Questionnaire de l’honorable Susan Wong

Document d'information

 Selon le nouveau processus de demande de nomination à la magistrature institué par la ministre de la Justice le 20 octobre 2016, tout avocat ou juge canadien intéressé et ayant les qualifications requises peut poser sa candidature à la magistrature fédérale en remplissant un questionnaire à cet effet. Les questionnaires sont ensuite utilisés par les comités consultatifs à la magistrature à travers le Canada pour examiner les candidatures et soumettre à l’attention de la ministre de la Justice une liste de candidats « hautement recommandés » et « recommandés ». Les candidats sont avisés que certaines parties de leur questionnaire pourraient être rendues publiques, avec leur consentement, s’ils sont nommés à la magistrature. Les renseignements sont divulgués comme les candidats les ont fournis au moment de postuler, sous réserve des modifications apportées pour protéger leur vie privée.

Voici les parties 5, 6, 7 et 11 du questionnaire rempli par l’honorable Susan Wong.

Questionnaire en vue d’une nomination à la magistrature

[...]

PARTIE 5 – EXIGENCES LINGUISTIQUES

Veuillez prendre note qu’en plus de vos réponses aux questions suivantes, votre connaissance fonctionnelle des deux langues pourrait être évaluée.

Sans formation supplémentaire, êtes-vous capable de lire ou de comprendre des documents de la cour :

  • En anglais : Oui
  • En français : Non

Sans formation supplémentaire, êtes‑vous en mesure de discuter d’affaires juridiques avec vos collègues : 

  • En anglais : Oui
  • En français : Non

Sans formation supplémentaire, êtes‑vous capable de converser avec un avocat en cour :

  • En anglais : Oui
  • En français : Non

Sans formation supplémentaire, êtes‑vous capable de comprendre les observations orales présentées en cour :

  • En anglais : Oui
  • En français : Non

PARTIE 6 – ÉTUDES

Noms des établissements, années d’études, diplômes et années d’obtention :

  • Université de Victoria
    De 1989 à 1992
    Baccalauréat en droit (1992)
  • Université de l’Alberta
    De 1982 à 1988
    Baccalauréat en sciences de laboratoire médical (1988)

Prix et distinctions :

  • Prix de plaidoirie Gerald R.B. Coultas (1992), Faculté de droit de l’Université de Victoria
  • Bourse d’entrée à l’Université de l’Alberta (1982)
  • Bourse d’études de premier cycle de la province de l’Alberta (1982)                       

PARTIE 7 – ANTÉCÉDENTS PROFESSIONNELS

Veuillez indiquer, dans l’ordre chronologique et à partir du plus récent, les emplois que vous avez exercés et précisez pour chacun la durée d’emploi et le nom de l’employeur. En ce qui concerne les emplois dans le domaine juridique, veuillez inscrire les secteurs de travail ou les spécialisations, ainsi que les années correspondantes. Au besoin, indiquez si les secteurs de travail ont changé.

Expérience de travail dans le domaine juridique :

  • Depuis avril 2015
    Directrice régionale et avocate générale
    Section du droit des affaires et du droit réglementaire
    Ministère de la Justice Canada
    Vancouver (Colombie-Britannique)
  • Décembre 2008 à avril 2015 (sauf de mai à septembre 2014)
    Gestionnaire régionale et avocate principale
    Section du droit fiscal
    Ministère de la Justice Canada
    Vancouver (Colombie-Britannique)
  • Mai à septembre 2014
    Directrice adjointe par intérim et avocate principale
    Section du droit des affaires et du droit réglementaire
    Ministère de la Justice Canada
    Vancouver (Colombie-Britannique)
  • Mai 1999 à novembre 2008
    Conseillère juridique
    Section du droit fiscal
    Ministère de la Justice Canada
    Vancouver (Colombie-Britannique)
  • Septembre 1996 à avril 1999
    Conseillère juridique
    Section du droit fiscal
    Ministère de la Justice Canada
    Edmonton (Alberta)
  • Novembre 1995 à août 1996
    Avocate associée (droit civil, dommages corporels, immobilier)
    Thompson & Elliott
    Avocats et procureurs
    Vancouver (Colombie-Britannique)
  • Mai à octobre 1995
    Avocate associée (dommages corporels)
    Howard Smith & Company
    Avocats et procureurs
    New Westminster (Colombie-Britannique)
  • Novembre 1994 à mars 1995
    Avocate associée (droit civil, droit commercial et des sociétés)
    Oshry & Company
    Avocats et procureurs
    Edmonton (Alberta)
  • Juillet 1993 à novembre 1994
    Avocate associée (droit civil, droit commercial et des sociétés, droit immobilier)
    Corbett & Company
    Avocats et procureurs
    Edmonton (Alberta)
  •  Juillet 1992 à juillet 1993
    Stagiaire
    Corbett & Company
    Avocats et procureurs
    Edmonton (Alberta)

Expérience de travail dans un domaine non juridique :

  • Mai 1987 à août 1989 (à temps plein en été et à temps partiel le reste de l'année)
    Technologue en laboratoire médical
    Service d’urgence
    Hôpital de l’Université de l’Alberta
    Edmonton (Alberta)
  • 1975 à 1987
    Serveuse, caissière, employée de cuisine
    Restaurant Kapok (entreprise familiale)
    Edmonton (Alberta)

Autres expériences professionnelles :

Inscrivez toutes les associations du barreau ou comités d’affaires juridiques dont vous êtes ou avez été membre, et tous les titres des postes que vous avez occupés au sein de ces groupes, ainsi que les dates correspondantes.

