Chapitre 11 : Briser le silence : les personnes victimes ou survivantes s’expriment

Partie II — Le sport sécuritaire au Canada

Sur cette page

La Commission a eu l’occasion d’entendre des récits déchirants d’abus graves. Nous avons été informés que la maltraitance dans le sport prenait de nombreuses formes : agressions sexuelles, violences physiques et psychologiques, racisme, humiliation à propos de l’apparence physique (body-shaming), intimidation et discrimination. Les personnes victimes ou survivantes ont dit s’être senties humiliées, dégradées et brisées.

Malgré une sensibilisation accrue et de nombreux rapports et études visant à explorer et à traiter ces enjeux, la maltraitance dans le sport demeure omniprésente. Nous décrivons ci-dessous certains des témoignages qui nous ont été partagés par des personnes victimes ou survivantes et des témoins.

Différentes formes de maltraitance

La Commission a entendu des témoignages sur l’humiliation subie à propos de l’apparence physique ou du taux de gras, sur les pesées corporelles inappropriées, les restrictions alimentaires et d’autres tactiques néfastes de gestion du poids, qui ont toutes des effets psychologiques et physiques durables et conduisent souvent à des troubles alimentaires.

Les personnes victimes ou survivantes qui ont subi ce type d’abus psychologique, dont plusieurs alors qu’ils étaient des enfants, ont raconté comment ces pratiques les ont marqués pour le reste de leur vie. Nous connaissons aujourd’hui la dangerosité de ces pratiques, qui ont pourtant déjà été considérées comme normales. Malgré cela, la maltraitance liée au poids demeure fréquente dans le sport, en particulier dans les disciplines artistiques et celles où les athlètes doivent concourir dans des catégories de poids spécifiquesNote de bas de page 1.

Des personnes victimes ou survivantes et des témoins ont partagé des récits poignants de maltraitance sexuelle, incluant des agressions, des actes de violence et du harcèlement.

La Commission a appris que ces exemples d’inconduite sexuelle impliquent souvent un conditionnement, qui se produit avant l’abus et cause des dommages permanents et destructeurs. Il nous a été rapporté que le conditionnement est un processus graduel qui peut apparaître au départ comme une occasion spéciale, comme obtenir une attention particulière de la part de personnes en position d’autorité ou plus de temps de jeu sur le terrain, menant éventuellement à de meilleures performances. Mais ces « occasions spéciales » font partie du processus néfaste de conditionnement. Elles sont utilisées volontairement par des individus qui occupent des positions de confiance et de pouvoir sur les athlètes afin de légitimer l’accès aux athlètes et le temps passé avec eux, de manière à mieux les contrôler. Ce processus constitue une trahison et un abus de confiance de la part d’individus qui occupent une position de pouvoir.

Ces problèmes et plusieurs autres, comme le racisme, y compris les abus à l’encontre des membres des communautés autochtones, l’homophobie, le capacitisme (discrimination fondée sur le handicap) et le sexisme, ont été identifiés comme étant profondément enracinés dans le système sportif. Ces enjeux compromettent les principes mêmes d’équité et d’inclusion que le sport est censé défendre.

En effet, la Commission a été informée de plusieurs cas de racisme survenant à la fois en dehors et sur le terrain de jeu. Des athlètes ont partagé des expériences où des joueurs d’équipes adverses et des administrateurs ont utilisé des insultes raciales ou des stéréotypes à leur endroit. Certains se sont fait dire qu’ils faisaient partie de l’équipe uniquement pour remplir un « quota ». Des stéréotypes raciaux ont également été utilisés pour maintenir le statu quo ou expliquer le manque de diversité dans le système sportif. Nous avons entendu parler d’abus perpétrés dans le sport contre des personnes autochtones, y compris dans le contexte des pensionnats.

En outre, de nombreuses personnes appartenant à des groupes méritant l’équité continuent d’être marginalisées et exclues des sports. Nous avons appris que des membres de la communauté 2SLGBTQI+, dont des athlètes, des entraîneurs et des officiels, devaient cacher des pans de leur vie personnelle par crainte de représailles et avaient souvent l’impression de ne pas pouvoir bénéficier d’opportunités égales aux autres. On nous a rapporté des cas où des organismes nationaux de sport ont logé leurs para-athlètes dans un hôtel différent de celui de leurs athlètes parce que les dirigeants n’avaient pas pris soin de trouver des hébergements accessibles en fauteuil roulant.

Les dynamiques de pouvoir au sein du système sportif font en sorte que les mauvais traitements peuvent être le fait de différents individus. Il peut s’agir d’entraîneurs, d’officiels, de parents, d’autres athlètes, de membres des équipes médicales, du personnel des organismes sportifs et de leur direction, comme les membres des conseils d’administration. Les personnes victimes ou survivantes sont tout aussi variées et ne se limitent pas aux athlètes. Les personnes en position de confiance, qui occupent une place privilégiée au sein du système sportif et qui sont censées se comporter de manière éthique, utilisent parfois leur position de façon inappropriée afin d’asseoir leur pouvoir et leur contrôle.

Dès leur plus jeune âge, les athlètes peuvent voir leur vie étroitement liée à leurs activités sportives, parfois au détriment d’un mode de vie plus équilibré. Cela peut créer un environnement dans lequel les athlètes se sentent sous pression et contrôlés, surtout dans les sports où ils n’ont qu’un seul entraîneur.

