doivent donc parler au public dans leurs décisions afin qu’il puisse répondre. Une démocratie n’en exige pas moins.
  • Troisièmement, il y a la fonction éducative assumée par le droit. Un juge américain a dit du droit qu’il était l’« enseignant omniprésent ». Il entendait par là que le droit reflète les normes sociales et les valeurs sociétales, et un des rôles principaux de toute décision judiciaire est de favoriser ou de promouvoir le soutien de ces normes et valeurs. Pour ce faire, on peut faire savoir qu’il y aura des conséquences, notamment par l’entremise d’une dissuasion générale dans le droit pénal et celui applicable aux préjudices. On peut sans doute arriver aux mêmes fins de façon encore plus efficace en confirmant ces normes et valeurs auprès des citoyens respectueux des lois.
  • En effet, il existe une école de pensée crédible selon laquelle le public auquel il faudrait s’adresser dans une affaire pénale afin de promouvoir le plus efficacement possible la conduite licite est non pas la personne qui sera punie ni les membres de la société susceptibles d’afficher des comportements antisociaux. Le public auquel il faudrait s’adresser est constitué des personnes qui n’ont pas encore violé les normes ou transgressé les valeurs fondamentales. Quand une cour prend la parole, elle le fait au nom de sa collectivité, et les personnes qui considèrent que le juge parle en leur nom sont plus susceptibles de s’approprier la décision, de renforcer leur engagement à l’égard des valeurs qu’elle exprime et d’obtenir la confirmation qu’elles sont de bonnes citoyennes. J’ignore comment le droit peut remplir son rôle d’« enseignant omniprésent » si les décisions sont rédigées sans tenir compte du grand public. Ce dernier est un public principal pour toute décision judiciaire.
  • Enfin, il y a d’autres juges et avocats. Toute décision judiciaire doit s’adresser à eux et aborder le droit et les motifs du droit, puisque, dans notre système de common law, les juristes apprennent le droit les uns des autres. Le droit se construit et évolue par l’entremise d’efforts concertés. Il ne peut progresser si les avocats et juristes ne communiquent pas à son sujet.
  • Même si cela est important pour les juges de première instance, il est impératif que les juges d’appel parlent du droit aux avocats et aux juges quand ils rendent une décision dans une affaire donnée. Après tout, les précédents des cours d’appel ont force exécutoire pour les avocats et les tribunaux inférieurs, et ils peuvent avoir une valeur persuasive importante, même devant les autres cours d’appel à l’échelle nationale. Un juge d’appel doit en tenir compte dans la rédaction de ses décisions et communiquer avec les autres membres de la profession de façon claire et explicative.
  • Un des nombreux éléments que j’ai toujours aimés au sujet du droit et qui continuent de me fasciner est le fait que, lorsqu’une cour est convoquée, elle représente un rassemblement de la société. Le procès est une moralité dans le cadre de laquelle le juge prend publiquement la parole au nom de la collectivité au cours d’une cérémonie ayant pour but de corriger une transgression ou un tort présumé et de renforcer les valeurs soulevées par le droit. C’est une entreprise de la plus haute importance. Le public à qui il faut s’adresser pour que le droit fonctionne à son plein potentiel a plusieurs visages, et le juge doit parler à chaque segment de ce public.

5. Prière d’indiquer les qualités personnelles, les compétences et l’expérience professionnelles ainsi que l’expérience de vie qui, selon vous, vous rendent apte à exercer le rôle de juge.

  • J’espère avoir montré dans les réponses ci-dessus que je possède les qualités personnelles, les compétences et l’expérience professionnelles et l’expérience de vie qui me rendront apte à être un juge d’appel. Si cet espoir se réalise, je ne peux m’attribuer qu’une partie du mérite. J’ai gagné à la loterie de la naissance, et ma carrière est une suite d’événements fortunés. Je décrirai donc brièvement mes qualités personnelles, mais je dois tout d’abord mentionner que les caractéristiques que je m’attribue sont des dons qui m’ont été accordés parce que je suis né dans une famille stable et unie et ai grandi dans une communauté ethnique composée de simples gens travaillants. Et je suis né au bon moment.