Comités nationaux du Portefeuille des services du droit fiscal du ministère de la Justice :

(a)  Comité des bonnes pratiques et des communications (2001 à 2015) – représentante régionale;

(b)  Comité de l’assurance-emploi et du Régime de pensions du Canada (2008 à 2015) – représentante régionale.

[...]

PARTIE 11 – LE RÔLE DE LA FONCTION JUDICIAIRE DANS LE SYSTÈME JURIDIQUE CANADIEN

Le gouvernement du Canada souhaite nommer des juges ayant une connaissance approfondie de la fonction judiciaire au Canada. Afin de fournir une base solide à leur évaluation, on demande aux candidats de donner leur opinion sur des sujets généraux liés à la fonction judiciaire et au système juridique au Canada. Pour chacune des questions ci‑dessous, veuillez fournir une réponse de 750 à 1 000 mots.

1. Selon vous, quelle est votre plus grande contribution au droit et à la quête de la justice au Canada?

Ma plus grande contribution tient aux efforts que j’ai déployés pour que le droit et la pratique du droit soient accessibles aux personnes avec qui j’entre en contact, notamment les stagiaires en droit, les nouveaux avocats et les plaideurs non représentés. J’aborde mes interactions avec chacun de ces groupes de personnes dans le but de les aider à comprendre la situation où ils se trouvent ou les dossiers dont ils sont saisis; dans la mesure du possible, je cherche à leur fournir suffisamment d’information pour les responsabiliser.

J’agis ainsi parce que j’ai le sentiment profond que je me dois d’être une bonne ambassadrice de la Couronne fédérale et de la profession juridique. Je tiens en outre à honorer les sacrifices consentis par ma famille, qui est venue au Canada pour que je puisse profiter d’occasions que je n’aurais jamais eues autrement. J’ai aussi le désir de redonner à autrui ce que j’ai reçu de certains enseignants extraordinaires, qui ont pris le temps, au‑delà des attentes raisonnables, de m’enseigner à parler anglais, de m’aider à apprécier la parole écrite et de m’encadrer dans le choix d’un cheminement de carrière.

a) Stagiaires en droit et nouveaux avocats

En tant que gestionnaire et avocate principale à la Section des services de droit fiscal du ministère de la Justice de 2008 à 2015, j’ai eu la responsabilité d’une équipe d’avocats adjoints à qui étaient confiées des audiences selon la procédure informelle devant la Cour de l’impôt.

Ces jeunes avocats se sont habituellement joints à mon équipe immédiatement après avoir été admis au barreau, et je les ai encadrés dans tous les aspects de leur perfectionnement professionnel. Lorsqu’ils m’ont signalé des problèmes dans leurs dossiers, ils ont mis en pratique leur capacité de raconter verbalement un ensemble de faits, de déterminer les voies d’action possibles, puis de prendre une décision sachant pourquoi ils choisissaient cette option. Ils en sont venus à s’attendre à ce que je passe tout le temps nécessaire avec eux, mais qu’en fin de compte, ils soient en mesure de résoudre eux‑mêmes leurs problèmes afin de devenir des avocats plaidants indépendants et confiants. Je me suis parfois présentée en cour pour observer leur travail en salle d’audience et leur offrir mes commentaires par la suite.

Nous avons discuté de questions de courtoisie professionnelle et, à cet égard, j’ai tenté de donner l’exemple dans la mesure possible. Je leur ai toujours parlé directement, honnêtement et avec humour, car je voulais leur faire comprendre les avantages d'une communication franche, mais empreinte de tact. Ils ont également appris à concilier leurs obligations en tant que fonctionnaires judiciaires, membres du Barreau et représentants de la Couronne dans le cadre de nos discussions sur leurs dossiers.

Les efforts et le temps que j’ai investis dans les membres de mon équipe ont incité ces derniers à en faire autant auprès des stagiaires venus travailler en rotation dans notre section. Durant leur rotation, ces derniers étaient appelés à comparaître devant la Cour de l’impôt, et mes avocats adjoints ont appris à les encadrer aux fins de ces audiences, notamment en les accompagnant devant le tribunal et en leur offrant une rétroaction par la suite. Les membres de mon équipe ont ainsi rapidement appris à enseigner, à offrir une rétroaction et à faire preuve d’empathie. En retour, les stagiaires ont pu voir à l’œuvre de jeunes avocats faisant preuve de maturité dans la pratique du droit, ce qui m’a permis d’espérer que ces investissements se perpétuent.

En 2014, j’ai eu l’honneur de recevoir un prix régional de leadership individuel de la Colombie-Britannique après avoir été mise en nomination par mon équipe. Bien que je n’entretienne plus de relations à titre officiel avec ces avocats adjoints, je demeure officieusement une marraine pour la plupart d’entre eux, dont certains ont quitté le ministère de la Justice pendant mon mandat.

Je crois que mes efforts constituent un investissement à long terme qui contribue au droit et à la quête de la justice au Canada en inculquant à la prochaine génération d’avocats les concepts d’équité, de respect et d’engagement.

b) Plaideurs non représentés

Lorsque j’ai été saisie de dossiers mettant en cause des plaideurs non représentés, je me suis assurée de passer plus de temps avec eux avant la date de leur audience pour expliquer ce à quoi ils devaient s’attendre dans la salle d’audience. Je leur ai expliqué le déroulement des procédures, la manière de s’adresser au juge et de déposer des pièces, et ce à quoi ils devaient s’attendre après l’audience. Je leur ai expliqué la position de la Couronne en des termes simples et j’ai répondu au plus grand nombre de questions possible tout en respectant mon rôle d’avocate de la Couronne.