Les entraîneurs deviennent des mentors, mais aussi des gardiens de la carrière et de l’identité des athlètes, ce qui peut conduire à une relation de dépendance malsaine. Cela peut rendre les athlètes plus vulnérables aux abus, notamment psychologiques, de la part de personnes en position de confiance qui peuvent exploiter le déséquilibre de pouvoir qui existe dans la relation.

Bon nombre des personnes victimes ou survivantes qui nous ont rencontrés étaient des enfants lorsque les situations de maltraitance se sont produites. Aujourd’hui adultes, ces personnes continuent de vivre avec les conséquences dévastatrices et traumatisantes de ces actes. De tels comportements nuisibles ont un impact sur les athlètes, mais ils peuvent aussi ternir l’intégrité de l’ensemble de la communauté sportive. La prévalence des mauvais traitements dans le monde du sport démontre le besoin urgent de procéder à des changements systémiques, afin de garantir un environnement sécuritaire à toutes les personnes impliquées dans le sport, quel que soit leur rôle.

En nous penchant de plus près sur les complexités de la maltraitance dans le sport, nous devons reconnaître que ces problèmes ne sont pas des incidents isolés. Certains cas de maltraitance sont le symptôme d’un problème systémique plus vaste, notamment d’enjeux liés à la gouvernance des organismes sportifs. Comprendre les multiples facettes des abus et les environnements qui leur permettent de se développer est essentiel pour créer collectivement des environnements sportifs sécuritaires, respectueux et bienveillants au bénéfice de tous les participants.

Nouvelles formes de maltraitance

Non seulement la maltraitance se manifeste sous différentes formes, mais ces formes ont évolué au fil du temps en raison des changements significatifs dans le fonctionnement de la société. L’essor des médias sociaux et leurs répercussions ont exacerbé les formes traditionnelles d’abus. Par exemple, les rituels d’initiation, qui sont depuis longtemps un problème dans la culture du sport, ont changé. Dans certains cas, ces rituels causent désormais un second degré de préjudices à cause des téléphones intelligents et des plateformes en ligne qui sont facilement accessibles. La Commission a entendu dire que ces changements technologiques ont, dans certains cas, facilité les comportements abusifs et ont été utilisés pour faire pression et intimider les personnes concernées.

D’autre part, l’utilisation accrue des communications en ligne a créé de nouvelles possibilités d’abus, la cyberintimidation devenant une préoccupation majeure pour les athlètes de tout âge. Le harcèlement en ligne peut prendre de nombreuses formes, allant des propos blessants au partage d’images intimes sans consentement, alimentant une culture de honte, de peur et d’intimidation.

Un autre exemple d’une nouvelle forme de maltraitance concerne l’enjeu de la manipulation de compétitions au Canada. La manipulation de compétitions est généralement considérée comme une menace sérieuse à l’intégrité du sport, mais aussi à la sécurité des athlètes puisqu’elle peut conduire à l’exploitation et aux abusNote de bas de page 2.

Culture du silence

Une culture du silence exacerbe la maltraitance dans le sport. Les conflits d’intérêts et le favoritisme au sein du système permettent souvent aux abus de persister, sans être contrôlés ni résolus. Les entraîneurs et les administrateurs peuvent prioriser la victoire plutôt que le bien-être des athlètes. Des déséquilibres de pouvoir entre les différents acteurs du monde sportif sont souvent observés dans les structures hiérarchiques, comme les organisations sportives, et peuvent créer des environnements où la peur et le silence relèguent le bien-être des athlètes au second plan.

De nombreuses personnes ont confié à la Commission qu’elles hésitaient à s’exprimer, que ce soit en tant que témoins, ou en tant que personne victime ou survivante. Elles disent craindre les représailles de leurs entraîneurs, de leurs coéquipiers, de leurs superviseurs ou des institutions. Dans de nombreux cas, ces craintes se sont concrétisées lorsque les personnes victimes ou survivantes et les témoins ont effectivement fait part de leurs inquiétudes ou signalé de la maltraitance.

Souvent, des personnes conscientes de ce qui se passait ont délibérément choisi de ne rien faire pour arrêter la situation. Par ailleurs, des athlètes et d’autres personnes impliquées dans le sport craignent souvent de perdre leur financement, d’être exclus ou d’être considérés comme des agents perturbateurs si des allégations de maltraitance étaient révélées. Cela crée un climat de peur, où la crainte de l’instabilité financière devient plus forte que la nécessité de signaler les inconduites. Cette culture perpétue les cycles d’abus, ce qui dissuade les personnes victimes ou survivantes de se manifester pour demander de l’aide ou exiger que justice soit rendue.

En outre, la honte que ressentent les personnes victimes ou survivantes contribue à une perception selon laquelle le fait de s’exprimer puisse être considéré comme une source de problèmes. Cette perception peut conduire les personnes victimes ou survivantes à douter d’elles-mêmes et peut renforcer l’idée néfaste qu’elles sont elles-mêmes à blâmer, et non les auteurs des mauvais traitements. L’ensemble de ces craintes contribuent à réduire au silence les personnes victimes ou survivantes et les témoins, ce qui, en fin de compte, nuit aux progrès qui sont nécessaires pour lutter contre la maltraitance dans le sport.

Les exemples qui nous ont été partagés et que nous avons cités ci-dessus illustrent la nature continue et omniprésente de la maltraitance dans le sport. Bien que ces comportements et ces pratiques soient clairement inacceptables, ils se produisent encore aujourd’hui.

Détails de la page

2025-08-28