  • Seulement une génération plus tôt, les membres de la famille de mon père sont arrivés sans rien. Ils ont ressenti l’isolement et le rejet parce qu’ils étaient différents, mais ils ont travaillé ensemble pour bâtir une vie. Malgré ce qu’ils ont vécu, ils faisaient partie d’une génération reconnaissante, accueillie dans un pays de possibilités et épargnée de la pauvreté rurale à la maison et des ravages d’une horrible guerre. Pour cette raison, un de mes oncles a été nommé « Ontario ». Une des tantes de mon épouse s’appelle « Ontaria ». Quand je suis né, les enfants de cette génération devenaient des médecins et des avocats, des maires et des juges. Ma famille et ma communauté s’étaient établies, étaient stables et étaient fières.
  • Seulement une génération auparavant, la mère de ma mère était une orpheline autochtone traitée comme un être inférieur. J’ai aussi été épargné de ce traitement, et ma grand-mère m’a inculqué la discipline, l’autosuffisance, le travail acharné et la force de caractère.
  • Qu’est-ce qu’il m’est resté de tout cela? Je sais que je suis travaillant. Je sais que je suis intelligent et que mon intelligence innée a été cultivée. Je sais que j’ai de la compassion. Je connais les gens et leur valeur intrinsèque et je connais l’importance de la famille et de la communauté. Je considère que ce sont des dons qui m’ont été accordés par le destin et ma famille, mais ils m’aident à tous les jours dans mon rôle de juge.
  • Ma carrière aussi a été marquée par la chance. Je suis allé à l’université parce que mes parents, qui n’en avaient jamais vu une, ont dit que je devais y aller. J’ai ultimement opté pour la faculté de droit, car je considérais que les avocats occupaient un emploi important, et, à 21 ans, j’ai donc présenté une demande et j’ai été accepté. Je ne savais pas à quoi m’attendre, mais j’ai rapidement compris que j’avais trouvé non pas une carrière ni même un emploi futur, mais plutôt une passion. Il s’est avéré que j’avais des aptitudes dans le domaine du droit, et, après avoir obtenu mon diplôme, plutôt que de retourner à Sault Ste. Marie où j’avais prévu vivre ma vie, mon épouse m’a convaincu de faire des études à l’étranger, simplement pour l’aventure. J’ai choisi Oxford parce que j’en avais entendu parler, et l’éducation que j’y ai reçue était impressionnante. J’ai ensuite choisi d’enseigner, car mon épouse et moi étions sans le sou après tant d’années d’études et nous ne pouvions nous permettre de contracter d’autres dettes d’étudiant pour le cours d’admission au barreau d’un an. J’avais été informé du fait que, si j’enseignais pendant trois ans, je pourrais être appelé au barreau sans avoir à passer les examens. J’ai donc commencé à enseigner et j’ai été séduit par l’expérience. C’est une occasion qui m’a permis de me plonger dans le droit, pas seulement l’apprendre pour un examen, mais plutôt le maîtriser afin de pouvoir le communiquer à autrui et de pouvoir écrire sur ce sujet avec autorité. Après plusieurs années d’enseignement, et malgré ma passion pour cette profession, je sentais qu’il était temps de revenir à la maison pour exercer le droit. On m’a offert un poste de procureur. Le doyen de ma faculté a tenté de me convaincre d’y renoncer quand je suis allé lui annoncer ma démission. Il m’a convaincu d’être procureur à temps partiel et de conserver mon poste de professeur permanent. C’est ce que j’ai fait, et le poste de procureur à temps partiel m’a permis de pénétrer dans le monde réel où je souhaitais être tout en conservant les privilèges de l’université.
  • J’adorais la salle d’audience et je suis devenu un avocat compétent. Comme j’étais un enseignant formé ayant une expérience du monde réel, je suis devenu un conférencier demandé, principalement pour les juges, et j’ai parcouru le pays à maintes reprises. J’ai pris un congé de deux ans et j’ai travaillé à temps plein en tant que procureur avant d’être un avocat de la défense et un consultant. Ma pratique a pris de l’essor. J’ai comparu devant la Cour suprême du Canada à de multiples occasions, devant des cours d’appel partout au Canada et, ultimement, devant un tribunal international pour les crimes de guerre. On me demandait régulièrement de faire part de mes opinions à des organisations gouvernementales et non gouvernementales.