Dans la mesure du possible, j’ai réglé les dossiers sans qu’il soit nécessaire de tenir une audience, mais dans les cas où il a fallu tenir une audience, j’ai veillé à ce que la partie non représentée saisisse bien la raison pour laquelle il fallait se rendre à l’étape du procès. J’ai également montré à mes avocats adjoints à travailler avec des plaideurs non représentés de la même manière.

Les plaideurs non représentés m’ont exprimé leur gratitude à la suite de leurs audiences, même lorsqu’ils ont été déboutés, et m’ont dit qu’ils en avaient tiré une expérience d’apprentissage précieuse. Je crois que mes efforts auprès des plaideurs non représentés contribuent au droit et à la quête de la justice au Canada en démystifiant le système de justice pour le rendre moins intimidant pour ceux et celles qui choisissent de se représenter eux-mêmes (ou qui doivent le faire).

2. Comment votre expérience vous a-t-elle permis de saisir la variété et la diversité des Canadiens et des Canadiennes et leurs perspectives spécifiques?

La combinaison de mon expérience personnelle et de mon expérience professionnelle me permet de comprendre les perspectives d’une population canadienne diversifiée.

Mon expérience personnelle :

Je suis la première enfant née au Canada de parents chinois qui sont venus au Canada peu après l’abrogation de la Loi de l’immigration chinoise de 1923 (la Loi de l’exclusion des Chinois) en 1947. Mon père a immigré au Canada au début des années 1950, tandis que ma mère est arrivée en 1964, après que les politiques qui limitaient auparavant l’immigration des Chinois eurent été assouplies davantage.

Mes parents exploitaient un petit restaurant à Edmonton, où mes frères, mes sœurs et moi‑même avons passé tout notre temps après l’école lorsque nous étions enfants et jeunes adultes. Pendant toute mon enfance et mon adolescence, j’ai fréquenté une école de langue chinoise dans un sous-sol d’église tous les samedis et tous les étés afin de m’exercer à lire et à écrire en chinois. Si mes parents souhaitaient ardemment que je réussisse au Canada, ils tenaient également à ce que je préserve ma langue et ma culture dans la mesure du possible. Nos liens avec la famille élargie et nos rapports avec la communauté chinoise étaient des plus importants pour eux.

Mon éducation a été teintée, d’une part, par l’attraction exercée par la culture associée au passé familial et, d’autre part, par les nouvelles expériences que je n’ai pas manqué de vivre en tant qu’enfant canadienne. Comme j’étais souvent la seule étudiante chinoise à l'école publique, mon cercle d'amis était naturellement composé d'enfants non chinois. En tant que première enfant canadienne de ma famille, j’avais tout à apprendre du bagage culturel de mes amis. En tant que seule famille chinoise de notre quartier, nous avons été victimes de comportements haineux et d’insultes de la part d'étrangers, mais nous avons aussi bénéficié de la générosité extrême et des attitudes accueillantes de la part d'autres personnes, qui en sont venues à nous traiter comme des voisins.

Notre revenu familial et notre niveau socioéconomique étaient très modestes et j’ai appris par l’exemple à travailler pour obtenir ce que je voulais. Notre famille élargie a travaillé ensemble dans notre restaurant et, lorsque mes sœurs ont eu des enfants, mes autres frères et sœurs et moi-même avons pris soin d’eux, de sorte qu’il n’a jamais été nécessaire de recourir à des services de garde rémunérés. Nous avons travaillé et vécu de cette façon jusqu’à ce que mes parents prennent leur retraite et vendent l’entreprise familiale en 1987.

J’ai continué d’élargir mes expériences spécifiquement canadiennes en allant à l’université à Edmonton et à Victoria. Pendant que j’essayais de déterminer, en tant que jeune adulte, quel serait mon cheminement professionnel, j’ai passé des années dans les facultés des affaires, des sciences, des arts et du droit, lesquelles m’ont offert une riche expérience sur le plan de la diversité des personnes que j’y ai rencontrées.

Je crois que mon expérience de vie en tant que Canadienne de première génération, nourrie par les liens culturels solides de ma famille, m’a permis de comprendre le bagage unique des autres et la façon dont ce bagage façonne leurs points de vue, et de faire preuve d’empathie à cet égard.

Mon expérience de travail :

En plus de travailler au restaurant familial, j’ai travaillé comme technologue de laboratoire médical dans un hôpital d’enseignement, comme secrétaire médicale et comme audiotypiste médicale pendant mes études universitaires. Pendant mon séjour à Edmonton, j’ai fait du bénévolat à titre de tutrice à l’alphabétisation des adultes dans le cadre d’un programme dirigé par le conseil scolaire public, ainsi qu’au City Media Club, qui recevait des groupes musicaux invités. J’ai également fait du bénévolat de façon ponctuelle, me servant de mes compétences en calligraphie pour rédiger les certificats des diplômés de programmes de formation qui n’étaient pas suffisamment bien financés pour faire préparer leurs certificats de façon professionnelle. Lorsque j’ai déménagé à Vancouver pour me joindre au ministère de la Justice, j’ai travaillé comme bénévole au musée des beaux-arts de Vancouver. C’est dans ce contexte d’expériences de travail des plus éclectiques que j’ai été amenée à côtoyer des gens travaillant dans les domaines des soins de santé, de l’éducation et des arts.

J'ai fait un stage dans un cabinet de vingt avocats à Edmonton et j'ai pratiqué le droit dans le secteur privé à Edmonton et à Vancouver pendant trois ans après mon stage, avant de me joindre au ministère de la Justice à la fin de 1996. Pendant mon séjour à Edmonton, j'ai pratiqué à la fois le droit civil général et le droit commercial et des sociétés; mes clients dans ce dernier cas étaient notamment des immigrants chinois originaires de Hong Kong, avec qui j'ai pu communiquer en cantonais afin de rédiger leurs documents en anglais. Pendant que j’étais à Vancouver, j’ai pratiqué le droit civil général, mais j’ai consacré la majeure partie de mon temps à des dossiers d’accidents de la route, tant pour la demande que pour la défense. Mon expérience comme avocate dans le secteur privé m’a mise en contact avec un large éventail de clients et m’a permis de comprendre le volet affaires du droit ainsi que le coût économique et humain des litiges.

Je me suis jointe au ministère de la Justice à la fin de 1996. J’y ai travaillé pendant dix-neuf ans dans le domaine du droit fiscal à Edmonton et à Vancouver, dans des dossiers mettant en cause des plaideurs non représentés ainsi que des avocats de pratique privée. Le droit fiscal touche des personnes de tous les milieux et de tous les niveaux socioéconomiques; cette expérience de travail, combinée à mon approche communicative à l’égard des plaideurs non représentés, m’a permis de comprendre les perspectives d’autrui et de faire preuve d’empathie à leur égard.

Le fait de devenir gestionnaire en 2008 a de nouveau modifié ma perspective, même si j’ai continué de travailler dans le même domaine du droit substantif. Je ne pouvais plus me concentrer uniquement sur mes dossiers, et j’ai dû élargir mes horizons pour tenir compte de l’incidence des dossiers d’autres personnes sur le paysage juridique en général. J’ai également réorienté mon attention afin de me concentrer beaucoup plus sur les personnes avec qui je travaillais, dont mon équipe d’avocats adjoints, qui avaient besoin de mon temps et de mon mentorat. Cette expérience de travail m’a obligée à me servir de mes connaissances en tant qu’avocate plaidante pour tenir compte des besoins de perfectionnement des nouveaux avocats plus jeunes que moi et pour regarder la pratique du droit de leur point de vue.

Mon changement de cap professionnel, survenu en 2015, m’a amenée à superviser la Section du droit des affaires et du droit réglementaire du ministère de la Justice, de sorte que ma perspective a franchi les limites du droit fiscal pour atteindre des domaines comme les ressources naturelles (comme les barrages hydroélectriques et le gaz naturel liquéfié), l’aide à mourir, la privatisation des soins de santé et les droits de pêche des Autochtones. Cette expérience de travail m’a forcée à continuer d’élargir les limites de mes connaissances pour comprendre de nouveaux points de vue sur une vaste gamme de sujets.

3. Décrivez le rôle que doit jouer un juge dans une démocratie constitutionnelle.

Dans une démocratie constitutionnelle, chaque juge doit s’acquitter de son rôle en tant que membre d’une magistrature indépendante. Une magistrature indépendante est essentielle à l’exercice approprié du pouvoir gouvernemental, qui doit se faire dans le respect des lois du pays. Autrement dit, le gouvernement est tenu de respecter la primauté du droit, et le juge a pour mission de veiller à ce qu’il le fasse et qu’ainsi, il demeure responsable devant la population.

Au Canada, les pouvoirs du gouvernement sont énoncés dans la Loi constitutionnelle de 1867 et la Loi constitutionnelle de 1982; cette dernière contient la Charte canadienne des droits et libertés. C’est dans le contexte de ces documents constitutionnels que l’individu conclut un contrat social avec l’État et qu’il abandonne certains de ses droits afin d’accepter l’autorité et la protection de l’État à l’égard de ses autres droits.

La démocratie constitutionnelle est assortie d’un régime de contrôles et de contrepoids qui permet de veiller à ce que le gouvernement rende des comptes à sa population. Au Canada, ces contrôles et contrepoids comprennent notamment le partage des compétences entre les différents ordres du gouvernement fédéral, ainsi que le partage vertical des pouvoirs entre les paliers fédéral, provincial et municipal. Lorsque l’exercice d’un pouvoir gouvernemental est remis en question, même en tenant compte des contrôles et contrepoids en place, une personne peut demander au tribunal compétent de procéder au contrôle judiciaire d’une décision gouvernementale.

Au-delà des principes du droit administratif et du contrôle judiciaire dans ce contexte, chaque juge a, dans une démocratie constitutionnelle, le pouvoir de déclarer les actions, les décisions et les lois gouvernementales inconstitutionnelles et par conséquent invalides. Lorsqu’il prononce une telle ordonnance déclaratoire, le juge a alors le pouvoir d’ordonner au gouvernement de prendre des mesures correctives et d’en rendre compte au tribunal, s’il y a lieu.