  • Entre-temps, ces expériences du monde réel accroissaient mon savoir, le rendant pertinent, utile et demandé. J’ai poursuivi pendant 15 ans, puis, sentant que j’avais besoin de changement et souhaitant réaliser une ambition de longue date, je suis devenu un juge de première instance, poste que j’occupe depuis cinq ans. C’est une expérience qui m’a rendu humble et qui m’a enrichi.
  • Il est évident que, au fil du temps, j’ai troqué l’énergie et la promesse de la jeunesse contre la sagesse et l’apprentissage de l’expérience. C’est un troc qui a été profitable. Ma carrière a été riche et diversifiée. Je suis un avocat ayant été formé dans les meilleures écoles. Je suis un ancien professeur de droit ayant la chance de maîtriser le droit et les techniques juridiques. En tant qu’universitaire, j’ai appris à écrire clairement, en fonction d’un but précis. Au cours de cette carrière, j’ai appris comment communiquer de façon simple et compréhensible même des concepts complexes. Au tribunal pénal, j’ai travaillé comme procureur auprès des victimes et en tant qu’avocat de la défense auprès des accusés. J’ai aussi été juge, pleinement conscient du pouvoir et de la responsabilité associés au poste et de la confiance qui y est accordée. Pendant les nombreuses années où j’ai exercé la profession, j’ai acquis la capacité de réfléchir à propos de la vie et du droit. Au fil des années, mon sentiment de profond respect à l’égard du droit et ma curiosité par rapport à l’entreprise de la justice ne se sont pas étiolés. Ils sont renforcés tous les jours, étant donné que je vois les gens qui seront touchés et que je suis responsable de leur bien-être et de leur faire rendre des comptes.
  • En termes simples, je sais que j’ai acquis, grâce à ma bonne fortune, les outils et les expériences nécessaires pour être un juge compétent. Et je sais que j’ai l’humanité et, je l’espère, l’humilité nécessaires pour être un bon juge. En effet, je crois que je suis un bon juge. Je crois également que toute ma carrière m’a préparé pour le poste auquel je postule, et c’est pour cette raison que je le fais. Je peux contribuer au domaine.

6. Compte tenu de l’objectif voulant que les Canadiens et Canadiennes se reconnaissent et reconnaissent leurs expériences de vie au sein de la magistrature, vous pouvez, si vous le voulez, ajouter des renseignements sur vous-même que vous croyez être utiles aux fins de cet objectif.

  • Je crois que je l’ai déjà fait. Il ne reste pas beaucoup de pages du livre de ma vie que je n’ai pas ouvertes ici et j’espère que ce que j’ai déjà énoncé vous permet de concevoir en quoi je peux être perçu comme un juge de cour d’appel.
  • Je suis confiant que les Canadiens et Canadiennes œuvrant dans le domaine juridique comprendront et soutiendront ma nomination. Je connais beaucoup d’intervenants du domaine – universitaires, étudiants en droit, avocats et juges –, et mes écrits juridiques sont reconnus comme étant sérieux. Je crois que ma réputation est fermement établie et que ceux qui siégeront avec moi et qui comparaîtront devant moi en tant qu’avocats considéreront que je mérite d’être là.
  • Pour ce qui est des Canadiens et Canadiennes ordinaires qui s’intéressent à la nomination des juges, ils verront un baby-boomer d’âge moyen ayant un nom italien qu’ils n’apprendront jamais à épeler.
  • Ceux qui sont curieux à propos de mes expériences professionnelles verront un homme lettré sérieux et capable et un juriste ayant une maîtrise peu commune du droit qui s’efforce ardemment de faire du mieux qu’il peut parce qu’il comprend l’urgence de l’entreprise.
  • S’ils sont intéressés à en apprendre sur mes expériences personnelles, ils verront que, peu importe d’où on vient dans notre magnifique pays, même une ville de cols bleus industrielle du Nord, et peu importe son statut social, même la progéniture de la classe moyenne inférieure d’une population d’immigrants qui ne sont pas les bienvenus et le petit-fils d’une orpheline des Premières Nations, on a quelque chose d’important à offrir à sa communauté.
  • Encore plus important, s’ils regardent la façon dont je me comporte en tant que juge et écoutent ce que j’ai à dire, j’espère et je crois que les Canadiens et Canadiennes verront quelqu’un de respectueux, qui maîtrise le droit, a une vaste expérience de la vie, se soucie de toutes les personnes touchées par ses décisions et tente de comprendre chacune de ces personnes.
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