Ainsi que je l’ai déjà mentionné, les documents constitutionnels du Canada comprennent la Charte, dont l’article premier garantit les droits et libertés qui y sont énoncés. Ces droits et libertés « ne peuvent être restreints que par une règle de droit, dans des limites qui soient raisonnables et dont la justification puisse se démontrer dans le cadre d’une société libre et démocratique ». La personne qui estime qu’un ou plusieurs de ses droits ou libertés garantis par la Charte ont été violés par le gouvernement fédéral ou provincial peut, en vertu de l’article 24 de la Charte, s’adresser à un tribunal compétent pour obtenir « la réparation que le tribunal estime convenable et juste eu égard aux circonstances ». Le juge saisi d’une telle demande doit d’abord décider s’il y a eu manquement et, dans l’affirmative, si ce manquement était justifié au regard de l’article premier de la Charte. Si le manquement n’était pas justifié, le juge peut déterminer la réparation à imposer, mais si le manquement était justifié, il doit rejeter la demande.

Pour remplir son rôle en tant que membre d’une magistrature indépendante dans une démocratie constitutionnelle, chaque juge doit exercer ses pouvoirs de façon impartiale et sans crainte de représailles. Il doit également éviter d’exercer ses pouvoirs à la légère.

Certains principes démocratiques existent dans le système judiciaire lui‑même, et le juge se doit de témoigner de ces principes dans la salle d’audience et de les appliquer. Ils sont notamment les suivants :

a) Le concept d’« opposition loyale » dans le système accusatoire – tous les participants à un système accusatoire jouent un rôle légitime et nécessaire. Ils tolèrent les points de vue divergents de la partie opposée parce qu’ils attachent une importance au droit d’exprimer ouvertement leur désaccord. En outre, ils se traitent avec civilité tout en étant en désaccord.

b) Le concept de « contrat social » – tous les participants à un régime accusatoire acceptent le pouvoir et la protection de la cour à l’égard de leurs droits en échange de la renonciation à certains de leurs autres droits.

c) L’application régulière de la loi ou l’équité procédurale – le juge rend des décisions en prenant connaissance de la preuve dans un cadre ouvert, en veillant à ce que tous les renseignements nécessaires à la prise d’une décision soient présentés à la cour et en s’assurant de la crédibilité des éléments de preuve.

d) L’impartialité – le juge ne fera pas preuve de parti pris dans la conduite des procédures ou la prise de décisions.

e) L’égalité – tous les participants à un processus accusatoire sont traités de la même manière.

f) La souplesse – s’il y a lieu, le juge fait preuve de suffisamment de souplesse lorsqu’il mène une instance pour permettre à tous les participants de présenter leurs points de vue.

g) La certitude ou l’uniformité – le juge veille à ce que les procédures respectent les règles applicables, ce qui garantit aux participants la sécurité de la prévisibilité et élimine l’arbitraire.

h) L’ouverture – en plus de prendre part à un débat ouvert, les participants sont informés (ou disposent des moyens leur permettant d’être informés) du processus judiciaire ainsi que de leurs droits et obligations en vertu de celui-ci.

En adhérant rigoureusement aux principes généraux d’une démocratie constitutionnelle et aux principes démocratiques du système judiciaire, le juge agira à titre de contrôle et de contrepoids.

4. À qui s’adressent les décisions de la cour à laquelle vous vous portez candidat(e)?

Voici à qui s’adressent les décisions de la Cour canadienne de l’impôt :

a) Particuliers

Les personnes qui se représentent elles-mêmes devant la cour pourraient fouiller les décisions afin de préparer leurs arguments sur le fond et leur stratégie de litige. Dans ce dernier cas, les décisions antérieures de la cour pourraient les aider à déterminer quels éléments de preuve ils devront produire.

Les personnes qui planifient leurs affaires personnelles ou commerciales pourraient aussi faire des recherches dans les décisions dans le but d’y trouver les façons les plus efficaces d’organiser leurs affaires fiscales.

b) Sociétés

Les sociétés qui se représentent devant la cour confieront leurs dossiers à un dirigeant ou un administrateur et pourraient se reporter aux décisions de la Cour de l’impôt aux mêmes fins que les particuliers.

c) Résidents

Les particuliers et les sociétés qui résident au Canada sont les plus susceptibles d’être touchés par les jugements de la Cour de l’impôt. Ils se reporteront probablement à ces décisions pour les motifs décrits aux alinéas a) et b) ci‑dessus.

d) Non résidents

Les particuliers qui ne résident pas au Canada et les sociétés qui ne sont pas incorporées au pays sont assujettis à des traités fiscaux internationaux ainsi qu’aux parties XIII et XIV de la Loi de l’impôt sur le revenu, entre autres choses. Ils examineront probablement les décisions de cette  cour dans le but d’obtenir des directives aux fins de leurs propres litiges ou sur la façon de planifier leurs affaires.

e) Avocats de pratique privée

Les avocats de pratique privée fournissent des services de planification et de contentieux à leurs clients relativement à leurs affaires fiscales et commerciales.

Les jugements de la Cour de l’impôt aident les conseillers en planification à structurer les affaires de leurs clients en fonction de ce qui s’est révélé fructueux pour d’autres contribuables. Les avocats de pratique privée s’intéresseront à ces décisions afin d’évaluer les chances de succès de leurs clients devant les tribunaux, d’élaborer des stratégies de litiges et de s’en servir comme jurisprudence.

f) Avocats internes d’une société

À l’instar des avocats de pratique privée, les avocats internes d’une société pourraient devoir se reporter à ces décisions pour aider leur employeur à planifier ses affaires fiscales et commerciales. Si cet employeur est une partie à un litige ou songe à suivre cette voie, les avocats internes peuvent donc se fonder sur ces décisions pour bien le conseiller sur la probabilité d’obtenir gain de cause devant la cour. S’ils fournissent également des services de contentieux à leur employeur, les avocats internes utiliseront ces décisions comme le feraient les avocats de pratique privée.

g) Gouvernements provinciaux

Les gouvernements provinciaux sont particulièrement bien placés, car ils ont le pouvoir de percevoir des impôts sur leur territoire, tandis que le pouvoir de perception du gouvernement fédéral franchit les frontières. Les accords de perception fiscale conclus entre les gouvernements fédéral et provinciaux permettent aux provinces de mettre en œuvre leurs propres politiques tout en coordonnant la perception des impôts aux deux ordres de gouvernement, de sorte qu’il existe une seule procédure administrative.

Malgré cette coordination, il peut survenir des conflits entre les deux ordres de gouvernement. Ainsi, les gouvernements provinciaux, les sociétés d’État et les organismes doivent verser des cotisations au régime d’assurance-emploi, des cotisations au Régime de pensions du Canada, ainsi que la taxe sur les produits et services. Les éventuels différends qui en découlent relèvent de la compétence de la Cour de l’impôt qui, dans ses décisions, énonce des directives à l’intention des fonctionnaires du gouvernement et de leurs avocats sur la façon de régler ces affaires.

h) Avocats du ministère de la Justice Canada

Les avocats du ministère de la Justice Canada se reportent régulièrement aux décisions de cette cour pour mieux saisir l’interprétation des lois, pour évaluer les chances de succès de la Couronne et à titre de jurisprudence dans leurs dossiers.

i) Stagiaires en droit et auxiliaires judiciaires

Les stagiaires en droit et les auxiliaires judiciaires feront des recherches dans les décisions de cette cour afin de fournir des avis aux avocats et aux juges. Ces avis, en ce qui concerne les avocats, serviront toutes les fins décrites précédemment relativement aux avocats, tandis que les juges pourront puiser dans les décisions de la cour des conseils ainsi qu’un précédent dont ils pourront se servir lorsqu’ils rendent des décisions dans les affaires dont ils sont saisis.

g) Juges

Les juges de la Cour de l’impôt, des Cours fédérales et de la Cour suprême du Canada peuvent faire des recherches dans les décisions de la Cour de l’impôt et s’en inspirer pour rendre leurs propres décisions. Bien entendu, plus son niveau de juridiction est élevé, moins il est probable qu’une cour s’appuie sur ces décisions. Il reste que la Cour de l'impôt est un tribunal spécialisé qui possède une vaste banque de jugements antérieurs; elle pourrait donc représenter une première ressource aux fins d’une interprétation antérieure des dispositions fiscales.

k) Agence du revenu du Canada

Les fonctionnaires de l’Agence du revenu du Canada consultent régulièrement les décisions de la Cour de l’impôt pour prendre une décision sur la façon de traiter un dossier donné. Les vérificateurs et les agents chargés des oppositions sont régulièrement appelés à décider du traitement d’une demande, par exemple, si une déduction doit être accordée ou refusée. Lorsqu’ils ne sont pas certains de ce qu’ils doivent faire, ils font souvent des recherches dans la jurisprudence pour trouver des ensembles factuels similaires ou des conseils sur une interprétation législative.

L’Agence se reporte aussi parfois aux décisions de la cour comme documents de référence dans la préparation de ses bulletins d’interprétation. Ces bulletins sont des documents mis à la disposition du public qui portent sur diverses dispositions fiscales et visent à informer le public de la manière dont l’Agence interprète et applique ces dispositions.

(l) Ministère des Finances Canada

Le ministère des Finances Canada est chargé d’élaborer les lois et les politiques fiscales. Les avocats et les fonctionnaires de ce ministère lisent les décisions de la cour pour se tenir au courant des tendances au niveau des litiges portant sur les lois en vigueur. Ainsi, s’il est clair que l’État échoue régulièrement dans la défense d’une disposition législative donnée, les avocats et les fonctionnaires des Finances pourront déterminer s’il est souhaitable de modifier cette disposition dans les circonstances.

5. Prière d’indiquer les qualités personnelles, les compétences et aptitudes professionnelles ainsi que l’expérience de vie qui, selon vous, vous rendent apte à exercer le rôle de juge.

À titre d’avocate de la Couronne fédérale chargée de litiges en matière fiscale, j’ai comparu régulièrement à titre d’avocate principale dans des affaires assujetties à la procédure informelle et à la procédure générale devant la Cour canadienne de l’impôt, dans des demandes de contrôle judiciaire devant la Cour fédérale et dans des appels interjetés devant la Cour d’appel fédérale entre 1996 et 2009 environ. Grâce à ce travail, j’ai touché à tous les aspects des litiges qui sont portés devant la Cour de l’impôt plus particulièrement, en plus d’être de plus en plus à l’aise à cet égard. En 2007, j’ai été sélectionnée pour participer avec vingt autres employés du ministère de la Justice à un programme pilote national de leadership, dont l’un des objectifs était de cerner les qualités de leadership chez les non gestionnaires et d’accroître la diversité au sein du Ministère. J’ai ainsi obtenu une formation complète sur tous les aspects du leadership, y compris la communication, l’écoute active et la résolution de conflits.

J’ai pu mettre à profit mon expérience en matière de litiges et ma formation en leadership lorsque j’ai été promue à un poste de gestion à la fin de 2008. J’ai alors dû continuer de plaider des dossiers fiscaux tout en guidant et en supervisant des avocats adjoints dans leur apprentissage des pratiques de la Cour de l’impôt. Bien que mes responsabilités de gestion se soient constamment accrues, j’ai pris part à environ une audience à titre d’avocate principale par année pour demeurer au fait de la pratique du droit en salle d’audience, ce que j’aime faire. J’ai offert aux agents de l’Agence du revenu du Canada des cours sur les pratiques de la Cour de l’impôt, la preuve et les demandes de contrôle judiciaire devant la Cour fédérale, et j’ai dirigé une équipe d’avocats intermédiaires chevronnés qui ont examiné et révisé des ébauches d’actes de procédure rédigés par des agents de l’ARC. Pendant longtemps, j’ai également représenté la Colombie-Britannique au sein d’un comité national du ministère de la Justice, dont le mandat consistait à discuter de questions de pratique en matière de litiges fiscaux et à maintenir l’uniformité de l’approche de la Couronne en matière de litiges. J’ai régulièrement examiné les ébauches des exposés des faits et du droit à déposer à la Cour d’appel fédérale d’autres avocats pour en vérifier le libellé, la clarté et les positions juridiques adoptées. Ces expériences professionnelles m’ont permis d’expliquer la loi et la procédure à des publics de divers niveaux de compréhension, en utilisant un langage simple et direct.

En avril 2015, j’ai été promue à mon poste actuel de directrice régionale de la Section du droit des affaires et du droit réglementaire du ministère de la Justice, qui agit à titre de groupe des contentieux civils généraux pour 38 ministères clients du gouvernement fédéral. Je supervise les activités commerciales et juridiques de cette section d’environ 76 avocats, parajuristes et employés de soutien. À ce titre, je prends chaque jour des décisions qui touchent d’autres personnes et j’explique mon raisonnement dans le cadre de ce processus. Je fais preuve de diplomatie et j’examine toute l’information disponible avant de prendre ces décisions. Du fait du poste que j’occupe, je dois privilégier une prise de décisions décisive, claire et opportune, et j’avoue que, dans certains cas, il peut m’arriver de prendre une décision peu populaire sachant qu’il s’agit de la bonne décision dans les circonstances. Si je n’ai pu pratiquer en droit fiscal l’année dernière, j’ai cependant acquis une perspective élargie des enjeux juridiques et sociaux de l’heure.

Si j’ai acquis le gros de mon expérience en droit pendant les années passées auprès de la Couronne fédérale, les années que j’ai passées dans le secteur privé en début de carrière continuent d’inspirer mon travail et mon comportement. Pendant cette période, j’ai pratiqué dans les domaines des litiges en assurance, des blessures corporelles, du droit des sociétés/commercial et du droit immobilier. Cette expérience m’a permis de comprendre, entre autres choses, les transactions, le droit des sociétés et le droit des assurances. Le temps que j’ai passé dans le secteur privé m’a fait saisir l’importance de la collégialité entre avocats dans le contexte de la nature accusatoire des litiges. Le temps que j’ai passé au sein de la fonction publique m’a insufflé un sentiment du devoir qui m’amène à m’assurer que je traite les parties non représentées avec respect et sensibilité.

Avant de fréquenter la faculté de droit et pendant mes études de premier cycle, j’ai travaillé comme technologue de laboratoire médical au laboratoire d’urgence de l’Hôpital de l’Université de l’Alberta. La nature analytique du travail effectué dans un contexte d’urgence m’a appris à être calme, respectueuse et lucide sous la pression.

Mes parents ont émigré de la Chine au Canada dans les années 1950 (mon père) et 1960 (ma mère), et je suis le premier membre de ma famille né au Canada. J’ai appris à parler anglais grâce à la générosité de mon enseignant de première année, qui m’a consacré du temps à une époque où les programmes d’anglais langue seconde n’existaient pas. J’ai travaillé avec mes parents et mes frères et sœurs dans notre petit restaurant familial, où j’ai passé mes journées à faire le travail que l’on attendait de moi tout en faisant mes devoirs. Entre dix ans et vingt‑deux ans, j’ai travaillé exclusivement dans l’entreprise familiale, jusqu’à ce que mes parents prennent leur retraite. Notre entreprise était très modeste, de sorte que les années qui j’y ai passées lorsque j’étais enfant et jeune adulte m’ont inculqué une éthique de travail rigoureuse ainsi qu’un sentiment d’humilité et d’autonomie.

Je crois que l’éventail de qualités, de compétences, d’aptitudes et d’expériences que je possède me permettrait de m’acquitter du rôle de juge, et je vous suis reconnaissante d’examiner ma candidature à la Cour canadienne de l’impôt.

6. Compte tenu de l’objectif voulant que les Canadiens et Canadiennes se reconnaissent et reconnaissent leur expérience de vie dans les visages de la magistrature, vous pouvez, si vous le voulez, ajouter des renseignements sur vous‑même dans la mesure où ils serviraient cet objectif.

Comme je l’ai mentionné dans ma réponse à la question 5, je suis la première enfant née au Canada de mes parents, qui ont émigré de la Chine au Canada dans les années 1950 (mon père) et 1960 (ma mère).

Mes parents et mes grands-parents étaient originaires d'un petit village agricole du sud de la Chine. Mon père et ma mère étaient considérés comme étant instruits parce qu’ils avaient respectivement l’équivalent d’une sixième année et d’une troisième année. Ma grand‑mère paternelle est devenue veuve dans la vingtaine, après que mon grand-père eut été tué alors qu'il travaillait comme policier dans leur village. Elle a eu cinq enfants, dont quatre sont morts à cause de la maladie et de la pauvreté, et seul mon père a atteint l’âge adulte.

À la suite de l’abrogation de la Loi de l’immigration chinoise de 1923 (la Loi de l’exclusion des Chinois) en 1947, mes grands-parents maternels ont immigré au Canada avec leur fils et mon père, qui était un « fils sur papier » et dont le certificat de naissance a été acheté afin qu’il puisse venir au Canada comme étant leur enfant. Ils ont laissé derrière ma mère, ma grand-mère paternelle et mes trois sœurs (âgées de 6 mois à 4 ans) parce qu’à l’époque, l’on donnait préférence aux hommes plutôt qu’aux femmes dans la culture chinoise. Les femmes de ma famille sont restées derrière pendant environ douze ans, jusqu’à ce que le gouvernement canadien instaure le Programme de rectification de statut à l’intention des immigrants chinois, qui a offert une amnistie aux fils sur papier qui se sont manifestés. Mon père s’est manifesté dans le cadre de ce programme et il a pu ensuite parrainer le reste de ma famille pour venir au Canada, et je suis née un an plus tard.

Au cours de la période de douze ans pendant laquelle ma famille a été séparée, ma mère, ma grand-mère et mes sœurs ont d'abord subvenu à leurs besoins en poursuivant leurs activités agricoles. Elles ont ensuite déménagé à Hong Kong et ont subvenu à leurs besoins en vendant de la broderie et des fleurs en plastique qu'elles fabriquaient à la main. Mon père leur envoyait aussi à l'occasion une partie de son revenu comme aide-serveur.

Malgré l’aide occasionnelle de mon père, elles éprouvaient des difficultés financières extrêmement graves lorsqu’elles étaient en Chine et à Hong Kong. Des voisins ont recommandé à ma mère de songer à vendre une ou deux de mes sœurs pour qu’elles travaillent comme domestiques chez des gens riches, ce qui n’était pas rare. Ma mère a refusé de suivre cette voie et a plutôt envoyé mes sœurs à l'école, où elles ont obtenu des niveaux de scolarité supérieurs à celui qu’elle avait pu elle‑même atteindre.

Ma famille élargie a été réunie (et je suis née) à Drayton Valley, en Alberta, où nous avons exploité un restaurant appartenant à mes grands-parents maternels. Nous avons vécu dans l’appartement situé au‑dessus du restaurant, et cet appartement est devenu le carrefour central de notre famille. Mes sœurs ont été immédiatement inscrites à l’école publique, où elles ont reçu des noms canadiens choisis par la direction de l’école. Trois ans plus tard, nous avons déménagé à Edmonton, où mes parents ont exploité un petit restaurant où mes sœurs, mes frères et moi‑même avons travaillé tous les jours après l’école. J’ai passé mon enfance plongée dans leurs expériences d’immigrants et j’ai vécu mes propres expériences nouvelles en raison de ma naissance au Canada. Ma sœur et mon frère cadets sont également nés durant cette période. Mes parents sont maintenant décédés, mais ils ont pu voir tous leurs enfants fréquenter l’université et me voir diplômée de la faculté de droit.

Je ne parlais que le chinois lorsque je suis entrée en première année et j’ai vécu l’isolement culturel du fait que j’étais la seule membre d’une minorité visible à l’école publique, et, souvent, à mon niveau. Après avoir obtenu un diplôme universitaire en sciences et avoir travaillé comme technologue de laboratoire médical, j’ai choisi de faire des études en droit. Le droit était une carrière rare pour les femmes chinoises à l’époque, et je n’avais aucun modèle à suivre.

Lorsque je me suis jointe au ministère de la Justice Canada en 1996, j’étais l’un des deux avocats membres de minorités visibles du bureau d’Edmonton. Dans mon poste actuel de directrice régionale, je suis l’un des trois membres de minorités visibles à travailler à ce niveau dans mon portefeuille du ministère de la Justice, à l’échelle nationale. Bien qu’il y ait aujourd’hui beaucoup plus de femmes appartenant à une minorité visible (et plus particulièrement de femmes chinoises) qui suivent mon parcours sur le plan des études, je suis très consciente du fait que je suis un cas assez unique à ce stade-ci. Je peux mesurer tacitement l’importance de mon rôle et de ma position dans les visages des femmes plus âgées membres de minorités visibles qui nettoient en silence nos corridors de bureau, mais qui sourient quand elles me voient.

Je suis reconnaissante des sacrifices consentis par ma famille, qui a déménagé au Canada pour que j’aie des possibilités. Mon expérience de vie en tant que femme membre d’une minorité visible et Canadienne de première génération est bien enracinée, tandis que mon expérience de travail dans une petite entreprise familiale et dans le domaine des soins de santé définit également ma perspective. Pour toutes ces raisons, je crois que je peux contribuer à faire en sorte que les Canadiens voient leurs visages et leurs expériences de vie dans la magistrature. 

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